Voici les deux premiers chapitres de mon second roman :
Döyl Schyzophrenia
Écrit par Edmond Ronac
CHAPITRE 1
Un début prometteur
Tout commença à Berlin, la capitale de l'Allemagne. Ou plutôt, cette histoire-ci commença à Berlin. Le 29 octobre 2011. Wolfgang était en cours de math, et n'écrivait même plus sa leçon sur les inéquations. Ce cours était trop soporifique pour être suivi durant trois heures d'affilée. Il avait le regard vide, le menton posé dans la paume de sa main droite. Son esprit vagabondait dans la rue, le ciel, et près des arbres. Il marchait parmi les feuilles qui l'accompagnaient avec le vent d'automne. Ces feuilles rousses qu'il aimait tant regarder. Les nuages gris qui couvraient le coucher du soleil offraient un spectacle digne du plus beau des automnes. Wolfgang aurait tant aimé sentir la caresse du vent froid sur ses joues qui en seraient devenues rouges. Il aurait aimé s'allonger contre un platane de la cour, et rêvasser dans son coin, ne penser à rien. Emmitouflé dans son manteau, le nez dans son écharpe, les cheveux soulevés par les bourrasques, et observer les tornades de feuilles se former sur le bitume. Il aurait oublié tous ses problèmes. Son avenir professionnel qui s'annonçait catastrophique, oublié. Sa solitude constante, causée par sa nature taciturne, oubliée. Le cancer du sein de sa mère, oublié. La voix du prof de math n'était plus qu'un lointain murmure pour Wolfgang. Mais un cri le réveilla.
-Monsieur Kreuz, pouvez-vous répéter ce que je viens de dire ?
-Non, répondit l'intéressé d'un ton désagréable.
-Donnez-moi votre carnet dans ce cas.
L'adolescent s'exécuta sans un mot, ne regardant pas le professeur lassé de son comportement.
-J'en ai plus qu'assez de votre comportement, vous savez, dit-il en ouvrant le carnet de correspondance de l'adolescent. Vous avez le bac à passer dans deux ans, et ça m'étonnerait que vous le réussissiez au vu de vos notes actuelles. Votre attitude est insolente et... Dites-moi, vous m'écoutez quand je vous parle ?! cria-t-il en voyant son élève regarder à nouveau la fenêtre.
Wolfgang soupira.
-Non.
Le professeur devint écarlate de colère.
-Filez chez le proviseur tout de suite ! Vous lui expliquerez votre comportement vous même ! Et vous venez de gagner trois heures de colle, jeune homme !
Le garçon rangea ses affaires en lâchant un nouveau soupir. C'était la troisième fois qu'il était renvoyé du cours depuis le début de l'année. Sa mère allait encore le priver d'ordinateur pendant une semaine. Tant pis, il lui resterait ses bouquins. Ce qui l'embêtait le plus, c'était de ne plus pouvoir tchatter avec Zikurion, un ami qu'il avait rencontré sur un site de littérature moderne.
Il était devenu son « meilleur ami ». Ils aimaient les mêmes choses, rigolaient des mêmes blagues, et s'intéressaient à beaucoup de choses. Mais à la différence de Wolfgang, Zikurion était une vraie pipelette. Ils avaient énormément de choses en commun, et Zikurion était un spécialiste de la science-fiction. Malgré tout, ils ne s'étaient jamais rencontrés. Zikurion disait habiter dans une île du Pacifique.
Le professeur demanda à la déléguée de la classe – une jolie petite blonde répondant au nom de Lilou – de l'accompagner chez le principal. Celle-ci accepta avec un grand sourire, comme les deux fois précédentes où elle avait dû l'escorter. Elle était tout le temps heureuse, sympathique, et loufoque sur les bords. Ils sortirent ensemble dans les couloirs. Lilou n'arrêtait pas de le dévorer des yeux depuis son premier renvoi, et Wolfgang se sentait un peu gêné qu'on lui prête autant d'attention.
