2011 ?
Elle s'étire, debout sous le soleil. Elle se tourne vers l'astre reluisant, ignorant la morsure irritante de la pierre escarpée sur la plante de ses pieds nus, et elle comble ses yeux d'or de cette image rafraîchissante. Elle passe une main dans ses cheveux blonds, elle les fait scintiller au soleil. Ils retombent, fontaine de mèches instables, sur ses joues hâlées par ces rayons qui caressent la peau, griffant de leurs ongles chaleureux cette carapace trop fragile. Et elle s'arrache un sourire délicieux, dans ce bonheur trop feint. Et déjà de trop de jours doucereux se sont levées depuis qu'elle n'a plus coulé le miel de son regard immensément profond dans les pupilles de son être chéri, déjà trop de matins où le soleil la nargue, lui rappelant le dernier contact, fugace, tremblotant, inquiet, peureux de leurs lèvres d'enfants. Et elle pose ses mains sur ses hanches, elle laisse claquer les pans de sa robe trop blanche autour d'elle, portés par un vent dont elle connaît bien l’origine, elle ignore le message pourtant, et elle se juche là où elle sait qu'il se recueille parfois, sur le toit de cette grotte qui les abrite tous, qui cache bien des légendes, bien des histoires, bien des pleurs et pourtant bien des rires. Elle baisse finalement l'ambre douloureuse de ses prunelles vers ce tapis vert mouvant, qui se plisse au vent, qui se laisse tordre piétiné par leurs pieds impatients, qui se courbe dans cette terreur qui hurle au fond de leur coeur, qui les déchire, feuilles de papier dans les mains de leurs propres démons. Et c'est trop sordide, parce que l'éclat de ce soleil, le mouvement dansant de ces branches d'arbre qu'elle surplombe de sa petite taille, la hâlure sur sa peau, le manque dans son coeur qui ne se fait plus seulement gouffre mais trou noir, assoiffé de tout ce qui pourrait y disparaître, tout jusqu'à cette appréhension morbide lui rappelle cette horrible journée où elle a tout perdu en l'espace de quelques instants, rien qu'en regardant une dernière fois cette magnifique étoile d'argent qui flottait sur le lac. Alors par réflexe, sa main glisse sur le pommeau de son épée trop plaquée contre sa jambe, et finalement elle se calme en ne sentant rien, fait renaître les étoiles dans ses yeux. Et elle contemple le mouvement des arbres qui passent leur tristesse dans cette farandole, elle contemple le sourire qu'elle devine là bas, sur la berge, sur les lèvres de son père, elle contemple tous cs gens qui s'affairent, qui se remuent. Elle admire cette vie qu'elle chérit temps, de son petit coeur trop aimant, et déjà le pauvre déborde, explose. Trop, elle aime trop, il ne peut plus, il ne suit plus, il s'essouffle, il est obligé de lui courir après. Alors elle force, elle calme sa respiration qui s'affole, elle fait passer un mince filet d'air entre des lèvres entrouvertes, et contemple la poésie qui chante un jeu taillé trop grand, jusque dans cet infime appel d'air. Et dans son sourire, cet énorme sourire chaleureux, il se place quelque chose de chantant, de guilleret, alors que les mèches toutes fines de sa crinière blonde claquent plus haut, plus fort, plus beau dans le vent insolent qui la repaît de cette belle énergie toute dorée. Et c'est surtout un sourire qui se crée, s'agrandit, s'étend jusqu'à l'infinie dans deux yeux d'or, d'ambre, de miel doucereux, qui se fixent au loin sur un point qui n'existe pas, ou plutôt qui existe ailleurs, qui existera toujours prenant toute la place dans ce minuscule coeur surchargé. Lentement elle baisse les yeux, elle brasse jusqu'à tout cet air lourd qu'elle chérit plus que sa propre vie, elle fait renaître le spectre de cette nature pour laquelle ils doivent se battre, parce que seule elle se fait impuissante à se défendre, douée seulement à donner vie à tous ces fabuleux rêves. A regret presque, elle ferme les yeux, elle