she's a lot like you — one-shots

22-05-2013 à 22:25:21
02/02/2011

« Papaaaaaa ... »

Dans la pièce noircie, la plainte prenait des modulations étranges, ricochant sur les murs trop fins, résonnant contre les pièces de bois et d'étain qui jonchaient le sol, constellations d'outils délaissés. La paillasse dure eut un crissement croassant en frottant le sol, et, dans un bruit de frottements, l'homme se redressa, repoussant la couverture amaigrie. Du bout de ses doigts tordus vers les côtés, il se massa les tempes. Des cernes, creusées dans sa peau, ombrageaient le délicat spectacle de sa figure en ruines. Le râle récurrent chuintait encore, odieux feulement animal. Cinq minutes passèrent, égrenées par des bâillements réguliers remplaçant aisément l'horloge dans la vie romanesque du jeune père. L'aigre cloche du temple qui ombrageait la ville de ses ténèbres dessinés au couteau devait, peut-être, avoir sonné trois heures il y avait peu, et c'était la dixième fois au moins que le dormeur était forcé de s'extirper de la tiédeur fiévreuse de ses rêves. Porté d'un pas de machine, il fit le chemin de mémoire, les yeux clos sur la fatigue qui lui crevait les tympans, s'acharnant à moduler un cri déchirant qu'il faisait mine de ne pas entendre. Au bout du couloir poussiéreux, la porte grinça, découvrant le visage éraillé d'une petite fille, lèvres tremblantes, yeux flamboyants de larmes et joues pâles et rosies tout à la fois. Le père, gonflant le torse, inspira dans l'air une sollicitude dont la nature ne lui avait jamais fait don, et plia les genoux pour se retrouver à la taille de sa gamine. La figure de terreur triste se fendilla, laissant naître les prémices d'un sourire orageux. Et le rêveur chuta, emporté en arrière par l'effet de surprise. L'enfant couchée sur son ventre regarda son père un instant, sa bouche ouverte sur un rire inaudible avant que ses yeux ne s'écarquillent brusquement, empruntant à nouveau un scintillement humide. Elle glissa un doigt dans sa bouche, l'y tourna, et le ressortit, luisant de bave, pour le dresser dans l'air. L'homme suffoqua, l'estomac écrasé par les petits pieds de la gamine, pourtant sa raison fut bien vite engloutie par un terrible, irrésistible désir de rire. Envie que, toussant, crachant, s'étouffant avec sa propre salive, il entreprit d'assouvir, vite interrompu déjà. La petite avait tourné un visage masqué de terreur vers son père, et planté un regard affreusement larmoyant dans les yeux à demi-clos sur une fatigue et une énergie confuses de son paternel. Ses lèvres se risquèrent à l'esquisse d'une phrase, suspendue par le contact humide du petit doigt osseux.

« Y a mon cauchemar il est revenu, j'veux dormir dans ton lit... »