-Pourquoi tu travailles pas ? lui demanda-t-elle.
-J'ai pas envie.
-Pourquoi ?
-Je pense pas que ça te regarde.
-Comme tu veux.
Une fois arrivés au carrefour des couloirs, Wolfgang tourna à droite sous le regard surpris de sa déléguée.
-Hé le bureau du principal, c'est à gauche, dit-elle.
-J'y vais pas, répondit-il sans s'arrêter.
-Pourquoi ?
-Je sais très bien ce qu'il va me dire.
L'adolescente le regarda partir, hésitante.
-Attends !
-Quoi ? demanda-t-il en se retournant.
Elle courut vers lui, un petit sourire aux lèvres.
-Dis Wolfgang, tu veux sortir avec moi ?
Enfin cette question. Il s'y attendait depuis un moment déjà. Et il avait pris le temps de réfléchir. Ils se connaissaient à peine. Elle était mignonne, avec une frimousse agréable. Elle avait des formes généreuses, était intelligente, parfois drôle, mais elle était trop bavarde et extravertie pour lui. Il avait fabriqué une réponse à cette question trois jours plus tôt.
-Si tu promet de ne pas trop parler et d'éviter de te faire remarquer quand je suis là, je pourrais y réfléchir.
-Je te le jure, dit-elle en levant la main droite, et en posant l'autre sur son cœur.
-Dans ce cas je vais y penser. Laisse-moi deux ou trois jours d'accord ?
-OK, répondit-elle avec un sourire.
Wolfgang remarqua facilement que sa main gauche, posée sur son cœur, se baissa lentement pour caresser délicatement son sein, puis longea sa hanche, et rejoignit la main droite pour caresser ses fesses moulées dans son jean. Il en eut des frissons sur les bras, tant le degré de sensualité de son geste était élevé. Il allait sûrement accepter, d'autant plus qu'elle était l'un de ses meilleurs fantasmes dans la classe. Elle se mordit la lèvre pour compléter l'invitation, car c'était bel et bien une invitation.
Mais Wolfgang savait que l'on plaisait plus si on savait se faire désirer.
-Bon, je rentre. A demain.
-OK, à demain.
Puis il partit sans se retourner, pour faire une sortie qui plaît aux femmes. Il était assez fier de lui pour une fois. S'il sortait avec elle, ce ne serait que sa troisième copine. Et malgré cela, il avait des chances de perdre son pucelage. L'adolescent se dirigeait vers un platane tout proche du lycée. Quand il y fut, il grimpa dessus et s'assit comme d'habitude entre trois grosses branches de l'arbre. Il observa les nuages se déplacer rapidement au gré du vent. Ses longs cheveux châtains aux reflets roux flottaient dans les airs. Wolfgang sortit son enregistreur d'une poche de son jean, et pressa un bouton.
« 29 octobre 2011, 17 heures 22. Je viens de me faire renvoyer du cours de math. Ma mère va sans doute me priver d'ordi. Je ne suis pas allé chez le principal, je sais exactement ce qu'il va me dire. Mais j'ai au moins une bonne nouvelle ce soir : Je vais peut-être avoir une copine. Lilou m'a allumée dans un couloir du lycée. Je lui ai dit que j'y réfléchirai. Je pense sincèrement à accepter. Pourvu que je fasse pas de connerie. Le moindre pet de travers pourrait me foutre dans la merde. Surtout qu'elle connaît pas mal de monde à Berlin. Mais j'ai encore le temps d'y penser, je lui ai demandé trois jours de délai. Pour l'instant je suis au platane. Je pense que je vais rester un moment ici avant de rentrer. »
Puis il relâcha la pression du bouton. Cet enregistreur contenait toutes ses mémoires depuis ses treize ans. C'était son seul confident, et lui parler permettait d'apaiser sa solitude.