évoque ces souvenirs, ces sourires offerts et reçus, ces regards admiratifs échangés, ces yeux trop ambrés qui se fichent dans tous les recoins, ce coeur qui s gonfle, qui bat plus fort pour suivre le rythme, ces poumons qui se serrent, se desserrent, alors qu'elle bombe le torse, inspire, expire, et relâche avec ce souffle d'air toute l'amertume de ce bonheur, gigantesque puzzle incomplet, mais composé déjà de tant de pièces qu'elle s'en voudrait jusqu'à la fin d'oublier. Et dans ce vent qui se tarit, se fait plus naturel, elle tourne sur elle-même, gracieuse, juchée sur la pointe de ses pieds torturés par la pierre amère, elle écarte les bras autour d'elle, et s'envole, sans bouger de sa place, voyage dans ce bonheur qui tournoie sur l'immense tourniquet de la vie, un tourniquet infernal qu'il n'appartient qu'à elle de déguiser aux couleurs de l'arc-en-ciel. Et les tours sur sa personne, comme le reste finissent par s'éteindre, elle se fiche sur place, se laisse tomber en arrière sur cette pierre qui la blesse, dans cette vie qui la berce, immense berceau pour une gamine qui grandit trop vite, et qui reste toute petite pourtant. Elle savoure le moment, ses lèvres à demi-closes, ses yeux gorgés de lumière grands ouverts, ses cheveux en cascade autour d'elle, ses jambes et ss bras tendus, entourant son corps perdu dans cette robe blanche qu'elle aime trop, comme beaucoup de choses. Mais s'il reste trois choses qu'elle aime bien plus que tout, qui font monter à eux trois la marée dans son coeur immense baie creusée pour ça plus que tout le reste, c'est bien ce père qui sourit à son malheur, cette liberté qui la cueille, et balance tout doucement son berceau tandis qu'elle se recroqueville, en passant à cet être là, son soleil, sa vie.
Puis au final, elle se retrouve encore plus resplendissante qu'autrefois, après cette balade dans les bras tout doux du sommeil, petite étoile éclairant de sa luminosité toute la vallée aux alentours. Et elle brille, de son éclat, de toute sa force, tandis qu'elle appuie ses paumes elles aussi gravées de la griffure de la pierre aride, qu'elle se redresse, et debout sous un beau soleil de midi, exécute une petite référence à cet astre, qui d'un pied de nez auparavant se met lui aussi à courber devant elle, devant son bonheur qui illumine, devant tout son corps qui irradie sa lumière. Et elle est belle, trop belle dans sa simplicité, magnifique quand elle ébouriffe ses cheveux, et les rassemble tous, les déforme en une tresse qui lui retombe sur ses maigres hanches de gamine, et elle troque de toute cette belle magie merveilleusement dorée sa robe contre une tunique de cet épais coton trop confortable, qui fait oublier qu'on le porte pour partir au combat, et puis un short, de cette épaisse toile qu'aiment tant les aventuriers, parce qu'elle protège leurs jambes de la morsure sauvage des ronces et des plantes. Et avec un arc de bois bien tendu en travers du dos, et toujours cette épée, trop bien serrée contre le muscle tressaillant de sa jambe, elle se donne une allure de princesse guerrière, avec cette détermination dans le regard souriant de ses prunelles délicatement ambrées, et ce sourire un peu trop dur pour une gamine. Elle se laisse un peu porter dans la chaleur mielleuse du midi, et puis s’approche du bord du vide, laisse dépasser ses orteils de la pierre qui au lieu de l'égratigner la maintient, courbe son corps distendu dans ses vêtements inappropriés à une gosse, et d'une impulsion, saute, se met à planer dans le vide. Et dans les courtes secondes du plongeon, c'est l'air qui lui fouette le visage, le vent qui s'insinue dans ses oreilles, qui ballotte sa tresse, c'est la pression qui irrémédiablement la pousse vers le bas, c'est tous ses muscles qui se tendent sous l'effort, et qui ploient en fendant cet air âpre. C'est surtout la liberté, la