Le Siège d'Agarès

04-10-2011 à 15:14:48
Voici une histoire qui me tient beaucoup à cœur, et j'espère qu'elle vous plaira. Il reste encore des améliorations à faire dessus, et j'espère sincèrement la finir un jour, mais c'est un énorme projet. J'éditerai ce message de temps à autre pour y mettre et définir tous les personnages, vu qu'ils sont assez nombreux. Ce sera un message que j'éditerai et actualiserai au fil du récit.

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04-10-2011 à 15:27:31
Le Siège d'Agarès



Ils y étaient enfin… La resplendissante Agarès se dressait fièrement en haut de la butte, sur son immense plateau adossé à la montagne brute qui s’étendait derrière elle. Sa haute muraille défiait l’immense armée du royaume de Pigoria. Environ trois cent mille hommes se pressaient au bas de cette mythique cité. Leur roi Favnir avait réussi, à force de verve et de preuves, à les décider de se mettre en route contre le Seigneur Moenir, leur démontrant à quel point ce souverain était corrompu, rongé par l’avidité. En effet, Agarès avait connu de meilleurs jours… Moenir au pouvoir, tout avait changé du jour au lendemain. L’immense bibliothèque qui regorgeait de trésors littéraires, linguistiques, historiques, culturels et techniques, avait été rapidement fermée à tous, excepté au Seigneur de la ville et à ses propres érudits triés sur le volet. L’armurerie traditionnelle, avec sa forge, avait été remplacée par un immense bâtiment en marbre, avec une haute cheminée en brique rouge, d’où sortait une fumée noire de suie, comme si l’Enfer s’était invité là et y avait élu domicile. Des machines de guerre en métal en sortaient régulièrement et avaient permis à Moenir d’étendre son royaume à plusieurs lieues à la ronde par la persuasion autant que par la force. Amarelys, générale en chef de la glorieuse armée pigorienne, observait de ses yeux de lynx la topographie des lieux, relevant chaque dénivellation du terrain, chaque obstacle, chaque zone découverte. Elle nota également, sur les hautes murailles d’Agarès, l’emplacement des meurtrières, et de chaque ouverture qui pouvait abriter un archer ou un arbalétrier. Son regard se porta ensuite sur la falaise contre laquelle la cité semblait appuyée. Un impressionnant à-pic de plusieurs dizaines de mètres de haut, avec toute une chaîne de montagnes derrière, comme autant de pics rocheux s’élevant vers le ciel. La cité avait une très bonne position défensive, et nul doute qu’en apprenant l’arrivée de son armée, son seigneur avait fait des réserves de nourriture suffisantes, et la source naturelle d’eau potable qui jaillissait au milieu de la cour du palais subviendrait aux besoins en eau de toute la population. Un blocus seul n’assurerait donc pas la victoire… Il faudrait plus. Il faudrait mettre à genoux cette fière cité et son souverain mégalomane.
Amarelys se tourna vers ses hommes et leur intima l’ordre de monter le camp, ce qu’ils firent sur-le-champ. Tous la respectaient. Malgré l’aversion que le roi avait pour elle, sa propre fille, simplement parce qu’elle était du sexe faible et l’aînée de sa progéniture, elle avait réussi à atteindre les hautes sphères du commandement militaire. Son frère cadet, un paresseux maniéré et égocentrique, était assuré d’hériter du trône, mais finalement, elle se trouvait mieux ainsi. Les palabres, les manœuvres politiques, les bains de foule lors des fêtes populaires, les réceptions, les orgies, les doléances à recevoir, rien de tout cela ne l’attirait. Elle était une femme d’action, elle avait besoin de se battre sur le terrain, auprès de ses hommes, pour se sentir vivante. Elle avait commencé au plus bas de l’échelle, en mendiant des leçons d’escrime au maître d’armes de son père, en échange d’un travail à l’écurie royale. La fille du roi avait commencé sa carrière comme palefrenière. Et son père avait tout fait pour la décourager d’aller plus loin. Il avait toujours demandé à son maître d’armes de se montrer plus dur avec elle qu’avec n’importe quel autre élève, et de la renvoyer au moindre faux pas. Mais il n’y avait pas eu de faux pas, et elle s’était entraînée si durement, avec tant d’acharnement, qu’elle avait fini par gagner le respect de tous les militaires, à commencer par son propre mentor. Elle avait gravi chaque échelon à la régulière, passé chaque examen, fait toutes ses classes. Elle avait participé à une quinzaine de campagnes militaires, faisant à chaque fois l’unanimité parmi ses pairs, à son retour, pour une montée en grade. C’est ainsi qu’à la douzième campagne, son père s’était vu contraint de reconnaître son talent dans l’art de la guerre et du commandement, et de la nommer Générale en Chef de sa propre armée. Mais là encore, il n’avait eu aucun mot tendre pour elle, seulement les termes officiels de la cérémonie. Il semblait à Amarelys que rien ne pourrait le rendre fier d’elle, quoi qu’elle fasse, car elle ne pourrait jamais changer ce qu’elle était : une femme dans un monde d’hommes. Elle s’était finalement décidée à vivre avec, se contentant du respect et de la reconnaissance que lui témoignaient ses hommes. C’était suffisant pour elle, même si cela ne remplacerait jamais l’amour d’un père.
La jeune femme, dans son armure complète étincelante, avait fière allure au milieu des autres généraux à ses ordres. Elle tenait son casque d’acier sous son bras gauche, si bien que sa chevelure brune ondulait librement sur ses épaules garnies de métal. Beaucoup d’hommes la regardaient avec envie, mais aucun ne le faisait ouvertement, et surtout, aucun d’entre eux n’aurait la folle idée de tenter sa chance, de peur de se faire exécuter sur place. Oh bien sûr, elle était une femme magnifique et intelligente, mais elle avait un caractère épouvantable, et bien qu’elle se montrât très loyale envers tous les membres de son armée, mieux valait pour eux ne pas croiser son chemin quand elle était contrariée. En revanche, jamais elle ne laissait un de ses hommes derrière elle sur le champ de bataille, car pour elle, abandonner un des siens revenait à perdre la confiance de tous les autres, or la confiance était une chose capitale, à son avis, pour un chef de guerre respecté.
Une fois dans la tente de commandement montée à côté de la sienne, Amarelys invita les autres généraux à la suivre à l’intérieur. Un fantassin s’empressa d’aller chercher une flopée de rouleaux de papier dans une des carrioles. Il s’agissait de tous les plans de la région, ainsi que de la cité assiégée, plus ou moins précis, et plus ou moins récents. La générale avait insisté pour qu’ils soient tous sortis de la bibliothèque de Pigoria et qu’ils soient embarqués pour le siège. Une immense table trônait au milieu de la tente, ou plus exactement une large planche de bois poli posé sur des tréteaux, mais peu importait. Les rouleaux furent étalés sur la table. Amarelys, une main appuyée de chaque côté de la carte représentant la cité d’Agarès et ses alentours proches, présidait avec fierté et assurance cette assemblée d’hommes. Les autres attendaient respectueusement dans un silence pesant qu’elle leur expose la stratégie qu’ils allaient suivre.
04-10-2011 à 15:30:11
L’antique cité assiégée faisait face au Sud, adossée aux Montagnes du Nord, si bien qu’elle était toujours baignée par le soleil. La stratège décida de tourner ce détail à leur avantage : le soleil était une gêne pour toutes les armes de jet, seules défenses d’une armée retranchée dans une place fortifiée. Elle traça un arc de cercle face au groupement de maisons sur la carte, et pointa du doigt les cinq emplacements de ses cinq compagnies d’assaut le long de cet arc.