Jamais l'humain étendu sur le sol ne se sentait si faible, si impuissant que lorsque qu'il soutenait le regard suppliant de sa descendante et il suffit alors à la petite de déformer sa moue en une grimace implorante pour que la détermination musclée de son procréateur tombe vaincue. Elle rebondit sur les muscles de son ventre, et il eut à peine le temps de se relever qu'elle s'agrippait à lui, l'escaladant pour qu'il la tienne dans ses bras. Bridant la fatigue tenace qui lui labourait les entrailles, le chef de famille alla déposer sa fille au côté de son épouse sur le matelas dur posé au sol et s'écroula sur le banc de bois flotté. Un certain temps, il guetta le visage en bataille de sa fille. Les plis des joues se radoucirent. Le sourire se fit doucement tout en rondeur tendre. Lentement, la figure terrorisée enfilait un masque de paix retrouvée, et un sourire béat de stupide fierté paternelle s'élargissait sur le visage ensommeillé du veilleur. Quand la joie complète d'une expression pacifique fut totalement en possession du petit visage de sa gamine, l'homme laissa un soupir couler entre ses lèvres, longue cascade tranquille qui semblait vouée à ne jamais cesser de s'abattre. Au final, la source se tarit quand l'écho se dissipa dans l'air suintant. Les paupières voilant et dévoilant ses pupilles porteuses d'un regard harassé, le rêveur passa le reste du temps nocturne à fixer d'abord le mur, puis le néant total des ténèbres, et vice-versa. Une bribe de conscience gênait parfois sa demi-béatitude placide, tirant la sonnette d'alarme de sa raison ; à peine le jour levé, il devrait partir au combat et ce ne serait sûrement pas une nuit blanche à veiller le mur terreux qui l'aiderait à survivre yeux grands ouverts. Irrémédiablement pourtant il sombrait à nouveau dans l'inconscience bornée et idiote de son demi-sommeil, semblant trouver une gaieté étrange à partir défendre les idées de froussards sans être en possession intégrale de son esprit. Ainsi donc il laissa toute la nuit suivre son cours, sans bouger, sans mot dire, un émerveillement béat lui peignant le visage.

L'astre solaire eut tôt fait de pousser la veilleuse nocturne en coulisses, mais c'est le grésillement aigu d'une voix neuve qui remonta le soldat de l’abîme noir de ses rêveries. Une douce caresse passa, souffle de vent, sur ses joues, mena son ouragan de tendresse le long de ses muscles saillants et termina finalement sa course quand un mielleux baiser atterrit sur ses lèvres, piquant de son acidité matinale sucrée. Le spectre d'un sourire étira ses lèvres pâlies par la veillée, et ce furent des yeux bruns inondés d'amour gluant qu'il leva sur l'ombre fine qui se penchait sur lui. La silhouette, allongée en courbes désirables, jeta un effroyable sortilège au jeune homme et s'en fut muette, dégainant un charme tout féminin. Le bec ouvert par une stupidité admirative il suivit le cheminement de son épouse alors même qu'il ne la voyait plus. D'un regard pesant d'une sorte d'ivresse fatiguée il contempla l'unique fenêtre de la chaumière, carreaux tâchés de boue et d'intempéries au travers desquels on ne distinguait plus le dehors, bien qu'il se plaise encore à essayer de deviner les évènements de l'obscur jour de la rue. Ce fut finalement l'odeur, merveilleusement âpre et forte du café qui acheva d'éveiller ses sens paralysés par une fièvre songeuse. Dans la lumière quotidienne tamisée par la crasse du carreau, il se leva pour recevoir le gros bol de liquide noir porté par la silhouette onduleuse de son épouse. Trempant savamment les lèvres dans le nectar brûlant, les retirant dès que la morsure sirupeuse et chaude gênait les gerçures nerveuses de sa bouche, recommençant ensuite ce manège savoureux, le futur missionnaire resta bien planté sur ses pieds, au milieu du passage, entouré par les objets inanimés menant une ronde extatique. Absorbé dans sa résurrection matinale, à peine sentit-il les plis de son pantalon se tendre contre ses mollets et ce fût donc le son terrible d'une jérémiade en cortège qui le fit baisser les yeux, abandonnant du même temps le breuvage, qui s'écrasa au sol dans un bruit de cassure. Mais son attention, attirée par le visage de sa gamine, qui, encore, annonçait l'imminence d'une question, évita de considérer la tache brune qui se répandait sur le plancher vulgaire. Les sourcils froncés, fataliste, il attendit l'exécution de la menace curieuse qu'il percevait sur le visage candide de sa progéniture. L'échéance ne se fit pas attendre, et sonna le glas, déjà, de son délassement de commencement de journée.

