"Nous n'avons pas peur que la nuit vienne..."
-2012-
Drinks-
Ce texte a été écris pour l'anniversaire de ma petite madeleine fondante au citron ( DRINKSOUNEEEEEET <3 ) avec l'aide de Popo ! L'étoile, c'est elle, dans l'histoire comme dans la vie :3. ( Et l'oiseau, il sent bon le citron ! )
Depuis combien d'années, cette lumière t'appelait-elle ? Une épingle accrochée dans le sombre manteau de la nuit, petite lueur piquetant le ciel si noir. Tes yeux s'étaient posées sur elle alors qu'ils découvraient à peine le monde ; la Lune t'avait sourie avec bienveillance. Toi, sur ta branche, tu émergeais, dans un coin du nid. Tu étais le seul oeuf à avoir éclot. Ta mère n'en avait pondu que deux, et l'un était tombé.
Elle nettoyait tes plumes blanches, décolorées ; tu n'étais qu'une petite larve duveteuse au bec immaculé. Ne brisant l'harmonie de ce plumage de neige, que deux yeux d’obsidienne encore sensibles et humides. Tes pattes fragiles comme les brindilles du nid tremblotaient doucement, tu levais ta tête encore légère vers le ciel. Ta mère attendait que tu ne manges la coquille. Mais tu restais là. Fixé sur une lumière qui dansait quelque part, parmi tant d'autres... Une étoile un peu spéciale, légèrement folle, qui connaissait les sourires comme ses propres petits pieds blancs dans ses souliers d'argent. Elle pouvait les compter, et leur donnait à tous un nom. L'étoile des sourires, c'était elle ; le bras gauche de la Lune, à qui elle rapportait tout les soirs son compte rendu de tout le bonheur du monde.
Un petit point qui dansait dans l'espace. Tu le dévorais de tes prunelles noires, et ta mère attendait, à côté. Toi, tu ne voulais pas de cette coquille. Tu voulais juste chanter pour que l'étoile te regarde.
Alors en pleine nuit, comme ça, tu as forcé sur ta gorge fragile... Tu as essayer de libérer un chant de ton bec pâle. Mais tu étais trop jeune, tu ne pouvais pas encore. Ton corps ne pouvait pas, pauvre petit oisillon... Tu t'es brisé en essayant. Aucune note n'a échappée à l'emprise de ton corps délavé. Tu as grandis. Le chant ne s'échappait toujours pas de ton coeur.
Il était pourtant là, plus fort en toi que dans n'importe qui d'autre... Tu aurais dût pouvoir libérer la mélodie comme aucun autre avant toi, avec ta voix qui voulait tout le temps s'élever pour donner son avis, avec ce chant qui remuait quelque part et geignait sous tes plumes blanches. Le temps roulait sur toi. Tu restais muet, comme lui. Sans réussir à chanter.
Tes plumes si blanches ont prises de la couleur, et peut être, parce-que tes yeux fixaient toujours le ciel, elles sont devenus bleus. Bleu comme un ciel d'été sans nuages où le soleil rayonne en roi solitaire ; bleu des yeux d'un enfant qui ne veut pas grandir ; bleu d'une mer que tu ne connaissais que du babillage des oiseaux migrateurs ; bleu comme un lac quelque part, auquel tu aurais aimé boire de l'eau plus pure encore que celle de la rosée matinale.
Le temps passait, bleuissait ton plumage de sa mélancolie. Tu regrettais ce premier soir de ta vie, où si tu avais pu chanter, l'étoile aurait posés ses yeux lumineux sur toi. C'est en essayant que ta voix s'était cachée à l'intérieur de toi ; elle avait peur de ce monde si vaste. Aussi jeune que toi, elle n'a pas voulu sortir, et plus jamais après, elle n'a osé quitté ta gorge. Trop tôt, tu lui a demandé de prendre son envol hors de ton petit coeur ardent.
Ta voix enfermée tout au fond de ta poitrine. Tu avais l'impression d'être prisonnier, ainsi privé de ton chant par une puérile impatiente. Alors, pour combattre cette terrible impression, tu es partit du nid à grand tir de tes jeunes ailes bleues. A la recherche de liberté, d'une voix nouvelle pour libérer la tienne de sa peur, et pour trouver un pont... Un pont vers les étoiles, car là haut, il y'en avait une qui comptait les sourires, qui n'attendait que toi même si elle ne le savait pas ; mais malgré tout, tu comptais bien la rejoindre.
Intrépide oiseau bleu qui ne pouvait pas chanter.
.oO
L’azur de la nuit noire, gardant les accents céruléens du jour qui perdaient les lumières d’astres lointains, s’élançait subitement, plein de glissements sourds. Un instant glacées dans les accents muets d’une valse d’obscurité, quelques étoiles tombaient, pluvieuses ; drapées dans des pans de ténèbres. De bien trop loin, elles arboraient des sourires factices, poupées coulées d’argent ; se courbaient dans une révérence, quand, timide, dame la Lune, reine de ces cieux, montraient ses joues aux rondeurs gracieuses.
Tels les échos d’une voix qui depuis bien trop longtemps, n’a plus osé chanter, l’une d’entre elles se tenait un peu droite, brillant un peu trop fort. D’un sourire, parfois, se fendait ; et quand il s’étendait, douce courbette, sur ses éclats dorés, jamais faux ne se faisait. Dame l’étoile, haut perchée dans ses galaxies, trop lointaines, dame l’étoile, aux bras de la Lune, rêvait souvent de ces sourires, couvés de si loin qu’ils en étaient géants. Demoiselle aux joues empourprées, elle s’inclinait, le soir, aux pieds de sa dame sélène, lorsque des mots murmurés semblaient claquer entre elles.
Alors, la danse l’emportait. Quelques bribes de son lui semblaient venir, comme quelques notes perdues, dansant sur une portée ; trop éloignées les unes des autres pour former une farandole. A son grand dam, jolie étoile, elle ne dansait jamais qu’avec la reine. De loin, les pieds ancrés dans l’herbe molle, leurs éclats perdus semblaient douceur glacée. Demoiselle se laissait sombrer dans les gouffres amers de son âme abandonnée, dansant sous les couvertures d’ombres dévorantes. Sortie de la meute, l’une d’elle formait parmi les cristaux de son corps déchiré le mime d’un sourire qui ne la quittait plus.