Il resta ainsi à observer les feuilles du platane se décrocher les unes après les autres. Puis il vit une toute petite feuille sur le point de se décrocher de sa branche. Étrangement, il était fasciné par cette petite feuille. Il la fixa durant de longues minutes, frémissante sous les bourrasques de vent. Puis lorsqu'elle fut sur le point de tomber, Wolfgang l'attrapa et la regarda sous tous les angles. Elle était vraiment minuscule, pas plus de cinq centimètres de long. Il sortit un mouchoir de sa poche et l'embauma à l'intérieur. Il avait envie de la conserver, pour une raison qui lui échappait ; mais il en avait envie, c'est tout ce qui comptait. Il la rangea dans une poche intérieure de sa veste en imitation de cuir, qui descendait jusqu'à ses genoux.
-Hey, beau ténébreux, qu'est-ce que tu fous là haut ? l'apostropha Lilou au pied de l'arbre.
L'adolescent la regarda sans lui répondre. Elle venait de briser son rituel, son plaisir à la fin des cours. Elle venait de perdre un point. Wolfgang jeta un œil à sa montre : 18 heures pile. Il n'avait pas vu le temps passer, obnubilé par ce paysage hypnotisant. Les cours étaient finis.
-J'te dérange, c'est ça ?
-Oui, répondit-il simplement.
-Désolée... Je voulais savoir pourquoi tu ne rentrais jamais chez toi après les cours, avoua-t-elle timidement.
-J'ai mes habitudes.
-Et quelles sont elles ? plaisanta-t-elle avec un air faussement respectueux qui se voulait comique.
-J'aime l'automne.
Lilou attendit une suite durant une dizaine de secondes, puis finit par lâcher un « Okaaaaaaaaay... » plein de déception.
-T'aimes pas beaucoup parler hein ? continua-t-elle.
-J'ai un peu de mal avec les discutions futiles.
-T'es asocial ?
-Non, je suis capable de parler de choses intéressantes pendant des heures, mais je ne parle pas pour ne rien dire.
Un silence gêné s'installa entre les deux ados.
-C'est quoi ton numéro ? finit par demander la jeune femme.
-Il te servira à rien, j'ai niqué mon téléphone pendant une baston.
-Une baston ? répéta Lilou avec le regard étoilé.
-Ouais un type a voulu se la jouer devant ses potes en croyant que je lui dirai rien.
-Tu l'as démonté ?
-Pas vraiment. Il a dû se froisser une côte et avoir quelques bleus mais il m'a cassé le poignet et m'a fait une entorse à la cheville.
-Ah bon ? Mais t'as jamais été blessé cette année... je crois !
-C'était en juillet dernier.
-Et t'as toujours pas de portable ?! s'étonna-t-elle.
-On n'a pas tous les moyens de se payer un nouvel Iphone tous les trois mois, répliqua-t-il sèchement.
-T'as des problèmes d'argent ?
-Ma mère bosse à l'hosto quinze heures par jour, et souvent de nuit pour gagner plus. On est endettés comme des cons à cause de mon putain de beaup'.
-Il a fait quoi ?
-Rien, c'est pas tes oignons. On demande pas la charité, et j'ai pas envie de te démoraliser pour la soirée.
-A ce point là ? Ça doit être grave !
Elle sortit un joint de son paquet de Gitanes et tenta de l'allumer, ce qu'elle ne parvint pas à faire à cause du vent.
-Dis, tu veux pas qu'on aille sous un arrêt de bus pour que j'allume mon bédo ? finit-elle par demander.
-Donne, répondit-il en lui tendant la main.
Elle lui confia son joint et son briquet, ne manquant pas de lui caresser les doigts en retirant sa main. Wolfgang fit comme s'il n'avait rien vu et coinça le produit entre ses lèvres, le protégea du vent avec une main, et tenta de l'allumer avec l'autre.
-Laisse tomber, t'y arrivera pas avec ce mistral, dit-elle juste avant qu'il ne lui rende son briquet.
