-Cadeaux-

12-05-2012 à 15:36:56
-2012-
Drinks-

Ce texte a été écris pour l'anniversaire de ma petite madeleine fondante au citron ( DRINKSOUNEEEEEET <3 ) avec l'aide de Popo ! L'étoile, c'est elle, dans l'histoire comme dans la vie :3. ( Et l'oiseau, il sent bon le citron ! )

Depuis combien d'années, cette lumière t'appelait-elle ? Une épingle accrochée dans le sombre manteau de la nuit, petite lueur piquetant le ciel si noir. Tes yeux s'étaient posées sur elle alors qu'ils découvraient à peine le monde ; la Lune t'avait sourie avec bienveillance. Toi, sur ta branche, tu émergeais, dans un coin du nid. Tu étais le seul oeuf à avoir éclot. Ta mère n'en avait pondu que deux, et l'un était tombé.
Elle nettoyait tes plumes blanches, décolorées ; tu n'étais qu'une petite larve duveteuse au bec immaculé. Ne brisant l'harmonie de ce plumage de neige, que deux yeux d’obsidienne encore sensibles et humides. Tes pattes fragiles comme les brindilles du nid tremblotaient doucement, tu levais ta tête encore légère vers le ciel. Ta mère attendait que tu ne manges la coquille. Mais tu restais là. Fixé sur une lumière qui dansait quelque part, parmi tant d'autres... Une étoile un peu spéciale, légèrement folle, qui connaissait les sourires comme ses propres petits pieds blancs dans ses souliers d'argent. Elle pouvait les compter, et leur donnait à tous un nom. L'étoile des sourires, c'était elle ; le bras gauche de la Lune, à qui elle rapportait tout les soirs son compte rendu de tout le bonheur du monde.
Un petit point qui dansait dans l'espace. Tu le dévorais de tes prunelles noires, et ta mère attendait, à côté. Toi, tu ne voulais pas de cette coquille. Tu voulais juste chanter pour que l'étoile te regarde.
Alors en pleine nuit, comme ça, tu as forcé sur ta gorge fragile... Tu as essayer de libérer un chant de ton bec pâle. Mais tu étais trop jeune, tu ne pouvais pas encore. Ton corps ne pouvait pas, pauvre petit oisillon... Tu t'es brisé en essayant. Aucune note n'a échappée à l'emprise de ton corps délavé. Tu as grandis. Le chant ne s'échappait toujours pas de ton coeur.
Il était pourtant là, plus fort en toi que dans n'importe qui d'autre... Tu aurais dût pouvoir libérer la mélodie comme aucun autre avant toi, avec ta voix qui voulait tout le temps s'élever pour donner son avis, avec ce chant qui remuait quelque part et geignait sous tes plumes blanches. Le temps roulait sur toi. Tu restais muet, comme lui. Sans réussir à chanter.
Tes plumes si blanches ont prises de la couleur, et peut être, parce-que tes yeux fixaient toujours le ciel, elles sont devenus bleus. Bleu comme un ciel d'été sans nuages où le soleil rayonne en roi solitaire ; bleu des yeux d'un enfant qui ne veut pas grandir ; bleu d'une mer que tu ne connaissais que du babillage des oiseaux migrateurs ; bleu comme un lac quelque part, auquel tu aurais aimé boire de l'eau plus pure encore que celle de la rosée matinale.
Le temps passait, bleuissait ton plumage de sa mélancolie. Tu regrettais ce premier soir de ta vie, où si tu avais pu chanter, l'étoile aurait posés ses yeux lumineux sur toi. C'est en essayant que ta voix s'était cachée à l'intérieur de toi ; elle avait peur de ce monde si vaste. Aussi jeune que toi, elle n'a pas voulu sortir, et plus jamais après, elle n'a osé quitté ta gorge. Trop tôt, tu lui a demandé de prendre son envol hors de ton petit coeur ardent.
Ta voix enfermée tout au fond de ta poitrine. Tu avais l'impression d'être prisonnier, ainsi privé de ton chant par une puérile impatiente. Alors, pour combattre cette terrible impression, tu es partit du nid à grand tir de tes jeunes ailes bleues. A la recherche de liberté, d'une voix nouvelle pour libérer la tienne de sa peur, et pour trouver un pont... Un pont vers les étoiles, car là haut, il y'en avait une qui comptait les sourires, qui n'attendait que toi même si elle ne le savait pas ; mais malgré tout, tu comptais bien la rejoindre.
Intrépide oiseau bleu qui ne pouvait pas chanter.


.oO

L’azur de la nuit noire, gardant les accents céruléens du jour qui perdaient les lumières d’astres lointains, s’élançait subitement, plein de glissements sourds. Un instant glacées dans les accents muets d’une valse d’obscurité, quelques étoiles tombaient, pluvieuses ; drapées dans des pans de ténèbres. De bien trop loin, elles arboraient des sourires factices, poupées coulées d’argent ; se courbaient dans une révérence, quand, timide, dame la Lune, reine de ces cieux, montraient ses joues aux rondeurs gracieuses.

Tels les échos d’une voix qui depuis bien trop longtemps, n’a plus osé chanter, l’une d’entre elles se tenait un peu droite, brillant un peu trop fort. D’un sourire, parfois, se fendait ; et quand il s’étendait, douce courbette, sur ses éclats dorés, jamais faux ne se faisait. Dame l’étoile, haut perchée dans ses galaxies, trop lointaines, dame l’étoile, aux bras de la Lune, rêvait souvent de ces sourires, couvés de si loin qu’ils en étaient géants. Demoiselle aux joues empourprées, elle s’inclinait, le soir, aux pieds de sa dame sélène, lorsque des mots murmurés semblaient claquer entre elles.

Alors, la danse l’emportait. Quelques bribes de son lui semblaient venir, comme quelques notes perdues, dansant sur une portée ; trop éloignées les unes des autres pour former une farandole. A son grand dam, jolie étoile, elle ne dansait jamais qu’avec la reine. De loin, les pieds ancrés dans l’herbe molle, leurs éclats perdus semblaient douceur glacée. Demoiselle se laissait sombrer dans les gouffres amers de son âme abandonnée, dansant sous les couvertures d’ombres dévorantes. Sortie de la meute, l’une d’elle formait parmi les cristaux de son corps déchiré le mime d’un sourire qui ne la quittait plus.

Les siens étaient ailleurs, lancés aux bras ouverts d’une planète regorgeant de merveilles que jamais l’étoile ne se lassait d’admirer. Intangible son cœur s’en serrait, amoureux, battant plus fort s’il n’avait jamais existé. Elle se prêtait l’amour ; s’offrait des accents de jours parsemés d’envie peinturlurée. Aux couleurs, elle donnait son âme, à la vie, qui palpitait, grouillante, elle tendait les mains, agitant les phalanges de ses doigts. Damoiselle l’étoile, au creux de ses émois, se donnait ce que dame Nature ne lui avait pas souhaité. Son regard s’étendait, douce caresse amoureuse, houleuse onde sur l’océan.

Entichée des sourires qu’elle voyait entre les joues, des rondeurs délicieuses de quelques planètes, du vent frémissant qui faisait trembler le monde ; amoureuse de la vie cachée derrière tous ces masques et costumes. Elle comptait les sourires dans ses bras offerts ; et leur donnait des noms, de si loin. De si près …

Un songe, s’étendant dans la nuit, s’arrachant au jour, faisait miroiter son sourire d’éclats de joie venus d’ailleurs. Elle se perdait aux bras de la Lune, pauvre étoile, belle étoile, songeant parfois avec un point au cœur à toutes les choses qu’on disait « magnifiques ». Demoiselle perdu dans les méandres oniriques, espérait plier la tête comme la marguerite délicate, se froisser dans le vent comme les feuilles riantes ; désirait s’écouler sur des joues d’enfant, et s’abattre entre leurs mains comme leurs larmes souriantes. Enfin son cœur pulsait trop fort, glissant entre les plumes de l’oiseau qui étendait ses ailes.

Dame l’étoile drapée dans ses voiles rêvait enfin d’un monde sans fin.


Oo.