« Pourquoi tu t'en vas ? J'veux pas moi ... »

Le questionné eut un soupir allégé par l'habitude. Ce n'était pas pour défendre ses idées qu'il fuyait son foyer : il maintenait la paix pour idéal. L'amour de la gloire était resté hors de son coeur, singé par la volonté de combat qui pressait parfois les muscles des hommes. Ce que le père désirait ne ressemblait en rien à cela. Son coeur, assoiffé toujours, jamais repu, réclamait moult découvertes dans une symphonie de cris dérangeants. Le voyage, dès sa naissance, avait son unique but, son soutien dans les mauvaises passes et sa philosophie. Jamais la fée qui ne l'avait bordée, poupon rond et habitée d'une tranquillité orgastique face aux murmures seuls du vent, n'aurait prévu que le soldat s'arrête un instant de marcher, pour regarder où il plaçait ses pas et ce qu'il laissait derrière lui. Pourtant un inattendu miracle si naturel s'était abattu sur lui, quand, somnolant appuyé au mur branlant d'une taverne, une jeune femme l'avait dépossédé de ses grandes aspirations rêveuses. Femme qu'il avait bientôt épousée et avec qui il menait une union heureuse d'où avait naquit la galopine qui se tenait devant lui, pouce enfoncé entre les lèvres, tête penchée imitant une patience toute chimérique. Il ouvrit grand les bras, et l'enfant propulsée par des ressorts imaginaires fut tout de suite coincée contre son torse, tête ronde posée dans le creux musculeux de son épaule. Un murmure germa sur les lèvres humides du rêveur.

« Je vais te dire un secret, d'accord ? Il faut des gens pour protéger les petits enfants comme toi, et les gens gentils comme ta maman. Et comme papa veut que tout le monde vive bien, il va protéger ces gens, tu vois ? »

Maintenant la précieuse gamine tout contre lui, il fit courir une main portée par la culpabilité angoissée sur les cheveux d'anges de la fillette. Dans l’entrebâillement dénué de porte qui donnait sur la petite pièce des marmites, la mère malheureuse couvait ses deux amours d'un regard triste. Le mensonge se lisait dans les esprits des adultes : l'un comme l'autre savait que le père, porté déjà par son désir de voyager, partait pour une mission dangereuse dont il n'était pas sûr de revenir moralement conservé. La fille, apercevant le visage aimé de sa mère, bondit de l'étreinte tiède de son père, rattrapée de justesse par la jeune femme qui remercia dans son coeur les dieux de lui avoir donné une fille si légère. Avec un sourire triste, le mercenaire saisit une bourse posé sur le banc de bois, et sortit de la maison silencieuse, tête baissée sur son mal pathétique. Voyager, rendre sa famille heureuse.

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22-05-2013 à 22:26:30
06/11/2011

— Nicholas.

Sous les rayons de soleil son corps tordu. Genoux pliés, jambes ramenées, mains déliées, sourire froissé. Un bruissement de feuille comme le nom qui claqua dans l’air. Claqua à nouveau. N appuyé, s allongé. S’allonger sur sa haine, il aurait pu le faire ; en dépit de ça il restait là, assis, aux abois.

— Nicholas.

Dis-moi que tu reviendras, Nicholas, dis-moi qu’encore une fois je sentirai mes doigts écrasés dans ta paume, et ton regard douloureux sous tes sourcils froncés. Dis-moi, dis-moi. Toutes les choses qu’il n’osait pas cracher au visage de ce monde affreux. Il s’en voulait, pourtant, de se lamenter là, d’attendre que résonne dans l’air son nom pour une fois à la place de l’autre, et il frémissait plus encore que ce ballotin de paille, espèce d’épouvantail au bout du jardin.
Dis-moi, dis-moi. Que tu reviendras, que tu m’emmèneras.
Dis-moi …

— Lepold.

L'espace d'une seconde ses mains rejoignent ses joues, rougies honteusement. Et puis il se retourne : voix dure ; silhouette féminine. Pas vraiment la personne qu'il attendait.

