prologue 1er jet

03-01-2016 à 23:46:48
PROLOGUE : IL ETAIT UN ROI;

Zanek passa une main le long du tombeau royal, autour duquel il tournait à pas lent, effleurant l’écriture stylisée dans le marbre blanc faiblement éclairé par les lueurs chancelantes des torches accrochées aux murs de la crypte.
L’homme était vieux, ses traits particulièrement marqués par son âge avancé. Des rides profondes creusaient son front et ses joues émaciées. Il avait un visage anguleux au teint blême et aux lèvres fines. Son grand regard alerte jurait avec l’expression faiblarde et fatigué que lui conférait sa démarche lente et titubante. Il lui donnait un air froid et dur, comme la roche glacée qu’il sentait sous ses longs doigts effilés.
Il soupira.
Derrière la paroi de la sépulture ornée se trouvait un ami et un roi. Feu Thaérius 1er, reposait dans son ultime demeure, victime d’une maladie mystérieuse dont nul n’avait pu déterminer les causes. Il l’avait accompagné jusqu’à son dernier souffle, restant fidèlement à ses côtés comme il l’avait fait tout au long de sa vie, depuis qu’ils s’étaient liés d’amitiés alors qu’ils n’étaient que des enfants.
Il fit quelques pas en arrière et se tint droit devant la tombe du défunt roi. Il soupira à nouveau, triste et surtout plein de regret en guise de l’acte terrible qu’il était résolu à commettre. Zanek désobéirait consciemment à la dernière volonté de Thaérius. Il aurait sincèrement désiré avoir pu faire autrement mais il le fallait. Le Royaume en dépendait.
Résolu, le vieil homme adressa un dernier regard plein d’excuse à son ancien souverain et se retourna promptement.
Le bas de sa longue robe noire effleurait le sol poussiéreux de la crypte en un bruit régulier de frottement. Lentement Zanek en sortit et parvint dans les couloirs du palais royal. Les grandes fenêtres qui se trouvaient le long des couloirs, laissaient filtrer la pâle et hésitante lumière de l’aube. Deux silhouettes encapuchonnées se tenaient à présent devant lui, silencieuses :
- Tout est prêt maitre. Le prince Thyréus vous attend dans la salle du trône.
Le vieil homme hocha de la tête satisfait et se tourna vers le second homme.
- Rassemblez la foule, éveillez la ville. Dès que le jour sera levé le Royaume ira à la guerre. Nous n’avons pas de temps à perdre. Si nous voulons réussir il faut agir vite.
Ses deux apprentis hochèrent la tête et partirent d’une allure rapide, accomplir ces nouveaux ordres.
Pour l’instant tout se passait comme le vieil homme l’avait soigneusement planifié. Rien ne troublerait cette journée.
Il continua de s’enfoncer dans le dédale de couloirs du palais, le regard froid et déterminé. Il s’arrêta devant deux massives portes de bois, sculptés et gravées de plantes grimpantes et les ouvrit doucement.
La salle du trône était faiblement éclairée. La lumière orangée illuminait le long tapis de velours rouge au bout duquel un jeune homme se tenait les épaules droites, dos à lui. Ce dernier se retourna en l’entendant arriver puis le jaugea d’un air impérieux auquel Zanek répondit par un sourire paternel.
Le prince Thyréus encore tout jeune, était le portrait craché de sa mère. Il avait d’elle des grands yeux gris et doux. Des lèvres généreuses et de belles joues d’un rose vif.
Zanek le connaissait bien. Par cœur à vrai dire. C’était lui-même qui s’était chargé de son éducation, une tâche que lui avait soigneusement confié Thaérius. Il avait souhaité qu’il l’instruise afin que plus tard le garçon devienne un bon roi et c’était un devoir dont Zanek s’était acquitté avec la plus grande des diligences. Mais aujourd’hui il était prêt à passer à l’acte et passer par-dessus l’affection qu’il éprouvait pour le jeune homme.