Il volait depuis que les premières fleurs sauvages avaient montrées leurs pétales au ciel.
Autour de lui, tout était bleu et blanc, lui murmurant moqueusement son enfance, tendant à son esprit avide de liberté, quelques images passées d'une petite larve blafarde qui voulait chanter, en vain. Il se mêlait à l'étendu monocorde et venteuse, survolant les forêts qui se dressaient sur la terre en leur jetant un regard plein d'espoir ; mais elles ne menaient pas à l'étoile qu'il cherchait. Alors l'oiseau continuait, plus loin dans le ciel, laissant à leur danse légère les fleurs cavalières du vent, les feuilles insouciantes qui ne savaient pas encore la brûlure de l'automne, et les nids innombrables qui lui rappelaient son foyer. Il avait donc habité si loin des tours célestes dont parlaient les oiseaux migrateurs ? Les vagabonds éternels, courant après une saison qui fuyait devant eux. Ils avaient des récits à conter aux autres, qui eux, ne quittaient pas une vallée familière, un bois, la berge d'un lac... Leur bec déversait d'incroyables ballades, comme un autre l'aurait fait de notes mélodieuses. Ils chantaient, mais pas pour saluer des voisins, discuter de choses et d'autres et prévenir l'arrivée d'un chat sauvage ; ils chantaient, oui, comme devaient chanter des voyageurs qui rattrapent une saison à tire d'ailes. Et alors, des nouvelles notes, qui n'appartenaient qu'à eux seuls, se glissaient dans la mélodie qu'ils offraient aux oreilles des statiques. Les sédentaires qui saluaient été comme hiver, ne laissant jamais derrière eux un foyer sécurisant, mais pleins de chaînes. Pour égayer leur existence placide dont le rythme suivait celui de la danse du temps, le morne crépuscule d'une âme transit et souffreteuse, que suivait la farandole d'une enfant souriante, le bal d'une jeune fille qui vivait son dernier jour d'insouciance, puis sa mélancolie d'une époque chérie de fleurs épanouies, qui dans un vain élan, tentait de repeindre le monde à ces couleurs gaies ; mais ne jetant sur lui qu'un souvenir déformé, et l'ardent désir de la femme songeuse, faisait aux arbres pleurer des larmes de feu. Puis arrivait son terme dans les bras de la nuit, où elle se blottissait en attendant que revienne une aube nouvelle, pour une autre, qui danserait aussi dans un monde enthousiaste...
Mais pour certains, le dernier bal se poursuivait à jamais, et cette danse éternelle les portait à travers l'horizon, dont ils revenaient en offrant à longues chansons, un peu de liberté et des notes inconnues. Le jeune oiseau avait alors pu entendre la mer, qui roulait et grondait, à jamais en fureur, mais qui ne pouvant s'apaiser, finissait par devenir poussière, comme tout et chacun. Elle se faisait alors désert, éreintée, rouge, blanche ou dorée, soudain immobile et figée, dans l'attente d'un sursaut pour faire battre de nouveau son coeur passionné ; et réveillées les vagues assoupies qui cessant de rêver, finiraient d'être dunes.
Et pourtant, tout cela n'était rien. Ils chantaient plus vaste et plus troublant, plus imposant que Mer et Désert. Ils passaient au dessus de tout cela, ne contournant que d’immuables montagnes... Or, il y'avait bien une chose qui, étrange, ils ne pouvaient laisser sous l'ombre de leurs ailes. Elle, ils se devaient de la parcourir, écrasés et fascinés à la fois, soumis à sa masse grise.
La Ville.
Il n'y avait pas assez de musiques pour décrire sa hauteur, sa majesté hautaine. Elle s'étalait de monts en plaines, tortueuse, affamée, et tel un grisâtre océan, jetait son béton froid sur les rives d'une nature qui se laissait engloutir sans mot dire. Et dans ces méprisantes cités à la faim insatiable... Des tours étincelantes qui touchaient le ciel, menant dans le coeur de la nuit jusqu'aux étoiles flamboyantes. Les vagabonds chantaient sur le firmament qui ne demandait qu'à être atteint, languissant d'ailes courageuses pour porter un oiseau jusqu'à lui. Un oiseau vaillant pour venir lui chanter de tendres mélodies ? Il y'en avait un. Un oiseau bleu, muet, qui attendait un miracle pour courtiser la belle dame d'argent qui captait son regard. Il la voyait qui dansait tout les soirs, quand il volait sous elle, mais en vain il tentait d'atteindre la demoiselle aux sourires ; trop haute, trop lumineuse, elle lui échappait, tournoyant dans l'écrin de la nuit comme un perle folle atermoyant sa chute tout au bout de son fil. Suspendue tout là haut, elle restait trop lointaine, sublime et divine, inaccessible... Ce qui ne faisait que ranimer la flamme de son désir. Il devait chanter pour cette déesse là, amie des lèvres tendues et doucement rayonnantes.
Peut être se nourrissait-elle des ces lumières fugaces ? Peut être brillait-elle de ces sourires recueillis avec toute la tendresse du monde ? Une étoile de bonheur, dont chaque lueur était une parcelle de joie.
Quelques battements d'ailes encore, et il pourrait tenter l'impossible pour elle. Il pourrait chanter ses premières notes à cette belle demoiselles aux souliers argentés.
Juste devant lui, elle se levait en travers de l'horizon, tel un monstre comateux qui sortait du sommeil. Jamais il n'avait été aussi près du ciel, même en volant le plus haut possible. Il se fatiguait toujours... Mais en s'élançant d'une tour... Un de ces arbres miroitants dénué de branches, nu face au monde mais aussi éternel qu'une montage... Il pouvait réussir. Il pouvait la rejoindre. Ce n'était qu'une question de volonté.
Le jeune oiseau se débattit avec le vent pour franchir enfin la limite de la Ville. Ils étaient forts et brutaux, comme furieux. Il comprit la raison de leur colère quand les senteurs de la grise cité lui parvinrent. Jamais plus immonde bouquet ne l'avait effleuré ; la douleur que devait éprouver les brises à charrier de pareilles odeurs ne lui semblait pas même imaginable. Elles étaient faîtes pour transporter la saine fraîcheur et le souffle doux de la nature. Mais ici... Point de pollen, de nectar, ni d'arbres, pour embaumer ces bourrasques soumises à l'exhalaison de la Ville. Elles étaient esclaves des fumées expirés par ce monde de bitume. L'oiseau bleu n'éprouva rien de la majesté que les vagabonds avaient tant louangés. Il ne se sentit qu'oppressé, pris au piège, moins libre encore qu'il ne l'avait été dans son nid étriqué. Ses ailes lui parurent tout à coup faîte de plomb. Il alla se poser sur un large toit gris, éreinté, craignant la mort à chaque contraction de ses fragiles poumons. Étais-ce ici, alors, qu'il trouverait un pont pour rejoindre son étoile ?
Son regard parcourut les rangées d''immeubles, cherchant quelque chose, une indication pour savoir où il devait se rendre, d'où il devait s'élancer. Mais il n'était pas familier de ces perspectives vertigineuses, et tout lui parut faussé, anormal. Ne sachant où commencer, ne pouvant affirmer que telle tour était plus haute que l'autre, il se résolut à voler jusqu'à chacune d'elle, même si il devait y passer le reste de sa brève existence. Après une courte pause sur la grise terrasse, qui ne purgea en rien ses poumons, ni de la fumée, ni de la douleur, il s'élança de nouveau dans les vents de la Ville. Balloté un temps, il risqua plus d'une fois d'aller choir fatalement contre une des tours miroirs. A ces occasions, il aperçut les étranges créatures qui s'y terraient, loin de l'air pur. De grandes choses difformes à la gestuelle étrange, qui pour certaines semblaient plus molles qu'un vieil ours hibernant ; et d'autres, qui gesticulaient frénétiquement en un sens comme en l'autre, prises de folie ou incapables de faire preuve d'économie de mouvements. Ainsi, tels étaient les architectes de cette écrasante cité ? Ils étaient aussi monstrueux que leur œuvre.
L'oiseau bleu finit par se poser de nouveau, autre part, saoulé de la musique dissonante de la Ville, ivre à en mourir de la fumée et de l'air vicié. Il alla se poser dans un coin d'une autre terrasse, en sens contraire du vent, protégé par de petites rambardes coulées à même le sol. Au milieu de ce désert aride, s'élevait une singulière idole de fer qui bourdonnait comme un essaim d'abeilles, semblable aux ramures d'un cerf et à d'imposantes serres. Peut-être étais-ce un oiseau de fer planté tête à même le béton ? Dans quel but ? Seules savaient les créatures qui de leur folie, avaient données naissance à la Ville.
Il se pelotonna dans le coin, boule de plumes azurées assaillit par le monde autour d'elle.
Du temps passa, chevauchant les bourrasques furieuses, sans que l'oiseau bleu ne réagisse. Il avait besoin de repos. Il attendrait la nuit pour trouver d'où rejoindre l'étoile des sourires...


-Dormir ici n'est pas très judicieux. Lui fit remarquer une voix au dessus de lui. Vois-tu, le vent est fou, et il tourne parfois ; les singes aussi. Ils viennent se perdre ici pour oublier un peu qu'ils vivent dans ce monde gris, en plongeant leur esprit dans des fumées lascives et une eau à l'écœurante odeur. Il arrive, aussi, qu'un d'eux saute pour mettre fin à ses jours, et découvre qu'en bas, et bien, la Ville le rattrape tout de même : à t'on idée de vouloir s'échapper d'un lieu en y mourant ? Ils sont stupides et violents, souvent ; surtout malheureux enfaîte.
L'oiseau bleu releva la tête d'entre ses jeunes ailes aux plumes doucement ébouriffées par des brises égarées. Il trouva, penché sur lui, un vieux corbeau aux yeux brillants, au bec jaune comme un pissenlit et au plumage aussi sombre qu'une nuit délaissée par la lune.
Que fais-tu ici ? Tu n'es pas de la Ville, ton ramage et trop bleu, tu sembles trop pur. Tu n'es pas non plus un vagabond à la recherche de l'été. Alors qui ? Quoi ? Qu'es-tu donc ?
Il ne chantait pas en lui parlant, sa voix étaient rauque et bruyante, sans mélodie aucune. Jamais l'oiseau bleu n'avait entendu quelque chose qui ressemblait au ton du corbeau. On pouvait donc communiquer sans chanter ? Et si... Et si il pouvait faire de même lui aussi, s'exprimer sans chanson, en laissant la mélodie tout au fond de sa poitrine ? Il n'y avait jamais pensé.

-Je viens chanter pour une étoile.
Un croassement qui faisait outrage à l'harmonie qui avait bercée son coeur toute ces années durant. Comme une rébellion contre sa propre enfance silencieuse ; une sorte de délivrance poussiéreuse et dissonante. Mais une délivrance.
L'oiseau bleu s'émerveilla de sa voix rocailleuse, tout droit sortit d'outre tombe. Ce n'était même pas l'ombre du chant qu'il voulait délivrer à sa belle ; mais ses premières paroles, mieux que n'importe quelles notes, le disaient tout entier, tout de son âme et de l'ardeur de ses désirs.
Que le monde entier lui répercute les échos de sa liberté, tout juste jaillit du fond de sa gorge comme un vieux serpent aux écailles de pierre. Râpeuse, sépulcrale ; elle était là, sa liberté à lui.