Les siens étaient ailleurs, lancés aux bras ouverts d’une planète regorgeant de merveilles que jamais l’étoile ne se lassait d’admirer. Intangible son cœur s’en serrait, amoureux, battant plus fort s’il n’avait jamais existé. Elle se prêtait l’amour ; s’offrait des accents de jours parsemés d’envie peinturlurée. Aux couleurs, elle donnait son âme, à la vie, qui palpitait, grouillante, elle tendait les mains, agitant les phalanges de ses doigts. Damoiselle l’étoile, au creux de ses émois, se donnait ce que dame Nature ne lui avait pas souhaité. Son regard s’étendait, douce caresse amoureuse, houleuse onde sur l’océan.
Entichée des sourires qu’elle voyait entre les joues, des rondeurs délicieuses de quelques planètes, du vent frémissant qui faisait trembler le monde ; amoureuse de la vie cachée derrière tous ces masques et costumes. Elle comptait les sourires dans ses bras offerts ; et leur donnait des noms, de si loin. De si près …
Un songe, s’étendant dans la nuit, s’arrachant au jour, faisait miroiter son sourire d’éclats de joie venus d’ailleurs. Elle se perdait aux bras de la Lune, pauvre étoile, belle étoile, songeant parfois avec un point au cœur à toutes les choses qu’on disait « magnifiques ». Demoiselle perdu dans les méandres oniriques, espérait plier la tête comme la marguerite délicate, se froisser dans le vent comme les feuilles riantes ; désirait s’écouler sur des joues d’enfant, et s’abattre entre leurs mains comme leurs larmes souriantes. Enfin son cœur pulsait trop fort, glissant entre les plumes de l’oiseau qui étendait ses ailes.
Dame l’étoile drapée dans ses voiles rêvait enfin d’un monde sans fin.
Oo.
Il volait depuis que les premières fleurs sauvages avaient montrées leurs pétales au ciel.
Autour de lui, tout était bleu et blanc, lui murmurant moqueusement son enfance, tendant à son esprit avide de liberté, quelques images passées d'une petite larve blafarde qui voulait chanter, en vain. Il se mêlait à l'étendu monocorde et venteuse, survolant les forêts qui se dressaient sur la terre en leur jetant un regard plein d'espoir ; mais elles ne menaient pas à l'étoile qu'il cherchait. Alors l'oiseau continuait, plus loin dans le ciel, laissant à leur danse légère les fleurs cavalières du vent, les feuilles insouciantes qui ne savaient pas encore la brûlure de l'automne, et les nids innombrables qui lui rappelaient son foyer. Il avait donc habité si loin des tours célestes dont parlaient les oiseaux migrateurs ? Les vagabonds éternels, courant après une saison qui fuyait devant eux. Ils avaient des récits à conter aux autres, qui eux, ne quittaient pas une vallée familière, un bois, la berge d'un lac... Leur bec déversait d'incroyables ballades, comme un autre l'aurait fait de notes mélodieuses. Ils chantaient, mais pas pour saluer des voisins, discuter de choses et d'autres et prévenir l'arrivée d'un chat sauvage ; ils chantaient, oui, comme devaient chanter des voyageurs qui rattrapent une saison à tire d'ailes. Et alors, des nouvelles notes, qui n'appartenaient qu'à eux seuls, se glissaient dans la mélodie qu'ils offraient aux oreilles des statiques. Les sédentaires qui saluaient été comme hiver, ne laissant jamais derrière eux un foyer sécurisant, mais pleins de chaînes. Pour égayer leur existence placide dont le rythme suivait celui de la danse du temps, le morne crépuscule d'une âme transit et souffreteuse, que suivait la farandole d'une enfant souriante, le bal d'une jeune fille qui vivait son dernier jour d'insouciance, puis sa mélancolie d'une époque chérie de fleurs épanouies, qui dans un vain élan, tentait de repeindre le monde à ces couleurs gaies ; mais ne jetant sur lui qu'un souvenir déformé, et l'ardent désir de la femme songeuse, faisait aux arbres pleurer des larmes de feu. Puis arrivait son terme dans les bras de la nuit, où elle se blottissait en attendant que revienne une aube nouvelle, pour une autre, qui danserait aussi dans un monde enthousiaste...
Mais pour certains, le dernier bal se poursuivait à jamais, et cette danse éternelle les portait à travers l'horizon, dont ils revenaient en offrant à longues chansons, un peu de liberté et des notes inconnues. Le jeune oiseau avait alors pu entendre la mer, qui roulait et grondait, à jamais en fureur, mais qui ne pouvant s'apaiser, finissait par devenir poussière, comme tout et chacun. Elle se faisait alors désert, éreintée, rouge, blanche ou dorée, soudain immobile et figée, dans l'attente d'un sursaut pour faire battre de nouveau son coeur passionné ; et réveillées les vagues assoupies qui cessant de rêver, finiraient d'être dunes.
Et pourtant, tout cela n'était rien. Ils chantaient plus vaste et plus troublant, plus imposant que Mer et Désert. Ils passaient au dessus de tout cela, ne contournant que d’immuables montagnes... Or, il y'avait bien une chose qui, étrange, ils ne pouvaient laisser sous l'ombre de leurs ailes. Elle, ils se devaient de la parcourir, écrasés et fascinés à la fois, soumis à sa masse grise.
La Ville.
Il n'y avait pas assez de musiques pour décrire sa hauteur, sa majesté hautaine. Elle s'étalait de monts en plaines, tortueuse, affamée, et tel un grisâtre océan, jetait son béton froid sur les rives d'une nature qui se laissait engloutir sans mot dire. Et dans ces méprisantes cités à la faim insatiable... Des tours étincelantes qui touchaient le ciel, menant dans le coeur de la nuit jusqu'aux étoiles flamboyantes. Les vagabonds chantaient sur le firmament qui ne demandait qu'à être atteint, languissant d'ailes courageuses pour porter un oiseau jusqu'à lui. Un oiseau vaillant pour venir lui chanter de tendres mélodies ? Il y'en avait un. Un oiseau bleu, muet, qui attendait un miracle pour courtiser la belle dame d'argent qui captait son regard. Il la voyait qui dansait tout les soirs, quand il volait sous elle, mais en vain il tentait d'atteindre la demoiselle aux sourires ; trop haute, trop lumineuse, elle lui échappait, tournoyant dans l'écrin de la nuit comme un perle folle atermoyant sa chute tout au bout de son fil. Suspendue tout là haut, elle restait trop lointaine, sublime et divine, inaccessible... Ce qui ne faisait que ranimer la flamme de son désir. Il devait chanter pour cette déesse là, amie des lèvres tendues et doucement rayonnantes.
