je n'aurai qu'à penser au passé — rps

22-05-2013 à 22:20:22
03/09/2012

Tu sais, Zora, il aurait voulu te dire plein de choses, Nikola.
Il aurait parlé de son frère, de ses sourires sarcastiques, tendus entre eux, il t'aurait raconté les batailles de garçons débiles, les bleus sur les genoux, les égratignures aux coudes, et les joues rouges des gifles sifflantes. Il t'aurait parlé de son père, avec ses rêves de grandeur et de perfection - peut-être même qu'il t'aurait dit que c'était de là que venait son perfectionnisme à lui, son attachement à faire les choses bien, loin du monde. Il t'aurait raconté les mots de sa mère, et puis ses étreintes incessantes, il t'aurait dit qu'elle l'avait surprotégé, et que c'était toujours le cas. Il aurait pu te parler du jour où son frère avait merdé et s'était barré de la maison. Il aurait dit c'est compliqué, Zora, tu sais, il aurait encore dit qu'il les aimait quand même.
Il aurait pu te parler de plein de choses, tu sais, Zora ? Il t'aurait raconté qu'il avait retrouvé son grand-père, cette année, qu'il habitait dans les Shetland et qu'il l'appelait toujours son enfant - il t'aurait même dit à quel point ça le frustrait, parce que même s'il n'aimait pas grandir, ce n'était plus un enfant, Nikola. Il t'aurait aussi sûrement parlé d'Iadviga et de son don qui transformait tout ça en labyrinthe. Il t'aurait parlé, Nikola, des soupes au chou que sa mère faisait trop souvent. Il t'aurait raconté son avant à lui.
Peut-être même qu'il t'aurait parlé de lui, Zora. Il t'aurait expliqué pourquoi il détestait les camions ; il t'aurait raconté que ses dents écartées le complexaient, et que c'était pour ça qu'il ne souriait pas avec les dents comme les gens trop heureux. Nikola, il t'aurait dit qu'il se trouvait inutile, et qu'il était idiot ; parce qu'il se détruisait, à penser trop. Il t'aurait expliqué qu'il ne croyait plus en rien, qu'il était déjà trop vieux pour tout ça, qu'il s'était cassé tout seul.
Mais Nikola, il t'aurait surtout parlé de toi. Il t'aurait dit à quel point tu étais jolie avec ses vieux pulls et tes grands sourires, il aurait marmonné que t'étais un peu du baume au coeur. Il aurait dit que ton rire lui manquait, parfois, quand il était seul, il aurait dit qu'il espérait presque aussi fort que toi que ses étoiles se rallument. Il t'aurait bouffée des yeux, Nikola, et il t'aurait raconter tout ça.

Il n'avait pas eu le temps. Il t'avait brisée avant de pouvoir, Nikola, avant d'oser - il n'avait pas l'habitude de parler de lui, tu sais, Zora, même s'il aurait voulu changer ça avec toi. Il s'en veut, Nikola, tu comprends, Zora ? Il était énervé, quand il t'a crié tout ça. Il ne voulait pas claquer les portes de ton coeur, tu sais. Il l'avait jamais pensé, tout ça. T'avais déjà ta place près de lui, Zora. Il aurait voulu te garder là, près de son coeur, tu sais, il t'aurait murmuré que c'était toi, ses étoiles. Il t'aurait dit que c'était pour ça qu'elles n'étaient là qu'avec toi - peut-être que t'es un peu la seule qui s'intéresse au Nikola encore un peu vivant, tu sais, Zora ?
Tu sais, Zora, il a eu mal, lui aussi, quand vous vous êtes quittés. Il a eu tous ses mots qui lui revenaient à la figure, et il a eu le coeur vide, un peu. T'étais déjà trop présente dans sa vie pour que ton absence ne le laisse pas paumé, Zora. Pourtant, il ne t'en veut pas de l'éviter, tu sais ? Il comprend. Il sait que t'as eu mal, même s'il ne sait pas vraiment pourquoi. C'est à lui qu'il en veut, pas à toi. Il t'a cherchée, tu sais ? Parfois, il t'a même trouvée, mais il n'a pas osé te parler, Nikola ; il n'était pas sûr que les mots lui viennent, tu vois ? Il avait peur de juste fondre en larmes devant toi, et il se serait trouvé vraiment bête de faire ça, Nikola.
Il a pleuré, tu sais, Zora ? Beaucoup pleuré, même. Il aurait peut-être pu noyer tout ça dans ses verres de vodka, mais, tu sais, il avait trouvé que c'était pas digne de toi. Il aurait peut-être arrêté, si tu lui avais demandé. Alors, il avait pleuré, Nikola, quand il se retrouvait seul, et ses larmes faisaient grésiller ses clopes. Tu sais, il s'était mis à fumer tellement qu'il passait le plus clair de son temps sur le balcon, en tête-à-tête avec les brûlures de ses cigarettes. C'est quelque chose qu'il aurait pu te dire, ça aussi ; qu'il savait que fumer c'était dangereux, mais qu'il n'avait pas le courage d'arrêter. Il t'aurait peut-être même demander de l'aider. Il t'aurait dit que sa mère aurait été contente de savoir ça, mais qu'en attendant elle le forçait à respecter toutes les règles de son livre saint, auquel il ne croyait pas.
Il ne te l'avait jamais dit, mais il te trouvait jolie, Zora, quand tu lui souriais, quand tu grimpais sur son dos, ou quand tu tourbillonnais dans tes robes rouges. Il adorait te voir avec ses pulls, Nikola - il se disait parfois qu'ils t'allaient peut-être un peu mieux qu'à lui, et qu'au fond, c'était pas si grave, avoir froid, s'il pouvait essayer de te sourire. Il voulait vraiment arriver à te faire un sourire sincère, tu sais, Zora ?

Tu sais, Zora, Nikola, il aurait juste voulu te serrer dans ses bras, encore une fois.

Tu sais, Zora, Nikola, il s'était longtemps dit qu'il n'aimait pas les gens comme toi. Tu sais, il ne croyait en rien, sinon en toi - parce que t'étais la seule comme ça qu'il connaissait, lui. Tu sais, il avait été content de t'avoir, même si ça n'avait duré qu'un instant, Nikola. Tu sais, il aurait voulu ne jamais te lâcher. C'est peut-être un peu pour ça qu'il a marché vers toi, Zora. Il t'avait trouvée là, et t'avais l'air presque heureuse, alors il s'était dit que tu cherchais peut-être tes amis liliputiens. Il adorait ça, tu sais, même s'il ne te l'avait jamais dit, Zora. Alors il avait laissé sa voix s'élever un peu dans ton dos.

— Zora, je.

Il était un peu brisé, Nikola, tu le devinais sûrement à sa voix cassée, qui ne faisait qu'un souffle, ce jour-là. Tu sais, Zora, il avait le coeur qui ratait des battements, Nikola, parce qu'il aurait juste voulu te prendre dans ses bras et te dire que tout irait bien, mais il s'était privé de ce droit tout seul. Tu sais, il ne sait pas pour tes secrets, Nikola, mais c'est pas très grave, parce qu'il t'aime très fort, au fond, tu sais, Zora ? Il te l'a jamais dit, mais c'est parce qu'il ne sait pas faire ça.

— Pardon. Je. Enfin, je sais pas si tu pourras vraiment me pardonner un jour, mais, Zora. Pardon ...

Il a l'air un peu timide, Nikola, avec ses joues rouges, tu vois, Zora ? C'est parce qu'il ne sait pas vraiment quoi te dire, alors, tout doucement, il s'approche un peu de toi, et puis, il t'attire vers lui comme ça. L'étreinte ne dure pas longtemps, tu sais, parce qu'il n'ose pas, lui ; il sait qu'il doit aller tout doucement, mais il espère très fort que vous reviendrez amis, tu vois, Zora.
Parce qu'au fond, il a un peu besoin de toi. Il s'habitue pas à ne plus t'entendre derrière lui, il s'habitue pas à ce que tu ne viennes plus le chercher pour lui faire voir tes mondes oniriques, tu sais, pour le traîner dans des aventures.

— Tu sais, Zora, je t'en ai jamais parlé ; mais, derrière chez moi, il y a un immense champ de coquelicots. Petits, on allait y jouer avec mon frère. On adorait s'y perdre. Tu sais, ils sont magnifiques. Je pourrais te montrer, un jour, si tu veux.

Pour la première fois, quand il te sourit, c'est avec des étoiles sur ses lèvres.
Oh, Zora.

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25-05-2013 à 12:30:06
2011 ? 2012 ?

Le cœur au vent.
Déchiré, comme si rien n'était resté. Mais il agite son corps déserté. Par un sourire, amer, qui fait mal aux joues, par un rire qui jamais ne dépasse le trépas de ses larmes. Oh, il pourrait danser. Danser pour se prouver qu'il est encore en vie. Mais c'est à peine si son cœur remue ; il ne sent presque pas le souffle qui s'échappe, encore, toujours, désespérément. Entre les ombres de son sourire ...
Il ne sent plus que cette douleur aux entrailles qui lui sonne un peu fausse. Plus rien que ses poings qui se serrent sur ses phalanges raides comme sur son cœur qui se fane. Rien d'autre que l'odeur des flammes, comme si les effluves passées avaient perdu en râlant l'exhalaison sucrée, celle qui lui tirait un sourire.
Il en connaissait, des fleurs magnifiques. Alors pourquoi avait-il perdu celles de sa vie ?
Chaque fois qu'il en prenait le risque, il se brûlait aux feux du soleil.
Le cœur au vent, les lèvres écrasées sur un semblant de rire aux accents déments, il pleure ces sourires qu'il ne verra plus. Les plus belles roses se fanent.
Perdu dans la fureur sans ondes du lac, il reste là. Debout, jamais paumé qu'à moitié.
Et il est là, pourtant. Une voix dans son cœur en rit, brûlante de chaleur extatique. Rien assez pour réchauffer son âme gelée. Mais il la sent qui le gagne, l'enfant, comme la brise qui s'entortiller autour de son cœur. Alors il rit tout de même. Malgré tout, il aime encore. Cœur blessé, envolé. Au vent ...

06-06-2013 à 13:47:00
une date antérieure

Doucement, elle tournait sur elle-même, et la tunique blanche de coton grossier qui enveloppait son corps s’agitait autour d’elle. Elle avait un sourire aux lèvres, tendre sourire sans joie, plaqué là par les circonstances. Ses doigts s’agitaient sur le métal froid d’un sceptre qui, pour elle, avait une forme paradoxalement inconnue. Elle hochait la tête, lentement, interceptait un regard, haussait un sourcil – murée dans un silence d’une politesse qui ne lui seyait pas. La magie pulsait dans son cœur, trop vite, trop fort : agitée. Elle tentait en vain de la retenir, mais ses sourcils se fronçaient, son sourire s’aplatissait. Dans ses yeux pâles, une lueur de colère s’alluma, vacillante, qu’elle jeta négligemment à un de ses conseillers. Le moment était gris et sans saveur, perdu parmi tant d’autres dans les murs clos du palais. Elle étouffait en silence quand le souvenir du vent glissait sur sa peau et se perdait, fantomatique, dans ses cheveux grossièrement coupés en brosse et éparpillés d’un geste de la main. Elle se mourait quand, fielleux, les relents de liberté faisaient gonfler son cœur gelé. Une étincelle noire crépitait entre ses doigts, râlant pour elle seule – il fallait, comme elle, savoir se poser et écouter pour entendre la magie vivre. Parfois, la fillette en elle, enfermée dans un placard au fond de ses pensées, se demandait si elle n’est pas que magie, toute entière. Dans l’air, ses doigts dessinèrent avec application les lettres de quelques mots de langage divin trouvés dans des livres. Douce colère, libérée, ravage le monde. Quelques yeux troublés s’écarquillèrent dans l’assemblée, mais l’enfant passa outre, rabattant d’un geste machinal la capuche de son manteau noir sur son visage. Un sourire de complaisance passa sur son visage : elle n’adoptait que rarement, au grand dam du peuple, la tenue que certains se plaisaient à dire digne de son rang. Elle se leva, et c’est un vent de liberté qui siffla entre ses lèvres ouvertes.

— Taisez-vous. Taisez-vous. Vous m’entendez ? … MAIS VOUS ALLEZ VOUS TAIRE , OUI ?

Ses bras se croisèrent sur sa poitrine, et se décroisèrent, d’un geste mécanique, comme répété depuis longtemps. Elle se surprenait elle-même à laisser échapper sa voix aigre d’enfant pour leur cracher des accents de colère, et de maturité qui ne seyaient pas au rictus ironique naissant dans les ombres de sa capuche.

— Vous êtes de pauvres idiots.

Ce n’était même plus dans la langue des dieux qu’elle vomit ces mots, mais dans celle de Kairec. Ultime affront à ses conseillers, tendre hommage à la patrie que s’était trouvée son cœur, criant de toutes ses forces pour qu’elle coure retrouver cette liberté tant chérie.

— Ecoutez-moi bien, car je ne me répèterai pas : réfléchissez. Voulez-vous vraiment la tête de mon frère ? Pensez-vous que mon père vous aurait laissé la prendre ? Pensez-vous que ma mère vous laissera faire ça ? Est-ce que vous voyez au moins plus loin que le bout de votre nez ? REFLECHISSEZ. Bergeau a sauvé Kairec. Je pense que personne ici n’ignore ce qu’est Kairec. Comprenez-vous, au moins ? Sans Kairec, la magie périrait. Sans Kairec, vous ne seriez rien. Rien, vous comprenez ? Bergeau a sauvé Kairec en combattant Night et il a bien failli mourir des mains de ce démon. Et qu’est-ce que vous faisiez vous ? Rien. RIEN. ALORS NE ME DITES PAS QUE VOUS VOULEZ SA TÊTE OU JE VOUS ABATTRAI TOUS MOI-MÊME.

Lentement, la jeune déesse fit volte-face. Elle ferma les yeux à ses paroles qui avaient ravivé en elle les flammes encore vivaces de souvenirs amers. Et puis, qu’est-ce qu’il foutait, son frère, après tout ? Elle le savait vivant, mais n'avait aucune nouvelle de sa part. Dans son dos, un murmure bruissait doucement.

— JE METTRAI CETTE MENACE A EXECUTION SI VOUS NE LA FERMEZ PAS IMMEDIATEMENT. JE SUIS LA DEESSE DES DIEUX ALORS VOUS ALLEZ M’OBEIR. MAINTENANT.

Elle soupira. Son frère avait intérêt à se bouger un peu, car elle avait beau s'acharner à le défendre, et avoir réussi à garder bouche-bée les conseillers pour un moment en déployant sa colère pour la première fois en leur présence, il aurait des choses à régler de lui-même. Et elle irait le chercher et le traînerait jusqu'au palais s'il le fallait.

Qu'est-ce qu'il foutait ?

06-06-2013 à 13:50:16
une date antérieure

T'as un sourire qui glisse tout doucement, au bord des lèvres ; un grand jeté qui se balance, se lance dans le vide. Quelques bruits lui font écho quand il plonge, s'abîme dans le néant, vaste métaphore à la tristesse câline. Tes sens se tendent, alors t'entends ton coeur battre trop fort, jeter le sang palpitant dans tes veines, et puis tu sens le vent qui bruisse sur ton visage. Là-bas, un clapotement agite l'eau, d'une tendre caresse. Le monde entier prend des accents de douceur amoureuse.Le monde entier te vomit tout cela à la face, tout ce que tu voudrais oublier : les derniers souvenirs des parfums de grâce s'agitent dans l'air nocturne. Pauvre fou, comment peux-tu croire que ta mémoire puisse quitter, rien qu'un instant, les femmes de ta vie ? Tu ne pourras pas remplacer les amours d'une famille par les douces effluves d'une fleur, quand bien même tu l'entraînes avec toi dans tes pas de danse. Alors, tu ris, au fond de ton coeur, un rire dément. Il fait un peu comme une tâche au milieu de quelques pattes de mouche. Ton malheur n'est que ça : une petite flaque d'encre dans l'immense encrier de la nuit. Ne sens-tu pas les étoiles te sourire, comme si, doucement, elles te secouaient, pour qu'enfin tu reviennes à la vie ?

Tu laisses là les pas de danse et les masques poudrés ; tu laisses derrière toi les lourds silences, et tu souris. Ce n'est rien qu'un sourire un peu pâle, un reflet de vide, petit bout de ciel, accroché à ton visage. Ce n'est rien qu'un sourire, mais il t'est tendu, comme une bouée : il est là pour te tirer des océans ravagés de tes pensées. Tu restes là, bras ouverts, comme perdu dans une étreinte avec la nuit, compagne des hommes solitaires. Elle est là, serrée contre toi, lovée dans tes bras ; tu voudrais juste pouvoir encore embrasser ses sourires. T'as l'air un peu minable, comme ça, avec tes cheveux qui retombent sur tes épaules, plus noirs encore que le vide béant de ton coeur, et puis surtout avec ton bonheur ensanglanté qui agonise en te crachotant à la figure. Tu aurais presque pu t'envoler, tu sais, quitter cette terre pour aller rejoindre cette Lune, toute douce dans sa lumière, offerte. T'en souviens-tu, des mots de cet homme, de sa voix posée qui caressait la nuit, comme une maîtresse longtemps perdue ? Tu n'as rien d'une étoile, peut-être juste un peu d'un astre déchu. Ton coeur n'est plus rien qu'une lumière éteinte, une petite flamme qui s'essouffle.

Et la flamme finit par s'éteindre, crachant ses derniers airs aux braises rougies. Rien d'autre que des cendres, et une fleur fanée.

Tu ne les a pas vus approcher, tout perdu que tu étais à tes maux arrache-coeur, mais quelques mots explosent, d'une voix aux accents familiers ; quelques mots qui s'éteignent comme une caresse sur tes joues. Tes yeux en rencontrent d'autres, aux prunelles arrondies, dorées, comme gardant prisonnière de la lave ardente. Un instant, ils te semblent capter le monde, et en renvoyer un écho vacillant ; un instant, il te semble que tu pourrais y disparaître. Tu pourrais te laisser tomber dans cette obscurité voguant calmement. Mais ton regard se perd sur un visage poupin, détaille de douces rondeurs, et tu souris. Les mots glissent, s'envolent parmi les étoiles, comme y trouvant un écho à l'infini. Tu sais, tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais tu es intimement persuadé que ce soir, quelque part sous la voûte céleste, les étoiles dansent pour le triomphe de Kairec. C'est un peu le triomphe de la vie que tu contemples, bruissant au rythme de la magie, perdu dans la sylve. Et ce même triomphe brille doucement sur ce visage, éveillant en toi des souvenirs lointains.