-Quel bel accent ! S'exclama le corbeau dans un rire de jet de graviers. Tu n'as pas l'air corbeau, mais ta voix est une véritable merveille ! On pourrait presque te prendre pour une petite corneille tombée dans un pot de peinture !
Le vieil oiseau pencha la tête, comme il aurait étudié une charogne qui se serait mise à faire des claquettes avant le premier coup de bec. Ses yeux noirs comme des billes d'onyx étincelèrent.
Et donc, la petite corneille veut chanter pour une de ces dames d'argent qui danse au firmament ? C'est beau comme projet dis moi, c'est mignon tout plein ! Mais ce n'est qu'un rêve, pas vrai ? Les étoiles ne regardent pas la Terre, parce-qu'il y'a encore un autre ciel au dessus d'elles, et qu'elles aussi elles veulent sûrement s'y rendre, tu vois ? ELLES, ELLES, ELLES ! Il n'y en a que pour les étoiles ! Mais je suis pas beau moi, hein ?! Je suis pas l'oiseau rare, le corbeau de tes rêves ?! Allez, noie ton chagrin en embrassant mon vieux bec jaune ! Ô, chériiiiiiie ! Com on darling, kiss meeeee !
Il repartit de son rire graveleux en tournant sur une patte marbrée de poussière, les ailes écartées et battantes. Une bourrasque attrapa ses plumes et l'envoya culbuter dans l'air. L'oiseau bleu resta silencieux, blessé par l'hilarité du corbeau. Il ne comprenait pas... Il n'avait pas cette flamme en lui, qui pouvait le faire monter jusqu'à son étoile. Peut être n'avait-il pas même d'étoile à chercher, là haut. C'était tout. Un vide dans sa vie d'hère misérable, qui traînait son plumage sombre comme des haillons noircis de la fumée aux sombres particules.
L'oiseau bleu se détourna du corbeau, et s'élança au dessus de la Ville sans un regard en arrière. Le rire grave se perdit dans le hurlement des bourrasques. Il vola sans but, atteint au coeur par les moqueries, et se posa quand ses ailes furent trop douloureuses pour le porter encore. Une pulsation régulière battait son crâne comme un deuxième coeur. Pris de vertige, comble pour un être qui avait voguer toute sa vie dans le ciel, il se trouva un coin, semblable à celui où il s'était pelotonné plus tôt. La nuit couvrait le ciel comme un écrin de soie noire, emperlée des étoiles familières.
Mais ici, leur éclat semblait ternie par la fumée de l'air. La Lune luisait avec moins d'entrain, et l'oiseau bleu dût chercher un instant sa demoiselle d'argent. Il crut mourir pendant cette seconde de vide, où le ciel lui sembla sombre et désert sans la belle aux sourires. Mais elle était toujours là, sûrement à cueillir quelques lumières de lèvres de ses doigts blancs et chauds. Juste là, semblant toujours si lointaine... Alors qu'il était tellement plus haut qu'auparavant ! Les étoiles fuyaient-elles à son approche ? Le vieux corbeau avait-il donc raison ?
L'oiseau bleu sentit son jeune coeur qui se tordait au fond de lui. Pressé, gondolé, rendu fou de douleur, qui s'agitait dément en menaçant d'éclater dans un feu d'artifice, qui ne laisserait que lambeaux dans sa poitrine sèche. Déjà plus de sang dan ses veines. Son corps brûlant comme incendié par la désillusion. Si chaud qu'il menaçait de se déchirer dans un jaillissement de flammes et de vapeurs sanguines, de tonner dans la nuit comme un canon messager de la mort d'un roi. Sa peau craquelée qui laisserait s'échapper une nuée d'étincelles, toute les mèches de ses veines allumées puis vite éteinte, ses plumes brûlées qui valsaient jusqu'au sol, sur la route, et se perdaient entre les grands singes fous.
Une voix brisée pour elle, tout son être tendu pour cette danseuse d'argent... Mais seulement la douleur pour combler le vide qu'avaient ouvert ces offrandes en lui. Elle était simplement trop tournée vers ces sourires qui n'attendaient que sa main lumineuse. Trop belle pour lui, trop haute dans le ciel... Inaccessible.


-Tu broies du noir maintenant ? Il faut arrêter d'aller te coller ainsi dans des coins. C'est sale les toits d'immeubles, tu sais. Enfin, je dis ça pour toi ! Il faut être présentable pour aller chanter la sérénade à une étoile.

-Elle est trop loin de moi. Lâcha le jeune oiseau au corbeau, d'une voix rauque et traînante. Il n'avait pas la force de rejeter ce vieil oiseau moqueur. Qu'il frappe à coup de bec sur son coeur crevé, peut importait. Elle est là haut, et elle danse, au dessus de tout ça, de ce monde, au delà de moi... Je ne suis rien pour elle, pas même un sourire doucement pincer entre ses doigts d'argents. Elle n'a jamais pu prendre une lumière sur mon bec à moi, elle brille de la joie des autres, et la mienne, elle ne la connait pas. Elle ne sait pas que j'existe, je ne peux pas lui chanter... Pas l'atteindre, même d'ici.

-Ah ? Et c'est tout ? Ricana la corbeau. Tu te lamentes, là, tu te roules en boule, tranquille, dans un coin, et tu ne bas plus des ailes ? Tu veux que je te dise, je vais te faire décoller moi. J'ai prêté des plumes à des auteurs maudits, j'ai vu des singes qui se laissaient happer par la drogue et l'alcool ; non, pire, je les ais vu s'aimer puis se haïr, j'ai vu des gens sauter droit dans la gloire, droit de l'artificiel, puis droit dans la tombe ; mais aujourd'hui, c'est bon. J'ai vu la dernière chose que la Ville ne m'avait jamais montré... De l'espoir, de la candeur. De l'idéalisme niais pour un petit oiseau bleu. Mais je pense que tu peux faire mieux, que tu peux être plus. Je pense que t'es fort, pour avoir osé venir jusqu'ici avec tes ailes fragiles, sans chanter ; je pense que tu mérites bien d'atteindre ton étoile, ou au moins d'essayer. Alors bouge toi les plumes, parce-que ce soir, t'es assez haut.
Il se planta face à l'oiseau tremblant de son chagrin d'amour prématuré, déjà brisé, déjà recollé par un semblant d'espoir surgit de son coeur en lambeaux. Il explosa pour faire de nouveau battre ces loques disparates à l'unisson. Un pulsation fantôme pour rappeler aux autres qu'elles devaient aussi se mettre à retentir là dedans, dans cette poitrine d'oiseau bleu aussi muette qu'une pierre. Il fallait être léger comme un battement de coeur pour voler jusqu'au firmament.
Le vieux corbeau présenta son derrière emplumé au jeune oiseau bleu.

Grimpe beau damoiseau azuré ! Pouffa t'il en aillant l'air de cracher des graviers. Mes ailes vont te porter jusqu'au plus haut qu'elles le peuvent ! Je crois que j'ai vu assez de choses pour ma vie, et qu'elle ne pourra pas se terminer mieux qu'en route vers les étoiles.
Il ne posa de questions, et monta. Petit et léger, il pourrait s'élancer de plus haut que de n'importe quelle tour, sur le dos du corbeau. C'était donc lui, son pont vers la belle aux sourires...
Le vieil oiseau s'envola. Par dessus le vent pollué, par dessus les tours miroirs les plus hautes. Il alla jusqu'à loin dans la nuit en glissant dans sa soie, et alors, enfin, les étoiles parurent plus proches. A portée d'ailes. Le corbeau continua, nonobstant la fatigue, battant de ses ailes lourdes. Il sentait la vie frénétique de l'oiseau sur dos, son impatiente et sa peur. Un petit peu plus haut encore... Son excitation, son angoisse légère aux accents d'amour interdit. Mais ce n'était pas suffisant ; plus haut, plus haut... Jusqu'à ce que même ses os se disloquent dans une joyeuse chanson, une chanson de corbeau qui parlait de la mort, des ombres, et de toute les choses belles à des yeux de vieil oiseau qui avait tout vu, sauf la fin de sa propre histoire. Un dernier battement d'aile, qui déboîtait son squelette ; la nuit si fluide autour de lui.
Il était temps.

Tu parleras de moi à ton étoile aux sourires ! Dis lui qu'elle est belle, même parmi toute les autres !
Et dans cet ultime croassement, il commença à tomber, comme le gravier de ses paroles qui clapotait contre l'air, semblable à des petites pierres sur une vitre.
L'oiseau bleu s'élança à son tour, reprenant l’ascension, sans jeter un regard au corbeau, mais en criant pour lui, de la voix qu'il lui avait apprise à prendre. Sans chanter, sans aucune mélodie ; en criant comme une corneille qui perd ses plumes dans un pot de colle blafard. On lui répondit par un rire graveleux.
Puis ce fut le silence, tout la haut, sur les pentes de la nuit, près du sommet du ciel. L'oiseau bleu d'aquarelle contre les cieux de fusain. Ses jeunes ailes vigoureuses qui agrippaient les ombres célestes pour le lancer vers le firmament si proche... Au bout de son bec. Au bout de ses plumes. Au bout de ses serres dorées.
Il fut là, soudain. Un pays d'ombres suspendues et de flammes tournoyantes ; un pays pour les funambules qui dansaient dans l'espace. Un pays sans air... Où voler en ces lieux dédaignés par le vent ?
Mais....


L'oiseau bleu l'aperçut, des sourires pleins les bras. Elle était lumineuse, belle comme le jour, de l'aube au crépuscule. Elle brillait avec la chaleur du soleil et la douceur de la lune ; magnifique, grandiose, comme ça, l'observant de ses prunelles d'argent. Le chant dans son coeur, jaillit soudain. Il n'avait plus peur face à l'étoile vers qui il avait tant aspirer à s'envoler, dés le premier jour. Elle était si proche... Il n'y avait plus de risque.
Une note s'échappa de son bec, légère et prometteuse.


Puis l'oiseau bleu, sans vent pour le porter, tomba de nouveau à travers la nuit. Suivit d'une lumière qui filait à sa suite... Et du chant décadent de son amour, qui lui, n'avait que faire d'une chute.

.oOo.

Et dans le ciel les bruissements d’ailes qui claquaient dans l’azur peuplé d’arcs-en-ciel.

Là-bas où les sourires brillaient dans les couleurs de tes lumières, là-bas où quelques yeux parfois se tournaient vers ses éclats bouillonnants.
Douce demoiselle étoile au sourire qui se faisait grand comme l’univers couvait dans sa ronde de ses yeux remués d’astre le vent courir sur les plumes de l’oiseau bleu. Et il se tenait là, fier, soldat de son cœur, fantassin à ses désirs, qu’elle adoubait tout un coup lieutenant des plaisirs à venir. Dans le cœur son chant fiché, et cet instant où enfin vers les cieux l’enfant s’envole.

Sur la ville moqueuse, sur les forêts brouillonnes, par delà toutes ces merveilles qui faisait dans sa poitrine exploser son cœur, vagabonds dans leurs danses, perdus à ses yeux au milieu des ondes bonheur – tourbillons dans le cosmos, étirés dans le noir. Zéphyr et alizé mariés portent dans leurs étreintes l’oiseau qui bat des ailes sur ses espoirs lointains. Et les chants qui s’envolent, aux échos du soleil, paumés les saltimbanques et les mélodies des aèdes posées sur leurs lyres dont les accents dorés rappellent ses sœurs étoilées. Demoiselle pourtant, dans les notes de ses grâces, n’a de sourires que pour les rêves brûlants au cœur de cet enfant amoureux.

Les mots éclos dans les pétales des fleurs qui s’agitent, sauvages, bercés par la bise des soirées d’étincelles, les mots dans les chants des oiseaux, qui s’envolent. Et dans les cieux qui s’agitent les échos de ses petits cœurs troublés qui font louange de ballades aux frontières du merveilleux qui fait peur aux enfants. Perdue à son firmament demoiselle l’étoile qui en silence les mots articule, et qui les prend comme s’ils étaient à elles. Alors toutes les notes mélodie de la vie qui s’abattent sur le rythme extatique des mondes qui s’entrechoquent.