— Lepold, tu te souviens des histoires que racontait ta mère ?

22-05-2013 à 22:27:04
25/10/2011

Une lettre entre ses mains.

Rien qu'un bout de papier froissé ; la plus belle des synécures, à l'avenir sur du papier glacé. Il pleurait, nuit et jour, pauvre enfant de l'amour. Et douloureux ses doigts qui gambadent sur la plage de ses joues, amères vagues de tout le sodium de ses yeux. Son histoire comme cela qui s'écrivait, qui s'écrivit, au passé et au présent, sur un grain de sable, au coin d'une bibliothèque. Sur ses lèvres, sur les tiennes, dans les dents d'une fillette, au fond de tes oreilles. Alors il se lamentait la nuit, et faisait semblant le jour, d'y croire encore. Croire à une vie qui s'enfuit. Joli, le signe de la main. Là-bas, au loin.

Rien qu'une farandole de prose.

Et les ordres, tamisés de cendres souffreteuses, de par ses amygdales. Bouge, un peu, que ton coeur se rallume. Arrête, il ne faut plus. Pourquoi tu remues comme cela ? Drôles d'injonctifs. Père, je meurs, qu'il aurait dû dire, je meurs que tu te contredises. Au lieu de cela, néant sur ses cordes vocales. Et frisson le long de la colonne vertébrale. Malheur, tu rimes, douleur, peur, terreur. Toute la liste des synonymes. La plus belle baffe de toute sa vie. Qu'est-ce que tu fous avec de l'encre sur les doigts ? Dis-moi, depuis quand t'as jeté l'ancre ? Là-bas. Marre, il en avait marre.

De ce papier mouchoir.

Des caresses sur sa paume. Quand il replaçait les lettres, que de nouveau elles s'enfuient, en jolies colonies de vacances. Oh, mourrez, qu'il soupirait. Il ne le voulût pas. Pourtant, cela arriva. Tout se perdit un beau matin, sur la peau d'une catin. Les mots en phrases ; chaque emphase. Jusqu'à la plus petite goutte qu'on boute hors là. Va voir ailleurs en ce pays où le suc encore est résine au coeur de sève. Va voir ailleurs en ces contrées où le bonheur dehors se lève. Tout s'en alla ; dans ses yeux, au fond.

Bleu lagon.

Crève que je t'aide. Meurs de vivre tellement. Si tu pouvais rire, sourire à temps. Il se disait des choses, deux trois métamorphoses. Et un conte, que l'on raconte. Un jour tout revient, de par quelque heur bénin. Ce jour-là, il n'en a cure. Le suivant, seulement, il s'en fut au dîner penser à quelque chose que peu de gens osent. Il posait des mots de ci, de là. Regarda attentivement si l'un ou l'autre causait allègrement, et fut témoin alors de quelqu'union civile. De là naquit peut-être, cette merveilleuse histoire. Il s'en souvint encore longtemps, le temps passé.

Faut savoir pardonner.

Souriait jour et nuit, l'autre enfant de la pluie, un peu trop bien grandi. Des mots qui le transperçaient. Comme lève-toi, marche, et crachotés sur le quai. Entre deux dents pourries, trouva le temps à une banalité de bonhomme, qu'il dut à un charretier qu'avait jeté ses clés. Dans l'auberge entré, il s'assit comme avant. Voilà que le jeune homme s'absout tout seul ; du coup il peut reprendre la plume. A la lueur de l'encre, se retrouva à l'aube dans un monde à vivre.

