Pêle-mêle

25-02-2012 à 16:25:55
On sent venir le temps où la lune se lèvera et où nous resterons couché, seul, meurtri au fond de nous-même, dans une léthargie qui nous saisira et nous laissera tout pantois.
Je veux plonger, plonger et ne pas me relever. C'est un sentiment qui vous étreint et qui ne vous lâche plus. C'est affreux, cela semble si... humain. Piètre consolation après tout. Des phrases qui volent au-dessus de la tête, légères mais pourtant si plombées de tout ce qui nous semble si inutiles, lorsque l'on se tourne vers le fait accompli.
Je ne sais pas. Mais il faut continuer, ou arrêter tout. Se reposer. Une tête sur un oreiller, un espoir mal contenu. J'en ai marre. Mais voilà.
C'est idiot. Chut maintenant... Chut.
_

-Mange.
Plus qu'un conseil, un ordre, énoncé par une voix qui ne pouvait laisser aucune possibilité de fuite. L'enfant me regarde, et avec ce regard mon cœur fond ; elle est petite, moins de quatre ans, les joues blêmes, et non rosies comme on aimerait les voir. L'hiver devant son ouvrage.
-Allez !
Mon ton peut paraître bourru, mais il le faut bien. Car la garder en vie n'est pas quelque chose d'anodin, que l'on accomplit sans y penser, parce qu'il le faut bien ; non. C'est un ordre, pur et dur, un de ceux auxquels on se soumet, sans réfléchir. Et puis il y a du divin là-dessous. Je mange ma casquette s'il n'en est rien !
-Peux pas.
Et elle s'accroche à son idée la gamine, plus teignasse qu'un parasite. V'là aussi qu'elle baisse pas le regard, et qu'elle me fiche les jetons avec ces putains d'yeux, ces putains d'yeux qui me jaugent et qui ne veulent pas lâcher prise. Je me baisse à sa hauteur, tente de prendre une voix douce ; c'est fichu d'avance, mais autant tirer le diable par la queue.
-Et pourquoi ça ? T'as faim, t'es maigre et tu refuses d'la bonne bouffe ? T'es con.
Elle tressaille au vilain mot, mais continue dans se murer dans ce qui semble être son seul réconfort.
-Mam' elle veut pas qu'j'accompagne des inconnus.
-Tu la vois quelque part ? Non ? Mange donc.
Elle secoue la tête.
-Ta maman, de là où elle est, elle aimerait que tu vives tu sais... C'est un vœux précieux qu'il faut chérir, fais-je en pointant du doigt le cœur de la môme. Tu piges ?
-Elle est pas au ciel, et puis vous êtes moche. Et puis vous puez le loup. Et puis j'veux pas vous voir.
Je me redresse, ouvre la porte de ce lieu si pauvre qu'est ma cahute. Une bise glacée souffle, et avec elle se répand la dure réalité de l'hiver.
-Vas-y. Te gênes surtout pas. Casse-toi et crève.
Et ça meule dehors, ça meule et la môme frissonne. Elle ne fait pas un pas, reste immobile et se tait. Elle est trop jeune.
-Te gênes pas.
-J'veux pas crever, fait-elle après un silence. Mais j'vous aime pas. Et puis vous puez.
Je sens mon visage qui malgré moi se déride, je finis par fermer la porte en maugréant.
-C'est qu'une question de temps la mouflette. Rien qu'une question de temps...
Elle s’assit avec réticence à la petite table, surveille du coin le l’œil l'assiette posée devant son maigre corps ; le fumet est entêtant, un cerveau embrumé ne peut faire le difficile devant la chose. Avec les doigts elle y va, et franchement. Ça engloutit et ça engloutit, l'estomac se remplit de la bouillasse, quelques couleurs retraversent la figure de la petite.
Au loin, un loup hurle.
-Quelques années encore... Quelques années...
Elle ferme les yeux peu de temps après, rassérénée du sommeil du juste, roulée en boule sur un peu de paille laissé là. Alors, tout rappelle sa mère, le visage, la posture, cette façon de bouger les paupières lorsque ses rêves s'agitent. Un portrait grimaçant d'une autre vie que je pensais avoir laissé derrière moi, une hyperbole confuse de sentiments. C'est cela, c'est cela et une vie que je tiens entre mes grosses mains, c'est cela et des années de vie commune.
-Manquerez plus qu'elle craque dans la nuit et ça s'rait beau, je fais dans un murmure.
...
_

Vis petit papillon ! Vis ! Envole toi ! Vas-y ! N'aie pas peur ! Va affronter l'inconnu ! Va !
Les doigts rougis d'un sang pourpre battaient faiblement, brassaient l'air dans une dernière supplique au monde. Effluves enivrantes d'un liquide répandu qui coule... coule... coule... Vision méliorative d'un monde qui doute. Il s'enhardissait et avançait vers le digne animal.
Pourquoi ne voles-tu pas ? Tu es malade ? Tu ne veux pas ? Oui bien tu ne sais pas ?
C'était une petite chose qui s'enorgueillissait et qui tendait une main secourable vers l'être. Un homme fin, aux cheveux poissés d'un sang qui n'était pas le sien ; une voix fragile, qui hurlait. Hurlait ? Qu'hurlait-elle donc ?
Chut. Ne bouge pas. Je viens t'aider.
Le papillon s'agite, bat des ailes, impuissant face à l'homme.
Petit papillon... Tu ressembles à quelqu'un... Tu as figure humaine petit papillon... Tu trembles mon petit. Mais pourquoi ? Je ne te veux aucun mal...
Il balbutie, secoue ses breloques misérables, tente de voler, tente de s'enfuir.
Pourquoi détournes-tu le regard ? Suis-je si... repoussant ? Ignoble ? Une parade monstrueuse de toutes ces choses que l'on ne peut aimer ? Ou tout cela à la fois ? Pourquoi ?
_

J'écoute et je me tais, je souris. Mon sourire est, il paraît, le plus beau des sourires. C'est une petite lumière dans les ténèbres, qui clignote et que l'on aimerait voir plus souvent... Tout cela et bien plus, tout cela et ce que l'on aimerait être véridique. Non, je ne suis pas de ces gens-là. Je n'auréole pas la terre de mes pensées, ni l'univers de ma présence. Vous pourrez qualifier cela de triste ; il n'en est rien. C'en est ainsi. Je croise mes jambes, je les décroise, l'attente se trouve être affreusement longue. "Tu attendras encore longtemps dans la vie" Oui, bien sûr, mais pour le moment, on peut penser à autre chose... A cet homme en face, qui lit et reste plongé dans sa réflexion. Il n'est pas beau, il n'est pas moche. Il se trouvera certainement casé quelque part, avec une femme aimante ; il deviendra père de famille, si la situation est propice à cela. Il verra le monde, il ira en vacances au bord de la mer. Il dira être l'homme le plus heureux qui soit. Et les gens lui rendront son sourire, car il en sera de même pour eux. Une utopie ? Non, une vérité de tous les jours qui nous concerne : la fin du "moi". De celui que nous sommes tous ; la façon dont certain malmène leurs mains, dont il sourit et dont il pleurera. C'est un univers.
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C'était un petit d'homme, tout petit, les joues rouges, le regard frémissant. Il me regarda, je le regardai ; longtemps. Pourquoi ? C'en était ainsi et puis c'est tout. Il avait quoi ? De six à dix ans ?
Petit bonhomme... Tu étais beau petit bonhomme...
Il s'était approché. Pas après pas, petit à petit.
Et qu'il était bien de le voir ainsi ! Qu'il était beau !
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