Bloody Kingdom ~ Luben - Loubia

18-12-2013 à 19:53:36
(PS : Tu modifies ce que tu veux de Luben et de Doli, et je ne les connais pas, alors bon, voilà.)

Septembre 2020 avait laissé choir sa pâle lumière sur Dublin en ce morne samedi.

Une cavalière quittait la ville, chevauchant une jument fine dont les muscles nerveux se dessinaient sous sa robe festonnée de gris que l'hiver n'avait pas encore alourdi. Au cliquetis régulier du pas de sa monture sur les pavés, Loubia se dirigeait vers la tâche qui lui était incombée, bien lourd fardeau. Elle en avait bien entendu connu d'autres, mais se faire le héraut d'une tragédie n'était jamais simple. Et la peine était en cet instant douloureusement triplée. Aujourd'hui, la jeune femme aux cheveux auburns annoncerait la mort, comme à son habitude. Mais elle ne s'arrêterait pas là, non. Elle parlerait de la perte de Doli, son amie et sœur d'armes, tombée à ses côtés, devant ses yeux. Par générosité. Par sa faute. Et l'interlocuteur était celui qui partagea la vie de l'oiseau, pour qui elle signifiait le jour et la nuit, et sans qui le monde serait constellé de sanglots, d'ombres et de solitude.
De la funeste nouvelle, Loubia n'était pas la première porteuse. Les avis de décès étant généralement envoyés dans la semaine suivant l'évènement et ces missives arrivant toujours à bon port, elle savait que le chagrin serait déjà visible dans les yeux de l'homme désormais seul. Mais elle se devait de lui donner plus qu'un simple bout de parchemin froid et gondolé par les larmes. Elle ne pouvait se soustraire à ce besoin impérieux d'aller regarder en face sa victime. Car il était bel et bien une proie que le Destin encore une fois avait mis sur sa route. D'autre part, elle se devait de le faire. Pour honorer la mémoire de son amie perdue.

Le hameau, situé à quelques miles de Dublin, fut facile à trouver, tout comme la boutique de l'artisan herboriste où il devait logiquement être en cette heure de la journée. Loubia descendit de Brocéliande, la gratta sous l'auge comme elle aimait tant, et la laissa finalement devant la boutique. La jeune femme savait que la jument grise ne bougerait pas et l'attendrait sagement - ou presque - en mâchonnant les pousses rudérales qui bordaient la petite route, la farouche bête lui ayant accordé sa confiance depuis bien longtemps. Et à raison, car seuls les êtres d'humanité et semblaient être affectés par le mauvais œil qui suivait ses pérégrinations. Mais les animaux, eux, étaient saufs en sa présence, et mieux encore, ils trouvaient en elle une amie à qui leur instinct leur soufflait la confiance. Pièce à double face, Loubia était pour les uns l'incarnation du malheur, et pour les autres une présence sereine et rassurante.

La tisserande frappa deux coups à la porte, et un jeune inconnu lui ouvrit. Elle sut instantanément que c'était lui. Luben. La tristesse dans le regard.
La prenant peut-être pour une cliente, il lui fit signe d'entrer avant de refermer derrière elle. L'atmosphère était tamisée et douce sans être oppressante, les parfums légers voletaient ça et là dans des ordres aléatoires, emplissant chaque respiration de mille senteurs, et incitant à la relaxation de l'âme. Un décor de rêve.

"Bienvenue morne Dame", lui dit-il d'une voix éteinte. "Que puis-je pour vous en ce triste monde ?"
"Je viens pour... vous parler de Doli." répondit Loubia avec quelque trouble. Elle sentit son interlocuteur se raidir et l'ombre du sourire qu'il avait machinalement plaqué sur son visage s'estompa. Mais elle n'irait pas par quatre chemins et ne se défilerait pas lâchement, pas cette fois. L'incident datait déjà de plus d'un mois, et la fuite avait été trop longue. La tisserande reprit sans préambule.
"Nous étions au combat ensemble, et j'aimerais... Elle m'a parlé de vous et de votre pouvoir. Je voudrais que vous entriez dans mes rêves, car il y a quelque chose que je dois vous montrer."
Peut-être était-ce son insistance sur le mot "dois", ou bien un accent particulier dans sa voix qui le convainquit. Toujours est-il que l'herboriste lui fit signe de le suivre dans le petit couloir de l'arrière-boutique avant de lui indiquer une pièce fruste dont les seuls meubles étaient un sommier, une chaise et une table de chevet. Sur ces entrefaites, il lui donna un gobelet d'une mixture aux parfums envoûtants, qui semblait s'être matérialisé de nulle part entre les mains de l'artisan.
"Buvez ceci et allongez-vous, dans quelques minutes vous serez dans les limbes du sommeil", marmonna Luben d'un ton vide en prenant place sur la chaise.
Loubia s'exécuta sans broncher, et comme annoncé, sa conscience s'éloigna en quelques instants pour laisser la voie au domaine des rêves.


Et Loubia regarda le Ciel noir, seulement illuminé par la pleine Lune qui venait de sortir de sa chape de nuages. Et elle sut. Un regard échangé avait suffi, Doli savait aussi. La fille du Diable prit l'Ombre de la Lumière et elle y dansa, tissant à toute allure, dos-à-dos avec l'oiseau bleu qui avait accepté sa fin. Ils arrivèrent, plus proches, toujours plus proches. Elle leur arracha leur ombre, ils rugirent de douleur, ils continuaient à venir, pourtant, ils étaient des guerriers féroces jusqu'à leur dernier souffle. Et elle lia les noirceurs à Doli. C'était maintenant ses frêles épaules que tombait la lourde tâche de faire ployer un bataillon entier. Elles réussirent bien sûr. Ensemble, elles avaient toujours tout réussi. La bataille était gagnée, et les ombres quittent la jeune femme au chant d'oiseau. Toutes les ombres. Sans aucune exception. Plus rien sous ses pieds. Personne ne peut vivre sans une part d'obscurité. Seuls les trous noirs n'ont pas d'ombre car ils sont sans lumière. Et Doli avait donné sa lumière. Les larmes roulèrent sur les joues salies des deux jeunes femmes au centre du charnier. Elles ne parlèrent pas, l'oiseau ne pouvait plus même chanter. Leurs regards enlacés. "Dis-lui que je l'attendrai." "Je lui dirai.", disaient-ils. Mais les regards ne sont pas des mots. Et la créature blessée chut alors sur le sol, posant pour la dernière fois sa tête meurtrie, qu'elle ne relèvera plus.
Elle aurait dû rester loin de Loubia.
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