Perdues sur le visage de l'enfant, quelques flammes, brûlant doucement, diffusent une chaleur douce, fantôme, qui caresse, en toi, le gamin au coeur grand ouvert.

— C'est comme ça que je m'appelle ; un grand oui, donc.

Tu penches un peu la tête sur le côté, dévisage un instant l'hôte de ton silence.

— Bonsoir.

Et c'est le sourire des retrouvailles que tu lui tends ; ce sourire tout plein d'embrassades chaleureuses, de rires explosifs et de voix qui tordent des souvenirs. Ce sourire plein d'infini.

— Ça fait longtemps.

06-06-2013 à 13:51:49
2011 ?

Tout doucement, elle tend la main, elle avance sa paume trop blanche, elle fait un pas en avant. Et elle cueille une rose, elle glisse ses doigts entre les épines comme ses pensées glissent entre les piques de son coeur. De ses doigts fébriles, tremblotants, elle caresse les pétales noirs qui se meurent sous l'éclatant soleil. Elle fait un pas en arrière, elle évite les rayons brûlants qui lui tordent l'estomac, lui démolissent la peau, et elle se réfugie dans une ombre devenue demeure permanente. Et comme son coeur se serre elle referme sa peau autour de la fleur frêle, hésitante, et les épines finalement enfoncent leur blessure mortelle dans sa paume trop pâle, et le sang qui goutte fait de sa main une nouvelle étendue poisseuse, alors que les larmes une fois de plus se mettent à courir sur ses joues. Et c'est la course à qui le plus vite arrivera en bas, suivra l'ovale étrange de ses pommettes, chutera de son menton et s'écrasera à ses pieds nus. Mais qu'elles ne cherchent pas, les pauvres gouttelettes qui lui arrachent toute son âme, ça fait longtemps que son coeur a relevé le défi, et jamais elles ne pourront tomber plus bas, alors elles se fâchent, et coulent plus abondantes, plus déchirantes, furieuses. Et son dos glisse contre la pierre froide, amère, et elle se retrouve assise, avec ses doigts vacillants qui resserrent leur étau fatal sur les griffes de la fleur, et ses habits trop grands, trop noirs, qui s'étalent, flaque d'obscurité plus sombre encore, qui dans son ombre, contraste avec son teint blanchâtre, alors qu'elle ne peut pas, qu'elle ne veut pas, qu'elle ne sort plus. Et l'immense palais, tout fait de sa pierre immuable, devient son cimetière alors même que son coeur flageole encore de toutes ses maigres forces dans sa poitrine. Elle hante les lieux, et déjà plus personne ne la voit, et elle elle perçoit cette guerre qui se prépare, elle voit tout doucement, qu'on décide à mi-voix de la mort des gens qu'elles aiment, et elle tourne les talons, et ses pieds claquent sur le sol alors qu'elle ne peut plus que s'enfuir, et qu'elle n'enrage même plus de son impuissance. Se résigner, c'était la pire chose qui ne lui soit jamais arrivée, mais ce n'est pas comme si cette vie cruelle qui persécute sa propre chair, sur l'immense échafaud de l'univers, lui avait laissé le choix. Elle n'avait déjà plus le choix, quand elle s'était dressée sur la pointe des pieds, et que, frémissant elle-même du point auquel elle dépassait des limites qu'elle s'était fixées, elle avait scellé d'un baiser nauséeux son pauvre sort. Et depuis ce n'était qu'un peu plus la fin chaque jour, une fin qui se laissait attendre, qui la regardait, avec ses grands yeux étonnés, mourir à petits feux. Et au fond de son coeur, résonnait la voix de la trop petite fille qui était venue chercher son frère, et puis qui avait tellement changé depuis. Elle protestait, la fillette, tapie dans des oubliettes depuis longtemps abandonnées, alors que cette fille là, son moi d'après, ne faisait plus que traîner sa pauvre carcasse, qui maigrissait à vue d'oeil, enveloppée dans cette un peu trop immense cape noire, qui cachait le corps de femme vaguement naissante, alors que dans sa tête, elle était déjà bien trop vieille. Et là, contre le marbre froid de ce qui a été son palais un jour, son refuge, elle enfouit sa tête dans ses mains ouvertes sur ses genoux, et son visage se couvre de ses larmes salées, qui glissent lentement sur ces cernes, et finalement, même la source de ses pleurs se tarit, alors c'est la panique généralisée au fond de son coeur, il ne reste plus rien, alerte rouge. Elle relève sa tête, et puis relève en même temps ses longs cheveux noirs trempés de l'essence de son corps, et l'arrière de son crâne cogne une fois de plus contre l'immense mur. Et le mur le plus grand, le plus infranchissable, il s'élève, il se construit brique par brique dans son coeur, alors que chaque jour se fait plus amer, plus terrifiant, plus inutile, et que son enfance file entre ses doigts serrés où déjà le sang sèche. Elle soupire, un long soupir, filet de vent pourri entre des lèvres entrouvertes sur un fardeau trop grand. Elle n'est plus rien, pas même un tas de cendres, un amoncellement de poussière, quand elle repose la rose par terre, et qu'elle lui adresse un bien maigre sourire, qu'elle l'abandonne derrière elle, toute couverte de son sang. Elle aussi elle aimerait avoir dans sa tristesse, quelqu'un pour la serrer contre son coeur, pour lui murmurer des mots tout doux, pour lui dire tout va bien ne t'en fais pas, alors que rien ne va mais qu'elle ne doit pas s'en faire. Mais elle n'est vraiment plus rien, dans cette demeure trop grande qui maintenant toute entière la rejette, pas même elle ne peut contempler son frère dans ses efforts, pas même non plus elle ne peut aller chialer contre sa mère. Et c'est là une petite fille, qui traîne ses os où ne colle maintenant que la peau, à laquelle on interdit de revoir sa mère, et mariée déjà à un démon qu'elle abhorre plus qu'elle ne détestera jamais personne. Et tandis qu'eux ils s'agitent, encore un peu responsables de leur propre histoire, elle ne peut rien faire, juste se ronger les sangs là cachée dans une ombre, dissimulée sous une gigantesque pile de livres, et elle pleure, elle ne s'arrête plus, elle ne fait rien d'autre, alors qu'elle sait qu'elle devrait au moins sourire, qu'elle devrait cacher toute cette peine derrière ce sourire ignoble, ce rictus ironique, elle devrait être forte, pourrait être forte, mais au fond elle ne veut pas, tout ce qu'elle aurait aimé, c'est pour une fois juste la vie pas la survie.

Et cette nuit-là, assise dans un coin, au milieu de cet immense paysage de bouquins inanimés, elle sent dans le fond de son coeur, cette minuscule parcelle encore vivante, elle le sait dans chaque fibre de son corps, c'est quelque chose qui va changer. Et de cette magie qui se laisse moisir dans ses veines, elle perçoit trop bien l'agitation dans les immenses pièces, au détour de chaque couloir, et elle déplie ses jambes, parce que là où il lui reste un peu de réflexion, un peu de réaction, elle se rend compte que ce n'est pas normal. Alors elle s'en va, elle abandonne ce lieu qui devient une prison, avec des barreaux qu'elle construit elle-même, elle fait claquer ses talons. Et elle se retrouve, pauvre petite fille, squelette ignoble, debout devant cette grande fenêtre où elle se réfugie. Parce qu'elle se sent tellement bien, assise sur la pierre glacée, elle se sent tellement proche de ce père qui ne l'a jamais vraiment aimé, qui l'a juste chérie à sa manière, et elle ouvre les immenses vitres, elle pousse les volets, avec ses forces qui s'épuisent, elle vide les stocks. Et dehors l'orage se déchaîne, et ses yeux tous blancs crépitent dans les furtives lumières glaciales qui déchirent un ciel trop noir, et alors que même les étoiles s'enfuient, terrorifiées, elle écoute le tremblement retentissant du soleil, elle se hisse sur ce refuge, et puis se retrouve sous la pluie, toute ruisselante. Alors normalement elle aurait du sourire, la dernière fois qu'elle s'est retrouvée là, avec cet immense gouffre dans son coeur, tout a changé, mais elle ne sait plus, il faudra lui rapprendre la vie quand tout sera fini, quand toute cette comédie aura disparue derrière les rideaux rouges. Et au lieu de ça elle tremble, parce que là, trempée sous cette pluie, elle sent le mur disparaître, elle sent la cloison qui s'enfonce dans le fossé, et comme le vent fait claquer toutes les mèches de ses cheveux dans la pièce morte, les bourrasques en elle descellent les briques si durement assemblées, et elle s'agite, elle a peur que toutes les fondations de cette nouvelle vie en sursis s'effondre, parce qu'elle ne saurait pas quoi faire, en se retrouvant avec cette liberté qu'elle avait avant. Et elle repousse cet avant d'un coup de tête, ici il n'y a ni avant ni après, il y a maintenant, et c'est déjà bien assez dur. Mais le passé persiste, il se fait insistant, et déjà en elle tout se craquèle, et de nouveau elle pleure, elle s'effraie dans les gouttes de pluie qui s'écrasent sur ses joues blanches, et la magie revient, cette magie qui maintenant lui fait peur, sa paume s'illumine d'un feu trop noir, et le sang, tout y flambe, et peut-être des cendres renaîtra-t-il un brin d'espoir, mais au fond elle ne veut pas, elle ne sait pas. Elle ne pense pas qu'elle aura la force de redevenir cette gamine qui portait toutes ces choses sur ses épaules, elle veut être, simplement être et ne pas paraître. Alors elle prie, dans sa tête psalmodie cette langue qu'elle affectionne tant, que son prétendu époux pour le meilleur et pour le pire casse, pourrit. Et dans sa tête les mots s'affolent, elle se laisse tomber en arrière, et elle s'étale sur le sol lui aussi de cette pierre trop glacée. Et pas une fois de plus, son crâne en a trop vu, il coupe tout, et elle sombre dans un abîme de rêves. Jamais elle ne pourra dormir assez pour rattraper tout ce temps perdu, mais au moins il faut reposer ce petit corps trempé, exténué, ballotté par le vent. Et dans son inconscience sombre elle se recroqueville, au pied de la fenêtre. Et c'est des fantômes qui se mettent à hanter cette espèce de rêve cauchemar, et même dedans il lui reste un peu d'espoir, et dans ses pensées aux abonnés absents on entend plus que la voix de ce frère qui travaille ce portail dans un ailleurs lointain, et qui dans un avant reculé répète sa promesse, il viendra la sauver, pour une fois ce sera lui, alors que d'habitude c'est elle, elle qui doit faire la justicière masquée, elle qui s'applique à le soigner quand il lui revient tout brisé, et une fois encore c'est eux qui combattent, et elle reste là, dans son sommeil lourd, impuissante. Et les pétales noirs se laissent porter par le vent, ils lui caressent doucement les joues alors que même dans son repos elle se torture, et de fines plumes tracent leur message funeste, ils se battent, ils se battront, ils ont la plume en main, et elle n'a plus rien, elle a même le livre loin des yeux, elle s’abîme, elle s'effondre, elle tombe, elle se noie, elle s'étouffe, elle suffoque, elle agonise, elle se meurt, elle meurt. Et finalement arrive peut-être là, alors que son coeur lâche un dernier battement, alors qu'elle s'exténue jusqu'à la dernière seconde. Et il n'y a plus rien pas une poitrine qui se soulève, ici s'achève le long voyage, il ne reste plus que le précipice, la fin, pas même une pensée qui tourbillonne, un muscle qui tressaille. Et tout devient noir, tout s'arrête, dans le vent de mort, fin prématurée, point final. Un tas de cendres, on n'enterre pas les fillettes devenues adultes trop vite, on enterre pas les déesses qui ne servent plus à rien, on n'enterre pas les enfants qui se laissent mourir au lieu de se battre pour survivre. Alors un dernier pétale caresse sa joue inanimée, et elle est morte, elle n'existera plus. La fin des fins, c'est cela. Plus rien, plus rien, plus rien, plus rien, elle n'a même pas pu leur sourire une dernière fois, leur dire qu'elle les aime, qu'elle aurait voulu les aider, les sauver, courir à leur rescousse, qu'elle souffre de n'être plus que ce spectre abject.

Et la magie dans son sang qui commence à refroidir ne veut pas. Elle a trop pas attendu, alors il n'est pas question maintenant, d'être rester inanimée pour le rester à jamais, il n'est pas question de mourir, il reste tant de choses à faire, tant de sourires à donner, tant de mains à serrer, tant de cheveux à caresser, tant de chemins à tracer. Alors elle s'affole, et tout un bloc elle se jette sur le coeur qui ne bat plus, elle l'étouffe, et. Plus rien, elle échoue. A moins que. Non. Un battement, timide, timide, et les poumons se serrent, ils prennent trop brusquement une goulée d'air trop attendue, et elle revit enfin, dans son sommeil. Et cette fois-ci elle le perçoit, alors que le monde reprend ses couleurs, l'air ses saveurs, l'atmosphère ses odeurs, et que tout redevient peu à peu une monde de vie, il n'est lus question de mourir, même plus question de survivre, il est temps de vivre, de vivre pleinement. Même si cette vie doit être aussi courte qu'un sourire, alors ça veut dire qu'elle sera aussi belle qu'un sourire, aussi agréable qu'un sourire. Alors elle émerge de sa nuit agitée, et elle déplie ce corps allongé dans sa position d'origine, elle se redresse un peu. Et ses mains glissent, parcourent ces joues creuses, tracent la courbe de ces lèvres qui ne sourient plus, continuent leur chemin dans les longues mèches de sa crinière noire, massent son cou endolori, défont le lien de la cape qui la couvre. Et elle se retrouve comme ça dans sa tunique, assise par terre, elle écoute la mélodie de son coeur qui panique, qui se demande ce qui se passe, pourquoi tout va si vite. Elle essaie de se lever, et le monde s'affole, tout devient flou, tout devient trouble, elle se rassoit, et puis attend, écoute le tempo au diapason des battements dans sa poitrine, suit le rythme. Et elle n'essaie toujours pas de sourire quand elle se relève enfin, quand elle mesure ses pas, quand elle essaie de se porter sur ses jambes qui flageolent, elle avance prudemment vers les immenses cuisines, parce qu'il est temps un peu de remplir ces réserves qui clignotent rouge, elle descend les escaliers. Et son pas se fait un peu moins prudent, un peu plus sûr, elle s'appuie contre les bords sur les bords de ces couloirs désertés. Et finalement elle y arrive, et elle engloutit ce qu'elle trouve, elle savoure le simple goût de terre fraîche dans l'eau qui clapote sur ses lèvres rêches. Et elle file direction sa chambre depuis longtemps abandonnée, elle écrase les toiles d'araignée sous ses pas endiablés. Et trop vite sa tunique disparaît, s'échange pour une autre, elle se retrouve devant un immense miroir, et puis elle glisse une rose dans ses cheveux, mais pas d'épines cette fois, pas de sang, pas non plus de pétales noirs corbeau. C'est blanc, c'est pur, même un peu plus coloré que la teinte affreuse de sa peau, et là, avec ce soupçon de ce qui ressemble un peu à du bonheur, elle s'enfuit, elle fait claquer ses pieds nus sur le marbre froid, et elle ne sent plus cet époux effroyable, elle grimpe les escaliers, à toute vitesse. Et son ascension se fait aussi vite que sa résurrection presque deus ex machina, et c'est le désespoir qui cette fois meurt alors que chacun de ces gens qu'elle aime, et puis qu'elle avait oublié revient donner la main à un autre dans l'immense ronde de ses pensées. Et elle explose presque, elle laisse dans l'immense palais désert humain toute cette odeur trop forte de magie trop noire, et elle se retrouve tout en haut, elle se juche sur le toit, et de là elle voit la forêt, sa belle forêt, et elle la voit brûler mais elle ne bouge pas, elle espère, elle envoie toute cette énergie qui la carbonise, elle concentre ses pensées, elle prie, elle veut qu'ils fassent tout leur possible, et de nouveau elle a confiance, elle sait qu'ils gagneront. Et pourtant ses lèvres fines, doucement courbées, ne parviennent pas à reprendre cette mimique, ce sourire, même pas un sincère. Elle a oublié comment on fait, et elle se sent petite, minuscule. Petit bébé, nouveau né qui ne sait que pleurer. Et elle lève la main, elle caresse la fleur toute veloutée dans ses longues mèches, et finalement quand le feu s'éteint, c'est le miracle qui se produit. Et ses muscles, se contractent, le coin de ses lèvres, tendrement, précautionneusement se relève, et elle abandonne au bout d'une seconde cette peur, cette douleur étrangère, et son sourire encore s'agrandit, et finalement elle rayonne, un peu comme avant, grandie de toutes ces choses, toutes ces épreuves. Et le monde maintenant, tout ça, ça sera bientôt fini, alors elle sourit, même à pleines dents, encore plus franchement qu'elle le faisait avant. Alors le monde n'en finit plus de finir, maintenant il fait autre chose, il commence, une nouvelle ère alors qu'ils se battent, qu'ils répandent le sang, et qu'elle sourit pour eux, de toute la puissance de ce sourire. Et elle veut descendre, mais elle ne peut toujours pas, et en dépit de tout ça elle sourit, elle est fière pour eux. Alors le vent craquelle la dernière brique, et elle vole en éclats, et là elle sait que c'est vraiment fini, que ça recommence, alors elle n'en peut plus, vraiment, elle ne peut pas sourire plus, alors elle se redresse, elle tournoie sur elle-même, en équilibre sur les tuiles qui la font glisser. Et elle meurt d'envie de descendre, et elle encourage de toutes ses forces, tous autant qu'ils sont, et surtout son frère qu'elle sent tout brûlant de son combat, tout plein d'efforts. Et elle tournoie, elle sourit, elle est rose arc-en-ciel. Elle quand elle le sent, enfin, qui meurt, qui s'éteint, elle est la première à le voir, elle saute de joie, elle s'écrase sur les tuiles, et puis elle manque de tomber. Alors elle sourit, elle est aux anges, elle rougit, elle est libre. Elle est fleur libre, toute fraîche mignonne éclose. Et alors elle ne tient plus, elle s'en va, elle se retrouve là-bas, dans la forêt, elle explose, sa magie explose, et puis la, tous pleins de démons explosent, et puis au final il n'en reste plus tellement, alors qu'ils se déchaînent tous, et elle rayonne. Quand tout sera fini elle les invitera tous à la célébration de sa vie.