Sa longue vie et ses nombreuses expériences, lui avaient apprises que la morale n’était parfois qu’une entrave dont il fallait obligatoirement se défaire si l’on souhaiter accomplir de grandes choses. Le prince Thyréus serait sans doute le plus grand sacrifice d’une longue liste qu’il s’apprêtait à commettre. Mais il était déterminé et à raison : Le Royaume en déclin depuis un demi-siècle était menacé. Au sud, des vassaux préparaient leur rébellion dans ce qui n’était plus un secret. A l’est, l’Empire était, comme depuis des centaines d’années, à l’affut de leurs territoires plus fertiles et plus riches et le Fennlör lié à eux par le Serment, les accompagnerait sans aucun doute sur le champ de bataille. Et le plus grand problème celui qu’il tentait toujours de résoudre, se trouvait au nord. Le Pacte, une alliance de trois royaumes, était un cas épineux qui pourrait compromettre le soigneux plan qu’il avait mis au point. Il avait une idée de comment se débarrasser d’eux, mais la solution n’était que temporaire. Enfin, s’il les forçait à quitter Erezel et partir se terrer dans leur île ils ne seraient pas si menaçants si contrôlés de manière appropriée.
Zanek s’approcha du Prince dont les yeux s’attendrirent en le reconnaissant, mais ses épaules ne se détendirent pas. Le vieil homme reconnu l’air anxieux de Thyréus mais ne broncha pas. Il était impossible qu’il se doute de quelque chose.
Il s’agenouilla lentement devant le futur souverrain.
- Pardonnez-moi de vous avoir fait levé si tôt mon Prince, à quelques heures du couronnement qui plus est mais la situation est urgente.
- Que veux-tu dire Zanek ?
Thyréus pencha la tête de manière imperceptible, visiblement intrigué. Le vieil homme le sentit se raidir.
- Est-ce par rapport aux rumeurs du complot ? Si tel est le cas, la garde est déjà déployée de telle sorte à éviter…
Il le coupa d’un geste de la main.
- Non mon Prince cela porte sur la cérémonie d’aujourd’hui mais pas sur un complot. Du moins pas sur celui auquel vous pensez. Il s’agit d’un homme qui a vu le Royaume s’appauvrir et devenir moins influent au fil des années, impuissant. D’un homme qui a assisté au déclin inévitable de sa terre bien-aimé et à qui on a refusé toutes oreilles malgré ses nombreux conseils. Et d’un homme qui lié par son honneur n’a jamais voulu agir mais à présent la dernière chose qui le retenait n’est plus de ce monde.
Il s’arrêta après cette courte tirade et fixa Thyréus, guettant une vive réaction de sa part. Le prince paraissait seulement troublé, il ne disait rien et l’observait confus, les sourcils froncés.
Zanek eut alors un sourire profondément désolé.
Le vieux magicien leva sa paume en direction du prince et elle s’illumina. La lumière blanche jaillit l’aveugla. Thyréus fit un brusque mouvement de recul puis se mit à hurler.
D’un coup, sentit toutes les fibres de son être se contorsionner douloureusement sous les effets du sortilège qu’il préparait depuis des mois. Il eut l’impression de se déchirer de l’intérieur, qu’on extirpait de lui sa chair et ses os. Il réprima un hurlement, serrant les poings comme pour atténuer le mal qui le rongeait de l’intérieur. Le temps sembla s’écouler lentement tandis qu’il sentait son emprise sur le réel diminuer. Il bascula soudainement dans les ténèbres. Un bruit sourd résonna dans la salle du trône.
Lentement le magicien ouvrit une paupière, puis deux. Il observa sa main et fit mouvoir chacun de ses doigts. Les rides n’étaient plus et chaque articulation se pliait et dépliait avec une aisance que seule la jeunesse procure. Il se releva lentement, conscient qu’il avait réussi.
Deux autres de ses apprentis déboulèrent dans la salle. Ils eurent une expression choqué en apercevant son ancien corps gisant sur le sol mais qui se mua en soulagement dès qu’ils eurent croisé son regard.
Du fond de sa conscience, Zanek sentit un vague remuement, comme si il y avait une part étrangère de lui à l’intérieur de lui. Avec précaution, il s’appliqua à la sceller pour qu’elle ne ressurgisse jamais et demeure emprisonnée aussi longtemps qu’il vivra. Il s’agissait du prince Thyréus dont il avait volé le corps, piégeant celui-ci à un triste destin mais inévitable si Zanek souhaitait accomplir le sien.
Conscient du long chemin qu’il restait à parcourir et du temps qui lui était précieux, le magicien revigoré se redressa de toute sa vigueur. Le soleil continuait son ascension et désormais ses puissants rayons illuminaient toute la salle, y plongeant une chaleur radieuse. Un nouveau jour se levait pour le Royaume. Mais Zanek ne sentit aucune joie, aucun soulagement. Il n’y avait qu’une froide et implacable détermination. L’échec lui était interdit.
  • Liens sponsorisés