Peut être se nourrissait-elle des ces lumières fugaces ? Peut être brillait-elle de ces sourires recueillis avec toute la tendresse du monde ? Une étoile de bonheur, dont chaque lueur était une parcelle de joie.
Quelques battements d'ailes encore, et il pourrait tenter l'impossible pour elle. Il pourrait chanter ses premières notes à cette belle demoiselles aux souliers argentés.
Juste devant lui, elle se levait en travers de l'horizon, tel un monstre comateux qui sortait du sommeil. Jamais il n'avait été aussi près du ciel, même en volant le plus haut possible. Il se fatiguait toujours... Mais en s'élançant d'une tour... Un de ces arbres miroitants dénué de branches, nu face au monde mais aussi éternel qu'une montage... Il pouvait réussir. Il pouvait la rejoindre. Ce n'était qu'une question de volonté.
Le jeune oiseau se débattit avec le vent pour franchir enfin la limite de la Ville. Ils étaient forts et brutaux, comme furieux. Il comprit la raison de leur colère quand les senteurs de la grise cité lui parvinrent. Jamais plus immonde bouquet ne l'avait effleuré ; la douleur que devait éprouver les brises à charrier de pareilles odeurs ne lui semblait pas même imaginable. Elles étaient faîtes pour transporter la saine fraîcheur et le souffle doux de la nature. Mais ici... Point de pollen, de nectar, ni d'arbres, pour embaumer ces bourrasques soumises à l'exhalaison de la Ville. Elles étaient esclaves des fumées expirés par ce monde de bitume. L'oiseau bleu n'éprouva rien de la majesté que les vagabonds avaient tant louangés. Il ne se sentit qu'oppressé, pris au piège, moins libre encore qu'il ne l'avait été dans son nid étriqué. Ses ailes lui parurent tout à coup faîte de plomb. Il alla se poser sur un large toit gris, éreinté, craignant la mort à chaque contraction de ses fragiles poumons. Étais-ce ici, alors, qu'il trouverait un pont pour rejoindre son étoile ?
Son regard parcourut les rangées d''immeubles, cherchant quelque chose, une indication pour savoir où il devait se rendre, d'où il devait s'élancer. Mais il n'était pas familier de ces perspectives vertigineuses, et tout lui parut faussé, anormal. Ne sachant où commencer, ne pouvant affirmer que telle tour était plus haute que l'autre, il se résolut à voler jusqu'à chacune d'elle, même si il devait y passer le reste de sa brève existence. Après une courte pause sur la grise terrasse, qui ne purgea en rien ses poumons, ni de la fumée, ni de la douleur, il s'élança de nouveau dans les vents de la Ville. Balloté un temps, il risqua plus d'une fois d'aller choir fatalement contre une des tours miroirs. A ces occasions, il aperçut les étranges créatures qui s'y terraient, loin de l'air pur. De grandes choses difformes à la gestuelle étrange, qui pour certaines semblaient plus molles qu'un vieil ours hibernant ; et d'autres, qui gesticulaient frénétiquement en un sens comme en l'autre, prises de folie ou incapables de faire preuve d'économie de mouvements. Ainsi, tels étaient les architectes de cette écrasante cité ? Ils étaient aussi monstrueux que leur œuvre.
L'oiseau bleu finit par se poser de nouveau, autre part, saoulé de la musique dissonante de la Ville, ivre à en mourir de la fumée et de l'air vicié. Il alla se poser dans un coin d'une autre terrasse, en sens contraire du vent, protégé par de petites rambardes coulées à même le sol. Au milieu de ce désert aride, s'élevait une singulière idole de fer qui bourdonnait comme un essaim d'abeilles, semblable aux ramures d'un cerf et à d'imposantes serres. Peut-être étais-ce un oiseau de fer planté tête à même le béton ? Dans quel but ? Seules savaient les créatures qui de leur folie, avaient données naissance à la Ville.
Il se pelotonna dans le coin, boule de plumes azurées assaillit par le monde autour d'elle.
Du temps passa, chevauchant les bourrasques furieuses, sans que l'oiseau bleu ne réagisse. Il avait besoin de repos. Il attendrait la nuit pour trouver d'où rejoindre l'étoile des sourires...
-Dormir ici n'est pas très judicieux. Lui fit remarquer une voix au dessus de lui. Vois-tu, le vent est fou, et il tourne parfois ; les singes aussi. Ils viennent se perdre ici pour oublier un peu qu'ils vivent dans ce monde gris, en plongeant leur esprit dans des fumées lascives et une eau à l'écœurante odeur. Il arrive, aussi, qu'un d'eux saute pour mettre fin à ses jours, et découvre qu'en bas, et bien, la Ville le rattrape tout de même : à t'on idée de vouloir s'échapper d'un lieu en y mourant ? Ils sont stupides et violents, souvent ; surtout malheureux enfaîte.
L'oiseau bleu releva la tête d'entre ses jeunes ailes aux plumes doucement ébouriffées par des brises égarées. Il trouva, penché sur lui, un vieux corbeau aux yeux brillants, au bec jaune comme un pissenlit et au plumage aussi sombre qu'une nuit délaissée par la lune.
Que fais-tu ici ? Tu n'es pas de la Ville, ton ramage et trop bleu, tu sembles trop pur. Tu n'es pas non plus un vagabond à la recherche de l'été. Alors qui ? Quoi ? Qu'es-tu donc ?
Il ne chantait pas en lui parlant, sa voix étaient rauque et bruyante, sans mélodie aucune. Jamais l'oiseau bleu n'avait entendu quelque chose qui ressemblait au ton du corbeau. On pouvait donc communiquer sans chanter ? Et si... Et si il pouvait faire de même lui aussi, s'exprimer sans chanson, en laissant la mélodie tout au fond de sa poitrine ? Il n'y avait jamais pensé.
-Je viens chanter pour une étoile.
Un croassement qui faisait outrage à l'harmonie qui avait bercée son coeur toute ces années durant. Comme une rébellion contre sa propre enfance silencieuse ; une sorte de délivrance poussiéreuse et dissonante. Mais une délivrance.
L'oiseau bleu s'émerveilla de sa voix rocailleuse, tout droit sortit d'outre tombe. Ce n'était même pas l'ombre du chant qu'il voulait délivrer à sa belle ; mais ses premières paroles, mieux que n'importe quelles notes, le disaient tout entier, tout de son âme et de l'ardeur de ses désirs.