- Nous enchaînerons les attaques d’Ouest en Est sur une journée entière, et les compagnies qui attaqueront le feront toujours avec le soleil dans le dos… Nous n’avons pas de zones d’ombre où nous dissimuler, alors utilisons la lumière à notre avantage en nous cachant devant ses rayons éblouissants…
Mais cette attaque n’aura pas lieu dès demain.

Son regard parcourut l’assemblée, qui malgré sa légère surprise à cette dernière annonce, restait docilement coite.
- Nous allons commencer par tenir un siège actif. Des compagnies déployées de tous côtés, avec du bruit et des tirs sporadiques de catapultes, à des heures incongrues du jour et de la nuit, et de manière totalement irrégulière. Nous allons les épuiser nerveusement. Nous devons faire en sorte qu’ils soient sur le qui-vive nuit et jour, qu’ils ne puissent plus dormir tranquillement.
Mais pour que nos propres troupes ne soient pas affectées pas ces dérangements, je transmettrai les horaires des tirs chaque matin à l’aube pour la journée, et chaque soir au crépuscule pour la nuit. Nous agirons ainsi pendant au moins quatre jours. Il faut que leurs archers tombent de fatigue sur leurs arcs le jour où nous attaquerons.
Malheureusement, je crains que d’ici-là, ce cher vieux Moenir n’ait trouvé une parade contre ce vacarme. Nous aviserons donc au jour le jour. Les horaires des tirs de catapulte ne seront transmis qu’à vous, et vous devrez organiser la vie de vos soldats en fonction. Faites en sorte qu’ils obéissent et qu’ils dorment quand vous le leur permettez, si vous voulez avoir des hommes aptes à combattre le moment venu !

Le regard de la jeune femme parcourut le petit groupe qui se pressait autour de la table. Juste à côté d’elle, de part et d’autre de la table, il y avait les deux plus généraux les plus expérimentés de son armée, qui autrefois avaient combattu aux côtés de son père. A sa gauche, Aasgar, le général de la deuxième division, elle-même étant à la tête de la première division de l’armée royale, en plus d’être la supérieure directe des autres généraux. Aasgar était un homme d’une quarantaine d’années, de stature imposante, une barbe lui cachant le bas du visage, et des cheveux courts grisonnants. Il avait commencé comme écuyer au service du roi, puis il était monté en grade petit à petit. Avec l’âge, il avait perdu un peu de sa vivacité au combat, mais compensait cette lacune par un esprit affûté qui pesait chaque action et analysait chaque situation à une vitesse impressionnante. C’était un très bon stratège, auquel Amarelys faisait souvent appel quand elle hésitait sur une décision stratégique urgente. Il était largement respecté au sein de sa division, et même dans les autres, et avait depuis longtemps gagné la confiance de ses hommes.
A droite d’Amarelys, Marcus, général de la troisième division, se tenait bien droit, immobile face aux plans de la cité ennemie. La guerrière sentit qu’il avait peine à retenir une de ses blagues idiotes sur la situation, et avant qu’il ne cède à son passe-temps favori, elle lui lança un regard oblique, suffisamment dissuasif pour faire disparaître le léger sourire qu’il tentait vainement de dissimuler quelques secondes auparavant. Il avait la quarantaine, plutôt trapu, des cheveux bruns assez longs qui lui descendaient sur ses épaules, un fin collier de barbe brune sur le bas du visage qui jurait avec l’aspect négligé de ses cheveux. Sorti de l’école d’officiers depuis une quinzaine d’années au moins, il avait déjà acquis pas mal d’expérience sur le terrain. A ses débuts comme général, il était très doué pour se souvenir des manœuvres militaires théoriques, mais avait eu bien souvent des difficultés à les appliquer aux situations réelles, autrement plus complexes que les cas d’école. A présent, la sagesse aidant, enfin si l’on peut dire, il savait réagir de manière tout à fait appropriée en toutes circonstances.
Un peu en retrait, comme à son habitude, après Marcus venait Galator. Un homme d’une trentaine d’années qui cherchait toujours à se faire oublier malgré son mètre quatre-vingt-dix assez remarquable. Il était bien bâti, une silhouette élancée, des cheveux bruns très courts, un visage fermé et une attitude effacée. Très bon guerrier expérimenté, il avait obtenu son grade en partie grâce à quelques relations qui l’avaient aidé pour certaines promotions. Il avait cependant fait ses preuves et complètement gagné le respect et la confiance des hommes de la quatrième division qu’il dirigeait, en dépit de son caractère calme et discret, assez inhabituel pour un chef de guerre. Toujours très réfléchi, Galator savait rapidement jauger ses adversaires et était un bon stratège, parlant peu mais bien, avec des idées souvent originales mais toujours très efficaces.
Enfin, à gauche d’Amarelys, après Aasgar, venait le général de la cinquième division, Pelias, un jeunot d’une vingtaine d’années, soit à peine moins qu’Amarelys, et qui du haut de ses nombreuses années d’école d’officiers, croyait tout savoir sur tout mieux que tout le monde. Un petit prétentieux qui, bien que prometteur dans le maniement des armes, ne devait sa place qu’à son cher père, un des proches conseillers du roi. C’était sa première campagne militaire. Assez grand, les cheveux blonds assez courts, il avait souvent une expression pédante sur le visage en présence des autres généraux. Avec son charisme, il s’était révélé un bon meneur jusqu’à présent, même s’il n’avait pas encore la confiance aveugle de ses hommes. En présence de sa supérieure cependant, ses manières emphatiques disparaissaient pour laisser place à un visage hésitant, et un regard particulièrement insistant sur cette femme qu’il aimait secrètement de tout son être.
En plus de ces quatre officiers, il y avait sous la tente quatre capitaines, qui étaient les hommes de confiance respectifs des quatre généraux. Amarelys n’avait convié aucun de ses capitaines, ne voulant pas être affublée d’un élément de décoration encombrant derrière elle. Aucun de ses capitaines ne s’y connaissait en stratégie militaire, si bien que, en dépit du profond respect qu’elle avait pour eux, elle ne faisait jamais appel à eux pour ce genre de réunion, préférant les consulter pour discuter des hommes de la division, leurs forces et leurs faiblesses, leurs besoins et leurs attentes.
Elle se redressa et s’adressa à la petite assemblée.