22-05-2013 à 22:27:37
02/02/2011

Dans un joyeux bazar de sourires, jetés en bataille, de mains poisseuses et d'innocents regards, des enfants jouaient. Les deux, joues barbouillées du sable du désert immense qui se déroulait lentement à leurs pieds, s'arrêtèrent soudain. Deux corps minuscules dans un seul esprit. Les visages enfantins se tournèrent, tandis qu'ils s'écroulaient tous deux sur leurs genoux, dans l'étendue sablonneuse. A leurs pieds s'étendaient des mètres d'océan, et, ainsi agenouillés dans les embruns mousseux, ils se sentaient roi et reine de l'univers. La mer montante roulait ses flots d'un mouvement toujours identique, embrasée dans la lumière rouge du soleil crépusculaire. Dans un silence assourdissant, les lames aiguës se fracassaient contre les dunes et s'étouffaient dans les mailles tendues par les herbes drues piquées dans les sables. Un sourire parfait s'étendait entre les joues rondes des marmots, qui aimaient à se prélasser là, dans la paix du soir couchant et à regarder les vagues battre de leurs coups de fouet répétés les flancs de la terre. Maintenant entre leurs mains leurs petites têtes rondelettes, les gamins, la figure peinturlurée d'une expression toujours identique, songeaient à leurs parents angoissés qui parcouraient les chemins à les chercher, et éprouvaient encore plus de bonheur honteux à admirer la quiétude sereine des ondes salées. Joie volée sous les étoiles chatoyantes. Allégresse coupable.

Sur les étendues roulantes de la mer, un corps voguait, ballotté par les flots indécis, porté par les courants confus, menacé par le piège des récifs, tendus sournoisement dans l'immensité verdâtre. L'océan, fâché du trouble causé à sa tranquillité apaisante, se mit à déchaîner sa houle sur le rivage paisible, auquel il offrait habituellement coquilles colorées, crustacés timides et étoiles parsemées de ventouses pour le remercier de recueillir ses douces violences. Le paquet humain, entraîné dans tous les sens différents à la fois, finit par trouver asile au coeur d'un rouleau plus tranquille encore que les autres, qui le coucha sans trop de heurts dans la spacieuse carrière sablonneuse. Allongé là, inconscient de sa chance présente et de ses soucis à venir, l'homme semblait ronfler, bienheureux. Une heure peut-être s'écoula. La mer, calmée à peine, frappait encore la plage de ses lames, et les bambins contemplaient ce spectacle, yeux grands écarquillés, luisants de béatitude passionnée. Un curieux hasard s'empara alors de leur destin immobile, et le temps d'une respiration, un large faisceau de soleil inonda le corps échoua de sa lumière sanglante. Le garçonnet se leva en premier, entraîna la fillette dans une course revigorante dans le sable. Les deux amis s'arrêtèrent au dessus du visage du dormeur, et penchèrent de petites têtes curieuses sur la figure teintée d'une blancheur cadavérique. Un instant, ils relevèrent leurs grands yeux ouverts, s'immobilisèrent le temps d'un échange tacite, et accroupis dans le limon humide, étirèrent de leurs petits doigts boudinés les paupières closes et ensanglantées de l'inconnu. La blancheur pure, mortelle et frappante des pupilles, les fit tomber sur leurs derrières, choqués par leur première rencontre avec le spectre qui venait chercher les agonisants. De leurs menottes, souillées par le fluide vital de l'étrange dormeur, les chérubins se frottèrent les yeux, répandant le plasma visqueux sur leur peau fraîche. Muets, figés tous deux dans le fendillement impromptu de leurs innocences, les jeunes restèrent là encore, si longtemps que la Lune, seule à veiller le ciel déjà, put les observer de sa pulpeuse prunelle blanche.