Il tira une barre, laissant ses poumons s'imprégner de la fumée, puis recracha le tout avec béatitude. Bon sang, ce qu'il aimait les pétards ! Combien de fois en avait-il fumé pour oublier ses problèmes ? Il tira une seconde fois, et commença à sentir les effets venir peu à peu. Il tira une troisième fois, puis une quatrième...
-Hé, fume pas tout quand même ! beugla Lilou.
Il lui rendit le joint, et descendit de l'arbre d'un bond. Elle tira à son tour, mais recracha la fumée beaucoup plus rapidement que Wolfgang.
-Si c'est pour fumer comme ça, tu peux me le donner, ricana-t-il.
-Je fume comme je veux, c'est le mien. D'ailleurs attends je vais te montrer un truc, dit-elle en tirant pour la deuxième fois.
Elle lui prit la tête, l'attira vers elle, posa ses lèvres sur les siennes, et souffla dans la bouche de l'élu de son cœur. Celui-ci se sentit rougir soudainement. Elle savait s'y prendre, apparemment. Il ne pouvait résister. Elle le prenait par les sentiments, et bien elle allait être servie.
Il posa ses mains sur sa taille, et sa langue pénétra la bouche de la provocatrice. Les deux muscles se cherchaient, s'enroulèrent, dansèrent avec fougue. Les deux adolescents sentirent leurs cœur battre plus fort. Wolfgang monta la main gauche jusqu'aux cheveux coupés en carré plongeant de Lilou, et descendit sa main droite qui effleura sa fesse gauche. Tous deux sentaient l'électricité qui les traversait au moment de ce baiser, qui les brûlait d'un plaisir divin. Le garçon se retira pour lui mordre la lèvre inférieure, lui prit le joint de la main, tira, et lui rendit son baiser de fumée. Il sentit son muscle se dresser dans son entrejambe. Leurs lèvres les brûlaient. Ils étaient collés l'un à l'autre, se frottant mutuellement. C'était un baiser magique, plein d'entrain et de passion. Wolfgang se rendit compte à quel point embrasser une fille lui avait manqué... trop manqué...
Le garçon se retira à nouveau. Son torse se gonflait à un rythme irrégulier. Il ne voulait pas aller trop vite, il voulait prendre le temps de réfléchir à la question. Lilou tenta de revivre l'expérience, mais fut repoussée par la main de l'adolescent qui se posa accidentellement sur son sein gauche. Il s'empressa de l'enlever pour éviter tout malentendu.
-Arrête s'il te plaît, murmura-t-il.
-Qu'est-ce que t'as ?
-J'ai pas envie de me précipiter. Je t'avais demandé quelques jours pour réfléchir.
-Mais tu peux pas m'embrasser et me caresser comme tu l'as fait et me laisser comme une conne ! Si tu l'as fait c'est que tu en as envie !
-Le shit agit très rapidement sur mon organisme. J'ai pas toute ma tête là. Je te demande d'en rester là pour le moment.
-Oh t'es chiant ! Je te plais pas, c'est ça ?
-N'insiste pas. C'est non pour ce soir. Redemande-moi dans deux jours si tu y tiens.
Il déposa un tendre baiser sur la joue.
-Mais je t'aime bien quand même, lui chuchota-t-il à l'oreille avant de partir, sans un sourire.
CHAPITRE 2
Le cataclysme
Wolfgang prit son dictaphone, et lui murmura d'une voix chancelante, la respiration lourde et irrégulière :
« Lilou s'est jetée sur moi... Non, ça c'est une excuse d'hypocrite. Elle m'a embrassée par un moyen dérivé, elle m'a pris par les sentiments, je n'ai pas pu résister à ses charmes. J'en avais tellement envie, tellement, tellement envie... Mais la drogue n'aurait pas dû s'en mêler. J'aurais dû lui donner le bédo sans tirer, et peut-être que notre relation aurait pu mieux commencer. Je crois que mon refus soudain a jeté un froid entre nous. Ce n'était pas ce que je voulais, pas du tout, mais j'ai peur de... retomber... (Ses paroles moururent dans un silence d'une dizaine de secondes) Enfin bon, seul l'avenir me le dira. Et je suis prêt à l'affronter, la tête haute et les poings vers le ciel. »
Il relâcha le bouton, et s'aperçut qu'il n'avait dit ni la date, ni l'heure dans son enregistrement... Tant pis. Vu comme c'était parti, il s'en souviendrait pendant un moment.