- Les consignes sont-elles bien claires ? Vous avez des questions ?
Pelias prit la parole.
- Oui, j’ai encore une question, Princesse…J’aimerais sav…
Il s’arrêta net devant les regards qui s’étaient soudain tournés vers lui avec stupéfaction et effroi. C’était comme s’il venait de commettre un haut crime et que tous les autres se sentaient impliqués et donc susceptibles d’en subir les conséquences. La jeune femme le scruta avec une colère non dissimulée, les joues légèrement rosies, mes sourcils froncés, les mains solidement plantées sur ses hanches, le regard insoutenable.
- Je parie qu’il n’a pas appris à faire face à ça en école, le jeunot, glissa Marcus à l’oreille de Galator, avec un air visiblement amusé une fois sa surprise passée.
Le jeune général déglutit avec difficulté, chercha désespérément du regard le soutien de ses pairs, et ne trouvant que des visages fermés ou moqueurs, puis se tourna et affronta péniblement les yeux noirs d’Amarelys.
- Ne m’appelez plus jamais "Princesse" ! Je suis votre générale, et en aucun cas votre Princesse ! Je suis une combattante au même titre que vous, tâchez de ne pas l’oublier, et je n’ai que faire de ma famille, royale ou pas ! Ma vraie famille, ce sont mes soldats, c’est mon armée, que ça soit bien clair ! La prochaine fois que vous m’affublez de ce titre ridicule et insultant, je vous fais mettre aux arrêts pour un mois entier !
- Mais… c’est votre titre, que vous le vouliez ou non, et…
tenta-t-il d’expliquer.
- En voilà assez ! Depuis quand discute-t-on mes ordres ? On ne vous apprend pas l’obéissance et la discipline en école ? Ceci n’est mon titre que dans la vie civile, une vie que j’ai depuis longtemps abandonnée, et certainement pas ici ! Dans mon armée, je suis générale, et vous n’êtes que mon subordonné…que vous le vouliez ou non, ajouta-t-elle en reprenant les propres mots du jeune homme qui n’en menait pas large. Et si vous continuez à m’interrompre et à discuter mes ordres de la sorte, je peux vous assurer que, père conseiller royal ou non, je vous ferai éplucher des légumes pour le reste de votre carrière ! Ai-je été suffisamment claire ?
Il baissa les yeux, l’air pitoyable comme un chien tout juste roué de coups.
- Oui, générale, marmonna-t-il.
- Bien, alors rejoignez vos hommes, tous, ajouta-t-elle en jetant un regard aux autres généraux, et revenez me voir ici-même ce soir à la tombée de la nuit.
Les généraux sortirent de la tente en silence, sans oser lever les yeux sur le visage en furie de celle qui les dirigeait.




04-10-2011 à 15:38:57
Aasgar parcourut ses troupes d'un regard pensif et grave. Quelques minutes plus tôt, aux derniers rayons du soleil, Amarelys leur avait donné ses ordres. C'était la deuxième division qui était de garde pour toute la première moitié de la nuit. Elle leur avait également transmis les horaires des tirs de catapultes, et à présent, Aasgar surveillait sa clepsydre, donnant déjà les directives pour préparer la première salve. Il y aurait une dizaine de lancers très rapprochés, dans un délai d'un quart d'heure, puis ce serait le silence pendant une bonne heure, et à nouveau une série de tirs. Il fallait à chaque fois faire croire à l'ennemi qu'il était réellement assailli, et pour cela, une unique attaque isolée de temps à autre de suffisait pas.
En observant ses hommes s'affairer autour des machines de guerre, il eut une pointe de nostalgie. Il aurait tant aimé se joindre à eux, avoir quelques années de moins et l'intrépidité et l'insouciance en plus. Aujourd'hui, il n'était plus qu'un vieil homme usé par les années de combat, alangui par ces dix derniers mois passés à se prélasser dans un bureau aux sièges trop confortables, torturé par ses douleurs articulaires, et par son mal de dos qui ne lui laissait plus aucun répit. Ses épaules s'étaient affaissées au fil des ans, et il n'avait plus autant d'assurance quand il devait mener ses hommes au travers d'un terrain très accidenté. Il restait cependant solide sur ses jambes et ses bras portaient toujours les coups avec force, vigueur et précision. Peut-être devrait-il se contenter de former des hommes au combat plutôt que de participer lui-même à toutes ces campagnes. Il devrait sans doute songer à transmettre son savoir, tout son savoir.
Ses hommes s'agitaient autour de lui, attendant les ordres, demandant des conseils sur le réglage des catapultes. Il leur répondait toujours, n'oubliant aucun d'eux, de son plus fidèle capitaine au plus jeune écuyer. Pas question pour lui de snober ceux qui pourraient devenir ses dignes successeurs.
Se tirant de ses réflexions dans un frisson, Aasgar se dirigea vers l'alignement des machines de guerre d'un pas sûr et autoritaire.

- Assurez-moi ces cordes ! Il ne faudrait pas que le coup parte de manière impromptue... ARmez les catapultes et placez les blocs de pierre sur la deuxième ligne !
Son regard fut attiré par des torches qui brillaient dans le camp, quelques mètres en contrebas.
- Que quelqu'un aille m'éteindre ces torches ! Vous voulez être les cibles de leurs arbalètes ?
Il regarda le fantassin qui se tenait immobile devant lui, tremblant comme une feuille.
- Eh bien ? Bouge-toi et va m'éteindre ces torches ! Et si tu as quelque chose à me dire exprime-toi bon sang !
Bien qu'Asgaar soit particulièrement préoccupé par le sort de ses hommes, il se montrait souvent brutal et bourru dans sa manière de le montrer, ce qui avait pour effet de terroriser les nouveaux venus. Mais les soldats finissaient toujours par comprendre que derrière cette apparente bestialité se cachait un grand général, soucieux de la vie de ses hommes. Il n'aurait jamais laissé l'un d'entre eux derrière lui. Mais en cet instant, pour le jeune bleu qui se tenait devant lui, il s'apparentait à un monstre anthropophage. Le fantassin marmonna un "oui, monsieur" et partit s'occuper des lumières qui offraient des cibles de choix aux arbalétriers. Quelques minutes plus tard, il revint essoufflé se présenter à nouveau devant son général. Ce dernier, toujours affairé auprès des armes de jet, sentit soudain une présence derrière lui. Il pivota et reconnut le jeune fantassin, âgé tout au plus d'une vingtaine d'années, qu'il avait auparavant rudoyé. Il l'interrogea du regard, intéressé.
- Qu'as-tu donc de si important à me dire que tu oses surmonter ta timidité et m'affronter à nouveau ? Demanda-t-il avec un sourire franc.
- Eh bien... C'est juste que... Je pense que nous sommes âprement surveillés depuis le palais. Il y a cette fenêtre là-bas, sur la tour Est, qui est toujours allumée depuis la tombée de la nuit. Toutes les autres restent noires. Et elle était aussi éclairée la nuit dernière.
- Et qu'en déduis-tu ?