06-06-2013 à 13:55:37
2011 ?

Elle s'étire, debout sous le soleil. Elle se tourne vers l'astre reluisant, ignorant la morsure irritante de la pierre escarpée sur la plante de ses pieds nus, et elle comble ses yeux d'or de cette image rafraîchissante. Elle passe une main dans ses cheveux blonds, elle les fait scintiller au soleil. Ils retombent, fontaine de mèches instables, sur ses joues hâlées par ces rayons qui caressent la peau, griffant de leurs ongles chaleureux cette carapace trop fragile. Et elle s'arrache un sourire délicieux, dans ce bonheur trop feint. Et déjà de trop de jours doucereux se sont levées depuis qu'elle n'a plus coulé le miel de son regard immensément profond dans les pupilles de son être chéri, déjà trop de matins où le soleil la nargue, lui rappelant le dernier contact, fugace, tremblotant, inquiet, peureux de leurs lèvres d'enfants. Et elle pose ses mains sur ses hanches, elle laisse claquer les pans de sa robe trop blanche autour d'elle, portés par un vent dont elle connaît bien l’origine, elle ignore le message pourtant, et elle se juche là où elle sait qu'il se recueille parfois, sur le toit de cette grotte qui les abrite tous, qui cache bien des légendes, bien des histoires, bien des pleurs et pourtant bien des rires. Elle baisse finalement l'ambre douloureuse de ses prunelles vers ce tapis vert mouvant, qui se plisse au vent, qui se laisse tordre piétiné par leurs pieds impatients, qui se courbe dans cette terreur qui hurle au fond de leur coeur, qui les déchire, feuilles de papier dans les mains de leurs propres démons. Et c'est trop sordide, parce que l'éclat de ce soleil, le mouvement dansant de ces branches d'arbre qu'elle surplombe de sa petite taille, la hâlure sur sa peau, le manque dans son coeur qui ne se fait plus seulement gouffre mais trou noir, assoiffé de tout ce qui pourrait y disparaître, tout jusqu'à cette appréhension morbide lui rappelle cette horrible journée où elle a tout perdu en l'espace de quelques instants, rien qu'en regardant une dernière fois cette magnifique étoile d'argent qui flottait sur le lac. Alors par réflexe, sa main glisse sur le pommeau de son épée trop plaquée contre sa jambe, et finalement elle se calme en ne sentant rien, fait renaître les étoiles dans ses yeux. Et elle contemple le mouvement des arbres qui passent leur tristesse dans cette farandole, elle contemple le sourire qu'elle devine là bas, sur la berge, sur les lèvres de son père, elle contemple tous cs gens qui s'affairent, qui se remuent. Elle admire cette vie qu'elle chérit temps, de son petit coeur trop aimant, et déjà le pauvre déborde, explose. Trop, elle aime trop, il ne peut plus, il ne suit plus, il s'essouffle, il est obligé de lui courir après. Alors elle force, elle calme sa respiration qui s'affole, elle fait passer un mince filet d'air entre des lèvres entrouvertes, et contemple la poésie qui chante un jeu taillé trop grand, jusque dans cet infime appel d'air. Et dans son sourire, cet énorme sourire chaleureux, il se place quelque chose de chantant, de guilleret, alors que les mèches toutes fines de sa crinière blonde claquent plus haut, plus fort, plus beau dans le vent insolent qui la repaît de cette belle énergie toute dorée. Et c'est surtout un sourire qui se crée, s'agrandit, s'étend jusqu'à l'infinie dans deux yeux d'or, d'ambre, de miel doucereux, qui se fixent au loin sur un point qui n'existe pas, ou plutôt qui existe ailleurs, qui existera toujours prenant toute la place dans ce minuscule coeur surchargé. Lentement elle baisse les yeux, elle brasse jusqu'à tout cet air lourd qu'elle chérit plus que sa propre vie, elle fait renaître le spectre de cette nature pour laquelle ils doivent se battre, parce que seule elle se fait impuissante à se défendre, douée seulement à donner vie à tous ces fabuleux rêves. A regret presque, elle ferme les yeux, elle évoque ces souvenirs, ces sourires offerts et reçus, ces regards admiratifs échangés, ces yeux trop ambrés qui se fichent dans tous les recoins, ce coeur qui s gonfle, qui bat plus fort pour suivre le rythme, ces poumons qui se serrent, se desserrent, alors qu'elle bombe le torse, inspire, expire, et relâche avec ce souffle d'air toute l'amertume de ce bonheur, gigantesque puzzle incomplet, mais composé déjà de tant de pièces qu'elle s'en voudrait jusqu'à la fin d'oublier. Et dans ce vent qui se tarit, se fait plus naturel, elle tourne sur elle-même, gracieuse, juchée sur la pointe de ses pieds torturés par la pierre amère, elle écarte les bras autour d'elle, et s'envole, sans bouger de sa place, voyage dans ce bonheur qui tournoie sur l'immense tourniquet de la vie, un tourniquet infernal qu'il n'appartient qu'à elle de déguiser aux couleurs de l'arc-en-ciel. Et les tours sur sa personne, comme le reste finissent par s'éteindre, elle se fiche sur place, se laisse tomber en arrière sur cette pierre qui la blesse, dans cette vie qui la berce, immense berceau pour une gamine qui grandit trop vite, et qui reste toute petite pourtant. Elle savoure le moment, ses lèvres à demi-closes, ses yeux gorgés de lumière grands ouverts, ses cheveux en cascade autour d'elle, ses jambes et ss bras tendus, entourant son corps perdu dans cette robe blanche qu'elle aime trop, comme beaucoup de choses. Mais s'il reste trois choses qu'elle aime bien plus que tout, qui font monter à eux trois la marée dans son coeur immense baie creusée pour ça plus que tout le reste, c'est bien ce père qui sourit à son malheur, cette liberté qui la cueille, et balance tout doucement son berceau tandis qu'elle se recroqueville, en passant à cet être là, son soleil, sa vie.

Puis au final, elle se retrouve encore plus resplendissante qu'autrefois, après cette balade dans les bras tout doux du sommeil, petite étoile éclairant de sa luminosité toute la vallée aux alentours. Et elle brille, de son éclat, de toute sa force, tandis qu'elle appuie ses paumes elles aussi gravées de la griffure de la pierre aride, qu'elle se redresse, et debout sous un beau soleil de midi, exécute une petite référence à cet astre, qui d'un pied de nez auparavant se met lui aussi à courber devant elle, devant son bonheur qui illumine, devant tout son corps qui irradie sa lumière. Et elle est belle, trop belle dans sa simplicité, magnifique quand elle ébouriffe ses cheveux, et les rassemble tous, les déforme en une tresse qui lui retombe sur ses maigres hanches de gamine, et elle troque de toute cette belle magie merveilleusement dorée sa robe contre une tunique de cet épais coton trop confortable, qui fait oublier qu'on le porte pour partir au combat, et puis un short, de cette épaisse toile qu'aiment tant les aventuriers, parce qu'elle protège leurs jambes de la morsure sauvage des ronces et des plantes. Et avec un arc de bois bien tendu en travers du dos, et toujours cette épée, trop bien serrée contre le muscle tressaillant de sa jambe, elle se donne une allure de princesse guerrière, avec cette détermination dans le regard souriant de ses prunelles délicatement ambrées, et ce sourire un peu trop dur pour une gamine. Elle se laisse un peu porter dans la chaleur mielleuse du midi, et puis s’approche du bord du vide, laisse dépasser ses orteils de la pierre qui au lieu de l'égratigner la maintient, courbe son corps distendu dans ses vêtements inappropriés à une gosse, et d'une impulsion, saute, se met à planer dans le vide. Et dans les courtes secondes du plongeon, c'est l'air qui lui fouette le visage, le vent qui s'insinue dans ses oreilles, qui ballotte sa tresse, c'est la pression qui irrémédiablement la pousse vers le bas, c'est tous ses muscles qui se tendent sous l'effort, et qui ploient en fendant cet air âpre. C'est surtout la liberté, la sensation finale, apocalyptique, fugace de cet instant libre, alors qu'on risque de se heurter de plein fouet à l'énorme mur de la mort, et finalement elle s'en fiche, rien que pour ce moment grisant, cette déferlante d'adrénaline dans son sang qui se remet à bouillir, à rougir ses veines à toute vitesse, elle le referait, cent fois, mille fois, mille milliards de fois, jusqu'à ce quelle s'écroule de fatigue dans l’herbe, et qu'elle se pelotonne, dans cette position fœtale si affectionnée, qu'elle se réfugie dans un rêve où le puzzle serait complet, après peut-être, quand tout ce cirque aurait cessé, quand elle serait vraiment libre, enchaînée de son amour à cet être qu'elle aimait plus que tout ce qu'elle ne pourrait jamais. Parce qu'au final, il lui fallait des chaînes pour goûter le plaisir de la liberté toute simple, parce qu'au final attaché on se sentait peut-être un peu plus libre, si on pouvait choisir à quoi on s'enchaînait. Alors elle sourit, et laisse ses muscles ployer, elle rentre tout doucement au contact de l'eau, et l'impact colossal qui lui modèle le visage met fin à ce petit instant intensément brillant d'adrénaline, alors que quand même encore, elle arque ses bras pour remonter à la surface de l'eau, dans son élément autant que les pieds posés sur l'humus un peu mouillé de la berge, et elle laisse l'eau sillonner ses joues, tremper sa tunique, coller son short à la peau humidifiée de ses jambes, elle bouge avec cette aisance gracieuse, et elle sait que le soleil là-bas la couve du regard, remplaçant un peu cette mère qu'elle n'a jamais connu, ce père les yeux fermés à quelques pas de là, et cet amour trop loin de son coeur. Les larmes, sucrées, se mettent à couler sur sa joue, s'abîment de son menton, et ne sont que gouttelettes de plus dans l'énorme étendue d'eau où tant de regards déjà se sont perdus pour ne plus jamais se retrouver, changer profondément par le calme de ce désert bleu, agité par quelques vagues quand un bambin y sautait pour asperger d'autres gens innocents. Mais finalement en ce moment même les gamins avaient bien d'autre chose à penser, et elle assouplissait son corps sous cet effort, songeant à une fin inévitable qui devrait avoir lieu bientôt, parce que déjà elle voyait perler dans les immenses yeux inquiets de la sylve cette peur, et ce reflet de pressentiment, bientôt la forêt s'embraserait de cette haine, et il faudrait au final, peut-être une dernier fois, avoir le courage de se battre pour ses coups de sang, il faudrait sûrement, faire de ses démons intérieurs des forces, des combattants donnant leur sang et leur sueur aux côtés des gardiens déchaînés, il faudrait déchirer le monde de mort pour avoir la vie. Il fallait faire la guerre pour avoir la paix, et c'était un échappatoire bien triste, pourtant flottant à la surface de cette eau ressourcante, elle souriait, parce qu'il fallait bien que ça arrive un jour. Et chacun avait eu le temps de se préparer à l'idée, et pourtant même si ce n'était pas le cas, la fillette croyait en la force de tout le monde, elle savait que le monde entier se tendrait sous un même effort, pour reforcer une dernière fois cet envahisseur immonde, et après le continent rejetterait cette tragi-comédie pitoyable, et après, et après, elle sauterait dans les bras de son père, mage trentenaire avec son étendard de sourire d'enfant, et elle prendrait ses jambes à son coup, s'envolerait et se jetterait dans les bras du garçon qu'elle avait fait l'effort de tant attendre.

Et dès que la premier soupçon d'obscurité resserre sa poitrine dans la morsure légère de l'eau, elle regagne la berge, elle se dresse sur ses jambes. Et bien vite cette dorure merveilleuse dans son sang, cette magie géniale héritée de sa mère, et ces espoirs merveilleux eux tout droit venus du calme haut en couleur de son père, elle l'anime, la sèche de la tête au pied. De nouveau la tresse qui retombe sur ses hanches, et elle dégaine son épée, petite princesse guerrière. Elle se jette corps et âmes dans son combat qui se fait un peu plus le sien chaque seconde, parce que maintenant elle est trop avancée sur cette énorme échiquier de la vie pour ne faire rien qu'n millimètre en arrière, il faut avancer, courir, et portée par cette belle conviction, cet espoir renaissant de ses cendres, elle s'envole, elle se retrouve sur le combat. Et elle s'attrist au début, de cette mort qu'il faut provoquer, de ce sang qu'il faut faire couler pour ramener le souffle de vie dans les autres poitrines, elle se peine de cette guerre pour la paix, elle se désole de cette joie grisante, se fâche de cette haine qui borde son coeur débordant pourtant d'amour, et finalement, elle abandonne tout scrupule, pour se battre pour ce qu'elle aime, pour faire comme ce garçon qui au fond se bat un peu pour elle, pour cette forêt qu'il aime, pour cette sœur qu'il veut sauver, pour cette immense famille qu'il faudrait de nouveau faire sourire. Et l'incendie de son coeur embrase ses joues comme le feu destructeur répand ses flammes sur une aile de la forêt, alors qu'une autre a été détruite quelque part plus tôt, avec une incroyable énergie qui s'est explosée, dernier feu d'artifices d'une vie dans ce ciel qui écrase ses hôtes. Et vite c'est les décombres, les gens tombent, l'herbe verte se teinte de rouge dans le sang coulant trop fort des gens qu'elle a vu naître, qu'elle a bercé dans leurs gaietés et dans leurs douleurs, c'est les cadavres, qui se juchent les uns sur les autres, et elle fait attention de ne pas les écraser, attentionnée quand même dans cette rage qui lui fait toujours un peu honte. Et elle sent l'énergie de son soleil, là-bas, qui renaît dans la magie du moment, dans l'affrosité de cette comédie navrante, dans ce massacre de bon sens. Alors c'est d'autres espoirs encore qui font flamber son coeur, et elle abat son épée dorée, elle mord la chair putride de ces démons de sa lame acérée, elle fait de sa peur, de cette horreur son compagnon, et elle redresse de toutes ses forces les camarades tombés au combat. Elle donne un peu de sa luminescence, un peu de cette magnifique énergie qui ne cesse de la rendre plus belle, plus forte, plus incontrôlable dans ce combat commun. Elle aime jusqu'à l'odeur de mort qui vient lui titiller les narines, et elle achève tout de même les affreux monstres envahissants son monde pour qu'ils ne souffrent pas trop, dans cette lente agonie que certains leurs infligent. Un moment elle ne sait plus quoi faire, et soupire tout en sourire de leur haine commune, elle meure, et évidemment elle se blesse, pauvre étoile qui tombe de son bout de ciel. Mais toujours elle renaît de ses propres cendres, toujours plus convaincue, à chaque fois plus remplie d'un bel espoir. Et elle fait de cette hécatombe à contre coeur un miracle, elle s'épuise et finalement c'est cet amour trop grand qui se met à la nourrir, à la porter, plus légère, poisseuse de sa sueur, trempée des sangs mêlées sur sa peau un tout petit peu hâlée. Et elle s'en veut quand même, bonne samaritaine, finit aussi par décocher ses flèches, croise le sourire heureux de son père, et repart jolie fleur prête à éclore dans tout ce sang répandue, alors que le combat ne veut toujours pas s'achever, alors qu'ils sortent de partout, et qu'ils se battent avec tout leur coeur. Oh quand tout sera fini il y aura temps de choses, tant de temps à réparer, et seulement après ils pourront être heureux, dans ce malheur ci mourant alors que forcément un autre pourra renaître, même dans cette forêt de conte de fées. Et elle pleure tandis que la vie se libère, tandis que tous ensemble ils brisent leurs chaînes, toutes les chaînes, elle les soutient du mieux qu'elle peut, et elle laisse les larmes couler de ses yeux d'or, qui prennent un reflet sinistre dans l'écarlate du soleil. Et tous elle les soutient, avec une main tendue, elle les englobe, elle leur envoie toutes ses pensées, tout son sourire, à se partager en des milliers, une tranche de bonheur libre, et elle virevolte, elle s'abandonne, elle tue, s'en blâme et continue pourtant ce funeste manège, petite fille, pauvre petite fille obligée de grandir trop vite pour porter tous ces fardeaux qu'on lui impose. Et pourtant pas même elle ne courbe le dos sous le poids écrasant, elle se tient droite, les épaules écartées, la tête haute, avec ce port encore une fois de petite déesse déguisée en guerrière. Et un peu ses yeux rougissent, la source de ses larmes se tarit alors que tout le monde meure encore, tout ce qu'ils ont connu ces derniers mois s'éteint dans le choc des milliers de lames, dans la sueur de tous ces êtres unis, et elle elle ne pense qu'à un seul, elle le sent vibrer, longtemps, des années, elle sent presque les blessures sur sa peau, elle frémit à sa peur, elle s'éteint quand il doute, elle combat pourtant encore, et quand le poids se lève, disparaît trop curieusement, elle sursaute, parce que c'est surtout son énergie qui s'est envolée, plus important que tout le reste, et elle ne peut pas, elle ne peut plus ne rien faire, jamais elle ne pourrait encore le perdre.