A présent, restait un problème : Rentrer à la maison. Le joint avait des effets rapides à agir sur son cerveau et longs à partir. Il ne pouvait pas rentrer maintenant, sinon sa mère le verrait et il serait encore plus gravement puni. Il s'en voulait horriblement, de causer tant de soucis à sa mère malade. Si seulement il pouvait revenir en arrière, embrasser Lilou sans les effets du joint, il n'hésiterait pas. Il la trouvait maintenant irrésistible. Peut-être était-ce ses hormones d'adolescent, puisqu'elle n'était pas vraiment son style, psychologiquement. Par contre, physiquement, elle était absolument divine, un vrai flocon de neige en plein été, scintillant de joie et... Non... Non ! Il ne devait pas retomber amoureux d'une fille ! Jamais ! Plus jamais ! Ne plus jamais s'abandonner à une fille, jamais... Peu importe la sanction, il devait rentrer chez lui. C'était mieux que ruminer tout seul, dans un coin perdu de Berlin.
Il se leva, devant s'appuyer contre un mur pour ne pas tomber. Il n'était pas au mieux de sa forme, mais pas totalement désorienté non plus. Sa mère allait se faire un plaisir de le sanctionner d'une façon si barbare, que Wolfgang en tremblait encore rien que d'y penser. Elle l'avait fait la première fois. La deuxième aussi, et... Elle l'avait fait à chaque fois, en fait. C'était une mère assez rude, mais elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour que son fils ait un avenir convenable, et il le savait – c'était en outre ce qui lui permettait de ne pas la détester. Cette éducation peu maternelle l'avait rendu autonome. Il se préparait toujours à manger lui même, réparait l'électricité de l'immeuble quand il y avait une panne de courant, se débrouillait à chaque fois que la tuyauterie sautait, faisait les courses, la lessive, et même le repas de sa mère qu'elle pouvait emmener au travail. Avec tout ça, il ne faisait jamais ses devoirs. Il préférait lire un bon roman, ou se cultiver sur la littérature moderne sur internet.
Et chaque fois qu'il trainait la patte à la sortie des cours pour rentrer chez lui, sa mère le privait d'ordinateur. Elle trouvait n'importe quel prétexte pour lui prendre son ordinateur, car c'était en tchattant avec Zikurion qu'il se couchait à plus de minuit. Et même en ne dormant presque pas, il n'avait pas de cernes. Il en avait beaucoup eu vers ses dix ans, puis elles avaient disparues aux alentours de ses treize ans.
En arrivant devant son appartement, Wolfgang se sentit frémir. Pourvu que sa mère ne soit pas encore rentrée. Il attrapa la poignée, puis hésita. La porte s'ouvrit d'elle même, laissant apparaître le visage furieux de sa mère.
-T'étais où ?!
-J'ai eu un empêchement, désolé... dit-il en baissant les yeux.
-Et cet empêchement, il s'appellerait pas « shit » par hasard, p'tit con ?! vociféra-t-elle.
-Oui... avoua-t-il en serrant les dents.
Il se reçut une claque qui raisonna dans les couloirs de l'immeuble. Il n'eut pas le temps de s'empêcher de gémir qu'elle le prit par le poignet et l'entraîna de force vers la salle de bain. Elle lui retira son manteau, son sweat et son tee shirt. Il s'empêcha de protester, sachant pertinemment que ça ne ferait qu'empirer la situation. Elle lui repoussa la tête jusque dans leur petite baignoire, le mettant dans une position très inconfortable pour le dos, d'autant plus que le meuble était horriblement froid. La mère ouvrit la pomme de douche, et aspergea le visage de Wolfgang d'une eau si glacée qu'il en eut le souffle coupé. Elle l'empêchait de se relever avec sa main gauche collée à son cou. Il resta ainsi sans bouger, avec l'abominable douleur qui accompagnait l'eau se déversant dans son nez. Il tentait de respirer quelques fois, buvant la tasse au passage. Elle finit par le lâcher, et éteignit la pomme de douche.