Le jeune homme fut surpris qu'on lui demande son avis.
- Je vois trois possibilités...enfin, à mon avis... La première serait qu'il s'agit de la fenêtre de la chambre du Seigneur Moenir, qui ne dort pas à cause de la pression de notre armée sur sa cité...
- Mmhmmm
- La seconde serait qu'il s'agit d'un poste d'observation par lequel nous serions surveillés nuit et jour à la longue-vue.
- Et la troisième ?
- Ça serait qu'il s'agit juste d'une ruse visant à nous faire croire que nous sommes surveillés alors qu'il n'en est rien...

Le général le regarda intensément.
- Quel est ton nom ?
- Ga-Ganael, mon général. Ganael de Mirac.
Tu es observateur et sais te servir de ta tête. J'apprécie ces qualités. Au matin, après notre garde et celle de la troisième division, tu passeras me voir. J'aimerais te proposer un poste...Mais à l'essai bien sûr, je ne donne pas de coup de pouce sans attendre un minimum d'efforts. Il te faudra te montrer à la hauteur pour le garder, si tu l'acceptes.

Il jeta un coup d'oeil à Ganael qui restait droit comme un piquet devant lui, et qui avait peine à dissimuler son étonnement devant tant de gages de confiance.
- En attendant, va rejoindre ton unité ! Nous allons lancer la première série de tirs.
Le soldat ne se le fit pas dire deux fois et courut rejoindre ses compagnons d'armes. Les premières catapultes s'animèrent aussitôt, dans un mouvement de balancier, projetant d'énormes blocs de pierre vers la puissante cité. Le premier jet n'atteignit jamais sa cible, s'écrasant lourdement au pied du promontoire qui supportait Agarès. Des réglages furent alors effectués à la hâtes sur les autres instruments. Le second tir arracha une pierre au faîte du mur d'enceinte, pour retomber juste derrière celui-ci. Les suivants frappèrent en plein coeur de la cité, préférentiellement sur le palais et la caserne, deux bâtiments massifs bien visibles, évitant alors les habitations civiles. La ville s'illumina de toutes parts, chaque fenêtre s'éclairant tour à tour, traduisant le réveil et la panique des habitants. Une heure plus tard, alors que les hurlements portés par le vent s'étaient calmés, une deuxième salve fut tirée, écroulant de nouveaux bâtiments, arrachant de nouveaux cris de détresse et de nouveaux mouvements de panique dans les rues de la prestigieuse Agarès.
04-10-2011 à 15:45:02
Aasgar salua ses capitaines et gratifia les soldats d'un mouvement de tête leur signifiant qu'il était content d'eux. La fatigue de cette nuit entrecoupée d'un court repos entre trois heures et six heures commençait à se faire sentir, mais il devait encore rester éveillé jusqu'à cinq heures de l'après-midi. Pour se maintenir alerte, il entreprit une longue ronde à travers son campement. Tous les hommes dormaient, à l'exception des quelques hommes de garde. Les prochains tirs, pour la journée, n'étaient pas prévus avant midi tapantes. La matinée fut donc bien longue, pour les gardes en faction comme pour leur général, qui déambulait entre les tentes, le dos voûté, veillant à ne pas réveiller ses hommes qui goûtaient un repos bien mérité. Le jeune Ganaël faisait partie de la section de garde, et il observait cet homme, qu'il admirait plus que tout, réalisant en cet instant combien son idole était accablé par l'âge et les années de combat. Il prit soudain conscience que même les héros étaient mortels, que rien n'était éternel sur cette terre. Seuls les souvenirs restaient au-delà de la mort, mais même ceux-ci étaient victimes du temps et s'estompaient au fil des années et des générations, pour disparaître totalement, ou au mieux donner naissance à des légendes que tous croiront imaginaires.
Les premiers tirs de midi réveillèrent toute la division, juste à temps pour le déjeuner. Devant la tente du cuisinier, une file de soldats se créa bien vite, des hommes disciplinés, attendant patiemment leur tour, leur écuelle dans les mains. Les discussions étaient encore rares et timides, les yeux encore embués par un repos trop bref. Les langues se délièrent joyeusement au fil du repas, redonnant vie au campement. On y discutait des femmes et des enfants laissés au pays, des ennemis qui devaient certainement dormir moins qu'eux, on se rassurait en songeant à la terreur des habitants de la cité, et on s'interrogeait sur ce bâtiment de marbre muni d'une cheminée d'où sortait une fumée noire, jour et nuit, juste au bas du somptueux palais d'Agarès. Il y eut encore plusieurs séries de tirs dans l'après-midi, particulièrement vers trois heures, puis à cinq heures, les catapultes de la deuxième division stoppèrent leur mouvement de balancier destructeur, et un silence pesant tomba sur le campement. La quatrième division, sous les ordres de Galator, allait prendre le relais pour la nuit suivante.