Et en une fraction de secondes, il ne reste plus rien, même pas sa solitude cuisante. Elle ne veut pas, elle s'immobilise, elle serre les poings, elle écrase ses phalanges contre sa paume, elle se fait pas. Elle ne veut pas, elle ne peut pas. Jamais le perdre encore une fois, elle n'y survivrai même pas. Alors elle hésite, elle ne veut pas les laisser tous seuls, elle veut se battre à leurs côtés, mais surtout elle le veut, lui, près d'elle, alors finalement elle s'efforce de faire un sourire crispée, et puis elle se concentre, elle rassemble ses esprits, elle retient ses larmes au bord de ses yeux. Elle explose, elle ne veut pas, elle se retient, elle veut vivre, elle veut qu'il vive, elle veut qu'il vive. Elle veut briller à ses côtés. Alors finalement elle se laisse porter par l'instinct un peu trop sauvage qui lui file la nausée dans son coeur, et puis elle se téléporte là où elle l'a senti, là où il s'est battu. Peu importe les frontières, peu importe la distance, la fatigue, tout ça c'est juste bon à jeter dans les roses, elle ferait tout pour lui, elle fait tout pour lui, elle lui donnerait tout, jusqu'à sa vie, mais s'il y a quelque chose qu'elle ne peut pas, qu'elle ne pourra jamais, c'est se sentir vraiment en vie en l'absence de lui. Alors elle se retrouve sur leur champ de bataille, loin du sien, pleurant toutes les larmes de son corps, et elle hurle, elle crie, elle se déchire les tympans, elle rompt ses cordes vocales dans cette vocifération terrifiante, elle relâche tout, toute la pression, tous les jours qui ont passés, elle tremble, elle tient à peine debout, et sa vision même se trouble, elle noie son regard de miel dans ses larmes amères. Et d'un geste du bras, elle cache tout ça, il faut quand même qu'elle fasse preuve d'un peu de discernement. Elle ne prend même pas le temps d'écarquiller les yeux sur le paysage en ruines, sur une nature dévastée. Elle s'avance, elle tremblote, elle se porte sur ses pas hésitants. Et il y a aussi ce démon qui est mort, et même pas elle est contente, pas même ça ne lui arracherait un sourire, parce que c'est la mort, c'est le vide, le néant dans son esprit alors que quelques minutes avant toutes ses couleurs faisaient leur ronde folle dans ses pensées. C'est une unique préoccupation, une obsession, pire qu'une névrose, et rien moyen d'y faire, et des larmes coulent encore de ses yeux pourtant secs, et elle se force à un rictus, mais c'est la nausée qui lui monte aux lèvres, alors qu'elle tombe à genoux devant les deux corps identiques. Et elle hésite, devant ces deux corps abandonnés, décharnés, si semblables et pourtant tant différent. Et elle hésite encore, peut-être sont ils tous les deux morts, peut-être que ce n'est même pas eux, mais pourquoi prendre le risque, et puis puisqu'elle est là, elle se doit de sauver, ce qui est encore possible de sortir des décombres. Alors elle repousse toutes les frontières, elle ignore les lois, elle dédaigne les règles qu'elle s'était fixées elle même, n'a vraiment plus rien à perdre. Et finalement elle en sent un vraiment mort, anéanti, alors elle le repousse, et elle croit reconnaître son soleil dans l'autre, elle espère de tout son coeur, elle serait peut-être encore tombe si elle n'était même pas encore à genoux devant le corps. Et si c'est quelqu'un d'autre, ce n'est pas grave, elle le protégera en souvenir de l'immense courage de son amour, en mémoire de leur bonheur beaucoup trop court, qui aurait du durer toute la vie. Peut-être reprend-elle espoir, toujours est-il qu'elle pâlit, qu'elle se vide, qu'elle est vide, vide en l'absence d'un astre pour refléter la lumière qu'elle répand généreusement sur ses alentours. Et sans qu'elle n'y réfléchisse, ses mains se posent sur le corps détruit, et c'est l'explosion dans les surfaces immensément petite de ses paumes, une magie d'une rayonnance incroyable, c'est la première, et sûrement la dernière fois qu'elle pourra dégager cette puissance, alors elle en profite, elle farfouille le moindre recoin de sa conscience, elle y abandonne son esprit, elle y jette sa vie, parce qu'au final elle en est venue à croire que c'est lui et que même si ce n'est pas lui il lui en sera reconnaissant, peut-être même que s'il est mort il l'attendra, mais elle ne veut pas y penser, alors elle s'abîme un peu plus dans cette quête brûlante, dévorante. Et au final il ne reste plus que son amour, et à cette seconde là, il n'y en a pas d'autres comme le sien, qui repousse les frontières de l'imaginable, et qui va toujours plus loin, qui l'épuise, et les gouttes de sueur abandonnent son corps à toute vitesse, comme la vie, la vie qu'elle veut redonner, le soin qui éclaire toute la vallée, et ses larmes coulent encore de ses yeux, encore, encore, encore. Elle ferait tout, tout, elle est juste entrain de tout donner, parce qu'elle ne veut pas, elle ne peut pas, elle en arrive à son dernier recours, et finalement, elle s'effondre en larmes sur le corps tout vibrant de son énergie, sans voir si oui ou non, elle a réussi à le soigner, et elle se roule sur elle même, elle se fait toute légère la tête appuyée sur la poitrine de l'autre corps jeune et déjà détruit, et de la dernière énergie de sa journée, elle murmure son prénom, jusqu'à la fin, jusqu'à ce que ses yeux se closent, jusqu'à ce que ses paupières balayent l'ambre entourée de toutes ces veines rouges, tremblotantes, prêtes à exploser, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte pour la réparer, parce que son combat à elle se finit là, alors qu'il continue sur d'autres fronts, son rôle se finit là, sur la douce mélodie de son nom, alors qu'elle le chuchote encore une fois, avec toute la conviction qu'il lui reste dans son corps épuisé, et qu'elle l'emporte dans des rêves destructeurs, et que la vie continue, et qu'elle espère, espérera jusqu'à être sûre qu'il ne reste plus rien, que le désespoir, et même après, et elle sombre dans une inconscience trop profonde, mais réparatrice, un lourd sommeil sans rêves, mais peu importe parce que son rêve est peut-être mort et elle n'a rien pu faire, alors elle s'endort et 'est une drôle de liberté, un goût amer, beaucoup trop métallique, dans sa bouche d'enfant, qui ne passera pas la barrière des ses lèvres entrouvertes dans ce somme trop curieux. Et souris, tu es un ange fillette, de toute façon tu déploieras tes ailes.

06-06-2013 à 13:57:39
2011 ?

La vie aurait mieux fait d'être un immense terrain de jeux. Il aurait pu prendre la main, alors, de tous ces gens qui lui faisaient un peu pitié, avec leurs sourires forcés entre leurs joues creusées par l'inquiétude, il aurait pu tous les entraîner sur le toboggan, il aurait même pu tous les pousser à bout de bras, alors qu'ils se reposaient, assis sur une balançoire. Et en attendant tout ce que sa vie avait d'un terrain de jeux, c'était qu'elle se transformait en un infernal tourniquet, qui les envoyait tous, au bout d'un temps variable, valser au loin. Et il ne voulait pas, il voulait que tous, ils sourient, ils courent avec lui dans cette herbe grasse et tant chérie, il voulait que tous, gentils habitants de la sylve, retrouvent une joie de vie perdue, abandonnée, enterrée vivante peut-être bien. Alors, tristement, il sourit, il déplie ses jambes dégingandées, il s'assoie comme ça, en tailleur, et à plein poumons il respire l'odeur de l'humus mouillé sur le bord, il aspire cet air trop sain, dans cette atmosphère trop gangrenée. Oh il voudrait que tous, ils se parent d'un vrai sourire, enfantin, sérieux, triste peut-être bien, mais que ce ne soit pas juste un masque, pour dire je ne veux pas en parler, je ne veux pas, je n'ai rien à dire sur le sujet. Alors il soupire, parce qu'il y a pourtant tant de choses à dire. Et il garde quand même le silence, au prix de quelques secondes d'anarchie intérieure, mais il ne dérange pas les gens avec des couleurs qu'ils ne veulent pas voir. Il croise ses jambes, laisse tomber ses bras dans l'herbe qui se plie, de sa terreur, de ce poids énorme qu'ils lui font tous subir, en s'inquiétant pour elle. Il se perd dans ses réflexions. Et il n'y a aucune inspiration poétique là-dedans, rien de spirituel, simplement un refuge dans lequel les cartes lui appartiennent encore, dans lequel le crayon pour tracer le monde est entre ses doigts et entre ceux de personne d'autre. Il s'étire un sourire sur les lèvres, son sourire trop innocent pour sa trentaine, ces voyages lointains et tout le sérieux qu'il a acquis, un sourire d'enfant pour des yeux pétillants et des premières rides qui se creusent ; et il leur dessine un sourire à tous, mais le temps qu'il en fiche deux ou trois, les premiers disparaissent, s'envolent, s'évaporent, et le rêve devient cauchemar alors que même ses songes jouent leur carte contre lui. Alors ce n'est pas grave, il pense, il édifie sa mémoire à des choses oubliées, des gens depuis longtemps plus revu, des lieux reculés. Et tout ça le rend plus fort, plus maîtrisé encore, et comme il a élevé de son mieux un jeune garçon, il s'élève lui même, il se grandit, se renforce. Il n'est plus que calme, plus que maîtrise, confiance en soi et en les autres, il a confiance en un destin qui n'aurait jamais pu se faire trop cruel, parce qu'ils ne le méritaient pas, à choyer de toutes leurs forces et même plus cette forêt pure création des êtres les plus inspirés de l'univers. Et il fait vivre le vieil espoir, la vieille ambiance, cette solidarité, franchise bonne enfant, il la respire, il l'exhale sur un monde qui se fane, pour qu'il vive encore, pour qu'il sache qu'au moins lui, il est là, et il sera là jusqu'à la fin, et même après. Et rien de poétique non plus dans la petite brise qui s'engouffre dans les cernes sous ses yeux, effritent ses joues de leur sécheresse de vieillesse naissante. Simplement un désir de s'abandonner, de se laisser porter par le vent, de laisser la nature faire ses choix elle même, de laisser gagner le monstre ou de le dompter. Ce n'est pas son choix à lui, il n'a plus les cartes, mais assis sur sa balançoire, il a la pioche, et le bon conseil. Toutes ses pensées se fondent dans le souvenir de ses camarades, tout son courage tend vers cet ancien élève qu'il espère se retrouver digne de cette propre espérance, parce qu'au final il n'y a pour personne pire bourreau que lui-même. Le monde aurait du être autre chose, mais il est ce qu'il est, alors, il vit avec, et dans sa méditation aussi, il sourit à sa fille qui peine avec son sourire trop grand, son coeur trop plein d'amour. S'il avait pu il les aurait tous sortis de là, mais il revenait à chacun de forger sa propre histoire, dans les larmes, dans la peur, dans la sueur autant que dans le bonheur et ses éclats de rire. Et il n'a plus les cartes, mais il garde la pioche, et fort encore une fois de ses méditations au vent, il déplie une nouvelle fois ses jambes, et embrase son coeur de ce bel air frais, qui lui remplit les poumons tellement d'espoir et d'amertume, de cet infâme mélange à en vomir. Mais peu importe les nausées, alors qu'il y a bien pire, alors il se redresse, il se tient debout, fier, fort d'une expérience trop durement gagner pour abandonner maintenant, et il guette à l'horizon le premier signe du moindre truc qui bougerait, il prie tous les dieux auxquels il croit encore de lui amener enfin cette fin-là, aussi douloureuse sera-t-elle, pour écrire les premiers mots d'une autre histoire, un joli conte de fées, un truc bien guilleret, pour que dans ce nouveau bouquin la vie soit un terrain de jeux. Et le siège en bois de la balançoire s'envole, le portant droit vers ses rêves, alors qu'il espère que tous, ils sauront ce qu'ils doivent, ce qu'ils peuvent, et surtout ce qu'ils veulent faire, que tous ils se forgent un beau sourire enfin, dans l'encre rouge sang de cette plume trop cruelle. Et il rassemble tout son courage, toute cette volonté qui le brûle de l'intérieur, il se laisse flamber. Maintenant entre lui, et leur choix à eux, il ne reste plus que le temps, le temps qui dira ce qu'il adviendra d'eux, pauvres mortels sacrifiés.

Et il ne pense plus à ce que la vie aurait mieux fait d'être, il pense à ce qu'elle est, alors qu'il se baisse pour cueillir une fleur, alors qu'il gronde sans s'emporter ses pauvres gens avec leurs mines de trois kilomètres de long, alors qu'il trace un sourire dans l'air oppressant. Il sourit même toujours, de toutes ses forces, de tout son esprit, de toute sa joie, de toute sa vie, de tout ce qu'il a. Presque il éclate de rire, quand la force devient rouge feu, quand la forêt s'embrase de cet incendie, et de tout ce sang qui coule. Porté par un vent frais, un vent beaucoup plus adapté çà une course guillerette dans un champ de blés, il court au combat, lui aussi, armé dans ses mains, armé surtout dans sa tête. Et il reste calme, trop calme, il ne se laisse même pas embarquer par cette fureur, par cette tristesse qui les porte tous, qui les soutient alors que leurs pieds, leurs jambes trop maigres, toutes leurs forces les abandonnent. Certes il donne la mort de sang froid, il sourit doucement à ces pauvres ennemis avant d'abattre la morsure croisée de ces lames, et il sourit en balayant de ses grands gestes son sang, leur sang qui se mêlent à sa sueur dégoulinante. Il éclate de rire sous les reflets rouges carmin du ciel, il sourit à tous ces gens abattus alors que la lutte partout ailleurs est fini, il tourneboule, il écrase, il déferle ses tempêtes de vent, il abat ses lames donneuses de mort, il achève d'un coup de pied. Et il garde ce sourire insolent, ce sourire gosse de mage trentenaire, avec pourtant toute cette sagesse accumulée. Il ne s'écroule pas alors que son ventre crie famine, il le calme de bonne paroles, il se blâme lui même d'être ainsi heureux de ce massacre, et pourtant c'est déjà des nouveaux mots qui se tracent sur le parchemin de leurs vies, alors qu'ils mettent fin à une histoire pour en laisser débuter une autre. La vie n'est pas un gigantesque terrain de jeux, la vie c'est la vie, différente pour tout le monde, et tellement semblable au fond de son coeur brûlant, qui s'éteint, s’affole au rythme de ses espoirs qui s'animent, explosent, feux d'artifices. Alors non il ne s'arrêtera pas de sourire. Et ce rictus insolent se fait plus grand encore, quand l'énorme enclume qui suffoquait l'air s'envole, lentement, rapidement, qui disparaît au vent, alors que sur ce front là-bas le combat s'est achevé, le gosse doit être satisfait de lui, au moins un peu. Lui il se satisfait de cette réponse à ses espoirs, et le tourné-boulé se fait plus vif, et il ignore toutes ses plaies qui se creusent dans sa peau trempée du sel de sa sueur trop humide. Il sourit, jusqu'à l'infini, parce que c'est sous ce soleil rougi que se tracent le nouveau il était une fois d'une vie toute neuve. La vie aurait mieux fait d'être un éclat de rire.

06-06-2013 à 13:58:57
2011 ?

Toujours il y avait cette ronde de folie, ces ombres qui dansaient leur farandole au rythme endiablé de ses pensées. Et allongé tout en longueur sur une branche, frissonnant un peu par mécanisme, sur un intervalle régulier, il balayait les feuilles du regard unipolaire de ses beaux yeux noirs. Les mèches emmêlés de ses cheveux bruns flottaient autour de lui, tombant en avalanche, encore une fois trop long ; puisque comme d'habitude, il avait oublié de les couper. Alors il fermait ses paupières, lentement, et il laissait les écureuils enfoncer leurs minuscules griffes dans sa peau, les papillons déposer leurs pattes veloutées sur son front ridé par l'inquiétude, et puis les moineaux picorer le creux de ses articulations. Parfois il relevait ce corps trop maigre, dégingandé, ce corps beau quand même, avec ses oreilles un peu pointues et ses muscles trop fins eux aussi ; et il balançait ses jambes dans le vide, il cueillait une feuille, la pressait sur son visage, respirait la douce odeur de sa forêt natale, cette sylve qui avait été son berceau, et qui serait son cercueil un jour, dans longtemps, quand il ne respirerait plus. En attendant il brassait l'air de toute la force de ses poumons, absorbé par cette rêverie insalubre une fois encore. Puis il laissait le vent lui papillonner sur des joues qui se creusaient, alors qu'autour de lui le monde était un peu une fourmilière, toujours en action alors qui se tenait immobile, petit caillou dans la marée haute. Longtemps déjà qu'il s'était laissé emballé, emporté par les vagues, qu'il s'était laissé coulé sans trop réagir, parce qu'au final, qu'est-ce qu'il pouvait dire ? Il pouvait peut-être s'opposer à tout mais ce n'était pas lui qui prenait les décisions au final, alors il se contentait d'un rien en maugréant intérieurement que c'était vraiment injuste qu'on décide à sa place, et qu'il fallait qu'on se révolte absolument contre cette autorité démentielle, parce que la seule autorité pouvait résider dans la belle liberté qu'on donnerait à posséder. Et la nuit tombée il observait les étoiles, songeant à toutes ces personnes auxquelles il ne pouvait penser le jour, parce que le ciel ne méritait pas ses pleurs, le soleil même faisait un effort pour éclairer les funestes journées, toutes aussi tremblantes de peur pour la vie qui s'essoufflait dans leurs poitrines, et entre leurs deux mains serrées, crispées. Tantôt le fantôme d'un disparu venait le hanter, et l'enfonçait un peu plus dans l’abîme noir, le pauvre cercle vicieux qui était devenu son quotidien ; tantôt le sourire d'une personne aimée mais plus revue ramenait un brin de couleur tout timide dans ce monde en noir et blanc qu'il s'était construit. Alors les nuits, il ne dormait pas, il pensait juste qu'il devrait peut-être bouger, peut-être faire quelque chose, peut-être bien se battre pour ses opinions, offrir un sourire aux gens qui eux aussi se coulaient eux-même dans des présuppositions obscures, tenir la main jusqu'au bout à quelqu'un de mourant, se rendre un peu utile à l'humanité, et c'était bien ce que lui chantaient les oiseaux qui battaient de l'aile au dessus de son unique pupille vive. Il n'était plus temps de se lamenter, de se laisser couler, de tout abandonner. En rien il n'avait le droit de faire ça, parce que tout le monde, au fond, se révoltait, et si personne ne disait rien, tout resterait pareil, en pire peut-être même, parce que tout le monde resterait là, comme lui, assis en tailleur dans son coin, la tête dans les mains, avec un air renfrogné, et une joie de vivre morte et enterrée depuis ce qui semblait être des milliers d'années. Il fallait bouger, sourire, rire, agir, pleurer, s'énerver, se fâcher, s'emporter, tout démolir, crier, hurler, chialer, râler, protester, taper. Tout mais pas rien, parce que rien c'était pire que tout, ce rien qui au final le rendait un peu mort déjà alors qu'il ne l'était pas encore, qu'il ne l'était même pas du tout. C'était trop attendre dans cette longue agonie qui n'en finissait plus de le laisser là, souffrant, c'était trop demander à son pauvre coeur qui déjà s'épuisait, beaucoup trop inactif dans sa jeunesse qui prenait des rides. Aucun enfant ne devrait connaître tous ces malheurs, toutes ses histoires de guerre, mais pour lui c'était depuis longtemps trop tard, même depuis avant sa naissance, alors après tout s'il n'avait plus rien à perdre, pourquoi ne pas se battre pour ce qu'il avait à gagner ? C'était bien là la question, et tandis qu'il fixait la Lune, remuant un doigt dans les tortillons d'une boucle brune trop grasse, il se redressa tout doucement, et puis décida enfin qu'il était temps de se dresser sur le chemin de toute cette ignominie à vomir qu'on étendait sur sa belle forêt, sur leur belle forêt … sur leur vie. Et sous une Lune blonde et pleine, il sourit aux étoiles, un sourire timide, un sourire absent, mais un sourire qu'il n'avait plus brandi depuis longtemps. Face aux démons il ne servirait à rien, mais face à ces tortures qu'il se faisait subir tout seul, c'était l'étendard blanc de la paix, la sirène salvatrice qui annonçait un sauvetage en cours, c'était l'éclaircie après une pluie diluvienne, la minute de calme après le grondement du tonnerre. Et sa main glissa sur sa cicatrice, l'effleurant du bout des doigts, pour aller se saisir du pommeau de son épée. Une prise en main ferme, et pas tellement de la lame que de sa vie, et il plongea dans le lac pour se décrasser, pour ôter même de son esprit toutes ses taches de mauvaise considération. Comme ça, sur un coup de tête, c'était le destin qui changeait de main, c'était le revirement du jeu, et une jolie péripétie.
Alors le lendemain, quand il s'était levé, avec encore de lourdes cernes sous les yeux, mais les cheveux propres, flottant de nouveau sans trop d'embarras, un peu raccourcis, il avait beau être si physiquement épuisé par ces longues journées de supplice qu'il en venait à ne plus désirer que de s'installer dans un bon lit, il sauta sur ses pieds, convaincu que la journée allait être constructive, maintenant que cette idée de bataille pour ses opinions avait fait son chemin dans sa tête. Toute la matinée, sans relâche, il banda son arc, des millions de fois, peut-être même bien des milliards, des trilliards de fois, courant à chaque fois chercher sa flèche fichée en plein milieu de sa cible, et plusieurs centaines de fois, il dut grimper dans un arbre, oubliant parfois de s'assurer une prise ferme, et s'écrasant au sol avec une souplesse seulement à demi retrouvée, cueillir un nouveau fruit pour y ficher les pointes de ses flèches. Doucement il s'accordait peut-être un centième de seconde de pause et recommençait. Autant il s’enfonçait dans ses maladresses, autant il se bornait à faire bien, même plus que bien. Et jamais il n'était satisfait, mais il dut tout de même abandonné, assoiffé, acculé par les grognements de son ventre, qui se faisait de plus en plus sourd à l'abondance des ses protestations. Alors vite il croqua une bouchée de ci, une bouchée de ça, et se releva finalement, pour glisser la main dans cette épée qu'il avait toujours gardée depuis qu'on l'avait entraîné à se battre, alors qu'il y mettait si peu de conviction. Et il répéta des exercices, maniant avec plaisir cette épée tellement souple à son désir, escrimant contre les invisibles démons qui avaient passé le dernier mois à hanter tout aussi bien ses jours et ses nuits. Au coucher du soleil, c'est seulement à contre coeur qu'il s'écroula dans l'herbe, le souffle coupé sous le poids de cette lutte gigantesque, titanesque bras de fer entre sa fatigue et sa volonté. Le premier point fut finalement pour sa volonté, et il l'emporta dans ses rêves. C'était juste le début d'une nouvelle routine plus vivante, au rythme de sa lame qui tapait de toute la violence dont il était capable l'air brassé par ses mouvements, sur le tempo de ses flèches qui s'enfonçaient dans les pommes qu'il cueillait dans les arbres, et au son de la mélodie de son front trempé de sourire. Une nouvelle routine qui se fit quotidienne mais n'eut pas le temps de se faire mensuelle, parce que cette fois-ci, c'était le démon, le vrai, qui était entré en action.