sensation finale, apocalyptique, fugace de cet instant libre, alors qu'on risque de se heurter de plein fouet à l'énorme mur de la mort, et finalement elle s'en fiche, rien que pour ce moment grisant, cette déferlante d'adrénaline dans son sang qui se remet à bouillir, à rougir ses veines à toute vitesse, elle le referait, cent fois, mille fois, mille milliards de fois, jusqu'à ce quelle s'écroule de fatigue dans l’herbe, et qu'elle se pelotonne, dans cette position fœtale si affectionnée, qu'elle se réfugie dans un rêve où le puzzle serait complet, après peut-être, quand tout ce cirque aurait cessé, quand elle serait vraiment libre, enchaînée de son amour à cet être qu'elle aimait plus que tout ce qu'elle ne pourrait jamais. Parce qu'au final, il lui fallait des chaînes pour goûter le plaisir de la liberté toute simple, parce qu'au final attaché on se sentait peut-être un peu plus libre, si on pouvait choisir à quoi on s'enchaînait. Alors elle sourit, et laisse ses muscles ployer, elle rentre tout doucement au contact de l'eau, et l'impact colossal qui lui modèle le visage met fin à ce petit instant intensément brillant d'adrénaline, alors que quand même encore, elle arque ses bras pour remonter à la surface de l'eau, dans son élément autant que les pieds posés sur l'humus un peu mouillé de la berge, et elle laisse l'eau sillonner ses joues, tremper sa tunique, coller son short à la peau humidifiée de ses jambes, elle bouge avec cette aisance gracieuse, et elle sait que le soleil là-bas la couve du regard, remplaçant un peu cette mère qu'elle n'a jamais connu, ce père les yeux fermés à quelques pas de là, et cet amour trop loin de son coeur. Les larmes, sucrées, se mettent à couler sur sa joue, s'abîment de son menton, et ne sont que gouttelettes de plus dans l'énorme étendue d'eau où tant de regards déjà se sont perdus pour ne plus jamais se retrouver, changer profondément par le calme de ce désert bleu, agité par quelques vagues quand un bambin y sautait pour asperger d'autres gens innocents. Mais finalement en ce moment même les gamins avaient bien d'autre chose à penser, et elle assouplissait son corps sous cet effort, songeant à une fin inévitable qui devrait avoir lieu bientôt, parce que déjà elle voyait perler dans les immenses yeux inquiets de la sylve cette peur, et ce reflet de pressentiment, bientôt la forêt s'embraserait de cette haine, et il faudrait au final, peut-être une dernier fois, avoir le courage de se battre pour ses coups de sang, il faudrait sûrement, faire de ses démons intérieurs des forces, des combattants donnant leur sang et leur sueur aux côtés des gardiens déchaînés, il faudrait déchirer le monde de mort pour avoir la vie. Il fallait faire la guerre pour avoir la paix, et c'était un échappatoire bien triste, pourtant flottant à la surface de cette eau ressourcante, elle souriait, parce qu'il fallait bien que ça arrive un jour. Et chacun avait eu le temps de se préparer à l'idée, et pourtant même si ce n'était pas le cas, la fillette croyait en la force de tout le monde, elle savait que le monde entier se tendrait sous un même effort, pour reforcer une dernière fois cet envahisseur immonde, et après le continent rejetterait cette tragi-comédie pitoyable, et après, et après, elle sauterait dans les bras de son père, mage trentenaire avec son étendard de sourire d'enfant, et elle prendrait ses jambes à son coup, s'envolerait et se jetterait dans les bras du garçon qu'elle avait fait l'effort de tant attendre.