* * *

Léanor grelottait, perchée sur son poste d'observation favori, en plein coeur du quartier de Lubella, le quartier où était réunie toute la vermine de la cité. Le seigneur Moenir ne pouvait tolérer que des brigands, des prostituées, des mendiants, des orphelins, souillent les rues de la grande Agarès. Il ne pouvait supporter cette vision répugnante et avait donc ordonné le cantonnement de toute cette populace miteuse dans un seul quartier. Quiconque placé là osait en sortir s'exposait à l'emprisonnement, la peine de mort, ou pire, la torture. Les habitants des autres quartiers pouvaient y venir à loisirs pour profiter des faveurs des femmes, mais jamais n'étaient autorisés à les entraîner au-dehors. Les déchets s'amoncelaient dans les rues, les habitations étaient soit insalubres soit croulantes, infestées de rats, cafards et autres parasites. Les tripots étaient de véritables coupe-gorges, aucune rue n'était pavée, si bien que le quartier tout entier baignait dans une boue collante et nauséabonde. Léanor avait cinq ans quand les gardes l'avaient jetée au milieu de cette boue sous ordre de leur seigneur. Elle en avait dix à présent. Cinq ans passés à survivre dans cet enfer. Orpheline d'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait d'abord grandi sous la protection d'un vieil homme qui mendiait devant le parc public, mais il n'avait pas survécu au froid, à l'humidité et aux maladies des rues de Lubella. Elle s'était retrouvée seule, à chercher sa nourriture dans les poubelles des tripots, ou auprès des rares bonnes âmes qui survivaient aux rôdeurs assassins et aux coups des gardes qui patrouillaient chaque jour. Les habitants autrefois généreux étaient à présent aigris par ce cloisonnement imposé, se défoulant sur les plus faibles pour se venger et récupérer ce que les gardes leur volaient. Léanor avait grandi dans ce climat où on ne pouvait compter sur personne. Elle supportait les coups de hallebardes, les gifles, les coups de pieds, sans un mot, ne se plaignait jamais de peur d'en recevoir davantage. Elle avait appris à éviter les personnes les plus dangereuses et à se défendre contre celles face à qui elle avait une chance de s'en tirer.
Mais ce jour-là, elle avait pris sa décision. Les soldats, qui quelques jours plus tôt lui volaient ses quelques pièces et la frappaient jusqu'au sang, étaient à présent trop occupés à défendre la ville et à maintenir l'ordre dans les beaux quartiers pour se préoccuper d'une fille aussi insignifiante. Elle allait tenter le coup, c'était le bon moment. Tant qu'il y avait de l'espoir, là-bas, et que la ville n'était pas encore en flammes. Après tant d'années passées dans la boue, les égouts ne seraient qu'une formalité. Elle allait fuir cette ville maudite, avec sa crasse, ses bourreaux, et son tyran sanguinaire. Elle irait se réfugier chez l'ennemi. Elle avait tout prévu. Depuis qu'elle avait entendu les rumeurs sur l'armée pigorienne qui faisait route vers Agarès, une semaine plus tôt, elle avait commencé à observer de près les rondes des patrouilles sur les remparts. Perchée sur un toit en ruines, elle voyait chaque mouvement de ces brutes armées, elle pouvait apercevoir jusqu'aux manoeuvres de la garde seigneuriale devant le palais, et même les allées et venues devant l'usine et l'entrée de la mine. Ils étaient réglés à la minute près, de véritables pantins de carnaval. La moitié d'entre eux n'était pas capable de manier une épée correctement face au danger, et se serait pris une déculottée face à l'audacieuse gamine qu'elle était. Mais encore aurait-il fallu qu'elle eût une telle arme à sa disposition et qu'elle ne ne craignît pas que toute la garde ne lui tombe dessus par la suite. Elle les haïssait, tous, mais cette nuit, elle se vengerait. Cette nuit, elle passerait les remparts via les égouts, puis elle descendrait le long de la falaise dissimulée sous un sac de toile pour se fondre avec le sol.
La journée fut longue pour la fillette, et elle avait bien du mal à dissimuler son excitation aux autres enfants des rues qu'elle croisait. Enfin, le soleil déclina, disparaissant derrière les montagnes. Léanor descendit de son toit, leste comme un chat, et s'engagea dans les égouts souterrains de la cité. Elle n'eut aucune peine à s'orienter dans cet étroit dédale de tunnels crasseux et sombres, et atteignit bientôt les remparts de la ville. Elle mit le sac de toile sur sa tête de telle manière qu'il lui couvrait tout le dos, puis sortit à l'air libre. Elle entama le descente sur l'à-pic rocheux, bien collée contre la paroi pour ne pas attirer l'attention des sentinelles. La moindre erreur pouvait lui être fatale, mais elle était agile et s'était longuement entraînée à cet exercice sur les façades en ruines de Lubella. Malgré des prises un peu trop audacieuses et pas toujours solides, elle réussit à atteindre le bas de la falaise, avec quelques écorchures sur les bras mais indemne. Elle leva la tête pour vérifier qu'aucun garde ne l'avait vue, puis elle commença à courir vers l'immense masse sombre qu'était le camp ennemi le plus proche. Ce camp qui semblait si proche depuis son observatoire, lui paraissait à présent hors de portée, mais il en fallait plus pour la décourager. Elle n'avait rien à perdre. Seulement, elle avait beau avoir un corps résistant aux coups, il n'en était pas de même face à un effort physique prolongé, et elle dut ralentir sa course sur le terrain accidenté, essoufflée par un corps mal nourrit et malmené. Mais ni la douleur, ni la fatigue ne l'arrêtèrent complètement dans sa progression vers la tache sombre qui concentrait tous ses espoirs.

* * *

- Général ! Il y a un homme dans la plaine qui vient vers nous ! Il vient de la cité !
Le fantassin, essoufflé, l'air catastrophé, venait de faire irruption dans la tente de commandement de la quatrième division. Galator, brutalement tiré de sa contemplation de diverses cartes étalées çà et là sur une immense table, jeta un oeil surpris à l'intrus. Le jeune soldat lui tendit une longue-vue et l'invita à constater ses dires. Le général saisit l'instrument et sortit de la tente, puis pointa la lunette dans la direction indiquée par le jeune soldat. Une silhouette s'approchait effectivement du campement depuis la cité, mais...
- Général, doit-on faire venir les archers ?
- Non ! Cette personne est bien trop maigre et petite pour être un soldat, et trop chancelante pour être un espion, un homme de main de Moenir nourri et logé ne trébucherait pas à chaque pas.
- C'est peut-être une ruse...
- Ça se pourrait, oui. Je vais en avoir le coeur net. Fais venir Ticar, Bezin, Frago et Menetir, ils m'accompagneront jusqu'à cet intrus. Tu resteras avec le capitaine Daros. Explique-lui la situation et dis-lui que s'il m'arrivait quelque chose, je lui confie le commandement de la division.
- Bien, mon général.

Le fantassin partit à la recherche des quatre solides soldats de la garde personnelle du général. Galator partit à cheval, accompagné de ses gardes du corps improvisés, tandis que le soldat se dirigeait vers la tente du capitaine Daros. Les cinq cavaliers arrivèrent rapidement à quelques mètres de la silhouette provenant de la cité ennemie, et le général se rendit compte qu'il ne s'agissait que d'un enfant, titubant, à bout de forces, et quand il fut à sa hauteur, il réalisa que c'était une fillette qui ne devait pas avoir plus de douze ans. Il vérifia d'un coup d'oeil expert qu'ils étaient hors de portée des arbalétriers Agarésiens. La cité illuminée était suffisamment éloignée, alors il mit pied à terre, aussitôt imité par les quatre autres, et s'approcha de la petite.
- Comment t'appelles-tu ? Pourquoi as-tu quitté la cité ?
La fillette déglutit avec difficulté, réalisant un peu tard qu'elle pouvait être soupçonnée d'espionnage. Elle leva sur l'homme qui s'était adressé à elle des yeux implorants, et balbutia avec peine :
- J-je m'appelle Léanor. J-je viens vous aider. Je peux v-vous donner des informations... les rondes... les gardes... la fabrique... les m-machi...
Elle s'effondra, épuisée. Galator se pencha sur elle. Ses quelques connaissances en médecine lui indiquèrent qu'elle n'était pas porteuse d'une des grandes maladies infectieuses, alors il prit un risque, enveloppa la fillette dans sa cape et l'installa sur son cheval, montant derrière elle pour ne pas qu'elle tombe. Ses hommes le suivirent sans broncher. Le général était quelqu'un de réfléchi, s'il prenait un risque, c'était parce qu'il estimait que ça en valait la peine, aussi se turent-ils devant la décision de leur supérieur. Arrivés au campement, il se tourna vers eux.
- Demandez à mon médecin personnel de venir l'examiner, nous allons l'installer dans ma tente, qui sera débarrassée de toutes les armes qui s'y trouvent. L'un de vous ira prévenir Amarelys, les autres la garderont aussi étroitement que s'il s'agissait de ce fourbe de Moenir en personne. Prévenez-moi dès qu'elle se réveillera et que personne ne lui parle. Tant que le médecin n'aura pas écarté tout risque, que personne ne la touche ou ne l'approche de trop près, même chose pour moi, je ne veux voir personne m'approcher si tout risque de contamination n'a pas été écarté. Frago, tu m'apporteras dans la tente de commandement toutes les armes qui se trouvent dans ma tente.
- Oui, mon général.