Ce fut finalement la fillette, qui, tristement impressionnée par le regard éteint du gosse, se raisonna à se lever pour rejoindre le lit dur qui l'attendait dans la froideur sèche et opaque de sa chaumière. D'un regard où coulèrent en ruisseaux tous les mots du monde, la petite ménagère contraignit le futur homme à se redresser lui aussi. Au bout de quelques pas, ils se quittèrent avec un sourire entendu. Lui, sur le chemin bien dégagé qui menait à la place forte du canton, se traîna d'une démarche de machine. Elle, pieds nus sur le sentier de terre hachurée, percée ça et là par des petites pierres éparses, se lança dans une course à la gaieté chimérique. Dans les reliefs du teint cadavérique de la dépouille solitaire, des ombres se dessinaient déjà, charognards affamés, mis en quête d'une chair moisie, usée par les aléas glauques du temps. La véritable nature, merveilleuse dans sa candide onctuosité, entamait un deuil affreux. Le défunt, allongé à jamais dans le sable grossier de la crique, méritait qu'on lui dédie les plus chaudes et aigres larmes pour le récompenser de la peine qu'il s'était donné tout le long de sa périlleuse vie d'objection. Il n'y avait pourtant que l'océan, dans son amplitude amère, soutenu par les folles herbes qui pleuraient le disparu, car de tels refus lui avaient mis à dos bien des ennemis. Et sur la dune, perdue dans les roseaux tranchants et épineux, une petite fleur, frêle et tremblante comme une tuberculeuse, vit le jour, baignée dans le sang pourpre du délaissé en putréfaction.

22-05-2013 à 22:28:16
10/08/2012

Une cascade de notes, au rythme envolé de ses pas qui se gravent sur le sol granuleux. Entre autres, un caillou crisse entre deux congénères, un galet qui s'infiltre sereinement entre son pied et la semelle de paille ; un soupir qui s'échappe d'entre ses lèvres et se perd dans les embruns marins. Elle s'arrête, silence au milieu de cet affolement de notes qui tournaient à leur apogée. Elle étend les bras autour d'elle, vers l'est et l'ouest, elle laisse le vent caresser le fantôme de ses boucles désormais absentes. Elle n'est pas belle, là dans la brise printanière ; elle a des traits trop durs, des yeux un peu cernés qu'encadrent, un peu trop régulièrement, ses courts cheveux bruns. Il faut dire pourtant, qu'elle ne s'en soucie guère, emplissant jusqu'à leurs tréfonds ses poumons de tout ce bon air salé. Elle sourit, mignonne grimace, un peu bucolique, aux arômes mélancoliques. Une langue douce vient lui caresser les pieds, l'eau, froide, filtre entre ses orteils, mouille les semelles trop fines. Elle n'est pas si heureuse, mais pourquoi gâcher ce beau rêve ? Jamais on ne devrait troubler ce monde onirique qui nous recueille la nuit venue, dans son trépas fantastique. Parce que c'est si beau au final, toutes ces pensées abstraites qui s'agglomèrent dans une torpeur nocturne. C'est si éclatant, si doux oxymore explosant de contraste, entre la violence de ce monde absurde et la pâleur du quotidien. Monde qui s'essouffle, qui n'en finit pas d'agoniser. Terre qui se met à pleurer, à ses larmes grosses gouttes qui lui ruissellent sur la peau. Elle reste debout pourtant. Au fond, c'est un peu comme si elle se jurait, là, debout sous de lourds nuages, au coton obscur, de rester debout, de ne jamais tomber face aux embuches de sa vie. Elle pleure, un peu, ses larmes se mêlent à la pluie qui se sale avec les embruns condensés, et elle pleure sans savoir pourquoi, juste parce qu'elle ne peut pas sourire. Ses pieds sont submergés, bientôt ses chevilles subissent les lentes caresses avant arrière des vagues, pourtant, elle n'en fait aucun cas. L'instant d'un orage, elle oublie tout. Elle se laisse bercer par le son de la pluie qui ricoche sur les cailloux, elle s'abandonne aux gouttes qui percutent sa peau avec un peu trop de violence. Elle perd un regard vague dans le jaune fluorescent des éclairs, et elle ne fait même pas attention à la mélodie déchirante du tonnerre qui rompt ses tympans de toute la violence possible et imaginable. Non, elle reste juste là, sans bien savoir pourquoi. Vite, trop vite, peut-être, elle a de l'eau jusqu'aux genoux, et il faut fuir, un peu parce qu'elle ne sait pas nager. Elle frissonne, dans ses habits trempés qui se plissent, se collent à sa peau rosie par la fraîcheur de l'air, elle tremblote sur ses pieds un peu trop humides pour avancer. Alors, elle fait quelques pas, elle se traîne jusqu'à l'abri d'un pic, elle s'appuie au roc, elle se laisse tomber.