Que le monde entier lui répercute les échos de sa liberté, tout juste jaillit du fond de sa gorge comme un vieux serpent aux écailles de pierre. Râpeuse, sépulcrale ; elle était là, sa liberté à lui.
-Quel bel accent ! S'exclama le corbeau dans un rire de jet de graviers. Tu n'as pas l'air corbeau, mais ta voix est une véritable merveille ! On pourrait presque te prendre pour une petite corneille tombée dans un pot de peinture !
Le vieil oiseau pencha la tête, comme il aurait étudié une charogne qui se serait mise à faire des claquettes avant le premier coup de bec. Ses yeux noirs comme des billes d'onyx étincelèrent.
Et donc, la petite corneille veut chanter pour une de ces dames d'argent qui danse au firmament ? C'est beau comme projet dis moi, c'est mignon tout plein ! Mais ce n'est qu'un rêve, pas vrai ? Les étoiles ne regardent pas la Terre, parce-qu'il y'a encore un autre ciel au dessus d'elles, et qu'elles aussi elles veulent sûrement s'y rendre, tu vois ? ELLES, ELLES, ELLES ! Il n'y en a que pour les étoiles ! Mais je suis pas beau moi, hein ?! Je suis pas l'oiseau rare, le corbeau de tes rêves ?! Allez, noie ton chagrin en embrassant mon vieux bec jaune ! Ô, chériiiiiiie ! Com on darling, kiss meeeee !
Il repartit de son rire graveleux en tournant sur une patte marbrée de poussière, les ailes écartées et battantes. Une bourrasque attrapa ses plumes et l'envoya culbuter dans l'air. L'oiseau bleu resta silencieux, blessé par l'hilarité du corbeau. Il ne comprenait pas... Il n'avait pas cette flamme en lui, qui pouvait le faire monter jusqu'à son étoile. Peut être n'avait-il pas même d'étoile à chercher, là haut. C'était tout. Un vide dans sa vie d'hère misérable, qui traînait son plumage sombre comme des haillons noircis de la fumée aux sombres particules.
L'oiseau bleu se détourna du corbeau, et s'élança au dessus de la Ville sans un regard en arrière. Le rire grave se perdit dans le hurlement des bourrasques. Il vola sans but, atteint au coeur par les moqueries, et se posa quand ses ailes furent trop douloureuses pour le porter encore. Une pulsation régulière battait son crâne comme un deuxième coeur. Pris de vertige, comble pour un être qui avait voguer toute sa vie dans le ciel, il se trouva un coin, semblable à celui où il s'était pelotonné plus tôt. La nuit couvrait le ciel comme un écrin de soie noire, emperlée des étoiles familières.
Mais ici, leur éclat semblait ternie par la fumée de l'air. La Lune luisait avec moins d'entrain, et l'oiseau bleu dût chercher un instant sa demoiselle d'argent. Il crut mourir pendant cette seconde de vide, où le ciel lui sembla sombre et désert sans la belle aux sourires. Mais elle était toujours là, sûrement à cueillir quelques lumières de lèvres de ses doigts blancs et chauds. Juste là, semblant toujours si lointaine... Alors qu'il était tellement plus haut qu'auparavant ! Les étoiles fuyaient-elles à son approche ? Le vieux corbeau avait-il donc raison ?
L'oiseau bleu sentit son jeune coeur qui se tordait au fond de lui. Pressé, gondolé, rendu fou de douleur, qui s'agitait dément en menaçant d'éclater dans un feu d'artifice, qui ne laisserait que lambeaux dans sa poitrine sèche. Déjà plus de sang dan ses veines. Son corps brûlant comme incendié par la désillusion. Si chaud qu'il menaçait de se déchirer dans un jaillissement de flammes et de vapeurs sanguines, de tonner dans la nuit comme un canon messager de la mort d'un roi. Sa peau craquelée qui laisserait s'échapper une nuée d'étincelles, toute les mèches de ses veines allumées puis vite éteinte, ses plumes brûlées qui valsaient jusqu'au sol, sur la route, et se perdaient entre les grands singes fous.
Une voix brisée pour elle, tout son être tendu pour cette danseuse d'argent... Mais seulement la douleur pour combler le vide qu'avaient ouvert ces offrandes en lui. Elle était simplement trop tournée vers ces sourires qui n'attendaient que sa main lumineuse. Trop belle pour lui, trop haute dans le ciel... Inaccessible.
-Tu broies du noir maintenant ? Il faut arrêter d'aller te coller ainsi dans des coins. C'est sale les toits d'immeubles, tu sais. Enfin, je dis ça pour toi ! Il faut être présentable pour aller chanter la sérénade à une étoile.
-Elle est trop loin de moi. Lâcha le jeune oiseau au corbeau, d'une voix rauque et traînante. Il n'avait pas la force de rejeter ce vieil oiseau moqueur. Qu'il frappe à coup de bec sur son coeur crevé, peut importait. Elle est là haut, et elle danse, au dessus de tout ça, de ce monde, au delà de moi... Je ne suis rien pour elle, pas même un sourire doucement pincer entre ses doigts d'argents. Elle n'a jamais pu prendre une lumière sur mon bec à moi, elle brille de la joie des autres, et la mienne, elle ne la connait pas. Elle ne sait pas que j'existe, je ne peux pas lui chanter... Pas l'atteindre, même d'ici.
-Ah ? Et c'est tout ? Ricana la corbeau. Tu te lamentes, là, tu te roules en boule, tranquille, dans un coin, et tu ne bas plus des ailes ? Tu veux que je te dise, je vais te faire décoller moi. J'ai prêté des plumes à des auteurs maudits, j'ai vu des singes qui se laissaient happer par la drogue et l'alcool ; non, pire, je les ais vu s'aimer puis se haïr, j'ai vu des gens sauter droit dans la gloire, droit de l'artificiel, puis droit dans la tombe ; mais aujourd'hui, c'est bon. J'ai vu la dernière chose que la Ville ne m'avait jamais montré... De l'espoir, de la candeur. De l'idéalisme niais pour un petit oiseau bleu. Mais je pense que tu peux faire mieux, que tu peux être plus. Je pense que t'es fort, pour avoir osé venir jusqu'ici avec tes ailes fragiles, sans chanter ; je pense que tu mérites bien d'atteindre ton étoile, ou au moins d'essayer. Alors bouge toi les plumes, parce-que ce soir, t'es assez haut.