Galator déposa la fillette sur son propre lit puis alla s'installer dans la tente de commandement. Frago lui apporta quelques minutes plus tard un amas de couteaux, glaives, sabres et flèches, puis repartit surveiller sa prisonnière.
Le risque d'épidémie fut bien vite écarté par le médecin qui déclara que Léanor ne souffrait que de malnutrition et de divers mauvais traitements, peut-être même avait-elle subi des tortures.
Au petit matin, alors que le général lançait la septième série de tirs depuis la veille au soir, Bezin vint l'informer que la petite était réveillée.
04-10-2011 à 15:48:44
Galator entra dans sa tente après avoir demandé à un de ses hommes d’aller quérir Amarelys. Il ne pouvait prendre seul des décisions concernant un prisonnier ennemi, sachant que son supérieur était à quelques centaines de mètres. Il approcha un fauteuil du lit et s’assit, les yeux rivés sur la fillette. Elle était crasseuse et ses joues creusées par la faim faisaient peine à voir. Sur son bras qu’elle s’empressa de dissimuler sous les couvertures, il eut le temps d’apercevoir diverses cicatrices, dont certaines très récentes, et plusieurs articulations de ses doigts étaient déformées, comme s’ils avaient été démis sans avoir été soignés ensuite. Le général dissimula la peine que lui inspirait cette vision et s’adressa à elle :
- Bonjour. Je suis le général Galator.
Pas de réponse. Léanor le regardait avec des yeux inquiets. Sous surveillance depuis la veille, elle avait compris qu’elle était considérée comme une prisonnière de guerre, et redoutait d’éventuelles tortures. Devant elle se tenait un homme immense à la carrure impressionnante, et au visage impénétrable. Sa seule présence avait fait sortir les gardes de la tente sans qu’il ait prononcé le moindre mot. Sûrement quelqu’un de très important. Un vieil homme chétif à la barbe grisonnante était entré à la suite du géant et se tenait maintenant debout à côté d’elle. L’homme assis, suivant son regard, lui parla à nouveau.
- Voici Wendal, mon médecin personnel. Il t’a auscultée pendant que tu étais endormie, pour voir si tu n’avais pas de grave maladie.
La terreur se lut aussitôt sur le visage de l’enfant. Galator fronça les sourcils et interrogea du regard le médecin, qui haussa les épaules en signe d’incompréhension. Mais il finit par déclarer :
- Elle doit avoir subi… des… des agressions. A plusieurs reprises… Le sujet le mettait visiblement très mal à l’aise. C’est la seule chose qui pourrait expliquer une telle terreur… Mais je ne peux pas vérifier, lui infliger ça serait une vraie torture pour elle. A moins que ce soit une femme qui s’en charge. Auréa par exemple… Mais même avec une femme, je pense que c’est trop tôt, les souvenirs sont encore trop présents dans sa tête pour que quiconque puisse la toucher…
- Mais pour ses blessures, il faudra bien changer les bandages que vous avez posés, et suivre de près la cicatrisation
, s’inquiéta le général.
- Il faudra que ce soit quelqu’un en qui elle a confiance.
Galator se tourna à nouveau vers Léanor, qui suivait la conversation de près.
- Ecoute bien ce que je vais te dire… Tant que tu te tiens tranquille et que tu n’essayes pas de tuer l’un d’entre nous, tu n’as rien à craindre, d’accord ? Tu as besoin de soins. Nous sommes en guerre contre ton peuple, donc dans la situation actuelle des choses, il va falloir qu’on se fasse confiance, tu comprends ? Toi, tu viens du camp ennemi, et tu te retrouves subitement entourée de soldats totalement inconnus. Moi, je me retrouve avec une personne du camp ennemi, dont l’état me préoccupe, mais qui pourrait très bien être un envoyé de Moenir pour me planter un couteau dans le cœur dans mon sommeil. Alors vu qu’on risque d’être coincés là tous les deux un bon bout de temps, il va falloir qu’on surmonte nos aversions et qu’on apprenne à cohabiter. Tu veux bien ?
Il lui tendit une main ouverte. C’était un bien long discours pour lui qui était si avare de mots, et le médecin ne se souvint pas l’avoir déjà entendu parler aussi longuement. Le regard de la jeune fille passait du visage du général à la main tendue. Elle hésitait. Elle finit par ressortir son bras maigre de sous les couvertures, et posa sa petite main aux articulations déformées dans la large et solide main du guerrier.
- Oui, souffla-t-elle dans un pâle sourire.
- On dirait que vous vous êtes trouvé une nouvelle amie, mon cher Galator !
Le général, surpris, se leva d’un bond et fit face à Amarelys, qui se tenait dans l’entrée de la tente. Apparemment, elle était là depuis plusieurs minutes. Le solide guerrier bafouilla :
- J-je suis désolé, Générale. J-j’aurais dû attendre votre arrivée avant de commencer à lui parler. J…
- Ne soyez pas désolé, cette enfant avait un besoin urgent de trouver quelqu’un ici en qui avoir confiance, et il semble qu’elle l’ait trouvé, c’est le plus important. J’ai comme l’impression que pour l’instant, elle n’a besoin que d’un minimum de présence autour d’elle. Trop de personnes la pousseraient à se refermer sur elle-même.
Elle reporta son attention sur la fillette allongée. Je m’appelle Amarelys, Générale en Chef de l’armée pigorienne. Quel est ton nom ? demanda-t-elle dans un léger sourire qui se voulait encourageant.
- Léanor.
- Alors Léanor, je vais te garantir une chose : il ne t’arrivera rien tant que tu ne nous auras pas donné une bonne raison de t’en vouloir. Tu es en sécurité ici, et personne ne s’en prendra à toi sous mon commandement, sous peine de lourdes conséquences, d’accord ?

La fillette hocha la tête, signifiant qu’elle avait bien compris.
- Bien. Si tu as besoin de nourriture, d’eau ou de soins, n’hésite surtout pas à demander. Et si tu préfères une femme comme médecin, le général Marcus se fera un plaisir de te "prêter" Auréa. De toute façon, il n’a pas vraiment besoin d’elle, il a une santé de fer, c’est juste qu’il prend un malin plaisir à se plaindre de douleurs imaginaires pour pouvoir se déshabiller devant elle et se faire chouchouter par une jolie femme. Elle sourit, amusée.
Léanor hésita, puis finit par articuler quelques mots.