C’était parmi eux les ballades silencieuses du petit oiseau bleu qui se fichaient, muettes, dans les sourires attachés à son cœur ; alors, jeune encore, l’étoile irradiait un peu plus fort sa lumière, pour éclairer cette espèce de petit ange – attachée à ses yeux tournés vers elle. Dans la nuit qui du crépuscule et de l’aurore tire ces conclusions, dans le berceau du jour, l’étoile solitaire qui à nouveau s’abandonne à ses danses. Oublié l’oiseau quelque instant dans les pas de ses valses délavées. C’était le monde entier qui lui brûlait les yeux de couleurs doucereuses, comme peinture à ces sourires exquis qu’elle cueillait sur la vêprée cachée entre les roses dorées.

Les muses dans les rires éclatants, jetés dans la magie des joues rouges d’enfant, à ses ribambelles dansantes, dans la nuit qui oiseau elle aussi prenait son envol. Les muses comme bercées par les nuages aux bras doux, et toute cette poésie baignée des pigments de salsa bariolée. Douces caresses les ondes qu’elle tendait au monde comme des mains à la paume ouverte ; aux fleurs dans leurs révérences, aux artistes bordés par leurs rêves, aux enfants des monstres cachés sous leurs couvertures. Au monde naissant dans les cœurs vagabonds.
C’était encore les contes, belles légendes, qui brillaient au fond de ses yeux, chaleureuses dans les éclats de couleur ; le rêve de cette mélodie, onirique, qui rythmait sa vie du tempo tendre de l’espérance. Demoiselle l’étoile, alors, s’incline vers le monde, ne jetant plus ses caresses de lumière dévorée à d’autres univers un peu trop loin de son cœur qui défonçait sa poitrine. Et dans ses rires l’histoire qui se perd, murmurée sur les parchemins avec leurs coins brûlées et leur encre étalée aux vents capricieux. Posé sur les toits alors qu’encore une fois, jeune femme dans ses sambas affolées qui tournoient serrant les mains de ses sœurs, l’oiseau bleu qui s’envole pour des cieux plus souriants.

Mère douce amère la nature qui déploie ses camaïeux sur les horizons des mondes aux cultures tourneboulées. Chamboulé de quelques mots dans les instants le monde qui tourne un peu trop vite. Conte de douceur paniquée – désirs alors que l’oiseau quitte sa branche, encore une fois. Quelque part aussi, lové dans les raies de couleurs embrassant la planète, un vieux corbeau qui paument dans ses rires quelques accents d’espoir. Et croassés les chants aux relents de fleurs fanées d’où naissent d’autres mondes – cachés dans d’autres univers. Vague sur l’océan houleux, le bonheur dissimulé du monde qui se courbe un peu froissé par les notes et les mots glissés sur la portée. C’était l’oiseau encore, qui dans ses ballades louait un monde incroyable – vérité barbouillée de couleurs laissées loin derrière. C’était dans ses yeux brillants la passerelle qui propulsait un petit monde vers des cieux qui se peignaient du noir des ténèbres glacées et où chaleur l’étoile brillait à toute folie. Demoiselle encore qui de son seul sourire veut faire briller un monde qui s’envole parmi ses décadences.

Et sur les plumes d’aquarelle qui s’agitent dans les lueurs de l’étoile, nouveau-né le monde qui naît en braillant. Rien d’autre dans l’univers qu’un sourire à la corneille qui dans sa chute emporte les vieilles espérances écloses au point du jour dans les marcs de café. Sur les traits de fusains, perdus dans le papier canson, au milieu des pastels, des crayons gras et des pinceaux qui farandolent, tendre, le chant qui jaillit du cœur en douces arabesques, ode à l’étoile. Demoiselle rougit sous ses yeux coulés d’argent qui sourient plus encore que ses lèvres étirées. Une note, décadente, une note qui le suit dans sa chute …

Alors, l’étoile qui s’élance, derrière son petit monde qui s’écroule. Lâchés, dispersés aux étreintes de ses amies les sourires du monde recueillies au creux de ses bras ; abandonné, l’univers à aimer. C’est l’instant qui emporte le cœur – peinture à l’huile. De ses sourires encore s’étire celui-ci, promesse d’amour et de douceur enlacées. Petite étoile tend les bras à l’oiseau affolé qui ne cesse de tomber. Et dans ses mains ouvertes recueillies le petit oiseau bleu aux amours sauvées. Alors …

Le chant qui s’élève.

Amour – explosion de paradis.


OOO

Et maintenant tout les soirs, l'oiseau chante, lové dans les paumes serrées de son étoile, contre son coeur qui brûle, brûle, brûle...
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06-06-2013 à 18:34:16
-2011-
Pow-