Et dès que la premier soupçon d'obscurité resserre sa poitrine dans la morsure légère de l'eau, elle regagne la berge, elle se dresse sur ses jambes. Et bien vite cette dorure merveilleuse dans son sang, cette magie géniale héritée de sa mère, et ces espoirs merveilleux eux tout droit venus du calme haut en couleur de son père, elle l'anime, la sèche de la tête au pied. De nouveau la tresse qui retombe sur ses hanches, et elle dégaine son épée, petite princesse guerrière. Elle se jette corps et âmes dans son combat qui se fait un peu plus le sien chaque seconde, parce que maintenant elle est trop avancée sur cette énorme échiquier de la vie pour ne faire rien qu'n millimètre en arrière, il faut avancer, courir, et portée par cette belle conviction, cet espoir renaissant de ses cendres, elle s'envole, elle se retrouve sur le combat. Et elle s'attrist au début, de cette mort qu'il faut provoquer, de ce sang qu'il faut faire couler pour ramener le souffle de vie dans les autres poitrines, elle se peine de cette guerre pour la paix, elle se désole de cette joie grisante, se fâche de cette haine qui borde son coeur débordant pourtant d'amour, et finalement, elle abandonne tout scrupule, pour se battre pour ce qu'elle aime, pour faire comme ce garçon qui au fond se bat un peu pour elle, pour cette forêt qu'il aime, pour cette sœur qu'il veut sauver, pour cette immense famille qu'il faudrait de nouveau faire sourire. Et l'incendie de son coeur embrase ses joues comme le feu destructeur répand ses flammes sur une aile de la forêt, alors qu'une autre a été détruite quelque part plus tôt, avec une incroyable énergie qui s'est explosée, dernier feu d'artifices d'une vie dans ce ciel qui écrase ses hôtes. Et vite c'est les décombres, les gens tombent, l'herbe verte se teinte de rouge dans le sang coulant trop fort des gens qu'elle a vu naître, qu'elle a bercé dans leurs gaietés et dans leurs douleurs, c'est les cadavres, qui se juchent les uns sur les autres, et elle fait attention de ne pas les écraser, attentionnée quand même dans cette rage qui lui fait toujours un peu honte. Et elle sent l'énergie de son soleil, là-bas, qui renaît dans la magie du moment, dans l'affrosité de cette comédie navrante, dans ce massacre de bon sens. Alors c'est d'autres espoirs encore qui font flamber son coeur, et elle abat son épée dorée, elle mord la chair putride de ces démons de sa lame acérée, elle fait de sa peur, de cette horreur son compagnon, et elle redresse de toutes ses forces les camarades tombés au combat. Elle donne un peu de sa luminescence, un peu de cette magnifique énergie qui ne cesse de la rendre plus belle, plus forte, plus incontrôlable dans ce combat commun. Elle aime jusqu'à l'odeur de mort qui vient lui titiller les narines, et elle achève tout de même les affreux monstres envahissants son monde pour qu'ils ne souffrent pas trop, dans cette lente agonie que certains leurs infligent. Un moment elle ne sait plus quoi faire, et soupire tout en sourire de leur haine commune, elle meure, et évidemment elle se blesse, pauvre étoile qui tombe de son bout de ciel. Mais toujours elle renaît de ses propres cendres, toujours plus convaincue, à chaque fois plus remplie d'un bel espoir. Et elle fait de cette hécatombe à contre coeur un miracle, elle s'épuise et finalement c'est cet amour trop grand qui se met à la nourrir, à la porter, plus légère, poisseuse de sa sueur, trempée des sangs mêlées sur sa peau un tout petit peu hâlée. Et elle s'en veut quand même, bonne samaritaine, finit aussi par décocher ses flèches, croise le sourire heureux de son père, et repart jolie fleur prête à éclore dans tout ce sang répandue, alors que le combat ne veut toujours pas s'achever, alors qu'ils sortent de partout, et qu'ils se battent avec tout leur coeur. Oh quand tout sera fini il y aura temps de choses, tant de temps à réparer, et seulement après ils pourront être heureux, dans ce malheur ci mourant alors que forcément un autre pourra renaître, même dans cette forêt de conte de fées. Et elle pleure tandis que la vie se libère, tandis que tous ensemble ils brisent leurs chaînes, toutes les chaînes, elle les soutient du mieux qu'elle peut, et elle laisse les