L'adolescent se releva précipitamment, toussant à en cracher ses poumons, les yeux injectés de sang. Il ne pleura pas, et réussit même à ne pas sangloter cette fois. Pourtant, la douleur était la même. Il voyait flou. Tout n'était plus qu'ombres difformes autours de lui. Il vit celle de sa mère lui jeter quelque chose. C'était doux et laineux, il supposa que c'était une serviette et s'essuya le visage avec.
-Je suis contente que tu sois assez intelligent pour me dire la vérité, dit-elle en claquant la porte.
Ce n'était pas dans ses habitudes de lui donner de quoi s'essuyer après la punition, ce devait être une sorte de « récompense ». La première fois, elle l'avait laissé trempé dans la salle de bain, avec la fenêtre ouverte, et lui avait interdit de toucher à quoi que ce soit pour se sécher. Il en était devenu malade : Une vilaine angine qui l'avait cloué au lit pour trois jours.
Une fois qu'il fut quasiment sec, il sortit son dictaphone de sa poche.
« 29 octobre 2011, environ dix-neuf heures. La punition reste la même, mais devient de moins en moins dure chaque fois. Peut-être qu'elle est en train de se lasser. On pourra dire qu'elle m'en aura fait baver. Elle a dû prendre l'ordi dans ma chambre... J'espère que Lilou en vaut la peine. »
Il se releva, prit ses affaires, et partit en direction de sa chambre. Comme prévu, l'ordinateur n'était plus sur son lit. Il soupira. Avisant son étagère, il songea à commencer un livre de fantastique, puis son regard se posa sur son oreiller. Le choix fut vite fait, aussi sombra-t-il dans un sommeil étrangement agité...
Wolfgang était dans sa cuisine, en train de se préparer un paquet de chips avec le mixeur. Puis il lui sembla qu'ils n'avaient pas de mixeur, lui et son père... Il devait se tromper, certainement. Puis en passant devant son écran géant situé dans le salon, il caressa le chien de la voisine, qui s'amusait à plumer les coussins du canapé. Qu'il était mignon, ce petit caniche ! Un adorable petit cabot qui adorait manger les taupes du président. Ses yeux diffusant une ambiance d'innocence lui donnait envie... d'aller aux toilettes, tiens ! Il se dirigea vers sa chambre, et urina par la fenêtre. Puis, pris d'une soudaine envie de voir Zikurion, il s'assit devant son ordinateur allumé sur MSN.
Bloodream dit : Hey, salut mon pote !
Zikurion dit : J'ai un truc à te dire
Bloodream dit : Ben vas-y, tu sais que j'suis toujours là pour toi mon meilleur pote !
Zikurion dit : Après, tu prendra quelque chose que tu adore, et qui ne soit pas trop gros
Bloodream dit : Après quoi ???
Zikurion dit : J'ai une mauvaise nouvelle
Bloodream dit : C'koi ???
Zikurion dit : On va se voir dans peu de temps
Bloodream dit : Ben c une bonne nouvelle !
Zikurion dit : Tu sais pas de quoi tu parles
Bloodream dit : Et g des chips t'en veux ?
Zikurion dit : J'espère que le message est passé. Profites bien de cette sieste, mon ami.
Zikurion has disconnected
Wolfgang se redressa, trempé de sueur. Qu'avait-il ? Il avait fait un rêve... mais lequel ? Était-il effrayant ? Pas sûr... Mais c'était un rêve étrange, il en avait la certitude. En tout cas, impossible de se rendormir dans cet état-là. Il devait se rafraîchir.