22-09-2013 à 02:16:30
-Il fait froid.
Ses pieds étaient gelés. Bleus et dures, et morts. Le sang les avait quitté, tout comme l'espoir s'était évaporé de son âme. Il n'en restait plus rien. Il faisait noir autour de lui, d'une noirceur scabreuse dont la simple épaisseur aurait suffit à le rendre moribond. Alors, que le froid s'y ajoute... Et ses pieds, là, pouvaient être en toute légitimité, bleus, dures, et morts. Heureusement, quand la dernière allumette ce serait éteinte, il ne pourrait plus les fixer.
Comme il n'aurait plus à supporter la vue d'Hogla. La regarder était douloureux, plus douloureux encore que de geler sur place, avec sa peau brûlée par le froid, ses muscles inertes, ses os givrés de tout leur long, son souffle, pour ses poumons, pareil à des avalanches de grêlons dans sa gorge, et sa bouche asséchée, plus aride qu'un désert. Si forte était cette douleur là, qu'il lui préférait celle de l'obsédante horreur de ses pieds morts. Mieux valait leur pâleur insensible, que les lèvres ratatinées et exsangues d'Holga. Mieux valait les orteils rigides que ses cils roux habillés de givre. Mieux valait, même, l'image qui se gravait dans sa mémoire, s'inscrivait sur ses rétines en menaçant de ne jamais les quitter y dansant frénétiquement, sauvage, brutale, funambule obnubilant et sadique aux hésitations cruelles ; mieux la valait, que le visage ravagé d'Holga, autrefois doucement rosis et doucement enveloppé d'une chevelure qui avait été rousse, avant que la torture, la peur, le viol et le deuil ne les blanchisse de manière obscène. Oh, tout était devenu obscène à vrai dire.
Ses joues creusées jusqu'à l'os, ses pommettes trop saillantes, ses yeux fixes et vides, d'un vert toujours aussi éclatant, mais inanimé, immobile, givré... L'arrête brisé de son nez, le sang pourpre et froid qui maculait sa peau grisâtre, ses haillons misérables, dont le tissu éliminé et fin comme une buée figée à la surface d'une vitre, ne cachait pas même sa poitrine pendante que des mains immondes avaient pétris jusqu'à faire pénétrer leur souillure jusqu'au plus profond de sa chair. Les tétons bleuis, dressés dans le froid, avaient une couleur glauque qui lui rappelait de la mie de pain sale. Il ne voulait pas même, au dessus de tout, baisser les yeux sur son pubis flamboyant encrassé par la semence gelée, la poussière, le sang et d'autres fluides, tant d'autres... Il n'avait pas tout entendu, ni tout vu, entre ses évanouissements. Combien d'alcools différent avait-on versés sur son corps, pour raviver la douleur des coupures ? Peut importait, et cependant, il aurait voulu le connaître tous ; pouvoir ressasser leur nom, pour ne penser à rien d'autre. Les langues qui parcouraient ses courbes, pour se gorger de sang et s'enivrer des spiritueux mêlés... Glissaient sur sa peau, chaque jour, jusqu'à ce que de peau, il n'y ait plus rien. Seulement des reliefs d'os, des creux, des boursouflures d’hématomes, ainsi qu'une toile grisâtre si sale et peinant tant à couvrir ce qu'elle aurait dû cacher, qu'elle ne faisait qu'exacerber l'horreur de l'agonie d'Holga.
Ça, et le froid. Et ses pieds gelés.
Il fait encore plus froid qu'hier. J'aurais jamais cru que ça se pouvait.
Il n'aurait jamais cru pas mal d'autres choses à vrai dire. Qu'on pouvait manger de la terre quand on avait faim, que l'obscurité pouvait être aveuglante, que ce n'était pas si facile, en fin de compte, d'attraper des rats, puis il y'avait... La torture. La torture, on savait bien que ça existait, mais ce genre de torture là... Ils étaient inspirés, les bourreaux. Pour leur faire avouer une trahison qu'ils n'avaient pas commis, tout les deux, ils mettaient le paquet. Il fallait bien des coupables. Il fallait bien des fêlons. C'était le seul moyen de justifier toute les incohérences du système. Il était beau le communisme, il était bien joli l'état qui les laissait crever sur des lopins de terre collectivisés, et le beau monde aussi il était mignon, tout tremblant à l'idée que l'Homme de Fer vienne lui pétrir la trogne de ses divins poings... On ne plaisantait pas avec celui qui rendait la terre fertile, comme le chantaient les gosses depuis peu, ah, ça non. Qu'il vous demande de faire l'ours, complètement défoncé à la vodka, et vous le faisiez l'ours, et devant tout les autres invités ; qu'il vous demande de prendre des gens, au hasard, quelques-uns chaque semaine, et de les précipiter dans la tombe sous prétexte d'une traîtrise imaginaire, et vous le faisiez aussi, sans même avoir à risquer quoi que ce soit cette fois-ci. C'était plus facile, d'aller arracher des gens à leur foyer pour les torturer, que de se mettre à grogner à la table de l'Homme de Fer. Il était bien beau, le monde. Bien beau.
J'ai froid comme si j'étais déjà mort.
Pour peu que l'allumette s'éteigne, et ça en aurait vraiment l'air, de la mort. Les cadavres devaient avoir au moins aussi froid que ça, une fois creux et à sec. Si il avait eu, au moins, quelque broussaille pour lui tenir chaud ça et là... Mais on lui avait rasé la barbe, sa fière barbe, à laquelle il n'avait jamais touché depuis son premier duvet jusqu'à ce qu'on lui coupe de force, puis tout le reste ensuite. Il n'avait pas eu le torse glabre depuis l'adolescence. Cela lui faisait l'effet d'être plus que nu, et de nouveau quasi-homme, pas encore finis, pas encore bien formé. Ils avaient poussés le vice jusqu'à lui dénudé les couilles ; elles aussi, elles étaient gelées. Il n'y aurait plus rien à en tirer, pareil que ses pieds. Mais là, il préférait éviter de les regarder, comme pour Holga. Cela aurait mis du trémolo dans sa voix déjà rauque. Il s'y refusait. Il manquait plus que ça... Des trémolos. Ah, ça non. Jamais.
Holga... Réponds. Reste pas comme ça. Ils peuvent pas t'avoir volée la parole aussi, hein ? Parle moi mon amour...
C'était le viol, c'était l'oeuvre de leur brutalité. Ils l'avaient faîte taire à jamais. Ils avaient tué sa voix, tué son rire ; tué tout ce qui avait fait d'Hogla son Hogla. La belle rousse sémillante, la belle aux yeux fichés d'étoiles, belle aux sourires lunaires et aux joues joliment roses, la belle petite femme trapue avec laquelle il comptait fonder un famille. Mine de rien, pas plus que ça. Ils s'y étaient escrimés. Deux fausses couches, oui, aussi... Mais ils avaient essayés quand même. Ils n'avaient pas chômé. Il s'y était employé, et pas qu'une fois par jour, à lui faire bourgeonner un mioche dans son ventre soyeux !, mais pour des clopinettes. Le gosse qu'elle avait là dedans, désormais... Il ne sortirait jamais, celui-ci, mort ou vif. Il n'y avait que Dieu pour savoir si on l'aurait eu bien gaillard, gesticulant et gueulant son existence à pleins poumons comme ils l'avaient rêvés en souriant ensemble, à la faveur d'une étreinte.
Il avait fallut que cela tombe sur eux. Pas un voisin, ou un inconnu choppé dans la rue ; non, eux. Et dire qu'il avait travaillé jusqu'au dernier jour ! S'il avait su, qu'on viendrait le chercher... La journée, il l'aurait passé à caresser Holga, à lui susurrer des mots doux pour lui forger une armure de tendresse qui résiste à tout. Aux viols, aux coups, à l'alcool, aux coutelas, aux langues qui glisseraient sur sa peau... Peut être lui aurait-elle donné quelque chose elle aussi, en retour, pour se protéger d'eux.
Il avait eut droit à un autre genre de torture, pour sa part. D'abord physique, bien entendue ; les ongles retournés, les scarifications, les petites brisures ça et là... Puis, quand on avait compris que cela le faisait simplement beugler à mort en chialant, s'agitant comme un diable en renversant la chaise, et les types avec sa grande carcasse secouée de spasmes, on s'était mis à trouver un autre moyen de le faire cracher sur son honneur. L'humiliation. C'était différent. C'était, en un sens, pire encore.
Pour commencer, on l'avait rasé. C'était la première étape. Le tondre, partout, en lui jetant des regards dégoûtés, en lui gueulant qu'il n'était plus un homme. Pendant un jour ou deux, peut être. Ou même pas. Ça n'avait aucune importance.
Ensuite, on lui avait pissé dessus. Au visage. Sur les épaules. Ils s'y étaient mis à quatre. Maintenant, il en aurait presque ris ; l'urine avait au moins l'avantage d'être chaude. C'était toujours ça de pris.
Ils ne s'étaient pas arrêter en si bon chemin. Après les crachats, les attouchements, les menaces, ils s'étaient mis à chier sur son corps allongé. Ils lui avaient attachés les jambes, les bras, puis malgré ses tentatives de résister, avec les forces risibles qui l'habitaient encore, contraint à étaler lui même, broyant ses membres de poignes si dures qu'elles lui avaient laissées des bleus.
En dernier recours, ils avaient utilisé la dernière arme qu'ils possédaient encore : le viol. Il s'était cru à l'abris, en tant qu'homme... Mais à leurs yeux, il ne l'était plus, et aux siens même non plus. Alors il n'avait pas été surpris, quand ils avaient avancés vers lui, et... Ce n'était toujours pas le pire.
Non, le pire, cela tenait en leur coup ultime. Le recours auquel il aurait dû les empêcher de faire appel, en avouant bien gentiment qu'il était un traître. Que ce fut vrai ou pas, que cela lui coûte la plus minuscule once de ce qui lui restait d'âme... Si il avait avoué, ils n'auraient pas été cherchés Holga.
Ils ne seraient pas revenu avec elle. Ne l'auraient pas battu, violée, presque bouffée ; ils ne l'auraient pas tuée, la belle rousse de nouveau grosse d'un enfant, tout ce qui serait resté de lui... Que son coeur battit encore, ce n'était pas grand chose. Il n'en restait plus rien, d'Holga. C'était trop tard désormais. Il avait presque tout vu, lui, de sa mise à mort. Il savait.
Je sais mon amour... C'est que ma faute. Ma faute à moi. T'as bien raison. Ne parle pas. C'est moi qui doit dire quelque chose...
Il alla jusqu'à elle, sans trop savoir comment. En rampant, en poussant sur ses fesses écorchées dégueulassées et endolories d'hématomes. Il se retrouva face à son regard fixe, ses lèvres ratatinées, et la serra contre lui en se faisant mal tout seul ; à constater qu'elle était froide là où tout n'avait été chaleur, et pantelante, abandonnée à tout les contacts. Des cafards auraient pu lui courir dessus, elle n'aurait pas réagis. Son étreinte se perdit dans le vide qu'elle était devenu, en entraînant tout ses soucis pour ne laisser que la douleur. Elle lui tira des larmes, mais aucune main ne vint les essuyer doucement ; elles restèrent immobiles, à terre, comme deux cadavres de moineaux pâles. L’allumette était éteinte, il l'avait laissé tomber. Ça n'avait aucune importance. Hogla ne valait plus la peine d'être vu, elle était devenu une brume que rien ne touchait... Son image n'était qu'une autre souffrance à s'infliger.
Il la lâcha, pour s'étaler à côté d'elle, et attendit. Les ombres pesantes les écrasaient tout les deux, et leur cul étaient gelés. Ils ne pouvaient pas y échapper. Les bourrelets glacés du postérieur hivernale leur rentraient par les narines, la bouche, les oreilles, se pressaient contre leur peau martyrisée, presque nue. Ils avaient forcément affaire au trou du cul de la saison froide... On leur avait réservé, c'était certain. L'odeur était telle, que ce ne pouvait qu'être ça. Le cul adipeux de l'hiver.
Quand la porte s'ouvrit, il se redressa tant bien que mal, déjà nécrosé de tout côtés. Il planta son regard dans celui du geôlier, et lui lâcha trois mots de ses lèvres engourdies par le froid.
Je suis coupable.
Comme il l'avait dit à Holga ; c'était fait désormais. Trop tard, mais c'était fait. L'homme face à lui, aurait dût sourire. C'était ainsi qu'il avait imaginé les choses. Un sourire de cette ordure. Un sourire satisfait qui criait sa victoire. Cependant, ses lèvres restèrent figées.
II le dévisagea un instant, puis repartit en laissant la porte ouverte. Lui, ne bougea pas. Ne regarda pas sur la gauche, pour voir Hogla une dernière fois. Il attendit qu'ils reviennent, à deux, pour le prendre avec un ménagement presque respectueux... A moins qu'il ne fut trop gelé pour ressentir la moindre violence physique.
Juste avant de passer la porte, il entendit un gloussement démoniaque. I tourna la tête ; c'était Holga, qui sanglotait. Elle le fixait avec des yeux énormes, des yeux affolés dont le regard perdu lui donnait l'air d'un enfant abandonné, en gargouillant son nom. Tant bien que mal. Sans sa langue. << jdimichri, jdimichri... >>
Il se mit à brailler comme un demeuré, ébranlé de sanglots, et cracha une bile acide.
Mais si faiblement qu'on ne soucia même pas de le corriger. La porte se referma dans un doux son, fluide et feutré. Il oublia comment parler, pour ne faire plus que hurler. Il oublia comment compter les secondes, pour ne faire plus que hurler. Pour ne faire plus que hurler, il oublia comment penser, et les poings, et les baillons, et le monde entier, il les oublia pour hurler et se débattre.
Il arriva face à la foule en hurlant, endura le frottement de la corde contre son cou trop froid en hurlant, pour ne cesser d'hurler qu'une fois pendu totalement. Alors, le vent se mit à hurler à sa place, et son corps continua de se débattre au bout de la branche, ballant entre les mains des bourrasques...
Une semaine passa. Puis on décrocha son corps pour, qu'un autre prenne sa place. Et tout recommença.
Encore. Et encore.
La semaine d'après, puis l'autre qui suivit. Et des femmes pleurèrent, des hommes hurlèrent. Des mères s'arrachèrent les cheveux, des pères furent fusillés, des soeurs s'évanouirent, des frères burent jusqu'à frapper leur épouse. Des mensonges franchirent des lèvres engourdis, pendant des mois encore. Partout dans le pays. Et partout, tout se termina de la même manière.
Seul le vent resta le même ; toujours froid et furieux, agitant de tout côtés les corps pendus, en portant les lamentations de la Russie qui saignait, emportant les larmes qui coulaient sur les joues, dans les foules amassées face aux hommes qui hurlaient, hurlaient, hurlaient ; qui même en silence, hurlaient par les yeux, par tout le pores de leur peau, hurlaient jusqu'à ce que le vent prenne la relève, du matin au soir, du soir jusqu'au matin, au coeur de la nuit comme à l'aube purpurine...
22-09-2013 à 02:17:45
Une étoile dans le jour gris.
Un bel enfant blond, qui courrait dans la rue. Qu'il courrait bien le bel enfant, qu'il courait avec ardeur et gaieté le bel enfant ; tout en boucles dorés qui dansaient sur ses épaules, valsaient ensemble autour de son beau visage aux joues rougies par les douces claques du vent, bel enfant aux lèvres roses souriantes, enfant de jour et d'été dans un pays d'hiver, bel enfant, ô doux enfant blond aux jambes si courtes s'élançant si loin ! Une si impétueuse flamme dans les claires prunelles du bel enfant à la chevelure de blé, une telle lumière sur ses traits juvéniles ! Il courrait, le bel enfant, il courrait vers l'image que ses yeux aspiraient tant à voir. Une affiche, quelque part, sur un mur, toute nouvelle, fraîchement placardée. L'école en avait parlée, Monsieur le professeur avait louangé sa haute magnificence ; voilà un évènement qu'il ne fallait pas rater, c'était là une chose à voir, bien que son brave père n'aurait pas manqué de déprécier la fougue qui l'animait à l'idée de se trouver face au visage tant admiré...
Il courrait le bel enfant, faisant chanter le bitume ses pieds. Courrait, téméraire, sans saluer les quelques adultes qui émaillaient le vide sordide de la rue. C'était une étoile au milieu de cette grise désolation, cette platitude extrême, morne, qui témoignant d'un vide complet. Vide culturel, vide d'émotions, vide de paroles. Il n'y avait que le vent pour hurler entre les quelques silhouettes dressées de ci et de là, oscillants à chaque pas au dessus de l'abîme de leur coeur mis à nu, qui, dégueulasse, s'ouvrait dans leurs yeux en une gigantesque plaie opaque posant une brume sur leurs pensées. On n'y voyait nul fond, nul éclat, pas même la persistance d'une quelconque ardeur passée : c'était là le plus vaste, le plus insondable, le plus obscur des vides qu'on ait pu imaginer. Ce genre de vide n’apparaissait que dans un seul genre d'endroit, à la faveur d'un seul genre de misère.
C'était le vide de ceux qui avaient perdu l'espoir. Plus avide et plus vertigineux que nul autre. Il dévorait les coeurs, dévorait les âmes, rognait le coin des lèvres pour en ôter tout sourire ; se faisait les dents sur un rire, jusqu'à n'en laisser qu'une sorte de son désolé et pitoyable, amère, ternis, un écho semblable à une lamentation captée dans les montagnes, enregistrée sur une vieille cassette, puis écouté cent ans plus tard, dénaturé, étouffé par des parasites sonores... Un rire éteint, comme l'instant figé lors duquel un souffle emporte la flamme d'une bougie, dans un léger bruit de vent, très doux et imperceptible...
Le bel enfant n'en voyait rien. Il passait tout près de ces spectres de chair et d'os, auréolé d'innocence et de lumière. Il n'était pas un fantôme, pas encore. Ce pays gris et froid n'avait refermé sur lui ses serres glacées, sa candeur n'était pas morte dans l'étreinte de l'hiver désolé qui aiguisait les coeurs des hommes de la vaste contrée. Surtout, il ne savait pas, n'avait aucune connaissance, du mal qui tuait l'espoir des âmes de son peuple, s'enracinait en elles pour en extraire toute chose, ne laissant que ce vide si cruellement complet en ceux qui savaient à quoi s'en tenir.
C'était une terre pourrie et rongée. Il n'y avait plus rien à en tirer, de cette glace, de cette neige, de cette poussière ; de ces forêts séculaires, de ces steppes, de chaque recoin glacé de ce pays impitoyable dont le sol semblait s'abreuver de sang plutôt que d'eau, tant il en coulait chaque jour. Le bel enfant ne pourrait jamais conserver sa touchante candeur dans ce pays là. Quand sa propre lumière cesserait de l'aveugler, il poserait les yeux sur la laideur du vaste cimetière qui lui servait de monde, et comprendrait que tout autour de lui ne marchaient que des spectres, que des cadavres étaient planqués juste sous ses pieds, et qu'une épée de Damoclès pesait au dessus de lui à chaque instant. Alors, le bel enfant rejoindrait les fantômes, et toute beauté quitterait son doux visage, ne laissant de lui qu'une ombre grise de plus, au visage maigre et soucieux, se demandant : "Sera-ce moi demain ?", chaque soir de chaque journée, jusqu'à sa mort inéluctable et salutaire...
Mais pour le moment, le bel enfant courrait encore, toujours si beau, toujours si radieux. Courra tant et si bien qu'il la trouva, l'image tant glorifiée par Monsieur le professeur, et tant haït, certes en silence, certes d'une simple dureté du regard et une crispation de sa mâchoire sous sa barbe, par son pauvre et triste père, haït avec tant de contrition et de prudence, sans qu'il n'y soit pourtant aveugle, le bel enfant. Haïr en silence, sans paroles, n'avait pas suffit à cacher cela au bel enfant, car ses yeux voyaient bien, ses oreilles percevaient les répugnantes vociférations crachées par son esprit, au travers du langage de son corps crispé à l'évocation du divin être dont, on le lui avait appris, dépendant tout son monde. Mais que faire face à ce lugubre géant aux lèvres scellées en une ligne dure ? Ce père si proche, quand le véritable père, celui de tout son peuple, était si loin à Moscou... Qu'il demeure tristement inculte, ignorant ; après tout, son fils serait là pour prendre la relève, et associer la gloire à leur nom, par sa dévotion au grand homme qui les menait au prestige absolu.
Le bel enfant se campa sur ses frêles jambes pâles, face au mur rouge délavé. Ses yeux s'emplirent d'étoiles en se posant sur le portrait de l'idole que, selon Monsieur le professeur, vénérait tout le bon monde qui s'épanouissait à l'ombre du triomphant drapeau rouge. Il ourla de ses doigts, dans le vent, une moustache imaginaire pour orner ses lèvres douces, s'imaginant tout aussi brun, tout aussi splendide et fort que l'homme dont le nom concentrait tout ses rêves. Il resta béat face à l'affiche, presque tremblant d'émotion, chétif et minuscule, si blond, si blanc ; tant aveuglé qu'il ne vit que beauté dans l'image, et s'épanouit d'adorables risettes en serrant ses petits poings contre son coeur battant à tout rompre. Et là, il se mit à osciller, envoûté, fasciné, brûlant de devenir cet homme, admiratif et ingénu, beau et stupide, pauvre enfant blond aux prunelles azurées qui ne comprenait rien, ne savait rien, aveugle de tout.
Un éclat de rire s'échappa de ses lèvres, il cria un nom, haut et fort, et dans un tournoiement léger, s'en repartit courir, dorlotant son esprit de mille rêveries enfantines, tout entier occupé à graver dans sa jeune mémoire cette image admirée. Il dévala la rue en y jetant son rire à la manière de sucreries. Il alla résonner aux oreilles des spectres, et peut être, face à cette joie si douce, auraient-ils souris... Si ne l'avaient pas accompagnés de mortifiants piaulements.
<< Staline ! Staline ! Staline ! >>
Il courrait le bel enfant, sans âme, déjà dévot du mal, parmi les ombres hostiles, qui toute vides qu'elles puissent être, auraient voulu pleurer sur cette pauvre chose égarée, perdu à tout jamais... Acquise à la maladie qui ravageait leur pays gelé.
<< Staline ! Staline ! >>
Verser des larmes de glace sur l'innocence aveuglante du bel enfant, elles l'auraient fait, sûrement...
<< Staline ! >>
... Mais leur regard évitèrent le jeune damné, et se fixèrent au devant d'elles. Le bel enfant courut, et les spectres continuèrent à marcher, sans se retourner vers l'étoile qui parcourait le jour gris.
Quelque part, au loin, un pendu se balança. Et dans la rue comme en la place lugubre où ce corps tanguait, le vent rugit en maudissant l'homme qui tuait les sourires des belles rousses, dressait la barrière du silence entre les amants, et volait l'âme des enfants blonds qu'on abreuvait de mensonges.
30-09-2013 à 13:36:35
Silver