Il se planta face à l'oiseau tremblant de son chagrin d'amour prématuré, déjà brisé, déjà recollé par un semblant d'espoir surgit de son coeur en lambeaux. Il explosa pour faire de nouveau battre ces loques disparates à l'unisson. Un pulsation fantôme pour rappeler aux autres qu'elles devaient aussi se mettre à retentir là dedans, dans cette poitrine d'oiseau bleu aussi muette qu'une pierre. Il fallait être léger comme un battement de coeur pour voler jusqu'au firmament.
Le vieux corbeau présenta son derrière emplumé au jeune oiseau bleu.
Grimpe beau damoiseau azuré ! Pouffa t'il en aillant l'air de cracher des graviers. Mes ailes vont te porter jusqu'au plus haut qu'elles le peuvent ! Je crois que j'ai vu assez de choses pour ma vie, et qu'elle ne pourra pas se terminer mieux qu'en route vers les étoiles.
Il ne posa de questions, et monta. Petit et léger, il pourrait s'élancer de plus haut que de n'importe quelle tour, sur le dos du corbeau. C'était donc lui, son pont vers la belle aux sourires...
Le vieil oiseau s'envola. Par dessus le vent pollué, par dessus les tours miroirs les plus hautes. Il alla jusqu'à loin dans la nuit en glissant dans sa soie, et alors, enfin, les étoiles parurent plus proches. A portée d'ailes. Le corbeau continua, nonobstant la fatigue, battant de ses ailes lourdes. Il sentait la vie frénétique de l'oiseau sur dos, son impatiente et sa peur. Un petit peu plus haut encore... Son excitation, son angoisse légère aux accents d'amour interdit. Mais ce n'était pas suffisant ; plus haut, plus haut... Jusqu'à ce que même ses os se disloquent dans une joyeuse chanson, une chanson de corbeau qui parlait de la mort, des ombres, et de toute les choses belles à des yeux de vieil oiseau qui avait tout vu, sauf la fin de sa propre histoire. Un dernier battement d'aile, qui déboîtait son squelette ; la nuit si fluide autour de lui.
Il était temps.
Tu parleras de moi à ton étoile aux sourires ! Dis lui qu'elle est belle, même parmi toute les autres !
Et dans cet ultime croassement, il commença à tomber, comme le gravier de ses paroles qui clapotait contre l'air, semblable à des petites pierres sur une vitre.
L'oiseau bleu s'élança à son tour, reprenant l’ascension, sans jeter un regard au corbeau, mais en criant pour lui, de la voix qu'il lui avait apprise à prendre. Sans chanter, sans aucune mélodie ; en criant comme une corneille qui perd ses plumes dans un pot de colle blafard. On lui répondit par un rire graveleux.
Puis ce fut le silence, tout la haut, sur les pentes de la nuit, près du sommet du ciel. L'oiseau bleu d'aquarelle contre les cieux de fusain. Ses jeunes ailes vigoureuses qui agrippaient les ombres célestes pour le lancer vers le firmament si proche... Au bout de son bec. Au bout de ses plumes. Au bout de ses serres dorées.
Il fut là, soudain. Un pays d'ombres suspendues et de flammes tournoyantes ; un pays pour les funambules qui dansaient dans l'espace. Un pays sans air... Où voler en ces lieux dédaignés par le vent ?
Mais....
L'oiseau bleu l'aperçut, des sourires pleins les bras. Elle était lumineuse, belle comme le jour, de l'aube au crépuscule. Elle brillait avec la chaleur du soleil et la douceur de la lune ; magnifique, grandiose, comme ça, l'observant de ses prunelles d'argent. Le chant dans son coeur, jaillit soudain. Il n'avait plus peur face à l'étoile vers qui il avait tant aspirer à s'envoler, dés le premier jour. Elle était si proche... Il n'y avait plus de risque.
Une note s'échappa de son bec, légère et prometteuse.
Puis l'oiseau bleu, sans vent pour le porter, tomba de nouveau à travers la nuit. Suivit d'une lumière qui filait à sa suite... Et du chant décadent de son amour, qui lui, n'avait que faire d'une chute.
.oOo.
Et dans le ciel les bruissements d’ailes qui claquaient dans l’azur peuplé d’arcs-en-ciel.
Là-bas où les sourires brillaient dans les couleurs de tes lumières, là-bas où quelques yeux parfois se tournaient vers ses éclats bouillonnants.
Douce demoiselle étoile au sourire qui se faisait grand comme l’univers couvait dans sa ronde de ses yeux remués d’astre le vent courir sur les plumes de l’oiseau bleu. Et il se tenait là, fier, soldat de son cœur, fantassin à ses désirs, qu’elle adoubait tout un coup lieutenant des plaisirs à venir. Dans le cœur son chant fiché, et cet instant où enfin vers les cieux l’enfant s’envole.
Sur la ville moqueuse, sur les forêts brouillonnes, par delà toutes ces merveilles qui faisait dans sa poitrine exploser son cœur, vagabonds dans leurs danses, perdus à ses yeux au milieu des ondes bonheur – tourbillons dans le cosmos, étirés dans le noir. Zéphyr et alizé mariés portent dans leurs étreintes l’oiseau qui bat des ailes sur ses espoirs lointains. Et les chants qui s’envolent, aux échos du soleil, paumés les saltimbanques et les mélodies des aèdes posées sur leurs lyres dont les accents dorés rappellent ses sœurs étoilées. Demoiselle pourtant, dans les notes de ses grâces, n’a de sourires que pour les rêves brûlants au cœur de cet enfant amoureux.
Les mots éclos dans les pétales des fleurs qui s’agitent, sauvages, bercés par la bise des soirées d’étincelles, les mots dans les chants des oiseaux, qui s’envolent. Et dans les cieux qui s’agitent les échos de ses petits cœurs troublés qui font louange de ballades aux frontières du merveilleux qui fait peur aux enfants. Perdue à son firmament demoiselle l’étoile qui en silence les mots articule, et qui les prend comme s’ils étaient à elles. Alors toutes les notes mélodie de la vie qui s’abattent sur le rythme extatique des mondes qui s’entrechoquent.
C’était parmi eux les ballades silencieuses du petit oiseau bleu qui se fichaient, muettes, dans les sourires attachés à son cœur ; alors, jeune encore, l’étoile irradiait un peu plus fort sa lumière, pour éclairer cette espèce de petit ange – attachée à ses yeux tournés vers elle. Dans la nuit qui du crépuscule et de l’aurore tire ces conclusions, dans le berceau du jour, l’étoile solitaire qui à nouveau s’abandonne à ses danses. Oublié l’oiseau quelque instant dans les pas de ses valses délavées. C’était le monde entier qui lui brûlait les yeux de couleurs doucereuses, comme peinture à ces sourires exquis qu’elle cueillait sur la vêprée cachée entre les roses dorées.