larmes couler de ses yeux d'or, qui prennent un reflet sinistre dans l'écarlate du soleil. Et tous elle les soutient, avec une main tendue, elle les englobe, elle leur envoie toutes ses pensées, tout son sourire, à se partager en des milliers, une tranche de bonheur libre, et elle virevolte, elle s'abandonne, elle tue, s'en blâme et continue pourtant ce funeste manège, petite fille, pauvre petite fille obligée de grandir trop vite pour porter tous ces fardeaux qu'on lui impose. Et pourtant pas même elle ne courbe le dos sous le poids écrasant, elle se tient droite, les épaules écartées, la tête haute, avec ce port encore une fois de petite déesse déguisée en guerrière. Et un peu ses yeux rougissent, la source de ses larmes se tarit alors que tout le monde meure encore, tout ce qu'ils ont connu ces derniers mois s'éteint dans le choc des milliers de lames, dans la sueur de tous ces êtres unis, et elle elle ne pense qu'à un seul, elle le sent vibrer, longtemps, des années, elle sent presque les blessures sur sa peau, elle frémit à sa peur, elle s'éteint quand il doute, elle combat pourtant encore, et quand le poids se lève, disparaît trop curieusement, elle sursaute, parce que c'est surtout son énergie qui s'est envolée, plus important que tout le reste, et elle ne peut pas, elle ne peut plus ne rien faire, jamais elle ne pourrait encore le perdre.
Et en une fraction de secondes, il ne reste plus rien, même pas sa solitude cuisante. Elle ne veut pas, elle s'immobilise, elle serre les poings, elle écrase ses phalanges contre sa paume, elle se fait pas. Elle ne veut pas, elle ne peut pas. Jamais le perdre encore une fois, elle n'y survivrai même pas. Alors elle hésite, elle ne veut pas les laisser tous seuls, elle veut se battre à leurs côtés, mais surtout elle le veut, lui, près d'elle, alors finalement elle s'efforce de faire un sourire crispée, et puis elle se concentre, elle rassemble ses esprits, elle retient ses larmes au bord de ses yeux. Elle explose, elle ne veut pas, elle se retient, elle veut vivre, elle veut qu'il vive, elle veut qu'il vive. Elle veut briller à ses côtés. Alors finalement elle se laisse porter par l'instinct un peu trop sauvage qui lui file la nausée dans son coeur, et puis elle se téléporte là où elle l'a senti, là où il s'est battu. Peu importe les frontières, peu importe la distance, la fatigue, tout ça c'est juste bon à jeter dans les roses, elle ferait tout pour lui, elle fait tout pour lui, elle lui donnerait tout, jusqu'à sa vie, mais s'il y a quelque chose qu'elle ne peut pas, qu'elle ne pourra jamais, c'est se sentir vraiment en vie en l'absence de lui. Alors elle se retrouve sur leur champ de bataille, loin du sien, pleurant toutes les larmes de son corps, et elle hurle, elle crie, elle se déchire les tympans, elle rompt ses cordes vocales dans cette vocifération terrifiante, elle relâche tout, toute la pression, tous les jours qui ont passés, elle tremble, elle tient à peine debout, et sa vision même se trouble, elle noie son regard de miel dans ses larmes amères. Et d'un geste du bras, elle cache tout ça, il faut quand même qu'elle fasse preuve d'un peu de discernement. Elle ne prend même pas le temps d'écarquiller les yeux sur le paysage en ruines, sur une nature dévastée. Elle s'avance, elle tremblote, elle se porte sur ses pas hésitants. Et il y a aussi ce démon qui est mort, et même pas elle est contente, pas même ça ne lui arracherait un sourire, parce que c'est la mort, c'est le vide, le néant dans son esprit alors que quelques minutes avant toutes ses couleurs faisaient leur ronde folle dans ses pensées. C'est une unique préoccupation, une obsession, pire qu'une névrose, et rien moyen d'y faire, et des larmes coulent encore de ses yeux pourtant secs, et elle se force à un rictus, mais c'est la nausée qui lui monte aux lèvres, alors qu'elle