Pantin disloqué et blafard, il s'agite. Ses longs bras se déplient et tournoient, et se plaquent ; le corps chiche de chair les retient contre lui, ses os sourdant des creux qui devraient être combles. Le corps décomposé, recomposé, tissu pâle et glacial au touché. C'est un feu éteint, une larve éternelle. La chenille qui s'est coupée les ailes, l'oiseau névrosé s'étant brûlé les plumes. L'Icare de la bougie, qui n'a vu de ses yeux, perles fiévreuses, non pas le soleil mais la pâle lueur des flammes qui lui ont pris son monde. Adieu bicoques, adieu famille. Il n'a connu que le feu- c'est un insecte dans la cheminé.
Son cœur carbonisé, renaissant des ses cendres, reste une plaie à vif, qu'un effleurement unique suffit à faire frémir. Il brûle. Toujours, se consume au brasier des sentiments funestes. Silver, le candélabre : il en a le teint cireux, la longueur et la lente agonie.
Dans les ombres il traîne sa pourpre déchirée, sur le sol, les entrailles encore chaudes d'une nouvelle victime. Il se nourrit de sang, du flot ardent des veines coupées, des cœurs qui palpitent follement dans les poitrines ouvertes. Il se plaît dans les plis déchiquetés de ces lits d'une nuit ; tout brûlants de chair et de fluides hématiques, qui l'arrosent telle l'ondée tropicale, s'abattant sur la terre coulante de sa chevelure noire. Silver aime sentir tiédir ses draps sanglants. Répugnante créature.
Dans le soir, elle danse tristement avec sa solitude. L'empoigne par les épaules, doigts tremblants, et se met à tourner... Sur elle même, car ses mains ne se crispent que sur son propre corps. Silver connait le goût du silence. Elle n'aime pas s'y piquer après une nuit morbide... Et pourtant, la voila qui prend encore une fois ce risque. Quittant les tripes froides du macchabée tendrement écharpé, elle s'élance dans la rue, éperdue d'abandon. Sa robe lourde à force de tremper dans une marre carmine, titubante sous le poids de sa fièvre sauvage. Elle lève le visage vers le ciel, souriante d'un air de poupée en chiffon rongée par les mites.
Vide. La Lune se reflète dans les orbes liquides de ses yeux. Le sang maquille ses joues, ses lèvres. Et sous ses yeux, les cernes explosent, bleutés, en bouquets de myosotis dans un champ d'asphodèles. Face de fleurs ; sa bouche s'ouvre sur une rose qui ne fleurit qu'en cris.
Il laisse tomber au sol les entrailles serrées contre son torse ; d'un pas gracieux, s'esquive dans une ombre.
Et là-bas, se prostre et pleure. Sur ses épaules, la nuit entière coule en mèches suintantes d'obscurité. Les rivières brunes cachent ses larmes, mais elles résonnent dans son corps creux, agitent de spasmes les brindilles osseuses qui lui composent un échafaud branlant où croulent peau fine et poids mortifères. Un paquet de muscles chétifs qui glissent contre un squelette trop frêles. Ses mains qui bougent comme des vers blancs contre son front brûlant de fièvre.
Partout ailleurs, il n'est que glace. Froid comme un mort. Tout poisseux d'un fluide qui n'est que sirop d'hiver, essence des journées glaciales au dehors, loin des âtres ronronnant sous la caresse des flammes.
Silver, la feuille blanche. Il y dessine des mots avec le sang des autres- en vain. L'encre sèche et s'effrite sur la papier vierge de sa mémoire tronquée. Alors, il cherche une main qui puisse lui tenir la plume. Alors, il cherche quelqu'un qui puisse enluminer son existence descendue dans les affres, plongée dans le gouffre, plombée d'oublies qui lui pèsent sur l'échine.
Silver, la feuille morte. Qui n'attend qu'une bourrasque automnale pour s'envoler au loin des soirées solitaires, portée par les mains caressantes du vent...
30-09-2013 à 13:37:11
Silver