Les muses dans les rires éclatants, jetés dans la magie des joues rouges d’enfant, à ses ribambelles dansantes, dans la nuit qui oiseau elle aussi prenait son envol. Les muses comme bercées par les nuages aux bras doux, et toute cette poésie baignée des pigments de salsa bariolée. Douces caresses les ondes qu’elle tendait au monde comme des mains à la paume ouverte ; aux fleurs dans leurs révérences, aux artistes bordés par leurs rêves, aux enfants des monstres cachés sous leurs couvertures. Au monde naissant dans les cœurs vagabonds.
C’était encore les contes, belles légendes, qui brillaient au fond de ses yeux, chaleureuses dans les éclats de couleur ; le rêve de cette mélodie, onirique, qui rythmait sa vie du tempo tendre de l’espérance. Demoiselle l’étoile, alors, s’incline vers le monde, ne jetant plus ses caresses de lumière dévorée à d’autres univers un peu trop loin de son cœur qui défonçait sa poitrine. Et dans ses rires l’histoire qui se perd, murmurée sur les parchemins avec leurs coins brûlées et leur encre étalée aux vents capricieux. Posé sur les toits alors qu’encore une fois, jeune femme dans ses sambas affolées qui tournoient serrant les mains de ses sœurs, l’oiseau bleu qui s’envole pour des cieux plus souriants.
Mère douce amère la nature qui déploie ses camaïeux sur les horizons des mondes aux cultures tourneboulées. Chamboulé de quelques mots dans les instants le monde qui tourne un peu trop vite. Conte de douceur paniquée – désirs alors que l’oiseau quitte sa branche, encore une fois. Quelque part aussi, lové dans les raies de couleurs embrassant la planète, un vieux corbeau qui paument dans ses rires quelques accents d’espoir. Et croassés les chants aux relents de fleurs fanées d’où naissent d’autres mondes – cachés dans d’autres univers. Vague sur l’océan houleux, le bonheur dissimulé du monde qui se courbe un peu froissé par les notes et les mots glissés sur la portée. C’était l’oiseau encore, qui dans ses ballades louait un monde incroyable – vérité barbouillée de couleurs laissées loin derrière. C’était dans ses yeux brillants la passerelle qui propulsait un petit monde vers des cieux qui se peignaient du noir des ténèbres glacées et où chaleur l’étoile brillait à toute folie. Demoiselle encore qui de son seul sourire veut faire briller un monde qui s’envole parmi ses décadences.
Et sur les plumes d’aquarelle qui s’agitent dans les lueurs de l’étoile, nouveau-né le monde qui naît en braillant. Rien d’autre dans l’univers qu’un sourire à la corneille qui dans sa chute emporte les vieilles espérances écloses au point du jour dans les marcs de café. Sur les traits de fusains, perdus dans le papier canson, au milieu des pastels, des crayons gras et des pinceaux qui farandolent, tendre, le chant qui jaillit du cœur en douces arabesques, ode à l’étoile. Demoiselle rougit sous ses yeux coulés d’argent qui sourient plus encore que ses lèvres étirées. Une note, décadente, une note qui le suit dans sa chute …
Alors, l’étoile qui s’élance, derrière son petit monde qui s’écroule. Lâchés, dispersés aux étreintes de ses amies les sourires du monde recueillies au creux de ses bras ; abandonné, l’univers à aimer. C’est l’instant qui emporte le cœur – peinture à l’huile. De ses sourires encore s’étire celui-ci, promesse d’amour et de douceur enlacées. Petite étoile tend les bras à l’oiseau affolé qui ne cesse de tomber. Et dans ses mains ouvertes recueillies le petit oiseau bleu aux amours sauvées. Alors …
Le chant qui s’élève.
Amour – explosion de paradis.
OOO
Et maintenant tout les soirs, l'oiseau chante, lové dans les paumes serrées de son étoile, contre son coeur qui brûle, brûle, brûle...
"Nous n'avons pas peur que la nuit vienne..."
-Il fait froid.
Ses pieds étaient gelés. Bleus et dures, et morts. Le sang les avait quitté, tout comme l'espoir s'était évaporé de son âme. Il n'en restait plus rien. Il faisait noir autour de lui, d'une noirceur scabreuse dont la simple épaisseur aurait suffit à le rendre moribond. Alors, que le froid s'y ajoute... Et ses pieds, là, pouvaient être en toute légitimité, bleus, dures, et morts. Heureusement, quand la dernière allumette ce serait éteinte, il ne pourrait plus les fixer.
Comme il n'aurait plus à supporter la vue d'Hogla. La regarder était douloureux, plus douloureux encore que de geler sur place, avec sa peau brûlée par le froid, ses muscles inertes, ses os givrés de tout leur long, son souffle, pour ses poumons, pareil à des avalanches de grêlons dans sa gorge, et sa bouche asséchée, plus aride qu'un désert. Si forte était cette douleur là, qu'il lui préférait celle de l'obsédante horreur de ses pieds morts. Mieux valait leur pâleur insensible, que les lèvres ratatinées et exsangues d'Holga. Mieux valait les orteils rigides que ses cils roux habillés de givre. Mieux valait, même, l'image qui se gravait dans sa mémoire, s'inscrivait sur ses rétines en menaçant de ne jamais les quitter y dansant frénétiquement, sauvage, brutale, funambule obnubilant et sadique aux hésitations cruelles ; mieux la valait, que le visage ravagé d'Holga, autrefois doucement rosis et doucement enveloppé d'une chevelure qui avait été rousse, avant que la torture, la peur, le viol et le deuil ne les blanchisse de manière obscène. Oh, tout était devenu obscène à vrai dire.