Il se baignait dans le lac, se tractant par d'amples mouvements de bras, respirant de nouveau aisément malgré la morsure de l'effort. Et la forêt s'était embrasée soudain, de ce débarquement, de cette folie, de toute cette panique, cette haine, à peine refoulée les jours d'avant. Et finalement il se trouvait avoir des sentiments légitimes. Alors tandis que les autres déjà se précipitaient au combat, lames acérées mordant la chair, dévorant la vie, magie ardente, brûlant tout sur son passage, au propre comme au figuré, il se hissa sur la berge. Frictionnant ses cheveux bruns qui retombaient sur ses épaules, sans la petite brise qui agitait souvent l'endroit, il prit le temps de se sécher de la tête au pied, et partit en courant. Mais pour une fois il ne fuyait pas, il ne partait pas loin, il abandonnait derrière lui toutes ces idées étranges de retranchement, et courrait tout droit dans la gueule du loup, avec quand même la vague impression qu'il allait se faire dévorer tout cru. Au moins il se serait battu, il aurait fait couler du sang, pour aider ses camarades, parce qu'au final, même avec leurs différents ils étaient là, tous unis dans leur bataille, frères dans le sang, la sueur, et le bruit des lames avec leurs étincelles imaginaires. Au début il se percha dans un arbre, mais ce n'était plus un jeu maintenant. Son trait décochait vite, filait droit et atteignait son but, mais souvent il hésitait, craignant de blesser quelqu'un qui bougerait pour se ficher en plein milieu d'une trajectoire à toute vitesse calculée. Les monstres quand même s'effondraient deux ou trois régulièrement, le métal de ses flèches planté dans les yeux, et il les laissait souffrir sans même songer qu'il détruisait une vie. C'était peu importe, il n'était plus temps de compassion absurde. Finalement il dut se résoudre à sauter de sa branche, et se jeta dans la mêlée, épée brandie. Il se faisait un combattant bien pâle en comparaison de certains, et parfois son mouvement se faisait hésitant, mais il n'en demeurait pas moins redoutable dans toute sa haine qui explosait de partout, le regorgeant d'énergie. C'est finalement le front gorgé de sueur qu'il arracha à grand mal du cou d'un des petits démons, s'aspergeant encore un peu plus de sang. Et une fois de plus il se lança sur un autre monstre. Son sang, et leur sang se mêlaient sur sa peau. Heurté aux articulations, son genou se tordit en arrière, et il clopina un peu à l'écart, juste le temps de voir ça. C'est comme ça que finalement il se retrouva devant un jeune garçon aux cheveux noirs qui doucement se vidait de son énergie vitale. Alors il abandonna sa douleur, et rassembla sa magie, sa vie à lui, pour lui en donner un peu, pour le remonter à bloc, lui qui avait l'air d'avoir tant donné. Il lui sourit, un sourire bouée, un sourire seulement à demi, et il tourna le dos, s'effondra frappé par un démon, se redressa tant bien que mal, et trancha la tête, dégoûté.

06-06-2013 à 14:00:14
2012 ?

Toujours ce faible sourire, et ce cri au fond de son coeur, ce hurlement déchirant, ce beuglement qui faisait frémir ses entrailles sur le diapason de ses erreurs. Obstinément, il gardait les yeux baissés, ses beaux yeux rouges, flaque de sang troublé par toute cette tristesse, tout ce poids qui opprimait ses poumons, bouchait sa trachée, écrasait ses côtes. Tellement concentré dans ses tentatives d'évitement, parfois il en oubliait même de respirer. Et il se redressait péniblement, le souffle court, explosait dans une toux tonitruante, et ne s'arrêtait que la gorge en feu. De toute façon, c'était déjà l'incendie, l'immense feu de forêt généralisé, dans toutes les veines, tous les muscles de son corps, et immobile, il se laissait brûler de l'intérieur, ignorant la sonnette d'alarme qui lui forait les tympans, à grands coups de pioche. Il ignorait tout, simplement parce que dans sa chute, il l'aurait entraînée aussi, et il ne voulait pas, il ne comprenait pas. Il ne comprenait plus rien. C'était comme elle disait une si belle embrouille, doucereuse, confuse, qui lui donnait envie de vomir, de cracher toute cette bile venimeuse qui asséchait sa bouche. Il pouvait se racler sa gorge, ça ne changeait rien, le problème c'était entre eux, dans ce lien un peu trop élastique, un peu trop tendu. Quand diable claquerait-il, quand est-ce qu'ils pourraient se libérer de leur lourde chaîne ? Jamais peut-être, parce qu'au final, cette chose horrible, leur petite tragicomédie à eux, c'était peut-être ce qui serait leur vie, jusqu'à la fin. Alors jusqu'à la fin, il devrait souffrir comme ça ? Pourtant, ça ne le gênait pas tant que ça. Juste un petit goût amer dans sa bouche, au milieu de tout ce sucré là, parce que si ce petit cinéma était leur vie, il serait près de la petite brune même jusqu'au jugement dernier. Alors oui, elle était peut-être folle, tout ce qui était sûr, c'est que lui il l'était. Il se laissait souffrir, et au final ça faisait une petite éclaircie dans son ciel gris, alors que la pluie dégoulinait sur ses joues trempées de larmes, qui refroidissaient comme son coeur se serrait.

Une vermine. Si tu savais, à quel point il s'est corrompu tout seul, seulement jusqu'à quel point il s'est persuadé qu'il valait encore moins que rien pour toi, et à quel point ça le rongeait maintenant. Mais c'est juste sans conviction qu'il hocha la tête, le point refermé sur ses doigts qui flambaient, de leur propre morsure sur sa joue toute douce, et ses ongles qui s'enfonçaient dans sa peau humide, qui le faisaient encore plus frémir de son corps allongé toute entier. Et une goutte tomba de ses cheveux trop clairs, s'écrasa comme il venait de tomber, en bas de cette falaise, d'essayer de mettre fin à leur jeu sans y parvenir. Peut-être bien qu'au final, ils étaient devenus dépendants de cette souffrance terrible, un peu ce qu'on appelait une putain d'ironie tragique. Et sans faire attention, il la fixait, il baladait son regard carmin sur sa peau blanche, il s'en voulait, et pourtant c'était une envie qui le dévorait, qui le laissait là, pauvre enfant démuni. Parce que c'était ce qu'ils étaient, au final, des gosses perdus, abandonnés, paumés eux-même dans leurs bêtises, et leurs erreurs. Ils auraient pu rendre les armes, brandir le drapeau blanc, mais ils auraient peut-être juste dû ne jamais croiser leur regard. Et peu importait sa propre douleur, ce qui l'attristait quand il renifla, gosse redevenu, c'était celle qu'elle pouvait éprouver. Même si tout s'arrangeait, jamais il ne se pardonnerait. Jamais ils ne se pardonneraient eux-mêmes leurs fautes passées. Même si tout s'arrangeait, et il en venait à penser que rien ne s'arrangerait jamais, et ça lui donnait la nausée, la tête qui tourne, alors que dans leur silence oppressant, il écoutait chaque goutte tomber de son menton vers la flaque à ses pieds, et chaque souffle de la fillette en face de lui. Il aurait pu sourire à demi, mais il avait aussi trop envie de pleurer. Des larmes qui se mettaient à brûler, un poids qui empêchait sa poitrine de se soulever à peine, sous sa veste humide, sous son sweat distendu par les gouttelettes. Il serait malade comme un chien, demain, mais s'il pouvait guérir cette gangrène, cette douleur entre eux, alors il serait le plus heureux du monde, parce qu'enfin ils auraient tous les deux arrêter de souffrir. Mais même si tout redevenait normal, comment pourraient-ils oublier ces jeux destructeurs ? Ils étaient trop vieux pour se régler leurs problèmes avec des bonbons, et trop jeunes pour jouer avec leur propre agonie. Alors que faire ? Arrêter, tout abandonner. C'était trop dur ; il aurait fallu s'abandonner aussi.

Un beau tableau. Non. Ils étaient moches, dans leur jeu d'autodestruction, laids, gangrenés. Lui surtout, trop grand, trop dégingandé, trop triste, trop maigre, trop mouillé, trop rêveur. Il était presque trop vivant. Juste trop. Parce que le monde n'avait plus rien du truc en chamallow auquel il croyait petit. Dans sa tête tout était trop flou ; il ne pouvait plus rien, il ne savait plus rien. La science des chiffres ne pouvait plus être un recours. C'était ça aussi un gouffre, maintenant que le monde entier était une immense falaise qui descendait à quatre-vingt-dix degrés, à pic, comme le pic de son coeur qui défaillait. Et tout se brouillait, c'était la brume dans son petit monde étriqué de son cerveau. La vie n'avait rien d'un tableau de maître. C'était un horrible gribouillis d'enfant au crayon gris, un Picasso complètement planté, un graffiti amateur en orange pétaradant et vert pomme. C'était une putain de mocheté, une statuette en gravier pourri, un arbre décharné de traviole. Un putain de truc. Emballé c'est pesé, voilà c'était son monde.

— Lucan.

Son prénom ; un truc anodin, une suite de lettres, un matricule attribué à la naissance, une façon de le connaître. Mais dans sa bouche, ça sonnait une arme, une douce arme pourtant, comme une lame parée de plumes, toutes douces sur sa joue, dures et agréables sur ses tympans. Il aurait aimé qu'elle le prononce encore, il aurait pu l'écouter le dire toute la journée. Une unité, des dizaines, des centaines, des milliers, des millions, des milliards, une infinité de fois, juste toute la sainte journée, lui planté là sous la pluie, ruisselant tout pitoyable, et elle murmurant, criant, hurlant, beuglant, aboyant, clamant, glapissant, chuchotant, susurrant son nom. Et ça dominait tout, le bruit de sa lavette de coeur qui battait un rythme de folie entre ses poumons resserrés, le bruit de ses pensées qui se heurtaient les unes aux autres dans leur fracas terriblement moisi, la mélodie pourrie de son piano qui l'entêtait diablement, la pluie qui faisait son putain de petit clapotement. Son prénom, un bref instant, et c'était juste son coeur qui défaillait, parce qu'elle avait cette voix qui disait tellement de choses dans ce seul mot, et il avait cette idée qu'il y avait une importance quand elle plantait une seconde d'attente après ce simple petit mot là. Alors tout doucement, à l'intérieur, il s'était mis à briller. Alors elle était son nuage de pluie sur une journée trop chaude, son rayon de soleil dans le froid de l'hiver, son morceau de sucre dans une journée de famine, son verre d'eau après une course folle. Elle était toute sa vie. Il se damnait tant, parce que finalement son corps se faisait un peu pseudo romantique. Au fond croyait-il encore à toutes ces salades ? Ça devait juste être ça, une histoire inventée pour faire rêver les gosses, un autre truc dont on se dégoûtait en grandissant ; après certains se demandaient, pourquoi un adolescent se rebellait contre ses parents. C'était simple, c'était ça, la désillusion pour l'apprentissage, la souffrance pour grandir. Et s'il avait voulu rester petit, lui ? Il ne savait plus, il se contentait de pleurer, et d'écouter.

Quels chiffres ? Des chiffres. Pourquoi y revenir, dis voir ? Il avait oublié, il avait étouffé le cri du mathématicien dans sa poitrine, juste pour la voir, parce qu'elle était mieux. Parce que les chiffres, ça restait quelque chose d'abstrait. Alors qu'elle était là, elle vivante, de chair. Il ne pouvait pas la toucher pourtant, pas écraser les gouttes d'eau qui coulaient le long de ses joues, pas la serrer dans ses bras, tout fort contre son coeur, pas écouter le battement dans sa poitrine à elle, pas caresser doucement ses cheveux, même pas planter un regard trop tendre dans ses prunelles trop vertes, qui contrastaient trop avec le rouge trop sang de ses yeux à lui. Tout était trop. Alors que lui, il n'était plus rien, plus rien du tout, pas même un minuscule grain de poussière dans l'univers. Il était pire qu'une coquille vide, il était juste un tout petit peu du néant, et c'était de cette spirale infernale qu'il voulait à tout prix sortir, et c'était dans cette spirale là qu'ils s'enfonçaient tous les deux, loin l'un de l'autre, se tournant le dos. Il ne voulait pas, il aurait aimé, que d'un hochement de tête, tout soit fini, que ce soit la ligne d'arrivée. Et c'était tellement confus qu'il ne comprenait même plus l'ordre de ses pensées. Il n'avait jamais vu autant de chiffres, et la seconde d'après, il n'y en avait plus aucun. C'était la régression, le monde reculait, d'horreur devant leurs enfantillages. Alors il fallait arrêter. Et il tourna le dos. Elle osa l'approuver encore, et ce ne fut qu'un coup de plus dans son poitrine, un coup plus vicieux encore qu'à l'arme blanche, pire qu'une balle silencieuse qui vous explose dans les chairs et vous laisse mourir lentement, lus mortel que la morsure d'un serpent invisible. C'était juste le claquement des mots, et c'était tellement. Et elle n'était pas sa reine. Pourtant, elle l'était, plus que tout au monde, et elle le serait même si elle refusait qu'il l'élève à ce rang, parce qu'il était un petit enfant borné, et que c'était comme ça qu'il ressentait la chose. Elle était tellement belle, comme ça, là sous la pluie, alors qu'elle l'autorisait à lui tourner le dos. Et lui il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas la laisser là, l'abandonner. Maintenant qu'il avait jeté ses cartes sur la grande table de leur jeu géant, il ne pouvait plus partir. C'était une possibilité qu'il avait piétiné en reniant tout son jeu, en se taisant alors qu'il aurait du répondre à ses remarques acides par un jeu de mots plus bas que terre. Et il réceptionna de nouveau sa veste, trempée des deux côtés, avec une petite moue déçue. Elle allait être malade à cause de lui, et voilà vraiment une raison pour laquelle il avait une incroyable envie de partir en courant, de se réfugier quelque part, de se pelotonner dans un coin, et de pleurer. Alors de la main libre de l'emprise de cette veste qui ne servait plus à rien, il se mit à jouer un morceau de piano composé par un français, dans le vide, par dessus la mélodie désaccordée de la pluie qui grelottait, xylophone à la hauteur de la nature qui déchaînait ses foudres. Après c'était la question, l'attente, alors qu'il pleurait encore sans s'en rendre compte.

— Oui. Oui.