Le pantin déchiqueté sur le sol- désarticulé, inhumain en lambeaux. Dans la neige, sur la neige. Il est la neige, pure blancheur bleutée qui fouille l'hiver en rampant sur la poudreuse. Il vogue entre les dunes amoncelées, corps-navire transportant la nuit sur son dos, sylve bruissante des derniers cris étouffés dans le sang qu'ont fait naître ses mains maigres. Elles s'agitent comme des insectes aux mille pattes cliquetantes contre le sol gelé, cherchant une fissure, paumes glissantes sur la terre givrée par les bourrasques pleines d'une neige qui infeste jusque l'intérieur des cheminées muettes. Il glisse dans cette marrée d'écume céleste, poisson d'argent au ventre blanc. Il avance comme une anguille, le bout du nez gelé, les lèvres bleues. Ses yeux roulent, balancent des regards prédateurs à la tempête pourtant vide. Il cliquette, étalé de tout son corps ingrat, et l'immaculé étendue de ses joues se tend parfois d'un sourire aux canines effilées. Il se fêle, sous son manteau de peau, dévoilant toute la glace qui se tapis derrière la carcasse rongée de cheveux noirs.
Une belle gueule de ciel hivernale. Le monstre, comme une algue blafarde, ondule au milieu des rafales, épouse le sol refroidis martelé par Décembre et ses plaintes déchirantes aux postillons de givre. Il se tortille, caché dans les flots pulvérulents vomis du ciel ouvert. Ses os crissent. Il ne s'immobilise qu'une fois caché sous la neige de tout son corps onduleux et osseux. Les coudes pointus rangés entre des cottes tendues, comme d'affreux tiroirs sur les bords de son être chétif.
Il attend. La nuit hurle, au-dessus de lui, les branches s'emmêlent dans une danse morbide ; elles pleurent les feuilles coagulées en glace brunâtre à leurs racines noueuses. Le vent porte leur voix, sifflant contre l'écorce qui par endroits, ouverte, fait éclater la pulpe gorgée de sève.
Dans la forêt, des arbres murmurent, fendus. Lui les écoute, bourdonnant de froid, ne sachant que trop bien qu'un pas engourdis viendra marteler le sol contre lequel il gîte. Ses lèvres bleus s'étirent parfois à la pensée du festin, mais dans ses yeux grand ouverts sur la tempête sauvage, la faim se dispute à l'angoisse. Il suffirait que personne ne vienne. Il suffirait d'un contretemps.
La bestiole se remet à bouger sous la neige. Se tortille, ondule. Elle comble seule ses creux, les genoux rentrés entre deux os saillants. Une bulle presque transparente de chair pâle et veinée. Ses yeux cessent de rouler. Elle se ferme au monde, paupières mis-closes.
Presque un nourrisson dans son berceau de racines, la dentelle céleste posée sur son corps minuscule. Pendant quelques minutes, l'on pourrait croire à sa mort. Elle semble si fragile, si petite... La chose remue vaguement, lente et vulnérable. Doucement, elle fait de son lit terrible un trône fantoche. Assise contre le tronc, de longs bras blancs posés sur les racines. La tête contre une épaule, deux fentes pulsantes de lumière crépusculaire fichées sous le front. Ses cheveux coulent le long de son corps, sinuent dans les reliefs. Papier mâché, goudron et violettes fanées lui composent un visage. Elle entrouvre ses lèvres pâles pour gouter à la neige. Sa langue fripée par le froid va sonder l'air hivernale, invitant quelques flocons perdus à fondre dans sa bouche sèche d'une nuit à ramper sous les ombres d'une sylve emmêlées par la neige.
D'un geste douloureusement mélancolique, elle essuie quelques mèches qui s'épandent sur ses pommettes blafardes. Fait tourner sur son cou une face alanguie par le froid. Elle s'endormirait presque dans son fauteuil sylvestre, en reniflant l'odeur mouillée et sèche de la forêt qui se tord sous la neige.
Presque. Puis totalement.

Elle rêve, parfois, que dans la nuit une main se tend. Que des doigts s'agitent vers son être éperdu. Elle rêve d'une paume chaude sortis d'un brasier. Elle rêve des yeux du ciel qui s'ouvrent, transparents, sur un nouveau matin. Et contre elle, toute la douceur du monde, une petite bille de feu qui se blottit, silencieuse.
Elle rêve, parfois, que dans la nuit disparaissent les secondes sirupeuses, les temps morts- que se flétrit sa solitude glacée. Elle rêve, et alors, un nom lui viendrait presque aux lèvres... Un nom qui frétille, un nom brasillant, un nom qui... Magique, fantastique...
L'oiseau ouvre ses ailes, le chat s'effondre dans la rue. Des os se tordent, des plumes s'invitent à danser.
Et le nom tremble tout au bout de sa langue.

Mais soudain, un bruit. Une croûte qui se fend, un murmure du sol. Le gamin -car il était, avant de sourire qu'on le désigne comme horrible et dangereuse créature, un enfant oublié-, ce gamin couvé de marée noire et d'habits en gelées blanches, se redresse lascivement. Le froid n'a pas de prise sur son corps, il a l'air jaillis lui même d'un nuage en pleine hémorragie.
Comme un ange de fer blanc, il se dresse dans l'air étrangement vide. Plus de fatras neigeux giclant de la plaie noire du ciel, plus de flocons dans leur valse immuable. Les arbres ont cessés leurs contorsions macabres, immobilisés par le matin balafré de grisaille sèche. Ils semblent de grands cadavres plantés là par un géant peu soigneux, qui aurait laissé chuter de ses doigts gourds des cures-dents écorchés. Et ce beau cimetière, salie de lumière grise, éclaboussé d'aurore terne, garde ses visions mortifiantes sous couvert d'une neige scintillante et atone, qui ne siffle plus dans le vent retombé.
Silence. Seuls des bruits de pas, le souffle et les crissements d'une marche laborieuse. Quelque part, entre les rangs houleux, onduleux, des arbres tordus de paire par orages et tempêtes. Les paupières de l'enfant, délicates et fines comme une dentelle royale, s'ouvrent sur un regard élargis par la joie. Ses joues rosissent soudain, dans l'air matinal, et ses beaux yeux d'aurores boréales s'embrasent de lueurs valseuses. Il semble heureux, fébrile. Ses lèvres se rallument, baies fantastiques de cette forêt noire qui laisse pendre ses racines depuis son crâne fertile.
Il s'élance dans le jour nouveau, tout en jambes et en bras, éthique mais merveilleux. Quelques bruits de sa part, puis le voila qui enserre un tronc par trop penché sur terre. Qui grimpe, leste, caresse l'écorce d'une ascension légère et fluide. Il enlace une branche, facétieux, la chevelure pendante autour de son visage. Comme une décoration accrochée sur le sapin de Noël, il reste là, immobile, porcelaine aux cheveux de moire.
Il brille comme un joyau. Étincelle dans l'air frai, juvénile et grandiose ; l'homme passe, plissant les yeux devant la blancheur aveuglante du paysage drapé de silence. Puis, alerté par un bruit doux, le promeneur, clignant des yeux, lève un visage barbu vers cette nymphe suspendue. Ses yeux bleus s'écarquillent, et sous la moustache encroûtée de neige qui recouvre sa lèvre, une voix commence d'ors et déjà à vibrer, pleine d'interrogation.
Un rire frai l’interromps. Et alors, le gamin se laisse tomber, ouvrant les bras. L'oiseau suicidaire, l'ange qui descend sur terre.
Qu'il est beau.
Son corps percute celui de l'homme encore éberlué. Et alors, le massacre commence.
C'est une mise à mort, par un beau matin froid...
03-11-2013 à 20:27:06
-Silver- ( FAUTE A LA PHILOSOPHIE )

<<- Je n'ai jamais oublié que j'allais mourir, Silver.

Il sourit dans l'obscurité de sa barbe. Elle la noirceur des ronces entremêlées qui s'enroulent sur la terre martelée par l'heure sombre du minuit argenté. Ses lèvres en sont les baies, fruits défendus couvés d'un feuillage aux jeux noirs- il est obscur, Pan. C'est une ombre qui caresse les feuilles du sous-bois, la créature râpeuse, toute de pelisse rêche et de corne jaunis. Il se parfume de pluies d'automne et de clairières fleuries, s'embaume au contact des arbres qui se laissent frotter par son corps usé des caresses du vent, du martel des orages, des coups chût en tempêtes portés par le soleil. Il est l'ami de toutes les sauvageries, des spontanéités qui éclatent le quotidien ternis, et son terrier a le ciel pour plafond- tous les ciels, ceux de chaque univers qui lui ouvre ses bras. A force de parcours tracés sur ces mondes qui se touchent, le monstre des ténèbres s'est attaché les odeurs de mille routes flexibles. Il sent le sable remué par les bêtes des dunes, l'écume iodée qui drape les côtes, le vieux bois vermoulu, les plantes mystérieuses qui s'ouvrent à une révérence lunaire. Il sent le poil mouillé, la peau tannée, le bleu des jours allongés. Il sent des couleurs, des musiques, des lieux, des gens.
Il sent comme le monde entier, tous sens confondus.
Couché sur le lit, appuyé sur un bras, une main fermée en poing contre une joue velue, il semble respirer les humeurs phosphorescentes du temps. Même ici, il a traîné un éclat de lune entremêlé de chaleur, une ondée fraîche qui réveilles les odeurs de la terre, des jours ensoleillés glissant dans les cieux aveuglants de vastitude. Des essences acharnés hantent son corps, des parfums s'agrippent à ses cheveux défaits. Ils s'élèvent de sa peau en fumées capiteuses, mêlés à la sueur qui fait luire ses muscles dépolis par une vie loin des murs. Charmante chimère chaleureuse, chamarrée de sourires et d’œillades, pour pénétrer, en silence, chasseur de chair frémissante, ou bien à grand chambard, la chacunière cachée où chambarder une vie ; jusqu'à la chalasie, l'ataraxie chuté du septième ciel, après la tension élevée en étendards, après les souffles portés dans un cou découvert. La Bête possède une science qui frétille au bout des doigts, tremble sur les lèvres, fond sur la langue. Il pulse et vibre comme si son cœur courrait droit vers sa fin- comme si chaque seconde n'était qu'une agonie. Entre son dernier pas et le précipice mortel, celui qui fait éclore les sens peuplera son chemin de charivaris joyeux. On ne le verra pas s'éteindre en vain ; il sera comète, ou ne sera point. Fusée éclatante, porteur de frissons pour les charnures boudées, l'homme qui grimpe à la cime des montagnes pour toucher les étoiles.
Il sera le nom maudit, le nom roulé sur les langues. La fleur qui explose sur les pavés dont on couvre la boue pleine de graines.
Il sera l'amant d'un soir ou de cent. Pour le cierge qui tremble tout prêt, bras croisés sur ses mamelles blafardes, il sera le soleil. L'aube toute entière venu baigner sa peau, le jour nouveau qui vient frémir dans la moelle enfouie ; ainsi se veut-il aux yeux de la créature, du spectre translucide qui cherche à s'éteindre dans son étreinte osseuse. Il n'a de cesse de grelotter sur les draps défaits.
Ils ont chantés trop fort les sens épanouis. La bête coupable n'a pas l'ombre d'un remord. Elle laisse glisser un regard brasillant sur ce corps ingrat qui ne veut pas frémir. On en sentirait presque la caresse palpable.
Ses yeux là trouvent la beauté partout. Même ici, dans les creux d'un monstre gelé, dont la fièvre s'en est déjà allée. Lui a toujours cette chaleur dans les reins, cette fournaise tenace qui bondit dans les veines.