Ses joues creusées jusqu'à l'os, ses pommettes trop saillantes, ses yeux fixes et vides, d'un vert toujours aussi éclatant, mais inanimé, immobile, givré... L'arrête brisé de son nez, le sang pourpre et froid qui maculait sa peau grisâtre, ses haillons misérables, dont le tissu éliminé et fin comme une buée figée à la surface d'une vitre, ne cachait pas même sa poitrine pendante que des mains immondes avaient pétris jusqu'à faire pénétrer leur souillure jusqu'au plus profond de sa chair. Les tétons bleuis, dressés dans le froid, avaient une couleur glauque qui lui rappelait de la mie de pain sale. Il ne voulait pas même, au dessus de tout, baisser les yeux sur son pubis flamboyant encrassé par la semence gelée, la poussière, le sang et d'autres fluides, tant d'autres... Il n'avait pas tout entendu, ni tout vu, entre ses évanouissements. Combien d'alcools différent avait-on versés sur son corps, pour raviver la douleur des coupures ? Peut importait, et cependant, il aurait voulu le connaître tous ; pouvoir ressasser leur nom, pour ne penser à rien d'autre. Les langues qui parcouraient ses courbes, pour se gorger de sang et s'enivrer des spiritueux mêlés... Glissaient sur sa peau, chaque jour, jusqu'à ce que de peau, il n'y ait plus rien. Seulement des reliefs d'os, des creux, des boursouflures d’hématomes, ainsi qu'une toile grisâtre si sale et peinant tant à couvrir ce qu'elle aurait dû cacher, qu'elle ne faisait qu'exacerber l'horreur de l'agonie d'Holga.
Ça, et le froid. Et ses pieds gelés.
Il fait encore plus froid qu'hier. J'aurais jamais cru que ça se pouvait.
Il n'aurait jamais cru pas mal d'autres choses à vrai dire. Qu'on pouvait manger de la terre quand on avait faim, que l'obscurité pouvait être aveuglante, que ce n'était pas si facile, en fin de compte, d'attraper des rats, puis il y'avait... La torture. La torture, on savait bien que ça existait, mais ce genre de torture là... Ils étaient inspirés, les bourreaux. Pour leur faire avouer une trahison qu'ils n'avaient pas commis, tout les deux, ils mettaient le paquet. Il fallait bien des coupables. Il fallait bien des fêlons. C'était le seul moyen de justifier toute les incohérences du système. Il était beau le communisme, il était bien joli l'état qui les laissait crever sur des lopins de terre collectivisés, et le beau monde aussi il était mignon, tout tremblant à l'idée que l'Homme de Fer vienne lui pétrir la trogne de ses divins poings... On ne plaisantait pas avec celui qui rendait la terre fertile, comme le chantaient les gosses depuis peu, ah, ça non. Qu'il vous demande de faire l'ours, complètement défoncé à la vodka, et vous le faisiez l'ours, et devant tout les autres invités ; qu'il vous demande de prendre des gens, au hasard, quelques-uns chaque semaine, et de les précipiter dans la tombe sous prétexte d'une traîtrise imaginaire, et vous le faisiez aussi, sans même avoir à risquer quoi que ce soit cette fois-ci. C'était plus facile, d'aller arracher des gens à leur foyer pour les torturer, que de se mettre à grogner à la table de l'Homme de Fer. Il était bien beau, le monde. Bien beau.
J'ai froid comme si j'étais déjà mort.
Pour peu que l'allumette s'éteigne, et ça en aurait vraiment l'air, de la mort. Les cadavres devaient avoir au moins aussi froid que ça, une fois creux et à sec. Si il avait eu, au moins, quelque broussaille pour lui tenir chaud ça et là... Mais on lui avait rasé la barbe, sa fière barbe, à laquelle il n'avait jamais touché depuis son premier duvet jusqu'à ce qu'on lui coupe de force, puis tout le reste ensuite. Il n'avait pas eu le torse glabre depuis l'adolescence. Cela lui faisait l'effet d'être plus que nu, et de nouveau quasi-homme, pas encore finis, pas encore bien formé. Ils avaient poussés le vice jusqu'à lui dénudé les couilles ; elles aussi, elles étaient gelées. Il n'y aurait plus rien à en tirer, pareil que ses pieds. Mais là, il préférait éviter de les regarder, comme pour Holga. Cela aurait mis du trémolo dans sa voix déjà rauque. Il s'y refusait. Il manquait plus que ça... Des trémolos. Ah, ça non. Jamais.
Holga... Réponds. Reste pas comme ça. Ils peuvent pas t'avoir volée la parole aussi, hein ? Parle moi mon amour...
C'était le viol, c'était l'oeuvre de leur brutalité. Ils l'avaient faîte taire à jamais. Ils avaient tué sa voix, tué son rire ; tué tout ce qui avait fait d'Hogla son Hogla. La belle rousse sémillante, la belle aux yeux fichés d'étoiles, belle aux sourires lunaires et aux joues joliment roses, la belle petite femme trapue avec laquelle il comptait fonder un famille. Mine de rien, pas plus que ça. Ils s'y étaient escrimés. Deux fausses couches, oui, aussi... Mais ils avaient essayés quand même. Ils n'avaient pas chômé. Il s'y était employé, et pas qu'une fois par jour, à lui faire bourgeonner un mioche dans son ventre soyeux !, mais pour des clopinettes. Le gosse qu'elle avait là dedans, désormais... Il ne sortirait jamais, celui-ci, mort ou vif. Il n'y avait que Dieu pour savoir si on l'aurait eu bien gaillard, gesticulant et gueulant son existence à pleins poumons comme ils l'avaient rêvés en souriant ensemble, à la faveur d'une étreinte.
Il avait fallut que cela tombe sur eux. Pas un voisin, ou un inconnu choppé dans la rue ; non, eux. Et dire qu'il avait travaillé jusqu'au dernier jour ! S'il avait su, qu'on viendrait le chercher... La journée, il l'aurait passé à caresser Holga, à lui susurrer des mots doux pour lui forger une armure de tendresse qui résiste à tout. Aux viols, aux coups, à l'alcool, aux coutelas, aux langues qui glisseraient sur sa peau... Peut être lui aurait-elle donné quelque chose elle aussi, en retour, pour se protéger d'eux.
Il avait eut droit à un autre genre de torture, pour sa part. D'abord physique, bien entendue ; les ongles retournés, les scarifications, les petites brisures ça et là... Puis, quand on avait compris que cela le faisait simplement beugler à mort en chialant, s'agitant comme un diable en renversant la chaise, et les types avec sa grande carcasse secouée de spasmes, on s'était mis à trouver un autre moyen de le faire cracher sur son honneur. L'humiliation. C'était différent. C'était, en un sens, pire encore.
Pour commencer, on l'avait rasé. C'était la première étape. Le tondre, partout, en lui jetant des regards dégoûtés, en lui gueulant qu'il n'était plus un homme. Pendant un jour ou deux, peut être. Ou même pas. Ça n'avait aucune importance.