22-05-2013 à 22:30:10
10/08/2012

Lève-toi, lève-toi et marche. Rien plus que la litanie de sa vie, qui se perd dans le lagon de ses yeux, et qui explose de notes affreuses sur ses joues trop pâles. Alors la voix qui s'écarte de ses lèvres, et profère comme susurre tant de paroles abominables, glissantes, chuintantes. Bon coeur, qui meure, et pour ne laisser place qu'à ce rictus dégoûté qui ordonne et jamais ne comprend. Cueillie au vol la douleur qui arrache des cris, et rien qu'un monde anéanti qui crachote une dernière volonté. Il n'a plus qu'à mourir, ce soir, demain, encore, vivre à en crever.

&&


Essaie de résumer un être à un sourire, un jour, et tu verras la couleur des peurs qui t'en empêche. Tombe seulement sur ce gamin là-bas, éclat de tignasse blonde et d'yeux coulants de miel. Alors tu verras son sourire crépitant d'étoiles, et la joie qui déborde au coin des lèvres, goutte poisseuse. Bonheur saveur du monde, sucré, abominablement croquant. Et un rire qui s'enfuit comme une explosion, alors que la vie elle aussi finit par sourire face à ce petit bonhomme qui la chérit tant. Alors dis toi finalement, que le monde n'est pas si moche que ça, tant qu'il reste quelqu'un comme lui.

&&


Il se tient au coin du feu, les mains serrées – jointures blanchies – couvrant de longs doigts un visage décharné. Les larmes qui coulent, chacune émotion cuisante, perles de honte ne font plus leur chemin sur ses joues, plutôt y creusent une trachée, amer fossé dans la beauté de ses jours. Peut-être une vie qui s'envole, un amour qui s'apaise. C'est alors seulement que le combat commence, au coin d'une route branlante, tout ça sur les épaules. Et c'est comme cela, il ne peut vraiment plus rien. Désormais, il n'a plus qu'à se battre pour des idéaux qu'on lui prête.

25-05-2013 à 13:19:34
2011 ? 2012 ?

Elle entrouvrit doucement les yeux, pour à nouveau les clore à demi alors que le monde n'était plus que farandoles. Absente, quelque part, une fanfare de saltimbanques braillards dansaient une ronde, main dans la main, doigts écrasés au creux de la poigne des autres, foulant la poussière de leurs babouches grisonnantes. Une odeur de fruit macéré trempait l'air. Quelques bateaux, en rond, voguaient ; l'un chavirait, et le tonnerre de la mer, effroyable, l'engloutissait sous des regards moqueurs couverts de rires sardoniques. Et le monde tanguait, soumis aux caprices du roulis d'une mer déchaînée réclamant son dû ; nonobstant cela, une comptine s'élevait dans des bouches enfantines, rejointes par un chœur adulte ; comme une quelconque chanson à la gloire d'une bataille infinie entre espoir et désespoir. Et le monde était fort.

Sur son cœur s'abattait une pluie diluvienne, comme se répandaient quelques larmes sur ses joues jaunies par les brûlures glacées du soleil et les éclats bouillants du vent, dégageant une âpre odeur de terre bouillie, comme une main glissant sur sa peau. Respirant amèrement l'entêtante et aigre odeur rosée qu'il exhalait dans un souffle, elle fit mine de remettre en place une mèche carbonisée par des flammes malades et regarda voler quelques cendres au milieu d'une tignasse brune qui peinait à couvrir son front déjà creusé. Elle pressa doucement sa poitrine ; plus fort la deuxième fois, comme pour chasser quelque démon affreux dévorant le corps de ses farces. Un air faux claqua dans l'air, comme elle en connaissait trop.