Peu importait le début de non, ça faisait mal, c'est un pieu de plus en travers de son coeur, coeur mort et enterré qui suffoque, tout doucement, tout timidement. Ça faisait mal, et pourtant tous les deux ils gardaient la tête haute, les lèvres closes. Pauvres enfants inconscients qui se font du mal en voulant s'en préserver. La vie, c'était plus que ça, hein, c'était un apprentissage, il fallait grandir de ses erreurs, et pas s'y enfoncer encore plus comme ils le faisaient. Alors le temps se mit à s'écouler trop vite alors qu'il mesurait sa respiration qui s'affolait, s'élançait, furieuse, pour suivre le rythme de ses pensées, pour courir aussi vite que son mal. Ils auraient pu vivre vieux, mais ils étaient trop bêtes pour le voir. Ils s'aimaient tous les deux, et c'étaient les seuls à ne pas le savoir. Encore une petite ironie tragique aux vieilles pièces du classicisme, des personnages prisonniers de leur destin, grandeur nature, sauf que ça ne c'était pas encore fini par la mort. Alors ses larmes se séchèrent, et une petite flaque commençait à se former dans sa main tendue, et dédaignée. Un poignard de plus dans son coeur, et bientôt il serait au seuil de ce pauvre empereur romain, tué même par son fils parmi les vingt-deux autres, visages anonymes, annonceurs de mort. Oh, si ça avait pu être fini. Et il n'écoutait pas, il n'écoutait qu'à moitié, et pourtant il écoutait tellement, il gravait les mots dans sa tête, parce que même s'ils finissaient par décider de plus se parler, ça resterait important. Et puis elle se sauva. Il tourna le dos, hésita. Il ne pouvait pas, définitivement pas. De son mouvement ample, douloureux pour ses muscles crispés, il jeta la veste vaguement sur ses épaules. Il la suivit, il se planta devant elle, et puis posa sa veste en terre, à défaut de se courber tout doucement.

— Tu sais. Bien sûr que tu es ma reine. Tu le resteras. Et tu n'as pas vraiment le choix, je suis désolé, mais je peux même pas te le donner. Et tu sais, je vais parler peut-être un peu trop, hein. Mais en tous cas. Je. Je veux pas de cette veste. Je m'en fous que tu t'en foutes, si tu ne la mets pas, je ne vois pas pourquoi je la mettrais, moi. Donc voilà. Comme ça on sera malades tous les deux. De toute façon, on est malades, pas vrai ? Malades de la vie. On est quoi. Juste rien, juste des pions dans l'infini. Mais puisqu'on est là, pourquoi pas en profiter jusqu'à la fin. On est rien et puis tellement. Et on se rend malade alors qu'on pourrait sourire ?

Les mots étaient devenus fleuves, et il ne pouvait rien retenir, il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas abandonner, il ne pouvait pas se taire. Il ne pouvait rien, sauf la supplier. Alors, il sourit. Tout doucement, pas convaincu, il s'inclina, il se baissa, il posa un genou en terre, comme ça, très solennel. Il la regarda, il ne retint plus, il planta le beau regard de ses pupilles dans les prunelles tristes de la fille. Et il pleurait, une fois de plus, de nouveau, il mêlait le sel de ses larmes à la pluie amère. Il ne pensait plus, il parlait.

— Tu vois. Je me mets à genoux devant ma reine. Je fais un bien piètre chevalier, pas vrai ? Et tu sais, quand je te regarde, je vois ces chiffres. Les mêmes que tout le monde, mais ça n'a vraiment pas d'importance, parce que tu es plus que tout le monde. Comme ça, tu vois. Je sais pas comment dire. Je veux te voir toi, je veux pas voir cette armée de putains de chiffres, je veux même pas. Ça fait un peu comme cette chanson là. Tu sais, une française. C'est la panique mécanique de mon coeur. En moins paniqué et en plus. ... En plus nous.

Et il fit une pause, juste l'instant de reposer sa voix éraillée, sa voix qui faisait ces hauts et ces bas alors qu'il avait tant de choses à dire, tant de messages à faire passer, tant de sujets à éplucher. Et puis il se releva, se bloqua devant elle, en silence. La pause des mots, au final, c'était tellement aussi important que les mots.

— Quand je t'ai tendu la main, tu sais. Je voulais vraiment. Je pense que. Oui. Non. Si. Je. je voulais vraiment que tu la prennes, sinon je l'aurais pas fait.

Sa voix s'éteignit dans un murmure, et puis se redressa.

— Si on était comme ces gens dans les films. Peut-être que je serais parti, et toi aussi. Et on aurait pu se lamenter, là, chialer, se remplir le ventre de cochonneries. Boire même. J'aurai pu ne pas dormir. Tu vois, style, juste jouer de la musique, m'y perdre. Mais on est là. Alors, tant qu'on est là. Qu'est-ce que tu veux, toi ? Qu'on fasse comme ça, qu'on continue ? Alors que. Je sais pas si on peut continuer, parce que c'est vraiment comme ça qu'on ira droit dans le mur. Tu vois ? Moi, je.

Lui, il. Il restait bloqué, obnubilé par des trucs trop contradictoires. Alors en dépit de tout, il posa un doigt sur les lèvres trempées de cette fille-là. Pouce, s'ils arrêtaient le jeu, pour une fois ? C'était un peu le temps de prendre un peu de recul, sérieux.

— Si tu veux, si on peut. Je ferai tout ce que je peux pour qu'on contourne ce mur. Pour qu'on avance. Tu ne crois pas, qu'il est un peu temps ?

Il caressait ses lèvres mouillées, et finalement il se perdait dans leur courbe trop tendre. S'en était fini, il était trop tard.

— ... S'il te plaît.

Et il mourrait d'envie juste une seconde, d'embrasser ses lèvres.

— S'il te plaît. Au lieu d'être toi et moi, soyons nous. S'il te plaît ?

06-06-2013 à 14:00:59
2012 ?

Les échos doucereux du papier qu'on froisse résonnaient encore à ses oreilles, comme bloqués là, sur ses tympans, amer métronome. Parfois, les battements de son coeur en imitaient les accents et allaient se briser à ses lèvres closes. Ses yeux tournés vers le sol capturèrent l'image vivace de la boule de papier qui roulait à ses pieds. Un rapide coup d'oeil imposa une déduction : trop froissé. Jamais cette feuille ne retrouvait son grain lissé originel. Alors, toujours silencieux, il s'agenouilla et ramassa la petite sphère blanche. Son regard se perdit un instant dans les méandres irrégulières des pliages. Avec un fin sourire, il constata que le papier constituait une métaphore trop efficace rappelant ses sentiments. Il s'affala sur le sol, jambes croisées. Et machinalement, sa main se referma encore une fois sur le papier. Captivé par le spectacle de ses doigts triturant cette dernière, il laissa son sourire disparaître dans un habituel masque de sérieux qu'épousaient trop souvent ses traits. Il fallait bien se rendre à l'évidence : il les haïssait, tous ces mots, ceux qui avaient échappé à son contrôle, déréglé ses règles, ceux qu'il apposait sur ses feuilles, dansant avec les chiffres ; et puis ceux, surtout, qui jamais ne passaient la barrière de ses lèvres. Ils étaient là, coincés dans ses pensées, et ils chantaient une si douce litanie qu'elle en devenait obnubilante. Son poing se referma avec rage. Il avait essayé, pourtant, de les oublier. Rien à faire ; il se retrouvait là, frustré et impuissant. Doucement, il étendit les bras, ouvrit ses mains ; la boule de papier glissa sur le sol ; ses bras se rabattirent contre lui. Et pour une fois, il laissa les commandes à son coeur, battant tambour avec l'excitation jubilatoire d'un bambin. Il n'avait qu'à s'abîmer dans ses souvenirs encore trop frais.

Ses sens en fourmillaient. Et il y avait tout ça, abandonné dans sa mémoire comme dans un bric-à-brac. La pluie qui ruisselait sur son visage, clapotait sur le sol. La brûlure de ses mots qui s'écrasaient sur ses tympans. Et puis il y avait encore, en vrac, le goût du sang qui s'insinuait dans sa gorge, la morsure du froid, la toux qui l'agitait, et puis tout ça, tout ça. Il aurait pu jeter toutes ces choses qui glissaient encore sur ses pores ; la boue grouillante sous son genou en terre, et puis les jeux de mots, la peur qui l'embrasait, les mots qui venaient trop tôt. Pas même la douleur insupportable de ses larmes qui coulaient, amères, ne comptait. Le souvenir était surtout trop vivace de son coeur qui se froissait, comme ça, de ses doigts qui caressaient tendrement ses joues, et puis ses lèvres, d'une étreinte, d'un baiser, enfin. Les yeux encore fermés, papillonnant un peu, il laissa cette torpeur calme le plonger un peu plus dans les méandres de son coeur. L'évidence était là : il n'avait que faire de cette douleur acide, parce qu'un instant, il l'avait tenue dans ses bras. Rien qu'un moment, ils avaient arrêté leurs jeux d'enfants brisés.

Parce qu'un instant, il avait eu Amalia.

Parce qu'Amalia, c'était tout ça, c'était son coeur qui s'embrouillait un peu. Amalia, c'était l'absence de certitude, surtout ; elle faisait comme une bombe dans son monde. Un instant, il n'y eut plus rien qu'elle. Et il sentait son coeur qui s'emballait, qui battait un peu trop fort, comme ça, et puis le sang qui montait à ses joues les rosissant un peu. Alors, il sourit. C'était un sourire dressé là un peu comme une barrière, mais qui ne le protégeait de rien. Il n'y avait rien à sauver, plus que son coeur en miettes. Et puis dans les flammes de ses songes, il y avait ces quelques mots qu'il ne pouvait pas prononcer, ces mots un peu cassés, secrets de son bonheur.

— Qu'est-ce que tu fous ?

Il rouvrit les yeux.

— Je bouge.

Et il s'assit au piano avec le coeur en vrac. Ses doigts caressèrent les touches avec une tendresse particulière. Gardant cette douceur caressante dans ses gestes, il sortit de sa poche des feuilles imprimées de portées, annotées de sa main, et les posa dépliées, bien en vue, bien qu'elles se jouaient d'elles-mêmes dans sa tête. Il avait gardé un sourire dans lequel étaient bloqués un peu de tendresse et beaucoup de bonheur. Machinalement, il remonta les manches de sa chemise sur ses coudes. Et puis c'est comme ça qu'il se tourna vers son invitée. Et Lucan laissa encore son sourire s'agrandir un peu, et repoussa une mèche de cheveux qui balayait ses yeux brillants.

— Viens t'asseoir, viens.

La voix de son père lui revint un instant à l'esprit, avec ses faux accents rauques.

— Oh, pardon, quel mauvais gentleman je fais.

Doucement, il se leva, repoussant le banc de pianiste en silence. Et puis il la rejoint, lui fit une révérence, comme celles que son père lui avait longtemps fait répéter dans son enfance, et prit sa main. Son coeur s'accéléra à ce contact, mais il s'efforça de ne pas rougir. Il lui fit simplement faire les quelques pas qui les séparaient du grand piano et la laissa s'asseoir avant lui.

— Tiens, je vais jouer pour toi.

Un instant, sa main se posa sur celle d'Amalia, doucement. Il glissa un doigt sur ses lèvres. Son coeur battait la chamade, un peu comme un métronome affolé, alors qu'il laissait son regard plonger dans ses prunelles émeraudes. Il se sentit rougir doucement, et marmonna alors un peu :

— Ferme les yeux et laisse toi juste emporter par la musique, d'accord ?

Parce qu'un instant, il avait eu Amalia.

Tu sais, Amalia, je veux juste que tu sois heureuse.

06-06-2013 à 14:03:06
une date antérieure

Farandole de mots au bord des lèvres. Si beau poème que la mélodie de la vie, qui s’enchâsse et s'enchaîne, se mêle et se démène. Et pourtant, trois seulement qui désormais, la taraudaient. Trois mots pour un joli trio, libéré d'entre les barrières, glissant sur la mer déchaînée de sa raison. Lâchés dans la nature par le baiser, juste un instant fugace qui se mue en certitude, se fond en habitude. Elle souriait, brûlante d'envie, de chaleur partagée. Brillante de certitude et de détermination. Toute l'électricité mouvante dans ce contact si bref que réclamaient à nouveau ses lèvres avides, appuyés par la prière d'un regard dévorant, juste la brûlure mordante avait suffi à confondre tous ses doutes et son appréhension. Il n'y avait plus dans ce coin-là que cendres parties en fumée sur le vent à bride abattue. Pour cela il n'y avait aucune métaphore. Juste le jeune homme, qui d'un regard avide, la cueillait toute entière. Et la lueur dans ses prunelles débordant d'amour, qu'elle lui offrait en retour. Elle le voulait tout entier cet amour, le cueillait à mains creuses, le balançait dans l'air, s'en faisait une piscine. Elle aurait pu s'y noyer, s'y perdre et puis s'y abandonner, ne plus jamais en revenir. Mais il y avait le monde qui la rappelait à sa surface. Oh pauvre planète, encore besoin d'elle, elle qui se donne ce soir, donne son esprit en tous cas, ses doigts caressants, ses lèvres embrasées, son regard vague, son bonheur coloré et ses mots compliments. Tant d'armes pour une séance de pacifisme. Oh elle l'a tout entier, son compagnon, qui frissonne extatique, et la serre plus fort contre lui. Ne pas la laisser partir, fuir à toutes jambes un danger qui lui brûlerait les ailes. Mais elle veut rester là, l'enfant joyeuse, rester dans ses bras. Et c'est tendre, et c'est sévère, possessif. C'est tremblant aussi, c'est son regard qui se baisse ne sachant pas quoi faire. L'évidence qui se grave, crie, hurle son nom dans les tréfonds tapis loin de son coeur. Réclame, douce enfant, tu auras peut-être ce que tu veux, ce que tu aimes. Postée là contre son torse, admirant ses pieds, il finit par la tirer à lui. Leur amour c'était cela, juste quelques gestes, quelques mots et le silence, celui qui crame, celui qui crève, celui qui pompe et qui aime. Alors ivre lui aussi, il calme ses ardeurs en attisant le feu. Une caresse sur sa joue, qui laisse une traînée d'arc-en-ciel, descend dans son cou, effleure son épaule, remonte sur ses lèvres, s'attarde au contour. Elle frémit, bienheureuse, le coeur tremblant encore des vestiges de ses envies. Alors la caresse, tendre, redessine sa mâchoire, passe ses pommettes et encercle ses yeux, et puis file dans ses cheveux. Une mèche de ses cheveux enroulée autour de son doigt, perdu dans sa crinière rousse, terminée la caresse amoureuse vibrante de bonheur.

Et tout ce que ça a fait, c'est raviver l'envie. Alors, elle, elle leva les yeux sur lui, implorant un peu plus. Qu'il s'offre tout entier, plus encore qu'elle ne l'avait fait, frissonnante d'hésitation. C'était ce cri là dans ses yeux, qui eut tôt fait de s'éteindre quand tout doux il se pencha sur elle. Sans demander son reste, son coeur agité, voulut s'enfuir d'un élan, fit un bond une ruade, elle le cueillit au vol, le renfonça dans sa poitrine qui se soulevait rapidement. C'était lent, comme l'attente ultime, traînante et balayante. Nonobstant le savoura-t-elle, ce délicieux souffle chaud sur ses lèvres, et leurs regards mêlés, dansant la javanaise sur un air de polka, qu'elle aurait bien mangé tout cru, pour en faire un souvenir sur tous les sens sur tous les plans. Il y avait bien ce grillon crapotant qui sonnait le glas de l'ouïe, et tout le reste c'était là, c'était lui, c'était elle aussi, c'était eux tout unis. Et puis c'était fini, un point sur l’hémistiche, un dernier pas de danse. Un baiser juste intense. C'est tous les mots du monde, qui se fondent en un seul. Tout le lexique mélioratif, magnifique merveilleux, sublime fantabuleux. Tendre, chaleureux. Indescriptible comme un écrivain se serait acharné à vouloir transcrire, comme il faut vivre seulement, comme on ne voudrait jamais en voir la fin. Elle arriva pourtant, avec ses cliques ses claques et ses valises, ses rires sardoniques. Leur fin à eux c'était plutôt lui à elle et elle à lui, fondu dans ses bras, son étreinte qui se serra un peu plus. Et son visage fin, qui s'en va dans son cou, disparaît rien qu'à vous. Elle aurait voulu s'y perdre, s'y retrouver. Elle s'y contenta d'exister, de briller. Briller encore plus fort, quand il lui susurra trois mots, l'ultime des étaux à l'oreille, la plus sacrée des offrandes. Juste trois mots comme ça, dans la ronde feu de joie, crépitant gentiment. Elle sourit alors. Pas juste à sourire, plutôt le plus beau qu'elle puisse lui offrir, un qui barre le visage, s'impose sauvage. Un sourire surtout dans des yeux qui s'incline laissant passer la beauté de la vie. Ses paupières papillonnent. Elle savoure l'instant, ne laisse rien ne se passer, rien ne se dire. Juste le silence alors qu'elle fait tourner les mots sur son palet délicat, qu'ils s'inscrivent de partout, se détachent en capitales dorées. Et puis elle lui offre une autre fin, une deuxième à répéter tous les jours. Elle leva la tête, effleura au passage ses lèvres encore penchées sur elle, et puis elle se jucha sur la pointe de ses pieds, comme déjà elle en prenait l'habitude pour se mettre à sa taille. Saoule de bonheur elle lui souffle dans l'oreille, jeu d'enfant jamais grand. Et puis finalement, elle abandonne le tout, lâche, lâche, s'élance dans le vide. Elle hésite une seconde, bute sur la première lettre, pirouette la danse syllabique. Et puis toute amoureuse, généreuse de tendresse dégoulinante, elle lui retourne sa promesse, en trois mots sept lettres et une apostrophe. Apostrophé l'amour, viens leur aide les, ils comprendront un jour, ils ont compris déjà. Et les yeux qui papillonnent, par la fatigue crevante et l'émotion qui lui retombent dessus, enclume de ses jours, du désert où ils marchent, elle l'embrasse de nouveau, le dévore tout entier, fond son âme dans la sienne. Elle n'est plus qu'une flamme, une passion qui avale et qui grignote, douchée par l'épuisement, sans qu'elle s'en rende compte. Elle étouffe un bâillement, inconsciente comme ça, et puis tout près de ses lèvres, elle le dit une deuxième fois, et puis une troisième, et une énième.

« Je t'aime. Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime. Je … »

C'est fou comme trois mots, ça devient une litanie qui résume la vie.

06-06-2013 à 14:05:45
2011 ?