tombe à genoux devant les deux corps identiques. Et elle hésite, devant ces deux corps abandonnés, décharnés, si semblables et pourtant tant différent. Et elle hésite encore, peut-être sont ils tous les deux morts, peut-être que ce n'est même pas eux, mais pourquoi prendre le risque, et puis puisqu'elle est là, elle se doit de sauver, ce qui est encore possible de sortir des décombres. Alors elle repousse toutes les frontières, elle ignore les lois, elle dédaigne les règles qu'elle s'était fixées elle même, n'a vraiment plus rien à perdre. Et finalement elle en sent un vraiment mort, anéanti, alors elle le repousse, et elle croit reconnaître son soleil dans l'autre, elle espère de tout son coeur, elle serait peut-être encore tombe si elle n'était même pas encore à genoux devant le corps. Et si c'est quelqu'un d'autre, ce n'est pas grave, elle le protégera en souvenir de l'immense courage de son amour, en mémoire de leur bonheur beaucoup trop court, qui aurait du durer toute la vie. Peut-être reprend-elle espoir, toujours est-il qu'elle pâlit, qu'elle se vide, qu'elle est vide, vide en l'absence d'un astre pour refléter la lumière qu'elle répand généreusement sur ses alentours. Et sans qu'elle n'y réfléchisse, ses mains se posent sur le corps détruit, et c'est l'explosion dans les surfaces immensément petite de ses paumes, une magie d'une rayonnance incroyable, c'est la première, et sûrement la dernière fois qu'elle pourra dégager cette puissance, alors elle en profite, elle farfouille le moindre recoin de sa conscience, elle y abandonne son esprit, elle y jette sa vie, parce qu'au final elle en est venue à croire que c'est lui et que même si ce n'est pas lui il lui en sera reconnaissant, peut-être même que s'il est mort il l'attendra, mais elle ne veut pas y penser, alors elle s'abîme un peu plus dans cette quête brûlante, dévorante. Et au final il ne reste plus que son amour, et à cette seconde là, il n'y en a pas d'autres comme le sien, qui repousse les frontières de l'imaginable, et qui va toujours plus loin, qui l'épuise, et les gouttes de sueur abandonnent son corps à toute vitesse, comme la vie, la vie qu'elle veut redonner, le soin qui éclaire toute la vallée, et ses larmes coulent encore de ses yeux, encore, encore, encore. Elle ferait tout, tout, elle est juste entrain de tout donner, parce qu'elle ne veut pas, elle ne peut pas, elle en arrive à son dernier recours, et finalement, elle s'effondre en larmes sur le corps tout vibrant de son énergie, sans voir si oui ou non, elle a réussi à le soigner, et elle se roule sur elle même, elle se fait toute légère la tête appuyée sur la poitrine de l'autre corps jeune et déjà détruit, et de la dernière énergie de sa journée, elle murmure son prénom, jusqu'à la fin, jusqu'à ce que ses yeux se closent, jusqu'à ce que ses paupières balayent l'ambre entourée de toutes ces veines rouges, tremblotantes, prêtes à exploser, jusqu'à ce que le sommeil l'emporte pour la réparer, parce que son combat à elle se finit là, alors qu'il continue sur d'autres fronts, son rôle se finit là, sur la douce mélodie de son nom, alors qu'elle le chuchote encore une fois, avec toute la conviction qu'il lui reste dans son corps épuisé, et qu'elle l'emporte dans des rêves destructeurs, et que la vie continue, et qu'elle espère, espérera jusqu'à être sûre qu'il ne reste plus rien, que le désespoir, et même après, et elle sombre dans une inconscience trop profonde, mais réparatrice, un lourd sommeil sans rêves, mais peu importe parce que son rêve est peut-être mort et elle n'a rien pu faire, alors elle s'endort et 'est une drôle de liberté, un goût amer, beaucoup trop métallique, dans sa bouche d'enfant, qui ne passera pas la barrière des ses lèvres entrouvertes dans ce somme trop curieux. Et souris, tu es un ange fillette, de toute façon tu déploieras tes ailes.