Il se dirigea, discrètement, vers la salle de bains, car il faisait nuit à en juger par l'obscurité ambiante, et se passa un gant de toilette trempé sur le visage. Il s'humidifia aussi le torse, puis les aisselles. Ça faisait du bien. Mais bizarrement, il ne se sentait pas à l'aise... Comme s'il allait recevoir une visite indésirable. Je dois me faire des idées, se dit-il sans vraiment y croire. Puis il resta sur place, quelques minutes, pensif. Sa feuille... Il voulait voir sa feuille.
Il retourna dans sa chambre, et sortit la petite feuille de platane récupérée un peu plus tôt dans la soirée. Il l'observa sous tous les angles pour la seconde fois. Elle n'avait rien de spécial. Mais elle était belle. Elle était un peu comme lui. Elle se faisait petite, était rousse, et s'accrochait à son arbre jusqu'à perdre prise. Mais lui, contrairement à elle, il était laid. Un visage d'ange, parfaitement sculpté, les joues creuses, les sourcils fins, le nez droit, les yeux en amandes, un petit grain de beauté sur la pommette gauche. Il était aussi svelte, alors qu'il ne pratiquait pas d'autre sport que l'escalade de surfaces pour mieux observer le monde. Et malgré cela, il était laid. Il pensait principalement à lui, à force d'avoir été mangé par les autres. Il était cynique, froid, taciturne, claustrophobe, et un tout petit peu misanthrope. Il avait honte d'être un homme, mais avait foi en certains humains, qui mériteraient les plus belles choses du monde. Il rangea la feuille dans son mouchoir, et la mit dans une poche de son jean. Il regarda l'heure sur son réveil, 01:13. Il n'avait pas sommeil. Puis, se souvenant du roman qu'il comptait commencer tout à l'heure, il le prit, et lut la quatrième de couverture.
Les Yeux du Chat Noir, un roman fantastique. Il avait l'air passionnant, et il lui tardait de le lire.
Durant la lecture des deux premiers chapitres, Wolfgang avait eu mal au ventre, comme s'il avait des gazes. Pourtant, aucune flatulence se semblait vouloir sortir. C'était une impression étrange, mêlée à celle d'attendre un visiteur indésirable, qui se faisait plus forte. Il était vraiment mal à l'aise, persuadé d'être paranoïaque. Mais la lecture était fascinante. L'écrivain s'était vraiment donné du mal pour projeter le lecteur dans son monde dès les premières lignes. Puis doucement, il entendit un bourdonnement, qui devenait de plus en plus fort à chaque minutes. Il ferma son livre, inquiet pour sa santé mentale, et but une gorgée de sa bouteille d'eau. Il se leva, et regarda par la fenêtre de sa chambre. Le vent soufflait fort, ce soir. Les arbres étaient à nus, leurs branches s'entrechoquant bruyamment. Puis le mistral s'intensifia soudain, heurtant le carreau de la fenêtre de plein fouet. Wolfgang recula d'un pas, puis tout alla très vite.
Une lumière aveuglante s'empara de la rue, puis traversa sa vitre. Sa rétine le tortura violemment, sous le choc de cette soudaine cécité. Un bruit suraigu lui vrilla les tympans. Il tituba, à la recherche d'un appui pour ne pas tomber. Son crâne allait exploser, il en était convaincu. Il hurla d'horreur, bandant tous ses muscles sous l'emprise de sa souffrance... puis il tomba à la renverse.
L'adolescent convulsa avant d'être éparpillé en millions de particules, qui montèrent jusqu'à la source de la lumière.
Lorsque je te serre la main, c'est une souffrance que j'appréhende. Tu ne sentiras pas le tonnerre de ma haine s'abattre sur ta nuque. Tu ne pourras que pleurer, et saigner. Saigner autant que mon dégoût le désire. Je me délecterai du spectacle macabre de tes chairs broyées sous mon poing vengeur. Personne n'est innocent.