Si j'étais un écrivain, j'écrirais. Certes. Sauf que de toute façon, je ne suis pas un écrivain. Je suis juste moi-même. Moi, et rien d'autre, en fait. Il y a des gens qui arrivent très bien à se décrire, et des gens pas du tout. En fait, je dois être entre les deux. J'ai toujours pensé qu'on ne pouvait pas classer les choses en deux cases ; en trois peut-être bien, en deux jamais. C'est beaucoup trop réducteur, et au final il faut laisser un peu de marge aux choses pour qu'elles puissent s'épanouir. Quelque chose du style. Limite, je serai presque un poète, en fait. Je suis moi, de toute façon. Presque un poète, pas un écrivain ; pour certains, un mec bien. Je suis Nikola Jovanovic, dix-huit ans, né un premier avril, de nationalité serbe, cheveux roux, taille moyenne, poids moyen. En fait ça, c'est juste mon identité officielle. C'est les trucs que tu déclares, les trucs que tout le monde sait sur toi, parce qu'il en faut bien, et puis la plupart, ils sont écrits sur ton passeport. Pourtant, ce qui te définit le mieux, c'est les trucs officieux. Même si c'est les choses qu'on voit pas, les choses sans lesquelles les gens se permettent de te juger quand même. Parce que les gens aiment juger. Je me compte dedans, au fait. Je vais pas vous faire le misanthrope qui échappe aux règles qu'il dresse pour le monde, ce serait un peu mégalomane. Et puis, de toute façon, même les mots que les psychologues te collent dessus, c'est réducteur. Je connais des gens qui se définissent par le sourire, par l'éclat de rire, par la façon dont ils réagissent quand on leur renverse un verre d'eau dessus par hasard, par le fait qu'ils ne se définissent pas, même. Je pense que je ne serais pas assez prétentieux pour nier cette belle maxime qui dit que sans notre passé on ne serait pas ce qu'on est dans le présent. Parce qu'au fond c'est un peu vrai, tout comme le présent nous définit, et le futur pareil. De toute façon, c'est une question de goûts et de couleurs, et ça c'est un des trucs vraiment indiscutables dans la vie, parce que les gens, même au fond, tout au fond du fond, tiennent à leurs opinions.

N'empêche que si j'étais un écrivain, j'écrirais beaucoup. Parce qu'on peut pas avoir une chance de faire la morale aux gens comme ça, et la rater. Parce qu'écrire, c'est donner un peu de soi. Même si je lis pas beaucoup, tous les romanciers, tous les poètes, les dramaturges, les essayistes, tous ceux-là, ils ont mon respect. Moi, si j'étais un écrivain, je serais un poète surréaliste. Je poserais à côté deux mots qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre, et je les articulerai pour que ça fasse un truc beau, qui trouve sa résonance dans l'esprit de mes lecteurs. Je dirais que l'inconscient peut-être créateur, même le meilleur créateur. Je ferai des vers libres, bien sûr, et puis je ferais passer mon message comme ça. Dommage que je sois un piètre poète. Je suis un piètre tout, en fait. Mais, bon, peut-être que c'est mieux d'être un mec banal. L'invisibilité, la transparence, ça a ses bons côtés parfois. Comme ça, je suis pas obligé d'écouter des gens avec un débit de parole par seconde sûrement impressionnant. Je sais pas, je suis aussi un piètre mathématicien. Mais c'est pas grave, j'ai toujours fait avec. C'est pas maintenant que je suis majeur et soit-disant responsable que je vais arrêter, que je vais dire que non, ça va plus, je veux être intelligent, je veux réussir ma vie, je veux aller en cours, je veux arriver à aimer le monde, je sais pas, non. Pourquoi je changerai, ça serait vraiment bizarre de toute façon. Sérieux. N'empêche que, si j'étais poète, ça pourrait être drôle. Un poète surréaliste serbe. Ouais, ça sonne bien, l'air de rien.

Enfin, c'est pas grave. J'en veux pas à mes parents. Le seul truc pour lequel je leur en veux, c'est d'être assez crétins pour croire au coup de foudre. Mais, enfin, essayez de garder rancune aux personnes qui vous ont mis au monde pendant longtemps. C'est pas grave s'ils m'ont fait comme ça. Mon frère il avait tout, lui, on peut pas voir deux gosses qui réussissent. Y a quand même des jours comme là, je me dis que j'ai bien fait d'atterrir chez les spéciaux. On est tous différents, ça fait complémentaire, c'est plutôt bien. Au fond, on va pas se mentir, je les aime bien. C'est pour ça que je veux bien jouer avec ce mec qui se prend pour un super héros, c'est pour ça que je laisse ce grand mec fan de romans français me faire la morale, c'est pour ça que je tolère le petit gosse un peu enrobé qui me pique mes paquets de clopes. C'est pour ça que je leur ouvre des portails, même si j'arrive pas à les refermer. Après on dirait que je suis un brave gars, comme ça. Je sais pas. Je suis moi, je vous ai dit. Je suis complexe. Comme eux. Pas forcément un compliment, ni une insulte. J'hésite. Je pourrais m'en sortir avec un enchaînement de mots qui ne se marient pas ensemble, mais divorcent plutôt, en principe, je pense. Bon. Je sais même plus pourquoi je pense à tout ça. Je pense un peu trop parfois, après j'oublie à quoi je réfléchissais au départ. Dur, dur. C'est la vie, comme dirait l'autre !

Ah, si, je sais. Je pensais à cette fille blonde. Elle aussi, elle est chez les spéciaux. Elle aussi, je l'aime bien. Elle me met de bonne humeur, même. C'est drôle, hein. Enfin, de bonne humeur, tout est relatif. Mais, je l'aime bien. Sérieux. Comment dire, hein c'est chaud parfois, les mots qui te viennent ont rien à voir. N'empêche. On est presque pareils. Enfin, sauf que je suis un mec. Qu'elle est blonde, et moi roux. Et elle danoise, et moi, serbe. Et elle fait le temps relatif, et moi j'ouvre des portails. Et elle a deux ans de plus que moi. Et elle se drogue. Mais ça, c'est que son identité officielle, nos identités officielles. Alors, sans vouloir paraître vulgaire, bah. On s'en fout. Enfin, moi, je m'en fous. Vous, c'est votre problème, si vous voulez pas voir plus loin que le bout de votre nez. Si vous voulez rester une personne stupide formatée par une société pourrie, bah. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ; restez-le. C'est pas ça qui changera ma vie, de toute façon, hein. Bref. Avec elle, il faut voir plus loin, que son nez, à travers l'habit du moine, pas vendre la peau de l'ours avant la charrue qui tue les boeufs. Enfin, je sais pas, je comprends rien à ces proverbes idiots, là. Ça sert à rien les proverbes de toute façon. Bon, peut-être que je devrais les inviter au club des trucs qui ne servent à rien. On ferait une ronde en forme de banane. Ça serait original, au moins. On s'amuserait bien.

Charlotte et moi, on est des poètes surréalistes. Parfaitement. Si vous ne voulez pas me croire, encore une fois, c'est votre problème. Moi, je me crois, c'est déjà ça l'essentiel. En fait. Même si c'est un peu bizarre. Enfin, bref. Nous, on est poètes avec la vie. Je sais pas pourquoi, mais j'avais envie de le dire. J'ai lu, y a pas longtemps, que l'amitié se finissait souvent en amour ; mais l'amour jamais en amitié. Dans ce cas, considérez ça comme vous voulez, l'exception qui confirme la règle ou le truc qui détruit le théorème, bah nous, c'était encore mieux après, quand on est redevenus amis. Peut-être parce qu'on est trop pareils pour se détester, je sais pas. Je suis pas psychologue, moi. Pourquoi je vous parle de ça, d'abord. On s'en fout, un peu. Ma vie sentimentale m'intéresse à peine, alors que je suis le principal concerné. Alors pourquoi ça vous monopoliserait le cerveau, hein. Franchement. Question rhétorique sans réponse. Enfin. On fait une drôle de paire. Elle paumée dans le temps, et moi, paumé dans l'espace. Nous paumés dans la vie. Ça aurait été trop simple qu'on soit comme les autres, en fait. Sinon, j'ai entendu, une fois, que quand on est originaux, c'est une chance, il ne faut pas cesser de l'être. A la fin, vous vous direz sûrement que j'entends beaucoup de choses. Toujours est-il que c'est vrai. Je me demande si on peut me l'appliquer. Ce serait peut-être un peu restrictif.

C'est drôle, mais pour aller la chercher comme on avait dit, et bah je me suis perdu plusieurs fois. J'ai marché dans les couloirs, parce que je peux pas me déplacer par la force d'un esprit sain. Donc, non. Au pire, du pire, je préfère me perdre tout seul. C'est drôle comme après quatre ans il y a encore des recoins que je ne connais pas un peu partout. C'est drôle aussi comme les gens me regardaient marcher. J'aurai pu dire que je marchais d'un air assuré, bien sûr, mais en fait non. Je ne suis pas un de ces gros durs qui arrive à transpirer la confiance en soi et la mégalomanie jusque dans sa démarche. Désolé. Je dois m'excuser souvent, en fait. Enfin, toujours est-il que je marchais comme ça, et puis je me rappelle plus où est-ce que je l'ai retrouvé, Juno. Enfin, c'est pas grave. Après, on est allés dans les serres. La plupart du temps, les gens évitent. J'ai rien contre les fleurs, mais je dois admettre que parfois ça fait un peu flipper, comme les plantes vous regardent. Mais bon, c'était pas grave, juste pour là, tout de suite.

J'avais mon uniforme, comme ça, avec la chemise, le pantalon gris, la cravate bleue rayée, tout ça. C'était presque beau, mais en fait non. Enfin sur une épaule, j'avais mon sac aussi, en travers. Je sais pas pourquoi j'ai un sac si je vais pas souvent en cours, mais bon faut bien des petits mystères dans la vie, sinon tout serait trop défini, comme ça. En soirée, c'est drôle, les serres. Ça prend des couleurs bizarres, ça fait des visages qui foutent encore plus la frousse aux plantes, c'est bientôt la nuit, le noir où tu peux te faire bouffer sans même t'y attendre. Mais c'est pas grave. Alors j'ai regardé la fille avec moi. Elle est belle, elle, même avec ses yeux défoncés. C'est drôle, et puis c'est tellement triste. Je me demande si elle le sait. Elle s'en fiche un peu, sûrement, non. Alors j'ai posé mon sac sur le sol, et puis je l'ai regardée. Parfois, je fais des trucs idiots. J'aimerais bien dire que ça arrive à tout le monde. Peut-être parce que ça arrive à tout le monde. Alors là, j'ai levé la main, et je l'ai agitée pour faire salut. Même si ça faisait une demie heure qu'on se trimbalait ensemble. Ouais. Même que c'était drôle, alors j'ai rigolé, et en même temps j'ai hoqueté quelque chose genre. Un peu comme.

— Dobro- dobrevece ... mademoiselle.

C'était mon premier vers libre de la soirée, faut croire. Bon-bonsoir ... mademoiselle. Peter m'a fait une fiche avec les mots de la survie, mais je rigolais alors c'était pas le moment de la sortir. Alors je m'en fous, de toute façon, je suis fier d'être serbe, c'est cool comme nationalité. C'est un peu original au moins. Puis je sais plus ce que j'ai fait. Ah, si. J'ai souri, j'ai posé mon sac à dos par terre. J'ai fait mine de lui faire un baise-main. Charlotte, t'es ma princesse juste pour ce soir. Juste pour de rire, parce que ça fait du bien de se marrer comme ça. Comme ça, j'étais prêt, feu, go. C'est bien, être bête. On se casse moins la tête. Après, je crois que. J'ai réalisé qu'en fait, j'étais encore en uniforme. Alors je me suis foutu en caleçon, et j'ai sorti mon pyjama de mon sac, après je l'ai enfilé. Bah, pas de pyjama party sans pyjama. Ce serait complètement illogique. Hein, me changer devant elle, oh, pas de soucis. Vous en faites pas pour moi. Toujours est-il que j'étais en pyjama. Je sais pas, les gens, quand ils sont en pyjama, ils font un peu pitié. Moi y compris. A croire que genre, t'as pas besoin d'être habillé mode la nuit. La nuit elle s'en fout, elle passe sur les détails. Moi, par contre, je trouve ça exploitable.

— T'as vu, cette rose, je suis sûre qu'elle penche comme ça parce qu'elle se fout de ma gueule en pyjama.

J'ai un rire qui fait vraiment con. Mais je l'aime bien. Alors je le fais résonner. Comme ça, j'ai l'air doublement crétin, avec mon t-shirt blanc trop grand et mon pantalon style jogging avec des étoiles. J'aime bien, ça fait tranquille. J'ai rigolé pendant, je sais pas, longtemps. Je pense que je rigolais encore, très très probablement, quand j'ai cueilli la rose en question. Avec la lumière du soir, je sais même pas quelle couleur de rose c'était. J'ai failli me faire bouffer par une plante carnivore. Ça aussi, c'était drôle. Après, je me suis tourné vers elle. Charlotte, j'ai caressé ta joue avec un pétale de rose. Et puis, je riais encore. Je suis con, retenez, je vous autorise à me le redire. Mais de toute façon ça fait de moi juste un adolescent idiot de plus, en haut blanc, pantalon à étoiles et avec une rose en main. C'est marrant, je me marre bien quand même parfois. La rose, elle avait raison de se foutre de ma tronche.

— Elle aime bien ta joue par contre, elle lui souhaite de passer une bonne nuit ici. En admettant qu'on se fasse pas grignoter pendant la nuit. On a l'air appétissants tu crois ?

Charlotte, avec toi, je suis mon propre poème. Un truc complètement absurde, pas très connu. Un poème poème poème, et si on cueillait une prose au coin du chemin qui turlupine tortue cabossée à la courgette. Tu vois, je suis fort en surréalisme. Enfin, fort, ça c'est un peu trop fort, trop gros comme mot, et puis je vais pas me lancer des fleurs. Je vais faire une pyjama party, dans la serre, au milieu des fleurs, avec toi, cette rose et ma connerie, c'est mieux, je pense.

06-06-2013 à 14:06:44
2011 ?

Parfois je me demande, à quoi on joue, qu'est-ce que ça peut bien être que ce monde où on est juste une virgule au milieu d'une bible profane de cent mille milliards de pages. Parfois je me dis, est-ce qu'on sert à quelque chose, est-ce qu'on est juste nés pour rien. Souvent je me rappelle que je suis venu au monde pour grandir et pour mourir ; que chaque alignement de zéros sur mon réveil numérique est un nouveau pas vers la mort. Je sais pas si vous avez déjà essayé d'imaginer d'être mort. Moi, je pourrais me réfugier dans la facilité. Ce serait facile de croire comme tous ces abrutis que l'Eternel m'accueillera dans ses bras ; ou même qu'il me renverra à son Némésis, tout en bas. Mais, franchement, je peux pas. Je comprends qu'on ait besoin d'y croire parce qu'il faut bien quelque chose pour berner le temps qui s'écoule comme du sable, parce qu'on est impuissants, on ne peut rien faire. Moi, je suis juste un peu trop lucide pour ça ; mais mon coeur est crétin, c'est pour ça qu'il bat si fort quand les livres me parlent de cryogénie et de tout ça. C'est comme si on pouvait encore vivre après avoir arrêté. C'est absurde, mais c'est tellement bon, si savoureux sur la langue. Ça coule comme du miel avec la saveur d'une framboise mûre et ça te fait du bien. L'être humain veut vivre bien alors il se bande les yeux tous seuls. Au lieu de ça moi parfois, je me réfugie quelque part, et j'essaie d'imaginer. Je tente de sentir le vide, de ne rien sentir. Et je m'abîme dans mon propre corps. C'est comme si tout d'un coup je mourrais, et c'est tellement incompréhensible, si indescriptible.

Il arrive que je pense un peu trop et dans des moments comme ça je me fais des réflexions à moi-même. Par exemple, certaines personnes ne sont pas conscientes à quel point la vie c'est précieux en dépit de la fatalité qui s'en va au bout. Et puis ce genre de personnes, elles réalisent quand elles connaissent un accident présumé mortel que finalement, ça a un peu à faire. Moi j'aimerais bien pouvoir sourire comme tous ces gens qui se lèvent le matin et qui ne se font pas de soucis pour tout ça. J'aimerais bien pouvoir être un de ces petits farfadets sautillants que je croise parfois quand je traîne les pieds dans un couloir, parce qu'ils ont l'air si heureux. Je le suis aussi, c'est sûr, mais différemment. Le bonheur on y accède de différentes manières et je crois que finalement si on considère tout ça la joie c'est vraiment pourri. Parce qu'une serrure qui se fait ouvrir par plusieurs clés c'est une serrure de merde. Et moi c'est comme ça, avec ce genre de boulet de canon, que je me détruis un peu plus chaque jour. Je me fais du mal délibérément, et j'avoue que je suis un pauvre abruti pour ça, mais finalement je suis rien je suis là, et puis c'est tout.

Peut-être que j'aurais dû avoir une enfance tragique pour justifier tout ça.

Mon chien aurait du mourir, j'aurais dû me faire tabasser, être la risée de tout mon pays, mes parents auraient du divorcer et me laisser tout seul dans la rue, j'aurais dû être envoyé à la guerre à dix ans et pas assez de muscles pour tenir un flingue.

Ouais j'aurais dû tout ça et pourtant moi j'ai eu une famille, à manger, un pays, une maison, une école, une voiture, des amis, des ennemis. Je devrais être le mec le plus heureux du monde. Mais je suis trop ingrat alors je tire la langue, et au final comment je peux argumenter ? Mes parents étaient juste un peu niais, mon frère juste un peu le cliché du frère.

Je suis pas fier de moi mais au moins j'ai la décence de me taire.

Si ça se trouve ce genre de trucs c'est ce que je devrais consigner dans un journal intime ; ça servirait à rien. Je comprends pas ; une de ces nombreuses choses encore. Alors soit je m'enfonce la tête dans les mains et je rumine soit j'allume l'ordi et je branche une manette dessus pour jouer. J'oublie tous mes soucis comme ça, dans les mondes où ils en ont encore plus que moi.

J'arrête au moment où je retrouve ce sourire absent.