- Ça ira, avec Wendal, m-merci.
- Dans ce cas, Wendal sera à partir de maintenant, ton médecin particulier. Et je te confie à la garde du général Galator. C’est quelqu’un de bien qui s’occupera bien de toi.
Elle se tourna vers son général. Par contre, je veux bien sûr être tenue au courant du moindre problème, de l’évolution de sa santé, et aussi de toute information qu’elle pourra vous donner. J’exige un compte-rendu chaque jour.
- Comptez sur moi, Madame
, dit-il en la saluant.
Elle les gratifia d’un signe de tête et sortit. Galator se tourna vers l’enfant alitée :

- Je vais te laisser te reposer pour l’instant, et je t’apporterai moi-même ton déjeuner tout à l’heure. Deux gardes seront, s’il y a le moindre problème, tu les appelles.
L’homme avait été surpris de la réaction d’Amarelys. Elle venait de lui donner une grande preuve de confiance, en lui laissant la garde et la responsabilité de l’unique prisonnière de guerre qu’ils avaient, il en était conscient. Cette décision était aussi un soulagement pour lui. La fillette serait en sécurité sous sa garde, il ne baissait pas sa vigilance pour autant, mais au moins il était sûr que la petite serait bien traitée. C’est donc le cœur un peu plus léger qu’il ressortit de sa tente en compagnie du médecin. Il affecta deux de ses soldats à la garde de sa prisonnière, en leur donnant des instructions bien précises, il organisa les relèves suivantes pour la journée parmi une section de la division, puis il parti mettre en place la prochaine série de tirs sur la cité. A la mi-journée, il vint apporter un plateau largement rempli de divers aliments à Léanor, resta avec elle le temps qu’elle déjeuna, puis repartit s’occuper de ses hommes.
Vers quinze heures, la garde fut relevée par deux soldats qui s’entendaient comme larrons en foire, mais que tout opposait physiquement. L’un était grand avec un léger embonpoint, le second était tellement chétif qu’on aurait cru qu’il allait s’envoler au moindre coup de vent. Ils se présentèrent à la fillette puis prirent leurs postes à l’extérieur. Léanor put bientôt les entendre discuter à voix basse et ricaner. Au bout d’une bonne heure, alors que tout était calme au-dehors, elle vit le plus grand des deux entrer dans la tente, un sourire hypocrite sur les lèvres. Il s’approcha d’elle et se pencha au-dessus du lit.

- Alors, tu es bien installée, petite ? Tu ne manques de rien ?
Son sourire éclatant était tellement faux, et son ton si pesant qu’ils lui en donnaient la nausée. Elle se sentit mal à l’aise te bougea discrètement vers l’autre côté du lit.
- T-t-t-t-t. Où vas-tu comme ça ? Tu ne vas quand même pas déjà me fausser compagnie, hein ? On est bien, là, tous les deux…
Elle ouvrit la bouche pour protester et crier, la panique s’installant petit à petit en elle. Mais il plaqua sa main contre sa bouche pour la faire taire et ne dissimula pas plus longtemps ses intentions. Il retira d’un geste avec sa main libre, les couvertures qui recouvraient Léanor, puis défit son pantalon.
- Ecoute-moi bien sale gamine, tu es une prisonnière de guerre ici, tu n’as aucun droit et on peut faire ce qu’on veut de toi, alors tu te tiens tranquille ou je t’accuserai d’avoir tenté de me tuer et tu finiras en plusieurs morceaux…
La fillette ouvrit des yeux terrorisés et implorants, mais cela ne fit qu’exciter davantage son agresseur, le confortant dans son sentiment de puissance et de supériorité. Il eut tôt fait de débarrasser sa victime de ses rares vêtements, et se mit à califourchon au-dessus d’elle. La pauvre enfant tenta vainement de se débattre, les yeux fermés, des larmes de désespoir roulant sur ses joues. Soudain, elle sentit la pression au-dessus d’elle disparaître et la main sur sa bouche s’évapora comme par magie. Elle ouvrit les yeux pour découvrir Galator qui se tenait au pied du lit, tenant le violeur par les épaules et le jetant plus loin contre le sol. Il prit le temps de recouvrir Léanor avec les couvertures, puis s’occupa à nouveau de l’intrus, le soulevant et le projetant hors de la tente. Il le suivit dehors, où le deuxième garde les attendait tout penaud, un énorme cocard à l’œil gauche. Un groupe de soldats faisait un demi-cercle devant la tente pour voir ce qui se passait.
- Mettez-moi ces deux ordures aux fers, et que l’un d’entre vous aille chercher la Générale !
A ces derniers mots, les deux comparses furent saisis d’effroi et protestèrent, implorant la clémence de leur général, mais celui-ci resta sourd à leurs suppliques, le visage fermé, les poings toujours serrés à faire blanchir ses articulations.
Une heure plus tard, Amarelys arriva au grand galop et, après un bref entretien avec le chef de la quatrième division, ordonna qu’on lui amène les deux gardes prisonniers et que toute la division soit rassemblée autour de la tente de commandement. En quelques minutes, l’ensemble des hommes de Galator étaient réunis en silence autour de ladite tente, et les deux fautifs furent amenés devant elle.
Le violeur, risquant le tout pour le tout, tenta de se justifier :

- Générale, cette fille est une prisonnière ennemie ! Les agarésiens sont tous des chiens galleux à la botte de Moenir ! Ils font bien pire avec leurs prisonniers de guerre, c’est de not…
- La ferme ! Je me moque de ce qu’ils font dans leur maudite cité, je ne m’abaisserai pas au niveau de ce satané tortionnaire de Moenir ! Et les horreurs qu’ils font subir à leurs prisonniers ne devraient pas vous inciter à les reproduire, mais plutôt à les combattre !
- Mais, elle a essayé de me tuer, je v…

Il n’eut pas le temps d’en dire davantage, sa tête roula sur le sol. Son compagnon tremblait comme une feuille, s’imaginant déjà subir le même sort. Mais le coup ne vint pas. Il entendit seulement sa sentence.
- Mettez-moi celui-là aux fers, jusqu’à ce qu’on lance la première attaque rangée. Il aura sa place en première ligne.
L’homme pâlit, se demandant si finalement, il n’eût pas mieux valu qu’il ait la gorge tranchée. Amarelys s’adressa ensuite à toute la division.
- J’espère que cet exemple sera suffisant pour décourager toute idée saugrenue du même acabit. Et quant à la déclaration qu’il a faite comme quoi elle aurait essayé de le tuer, c’est tout simplement stupide de sa part, sachant qu’elle est même trop faible pour pouvoir se lever ou même tenir son bras levé pendant quelques minutes. On ne peut pas dire qu’il ait été très inventif pour préparer sa défense… Et maintenant, retournez à vos postes !
Les soldats s’exécutèrent sans broncher, réservant leurs commentaires pour plus tard, quand ils seraient hors de portée de l’épée sanglante de leur commandant.
Elle ordonna ensuite aux brancardiers qui vinrent chercher le corps :