Ensuite, on lui avait pissé dessus. Au visage. Sur les épaules. Ils s'y étaient mis à quatre. Maintenant, il en aurait presque ris ; l'urine avait au moins l'avantage d'être chaude. C'était toujours ça de pris.
Ils ne s'étaient pas arrêter en si bon chemin. Après les crachats, les attouchements, les menaces, ils s'étaient mis à chier sur son corps allongé. Ils lui avaient attachés les jambes, les bras, puis malgré ses tentatives de résister, avec les forces risibles qui l'habitaient encore, contraint à étaler lui même, broyant ses membres de poignes si dures qu'elles lui avaient laissées des bleus.
En dernier recours, ils avaient utilisé la dernière arme qu'ils possédaient encore : le viol. Il s'était cru à l'abris, en tant qu'homme... Mais à leurs yeux, il ne l'était plus, et aux siens même non plus. Alors il n'avait pas été surpris, quand ils avaient avancés vers lui, et... Ce n'était toujours pas le pire.
Non, le pire, cela tenait en leur coup ultime. Le recours auquel il aurait dû les empêcher de faire appel, en avouant bien gentiment qu'il était un traître. Que ce fut vrai ou pas, que cela lui coûte la plus minuscule once de ce qui lui restait d'âme... Si il avait avoué, ils n'auraient pas été cherchés Holga.
Ils ne seraient pas revenu avec elle. Ne l'auraient pas battu, violée, presque bouffée ; ils ne l'auraient pas tuée, la belle rousse de nouveau grosse d'un enfant, tout ce qui serait resté de lui... Que son coeur battit encore, ce n'était pas grand chose. Il n'en restait plus rien, d'Holga. C'était trop tard désormais. Il avait presque tout vu, lui, de sa mise à mort. Il savait.
Je sais mon amour... C'est que ma faute. Ma faute à moi. T'as bien raison. Ne parle pas. C'est moi qui doit dire quelque chose...
Il alla jusqu'à elle, sans trop savoir comment. En rampant, en poussant sur ses fesses écorchées dégueulassées et endolories d'hématomes. Il se retrouva face à son regard fixe, ses lèvres ratatinées, et la serra contre lui en se faisant mal tout seul ; à constater qu'elle était froide là où tout n'avait été chaleur, et pantelante, abandonnée à tout les contacts. Des cafards auraient pu lui courir dessus, elle n'aurait pas réagis. Son étreinte se perdit dans le vide qu'elle était devenu, en entraînant tout ses soucis pour ne laisser que la douleur. Elle lui tira des larmes, mais aucune main ne vint les essuyer doucement ; elles restèrent immobiles, à terre, comme deux cadavres de moineaux pâles. L’allumette était éteinte, il l'avait laissé tomber. Ça n'avait aucune importance. Hogla ne valait plus la peine d'être vu, elle était devenu une brume que rien ne touchait... Son image n'était qu'une autre souffrance à s'infliger.
Il la lâcha, pour s'étaler à côté d'elle, et attendit. Les ombres pesantes les écrasaient tout les deux, et leur cul étaient gelés. Ils ne pouvaient pas y échapper. Les bourrelets glacés du postérieur hivernale leur rentraient par les narines, la bouche, les oreilles, se pressaient contre leur peau martyrisée, presque nue. Ils avaient forcément affaire au trou du cul de la saison froide... On leur avait réservé, c'était certain. L'odeur était telle, que ce ne pouvait qu'être ça. Le cul adipeux de l'hiver.
Quand la porte s'ouvrit, il se redressa tant bien que mal, déjà nécrosé de tout côtés. Il planta son regard dans celui du geôlier, et lui lâcha trois mots de ses lèvres engourdies par le froid.
Je suis coupable.
Comme il l'avait dit à Holga ; c'était fait désormais. Trop tard, mais c'était fait. L'homme face à lui, aurait dût sourire. C'était ainsi qu'il avait imaginé les choses. Un sourire de cette ordure. Un sourire satisfait qui criait sa victoire. Cependant, ses lèvres restèrent figées.
II le dévisagea un instant, puis repartit en laissant la porte ouverte. Lui, ne bougea pas. Ne regarda pas sur la gauche, pour voir Hogla une dernière fois. Il attendit qu'ils reviennent, à deux, pour le prendre avec un ménagement presque respectueux... A moins qu'il ne fut trop gelé pour ressentir la moindre violence physique.
Juste avant de passer la porte, il entendit un gloussement démoniaque. I tourna la tête ; c'était Holga, qui sanglotait. Elle le fixait avec des yeux énormes, des yeux affolés dont le regard perdu lui donnait l'air d'un enfant abandonné, en gargouillant son nom. Tant bien que mal. Sans sa langue. << jdimichri, jdimichri... >>
Il se mit à brailler comme un demeuré, ébranlé de sanglots, et cracha une bile acide.
Mais si faiblement qu'on ne soucia même pas de le corriger. La porte se referma dans un doux son, fluide et feutré. Il oublia comment parler, pour ne faire plus que hurler. Il oublia comment compter les secondes, pour ne faire plus que hurler. Pour ne faire plus que hurler, il oublia comment penser, et les poings, et les baillons, et le monde entier, il les oublia pour hurler et se débattre.
Il arriva face à la foule en hurlant, endura le frottement de la corde contre son cou trop froid en hurlant, pour ne cesser d'hurler qu'une fois pendu totalement. Alors, le vent se mit à hurler à sa place, et son corps continua de se débattre au bout de la branche, ballant entre les mains des bourrasques...
Une semaine passa. Puis on décrocha son corps pour, qu'un autre prenne sa place. Et tout recommença.
Encore. Et encore.
La semaine d'après, puis l'autre qui suivit. Et des femmes pleurèrent, des hommes hurlèrent. Des mères s'arrachèrent les cheveux, des pères furent fusillés, des soeurs s'évanouirent, des frères burent jusqu'à frapper leur épouse. Des mensonges franchirent des lèvres engourdis, pendant des mois encore. Partout dans le pays. Et partout, tout se termina de la même manière.
Seul le vent resta le même ; toujours froid et furieux, agitant de tout côtés les corps pendus, en portant les lamentations de la Russie qui saignait, emportant les larmes qui coulaient sur les joues, dans les foules amassées face aux hommes qui hurlaient, hurlaient, hurlaient ; qui même en silence, hurlaient par les yeux, par tout le pores de leur peau, hurlaient jusqu'à ce que le vent prenne la relève, du matin au soir, du soir jusqu'au matin, au coeur de la nuit comme à l'aube purpurine...