Quand je m'en vais comme ça, je traîne de drôles de pensées. Je me dis que normalement je devrais décamper à la fin de l'année. Je me demande de quoi je me souviendrais de cinquante ans. Peut-être que je me souviendrais des chansons de Minze, des questions de Charlotte, des sourires de Peter, des histoires de James, des ambitions de Garance, des cheveux de Camélia, des encouragements de Camomille, des cadeaux de Taggart, des tricots de Leane, des morales de Sheva, des rubix-cube d'Amine, des monologues de Pearl, des colères de Scarlett, des regards de Belial, des jeux de Lucis, des furies de Tristan. Peut-être que j'oublierai tout comme j'oublie tous les jours tous ces mots anglais qu'on essaie de m'apprendre. Peut-être que je vivrai pas vieux, que je m'éteindrai jeune. Je sais même pas ce que veux. De toute façon, je vais pas partir à la fin de l'année. Moi et mes sourires on restera encore un an. Sûrement deux. Et puis j'emmènerai mes idées noires ailleurs.

Je m'enterrerai dans une ferme.

Quand je serai mort, je veux qu'on donne mes organes à la science pour faire progresser tous ces connards de putain d'abrutis incapables, et ensuite qu'on m'incinère. Après je veux qu'on donne mes cendres à bouffer aux oiseaux. Qu'ils se régalent, ces crétins, qu'ils chantent, ils sont encore vivants. Je me demande à qui je dois le dire. Ma mère me tuerait tout de suite, si je lui parlais de ça. Ce serait vite réglé, au moins. Ça aurait été ma dernière volonté. Ma mère ne peut pas ne pas respecter ma dernière volonté. Elle aime trop ses saletés de traditions. C'est bien, maman, continue comme ça.

Je me demande surtout pourquoi je pense à ça.

— Je voudrais bien taper jusqu'à ce mes poings en saignent. Jusqu'à ce que je meure.

Je sais même pas si je le pense vraiment.

Qu'est-ce que t'en penses, Jeed ? Je suis un crétin, c'est ça, un abruti fini. Je ferais mieux de commencer tout de suite à creuser ma tombe, au moins je servirais à l'humanité. Je me demande bien ton avis là dessus, parce que forcément, t'en as toujours un.

Moi je crève. Je crève de beaucoup de trucs à la fois. J'agonise d'envie de savoir ce que tu penses, je meurs de devoir m'éteindre sans rien pouvoir y faire. Parfois j'aimerais bien être dans ta tête, juste pour savoir comment tes yeux ils voient le monde. Juste histoire de voir. Parce qu'au fond ma vision à moi elle est un peu trop restrictive et surtout mille fois trop larges. Parce que mes pensées, elles s'égarent, elles se trompent de quai. Tu vois toute ma vie entière c'est la métaphore d'une voix ferrée. Moi aussi j'en ai des théories sur la vie, tu sais, des comparaisons qui paraissent être merdiques au monde entier mais que toi tu te comprends un peu trop bien. Parfois je me dis que je devrais en chialer en même temps que je songe à sourire parce que je suis soi disant cet homme le plus heureux du monde. Je suis un train qui prendrait deux voies à la fois.

Tu sais, toi je t'écoute vraiment quand tu parles, même si parfois je hoche la tête comme quand je suis déjà plus là. Mon regard il se plante ailleurs mais je réfléchis quand même à ce que tu dis. Et des fois je fais une escale à une petite gare, et j'essaie de penser comme toi. J'aimerai bien avoir cet aplomb que tu as ou que tu sembles avoir, mais finalement je peux pas. Et puis si on était pareils, ça serait un peu trop fade. Quelques points communs ça suffit. Juste assez pour avoir le choix entre s'aimer ou se détester. Quand même je voudrais savoir comment tu fais pour penser que tel ou tel et supérieur. Parfois je t'envie un peu.

Et puis au final je me contente de ce que j'aie.

Depuis le temps qu'on se connaît, quand même, tu dois savoir que je suis pas un mec violent. Si on reste objectif je suis même plutôt conciliant. J'accepte tes barre-toi et tout ça, je me résigne à rentrer et te retrouver bourré par terre. Je te laisse la chambre si t'en as besoin même si je veux pas savoir pourquoi. Les petits trucs que j'ai besoin de garder je les aligne en dessous de mon lit. Je regarde même pas ta couronne d'un air dédaigneux pas compréhensif. Peut-être que t'as été choqué quand j'ai proposé qu'on aille au défouloir ? moi je me suis étonné moi-même, mais je sais que j'en avais vraiment besoin.

Je me souviens plus de ce que tu m'as répondu.

J'ai oublié. Si ça se trouve on en a discuté longtemps. Mais mon cerveau il a utilisé ce souvenir là comme charbon pour faire tourner les vapeurs. Et puis je me rappelle quand on a passé la porte.

Je mets des gants, parce que c'est obligé. J'obéis, moi, parfois je me demande pourquoi. C'est pas grave, au fond. C'est juste comme ça. On peut rien y faire. Et puis, ils sont pas si mal, ces gants.

— J'ai cette sorte de violence au fond de moi.

Elle me tue pas ; elle me dévore.

Je te souris, Jeed. C'était même un sourire gentil, franc. Présent. Il était un peu fin, un peu rapide, mais il était là quand même. Je t'aime bien, tu sais ? Au fond si on était niais tous les deux peut-être qu'on serait meilleurs amis. Et ça serait envers et contre tout parce que normalement on devrait juste adversaires et se lancer des regards mitraillettes. Mais toi et moi on s'est pas coulés dans le moule, et ça a donné ça. C'est un peu drôle.

C'est pas si mal que ça.

Je te fais signe de venir. Les punching-balls, ils sont assez marrants. Pourquoi ils deviennent humains ? Tant pis, je taperai quand même. Ça me frustre tellement trop d'être cette petite fourmi impuissante qui coule avec les grains de sable dans le clepsydre du monde. Je suis un mec soûlé. Qu'est-ce qu'il est affligeant, ce monde.

— Tu crois que taper, ça peut aider à être heureux ?

Dis moi qu'est-ce que tu penses.

En attendant je lance un coup tout mou sur un des trucs fait pour. Ça me monte dans les veines. Un instant, je panique. Et puis je réalise que c'est bon, j'ai pas enlevé mon bracelet par erreur.

— Boxer ça aide pas à être moins impuissant mais ça soulage.

Qu'est-ce que t'en penses, Jeed ?

06-06-2013 à 14:07:56
fin 2011/début 2012

Ce soir, il n'aurait cru voir que des sourires malsains.
Alors qu'il devinait la première esquisse de bonheur entre les joues de quelqu'un, il lui sembla évident qu'il s'était trompé. Il ne se souvenait même plus à qui appartenait ce premier sourire, qu'il avait pourtant trouvé éblouissant - mais peut-être était-ce parce qu'il ne s'y attendait pas. Peut-être était-ce celui de la guitariste ? L'hypothèse lui semblait assez probable ; il s'agissait d'une des rares personnes qui s'étaient rendues au bal sans cavalier ni cavalière. Désormais, c'était également une connaissance fort sympathique, voire une amie, même si le sens du mot lui échappait parfois. Un soupir léger lui échappa alors qu'il épongeait d'un geste les quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front.
Il avait été surpris ; d'une surprise agréable, le genre qui le faisait sourire modérément.

Il ne l'avouerait pas, mais il avait retrouvé la sensation perdue depuis longtemps d'être presque heureux.
Peut-être que quelques verres de jus d'orange alcoolisé par un ami l'aidaient à se sentir comme ça, cependant ce n'était de loin pas cela qui faisait le principal.

Des couleurs lui dansaient dans la tête, brouillées, écrasées, délirantes.
La valse, entêtante, qu'avait fini par lui donner envie, des visages confus, dansant avec cet air heureux, des sourires, au coin de toutes les lèvres, cet air illuminé de joie à la figure des musiciens alors qu'ils jouaient sans faux pas. Encore des sourires, des rires même, çà et là, des exclamations qui perdaient leur sens à mesure que la nuit croquait le jour. Le goût des clopes entre ses lèvres et la rougeur qui lui montait aux joues. Et la musique, toujours la musique, jamais la même, qui emportait les pas des danseurs. Tellement, tellement, et les couleurs. Le ton des beaux costumes, les robes, tournant avec les filles, comme une toupie, comme le bonheur. Ses battements de coeur, trop forts, son sourire, trop grand, trop vrai. Une main dans la sienne, une aventure là-haut, quelque part, bref envol, et retour sur la piste.
Il en aurait presque regretté d'être venu seul, lorsqu'il adressa un signe de la main à son colocataire qui passait des bras de sa jolie cavalière à son archet et son violon.
L'envie vint éclore dans ses pensées ; si vite chassée par la musique.
Elle l'emportait, celle-là, sa musique. Y avait cette sensation, des cordes qui vibraient sous ses doigts, et les accords, plaqués presque tendrement sur sa basse. Le temps d'un morceau, entre l'explosion de batterie, les paroles qu'ils ne savaient pas, il était là, et il rayonnait, comme ces enfants qu'il croisait si souvent dans les couloirs. Souvent, il se demandait comment ces gamins-là faisaient pour briller comme des étoiles ; aujourd'hui, il comprenait.
S'il s'était vu, il se serait presque effrayé lui-même.
Il ne voyait plus que les tablatures, dansant en rythme, que les cordes, contre ses doigts, que sa basse, que la musique. Et les couleurs dansaient dans sa tête, et lui, il vibrait avec la musique.

Tout s'était envolé. Au diable, amours impossibles et autres tracas qui lui cassaient la tête. Aux hommes heureux, aux problèmes effacés, il but encore un verre. Le dernier, se promit-il. Au grand jamais il ne gâcherait sa musique pour des joues réchauffées, des lèvres piquantes et un sourire plus grand, plus bête encore.

Peut-être que l'éclat effrayant de son bonheur ne le frappa que tard ; alors que les premières personnes s'en allaient, que la musique s'essoufflait, que la nuit battait son plein, et cela ne fit qu'agrandir le sourire imprimé sur ses lèvres. Et la fête dura encore.
Il s'éclipsa alors que le soleil devait s'étirer derrière l'horizon, songeant peut-être à se lever bientôt, avec un énième signe de la main au violoniste, une révérence à sa cavalière et un baiser sur la joue de sa nouvelle amie, la mignonne guitariste. Il était plein à ras bord d'une sacrément bonne humeur. Si ça n'était pas destiné à durer l'éternité, c'était pour le moment, parfait, et il comptait encore en profiter. Il ne lui fut pas difficile de trouver un cachet pour la migraine qui germait sur ses tempes.

Il manquait une personne, une seule, au milieu de tous ces gens heureux, pour que la soirée soit parfaite.
Et l'absence de la gamine lui avait semblé à la fois troublante et impossible.

Le jeune homme jugea qu'à l'heure qu'il était, il y avait quelques chances qu'elle soit encore levée ou déjà debout. Et Nikola, charmant Nikola, décida de la chercher.
Il finit par trouver la jeune fille quelque part - il ne se souvenait même plus où -. La liberté avait un goût de cigarette, de vodka et de bonbons à la fraise.
Il s'inclina, avec un sourire à la fois heureux et poli, dans une révérence parfaite ; comme le lui avait appris sa mère.

— Melìna.

Il avait toujours adoré ce prénom, et la façon dont il sonnait dans sa bouche. Quelque chose comme le bonheur de la normalité. Quelque chose de magnifique. Il aurait passé la journée à le prononcer, à le tourner et le retourner dans tous les sens sur sa langue.

— Melìna, je ne t'ai pas vue au bal. C'est dommage que tu ne sois pas venue. C'était ... magique.

Immense sourire.

— Désolé, j'aurais dû y penser, peut-être, j'aurais pu t'inviter.

Comme pour s'excuser de ne pas l'avoir fait, il la prit dans ses bras, et la serra doucement, l'espace d'un instant.
Elle avait cette bonne odeur, songea-t-il, et elle était jolie, Melìna, de toute sa beauté d'enfant.
Il relâcha l'étreinte, se contentant de garder sa main dans la sienne.

— Viens, je t'emmène.

L'idée lui était venue comme ça ; un peu comme si elle avait été naturelle. Il l'entraîna doucement par la porte. Tous deux se retrouvèrent devant une autre porte, familière au jeune homme. Il jeta un regard à sa cavalière improvisée.

— Prête ?

Sans attendre de réponse, il la poussa devant lui dans l’entrebâillement de la porte.
Et le décor changea, pour une farandole de visages inconnus, pour une valse lente qui crachait ses dernières notes. Il se regarda. Un soupir amusé lui échappa. Il avait l'air plutôt drôle, en smoking. Faut dire que c'était bien plus approprié que son pantalon d'uniforme un peu usée et une chemise neuve sans cravate et au col lâche.
Et voilà les gamins dans un bal de la cour victorienne.
Une autre valse débuterait bientôt.

Il s'inclina, dans une révérence gracieuse.

— Mademoiselle, m'accorderez-vous cette danse ?

06-06-2013 à 14:08:42
2012

Il avait des mots plein le coeur.
Il avait, surtout, des voix plein le coeur ; toujours différentes, contant des histoires qui n'étaient pas la sienne. Ça n'avait pas toujours été le cas : Nikola s'était, longtemps, dit qu'il s'en fichait des autres. Cependant, dernièrement, il avait dû se rendre à l'évidence : ce n'était pas vrai ; il ne s'en fichait pas. En quelque sorte, il avait le coeur bon, grand ouvert à toutes les plaintes ; peut-être que c'était parce qu'il comprenait que l'on puisse souffrir, être bouffé de l'intérieur, ou peut-être que c'était encore autre chose. Il se sentait comme s'il avait été destiné à écouter, comme s'il n'était là que pour ça. C'était la seule chose pour laquelle il lui semblait être doué : il était si vide que l'on pouvait le remplir de ses propres problèmes presque à volonté. Et Nikola ne parlait pas de lui, ou presque pas ; c'était comme s'il avait cessé d'exister au profit des autres. Ou peut-être n'avait-il jamais été qu'un semblant de fantôme, une esquisse ratée de vie, qui se traînait dans les couloirs. C'était, en tout cas, comme cela qu'il se sentait quand il se retrouva face à la mer, le coeur buriné par les embruns artificiels.

Ses yeux se perdirent dans l'onde, ce soir-là déchaînée.
D'aussi loin qu'il se souvienne, Nikola n'avait jamais vraiment réussi à démêler ce qu'il ressentait. C'était comme s'il avait été habité par une tornade de pensées confuses qui ne se détachaient pas les unes des autres. Il avait tout de même réussi à distinguer du reste un énième pieu dans son coeur, lorsque Zora s'était enfuie, et qu'il avait réalisé qu'elle s'éloignait de lui. La culpabilité rongeait son coeur en miettes. Pourtant, c'était, encore une fois, quelque chose qu'il gardait pour lui. Lorsqu'il se retrouvait seul, comme cela, il s'entendait crier sur la jeune fille, lui lâcher des mots amers, lui cracher des jurons, la broyer d'un contact. C'était une évidence : il s'en voulait. Pire encore, il ne comprenait pas. Il s'était tant perdu dans les histoires des autres qu'il ne parvenait plus à démêler quelques choses qui le touchait de si près. Et, s'il avait envie d'aller vers Zora, pour la serrer doucement dans ses bras et, simplement, l'emmener dans une de ces aventures qu'ils avaient lorsqu'elle tâchait de ficher des sourires étoilés dans ses yeux qui restaient désespérément éteints. Mais il ne le ferait pas ; peut-être par lâcheté ou peut-être pour d'autres raisons plus chères à son coeur. Bêtement, il s'était mis à fumer encore plus, ne lâchant presque plus ses cigarettes. Il tirait dessus jusqu'à ce que le mégot lui brûle les lèvres et il ne se rendait que trop compte que c'était un réflexe des plus idiots.
La destruction, dans les flammes de son briquet.

Il n'avait pas saisi l'instant - pas plus, d'ailleurs, que la chronologie - mais résonnaient également en lui les échos de la voix d'April.
C'était encore une autre histoire que, sur le moment, il n'avait pas comprise. Il y avait eu William, débarqué comme une comète ; William qui, d'un côté, lui ressemblait, et dont il s'était rapproché relativement vite. Il y avait entre eux un silence ténu, qui se rompaient sur des mots aléatoires, sans importance ; ils ne parlaient pas d'eux, encore moins de ce qu'ils avaient laissé derrière. Nikola comprenait que le passé puisse être un lourd bagage et ne cherchait ni à savoir, ni à comprendre ; il n'écoutait pas non plus les rumeurs. Cependant, les choses avaient commencé à s'embrouiller lorsqu'il lui avait semblé qu'April était tendue en leur présence. Un jour, il ne se rappelait plus pourquoi, elle lui avait expliqué. Il se souvenait presque de la tournure exacte de ses phrases lorsqu'elle lui avait conté ce qu'il était arrivé par le passé. Il n'avait pas eu de véritable réaction ; ça aurait dû l'étonner - ça avait d'ailleurs peut-être été le cas -, il aurait dû, au moins, dire quelque chose, donner un conseil, peut-être. Il n'avait pas su quoi dire, alors il avait gardé son silence d'adolescent au coeur trop vide, et l'avait serré dans son bras - pour une fois, c'était venu de lui. Avec April, tout avait repris son cours comme auparavant - elle lui ébouriffait les cheveux et il rougissait, gêné ; c'était bête, mais cela fonctionnait.
Il lâcha un soupir ; si seulement cela avait été pareil avec Zora.

Laissant couler ses souvenirs, il n'avait cessé de parcourir le pont à pas lourds, lentement. Le bateau tanguait sur la mer déchaînée, imitant à s'y méprendre l'océan dans la tempête, avec ses roulis onduleux. Ses yeux devinèrent une silhouette qui lui était familière, à sa place habituelle. Il écrasa les derniers restes de sa cigarette et s'approcha, silencieux. Un mot vint à sa bouche, naturellement.

— William ?

Ce n'était pas vraiment une question ; peut-être une annonce de sa présence. Ce n'était sûrement qu'un mot, de sa voix posée, avec son accent de l'Est ; un mot qu'il connaissait bien, qui lui habitait le coeur depuis qu'il avait leur histoire en tête.
Nikola ne posait jamais vraiment de questions, et surtout pas à William. Mais il y avait les mots d'April - et ils les appréciaient, tous les deux. Il n'avait jamais été doué pour les conseils, pas plus que pour trouver les mots qui aident. Il aurait voulu, pourtant, mais il ne savait pas vraiment quoi faire, quoi dire pour amener le sujet. Lui ouvrir les yeux ? C'était peut-être ce qu'il y avait à faire.
Il haussa les épaules, arborant son habituel sourire poli.

— Tu veux parler ?

Il marqua une pause, tandis que ses yeux se perdaient dans la mer.

— Je t'offre une clope ?

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