- Pas d’enterrement pour lui. Jetez son corps aux charognards, il sera en famille, comme ça.
Puis elle tourna les talons pour rejoindre Galator et Wendal au chevet de Léanor.
04-10-2011 à 15:59:42
Sous la tente de commandement, le médecin et le général étaient au chevet de l'enfant. Celle-ci était assise sur le lit, prostrée, ses bras enserrant ses genoux contre sa poitrine. Elle tremblait encore de peur et ni le médecin, ni Amarelys qui venait d'entrer ne savaient comment la sortir de sa torpeur. Ce fut Galator qui trouva les mots pour lui parler. Il s'assit sur le lit à une distance raisonnable de la fillette.
- Nous ne laisserons personne te faire du mal, Léanor. Je ne te laisserai plus sous la garde de n'importe quels soldats, mais sous celle de mes hommes de confiance uniquement, d'accord ?
Elle hocha la tête timidement, ne jetant que des coups d'oeil furtifs au général, et gardant les yeux baissés le reste du temps. Il poursuivit :
- Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'as qu'à demander. Et si quelqu'un te fait encore du mal ou te menace, n'hésite surtout pas à me le dire, qui que ce soit. Nous ferons tout pour que tu sois en sécurité.
La fillette ne disait toujours pas un mot, mais il était évident qu'elle s'efforçait de ne pas éclater en sanglots. Soudain, elle vint se blottir contre Galator et se laissa submerger par les larmes. Le guerrier, d'abord stupéfait, passa un bras autour d'elle et la berça doucement. Le médecin lança un hochement de tête approbateur au général et quitta la tente. Amarelys le suivit. Elle se retourna juste avant de sortir pour envoyer un clin d'oeil amusé à son confrère. Ce dernier ne s'y trompa pas, et sourit à cette marque de reconnaissance de la part de sa supérieure. Elle était fière de lui.
Léanor mit quelque temps à se calmer, mais il ne bougea pas, ne voulant pas la brusquer. Quand ses pleurs cessèrent enfin, la gamine s'écarta de son protecteur et, le regard baissé, marmonna un "pardonnez-moi" timide et honteux. L'homme lui sourit et lui proposa de se reposer un peu, lui assurant qu'il resterait devant la tente pour veiller sur elle. Mais la fillette secoua la tête, reprit un semblant d'aplomb, plongeant son regard dans celui de son interlocuteur, et elle commença à lui raconter les détails sur l'usine d'Agarès, les changements des tours de garde, et surtout, l'approvisionnement en eau, essentiel au bon fonctionnement de l'établissement.

* * *

Depuis la colline où était stationnée la troisième division, Marcus, affublé de deux de ses capitaines, Balden et Ogara, contemplait la scène en contrebas, devant la tente de commandement de la quatrième division. Ogara, après que la tête du soldat fût tombée, souffla à son général :

- Vous pensez qu'elle va prendre la fillette avec elle maintenant ? Ce serait plus correct si c'était elle, une femme, qui s'en occupait, plutôt que Galator, non ? ...
- Ah ah ah ! Mon cher Ogara, cette lionne a autant d'instinct maternel qu'un ermite eunuque ! La fillette sera bien mieux avec Galator. Il n'est pas très bavard, mais il est doué pour se faire apprécier des gens. Il sait toujours comment les aborder. Il saura aussi y faire avec la gamine, vous verrez. Il est encore jeune, mais il est doué, il n'est pas général par hasard, celui-là.
- Alors vous pensez vraiment que la Générale n'aura jamais d'enfants ?
- Je doute fort que ça soit dans ses projets du moment... Et puis aucun homme ne voudrait partager la garde d'un enfant avec cette tornade. C'est qu'elle a un caractère de chien, la demoiselle. Non, je ne la vois pas avec des enfants, du moins pas avant pas mal d'années... A moins d'un miracle. Mais elle ne supporte déjà pas l'attente quand son médecin lui recoud une plaie, alors je la vois mal supporter tout un accouchement, et surtout, je plaindrais les sages-femmes, et encore plus les médecins. Il y en aurait plus d'un qui y laisserait des parties, dans la bataille...
- Et ça ne vous dérange pas que ça soit elle votre supérieure, et pas un homme ? Elle n'est... qu'une femme, après tout.
- Aucun homme dans toute cette armée n'a autant de cran et de gueule qu'elle, et aucun ne pourrait la battre en combat singulier. C'est le portrait craché de son père, en moins ingrat, mais en plus exigeant et plus téméraire.
- A-t-elle déjà eu des prétendants ?
interrompit Balden.
- Oh, ça oui ! Mais aucun qui ne soit resté suffisamment longtemps pour faire sa demande. Le dernier en date, elle l'a défié en duel, et l'a littéralement humilié devant une centaine de nos soldats, et surtout devant tout son cortège à lui ! C'était à mourir de rire !
Les deux capitaines échangèrent un regard perplexe. Amarelys était d'une beauté remarquable, mais nul homme la connaissant un tant soit peu aurait souhaité l'épouser, et ils venaient de comprendre pourquoi. Le général Marcus repartit vers sa tente, entraînant ses deux hommes de confiance à sa suite. C'était à leur tour de bombarder la cité assiégée, il fallait qu'ils terminent les préparatifs. Quelques minutes plus tard, les tirs de catapultes résonnaient dans la plaine, suivis irrémédiablement par les hurlements des habitants d'Agarès.

* * *

Galator regardait la fillette, perplexe.

- Un canal entre la source de la cour du palais, et l'usine ?
- Oui. Gardé nuit et jour par la garde personnelle de Moenir. Toute personne qui y jette quelque chose ou qui vient prendre de l'eau est automatiquement condamné à mort. Et il y a aussi le minerai, qui arrive par des wagonnets sur des rails, directement depuis la mine, dans la falaise. Toute la zone entre la mine et l'usine est interdite , nul ne peut y pénétrer sans la présence du seigneur Moenir lui-même. Les rails sont légèrement en pente, donc les wagons descendent par une voie, depuis la mine jusqu'à l'usine, ils sont seulement poussés par les mineurs. Ils sont ensuite remontés sur l'autre voie à l'aide d'un système de cordes et de poulies.
- Et qui sont ceux qui travaillent dans cette usine ? A quel moment y entrent-ils et en sortent-ils ?
- Ils y vivent. Ce sont des habitants, qui bénéficient d'un fort salaire et de logements luxueux, c'est tout ce que je sais, mais leurs logements sont dans l'usine. C'est une véritable ville miniature à l'intérieur.
- Mmmh... je vois. Merci pour ces informations, Léanor. Et maintenant, repose-toi. Je serai juste là, dehors, si tu as besoin.

La fillette acquiesça et se faufila sous les couvertures. Galator alla s'installer devant l'entrée de la tente, pensif.
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