- Debout, il faut te battre.

10-06-2013 à 20:18:38
07/03/2010

Le vent tourbillonnait, s'engouffrait entre les arbres qui frémissaient lentement. Le froissement délicat des feuilles qui avaient échappé à l'automne, conjugué avec le croassement incessant d'une bande de corbeaux parés de plumes d'un noir éblouissant, produisait un effet répété de douceur tiède et apaisante. Une vague odeur fleurie flottait en apesanteur dans l'air en une tornade de fraîcheur. Les rues, vides de monde, répandaient une désolation nostalgique.
Un seul bruit, un unique mouvement de routine, une seule silhouette venait troubler le tableau. C'était un murmure vague de pédalier et de dérailleur, d'une roue qui frôlait lentement le trottoir ; un geste répété et quasiment inconscient de rotation pour appuyer sur les pédales ; et une silhouette d'adolescente, simplement en gilet avec une longue écharpe violette teintée de rosâtre flottant dans les bourrasques, et qui hoquetait, joyeuse malgré le froid coupant.

J'étais accoudé à ma fenêtre, et, comme d'habitude lors des longs jours du soleil, je ne faisais strictement rien d'autre que d'observer les rues de mon village perdu en rase-campagne. Il n'y avait que de très rares passants, surtout par une heure de la matinée aussi précoce et par un froid aussi saisissant. Mais cette fille, avec ses longs cheveux bruns battant ses épaules, passait très souvent. Autour d'elle, on devinait une atmosphère de courage et de rêve sans fin ; on devinait aisément, même sans être perspicace, qu'elle n'avait rien à faire de ce qu'on pensait d'elle. Ce matin là, les roues de son vélo aux couleurs rouges-orangées crissaient dans la neige blanche qui couvrait d'une fine pellicule la route de cambrousse. En fait, chaque fois que je m'accoudais à mon rebord de mon fenêtre, c'était dans l'unique but, bien qu'inconscient, de l'apercevoir. D'une manière absorbante, elle était différente de tout ce qu'on pouvait percevoir par ici.

Ce jour-là, je décidai d'aller la voir. Comme elle passait invariablement à la même heure, je sortis un peu avant, bien emmitouflé dans ma veste de ski, et une écharpe bien serrée autour du cou. J'attendis péniblement dans le froid, frissonnant en de longs spasmes répétés, me demandant comment diable elle pouvait tenir sur la selle de son vélo. Enfin, elle arriva, pédalant à toute vitesse, l'air absorbé ; je m'étais planté tel un piquet au travers de sa route et elle ne me vit qu'au tout dernier moment, freinant de toutes ses forces avec ses pieds. Elle me percuta de plein fouet et je me retrouvai allongé sur la route, dans la neige, tandis qu'elle était assise sur le trottoir.

Elle ne prit pas la peine de s'excuser, comme si elle avait été muette, et moi j'étais incapable de me relever, comme frappé par une étrange force maléfique. Mes yeux se levèrent lentement et cherchèrent à rencontrer les siens, mais ses pupilles étaient tellement blanches, tellement profondes que le simple fait d'y plonger mon regard accru encore la douleur qui m'arrachait le cœur, me faisant suffoquer amèrement. Et je compris alors que j'avais fait une énorme erreur en ne restant pas appuyé devant ma fenêtre ce matin-là. C'était la fin, ma fin. Ma vision se troubla, laissant devant mes yeux un brouillard à couper au couteau, mes oreilles n'entendaient plus, mes lèvres devinrent sèches, je ne sentais plus ni le bitume ni la neige, et l'odeur fleurie semblait avoir disparu miraculeusement. Cette fille, c'était la mort.

La mort.
Ma mort.

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