Je suis un feu rapide et affamé. Je me consume. Et quoi ? Nous mourrons tous un jour. Mais une chose compte malgré tout : ce que nous laissons derrière ; j'aurai charmé les loisirs de mille étoiles avant de lancer ma dernière étincelle.

Ses lèvres sont douces sur la peau froide, impérieuses, gorgées de sang et chaudes. Il semble aspirer l'hiver sans même se soucier d'y brûler son visage. Il baise ce corps tremblant et le goûte comme un fruit, le palpe, exigeant. Jamais rassasié. Cette chevauchée anxieuse ne lui a pas suffit, il demande plus qu'une course sans chabraque, et cette demande là submerge les sens, paralyse la pensée. Il est la voix, Silver est l'écho. Le cierge répond au phénomène originel, cherche à retrouver la sensation véritable. Des mains le guident, un souffle lui trace le chemin. Le monde ruisselle autour d'eux, dégouttant d'une lumière argenté. Humidité lunaire. Tout est éclaboussé, dilué dans la clarté artificielle d'une lune qui se froisserait dans la main d'un géant. Les arbres aux canopées sucrées de papier buvard, les breloques qui pendent comme des yeux scintillants sur les arbres... Et cette autre réalité, physique, capiteuse, qui enveloppe un corps froid. Il y a le monde et Bartel. Démentia. Les mains qui glissent sur cette chute de rein. Les lumières froides. Le torse chaud. L'air stagnant. La fourrure qui râpe, presque rassurante de matérialité. Le vide. Ce plein qui exhale tant de sens. Le monde et Bartel.
Mais lequel des deux est donc le plus vrai ?
Il l'enveloppe soudain. Il est là, au-dessus, brûlant, odorant, pulsant. Une peau de bête qui couvre l'incendie. Sa sueur et son souffle sont comme un vent à part entière, un vent inconnu qui n'a pas encore trouver place sur la rose éolienne. Ni de nom, ni de trajet. Un vent ondulant qui louvoie au gré de ses humeurs, un vent qui pousse les orages vers tout ce qui est calme. Un vent prisonnier dans ce corps tendu, penché. Il n'a que les odeurs et la température pour s'exhaler encore- alors il souffle sans se priver sur l'Architecte. Ironiquement, c'est lui qui construit désormais ; des sensations sur cette chair qui refroidit si vite.
Il pourrait tomber soudain, s'abattre. Il pourrait écraser le corps pâle sous le sien.
Mais ses bras restent droits, piliers sensibles dont les fondations enfoncent le matelas dur. Il ne se laissera pas chuter sur la faïence aux iris violines. C'est une créature attentive qui domine cette porcelaine nerveuse, presque douce même, dans sa sensualité. En l'instant, elle a l'air languissante, toute proche de s'évanouir dans l'ombre.
Ses yeux ont le vert décadent qui suinte des forêts englouties par la nuit. Chaque seconde, il s'essouffle un peu plus. Il est si proche de s'éteindre... Déjà on entend chuinter la flamme. Il ne lui reste plus si longtemps que ça. Jamais il n'a été aussi brûlant, aussi proche d'exploser. Il met feu au cierge couché sur le lit d'un contact retardé qui se confine à la torture.
Vite, il faut saisir cette flamme. Elle s'éloigne. On la souffle. Vous ne voyez donc pas ?
Il n'est déjà plus qu'une bougie éteinte. Un astre avalée par la nuit. Seule la distance vous permet de saisir encore cette lumière ardente.


Je vais mourir Silver. Disparaître. Et toi, tu resteras là, sans moi. J'ai croisé ton chemin. Et comment dois-je donc te laisser ? Un bourgeon froissé sur le bord de la route ? Non. Je veux t'épanouir. Te faire éclore entre mes mains.
Aucune barbe, aussi épaisse soit-elle, ne peut cacher un sourire si palpable.
Voilà pourquoi je pense pouvoir te répondre sans aucun doute que nous ne faisons rien de mal.
Il tombe finalement, en une chute contrôlée. Son corps chaud et vaste peut cacher même la Démence aux bras grêles. Et alors que son contact semble si rassurant, il la dévore soudain.
Ses lèvres, sa barbe, ses mains. Il déferle sur les sens du pantin brisé, comme une vague engloutissant l'enfant sur le bord de la plage. Rien ne peut lui échapper, il capte les cinq sens qui dorment dans ce corps, les serre contre son cœur, les enfouis dans sa chair. Est-ce un partage ou un vomissement brusque, corrosif ? La douceur est violente entre les mains de la bête. La douceur brûle, engloutit, la douceur pique et glisse. Elle est humide, délicieuse, épicée. Elle ferait presque mal à force de caresses. C'est une douceur qui use, une douceur trop experte. On la sent intrusive, irrésistible. Elle n'est pas contrainte. Pas vraiment.
Il retourne ce corps froid, le tient entre ses mains. Des ongles s'enfoncent dans la chair de ses bras, mais peu importe, que le sang perle donc : ils vivent. Ils vivent comme des saisons qui dansent. Ils vivent comme les étoiles qui s'éteignent et s'allument au gré des aléas cosmiques. Jouent du tambour sur le cœur des sens.
Le cierge est de nouveau assis sur ce ce corps chaud qui le force à brûler. Un regard persiste à cuire sur son visage, le buisson obscur et épineux de ses cheveux fait un écrin à la face souriante qu'il arbore. Les boucles en sont semées des feuilles sèches et la poussière d'un désert lointain colle encore à ses épaules. Le charme des routes et l'appel des horizons toujours renouvelés lui sont devenu un habit permanent ; il emporte avec lui des lambeaux de voyages. A ceux qui se vêtissent de peaux et de fourrures étrangères, il rit au nez.
Son vêtement à lui est composé de parfums.

Il est temps d'éclore Silver. IL EST TEMPS DE VIVRE.
Et cette fois, il attire la Sirène contre lui, cède à ses chants de mort. D'une étreinte brutale, il l'embrasse. Ses mains ne glissent plus que dans la rivière coulante de ses cheveux noirs. Il s'y noierait comme un marin engloutit par les vagues. Ses paumes n'y voguent et n'y chenalent que pour mieux y couler. Lui sait quel chemin suivre.
Il laisse le cierge trouver seul la mèche à laquelle se brûler.
Ce n'est pas de l'amour. C'est la vie. La vie agressive et sauvage, la vie qui rue, qui brûle, qui s'écoule en torrents et étreint comme les racines d'un arbre. La vie brutale et indomptable, aveuglante. La bête grogne- rit. Peu importe. Sa chanson tremble entre eux.

Je sèmerai mes forêts dans tes cheveux.
Et il fera sa tombe parmi les nébuleuses.
04-11-2013 à 00:01:52
-Silver-

Il n'était pas fait pour les rues bétonnées. Les brumes qui ne sentaient pas la pluie n'étaient pour lui qu'un poison, les odeurs de la viande grillée affreuses et indécentes. Lui mangeait cru, comme la bête enfouissant son museau dans les tripes encore chaudes entassées en paquets à l'intérieur d'un ventre ouvert. Il se couvrait du sang bouillant de la proie qui n'avait pas couru assez vite- qui n'avait pas eu l'ouï assez fine.
Il chassait seul, mais toujours la chair finissait par céder sous ses dents, sous ses ongles. Il avait la vivacité des plantes grimpantes, la fulgurance des orages automnaux. Il était une journée de pluie... Mystérieux, pâle, rongé de grisaille. Dégoulinant de noirceur et de colères rapides, qui lui sautaient des lèvres sans qu'il puisse les retenir. Faute à la névrose qui s'accrochait à ses mains, moineaux morbides qui ne voltigeaient que pour tirer dans leur bec des filaments de tignasse aussi encrée qu'une nuit de Décembre. Faute à la violence qui lui rongeait les tripes. Faute aux souvenirs qui nageaient dans l'onde trouble de sa mémoire obscurcie par l'oublie ; parfois, il avait l'impression que son être entier n'était qu'un océan aux abysses douteux. Que si tout était si sombre quand il était question de son passé nébuleux, c'était car un pinceau tout poisseux de peinture sombre avait trempé dans son eau en l'embourbant de ténèbres.
Il lui arrivait de se voir comme un liqueur fatale. Un poison mortelle qui courrait dans les veines de ceux qui osaient poser ses yeux sur lui. Une baie tentatrice accrochée au buisson, qui une fois glissée entre les lèvres gourmandes, mettait la mort dans le ventre de qui osait le toucher. Il se sentait laide. Si laide. Sa face, explosion de blancheur morbide brodée de lèvres à la rougeur éclatée, de cernes bleus et vertes qui lui faisaient une gueule de zombi. La nuit scotchée à son crâne, ses yeux d'onde boréale complètement tordue... Comme un accordéon déchiré qui n'aurait eu pour musique que celle de l'aurore tâchée de sang.
Il connaissait ces aubes. Il les faisait naître de ses propres mains. C'est qu'il aimait les rigoles de sang chaud, les petits ruisseaux carmin qui s'écoulaient sur le bitume gelé. Il aimait le glougloutement rageur d'un corps qui s'affaissait dans l'ombre. Il s'y baignait tout entier, faisait ses draps dans la chair retroussée. Mais à quoi bon, puisque toujours il n'était qu'en ville ? A quoi bon, si tout autour, il n'y avait que le goudron noirâtre ?
Silver rêvait des forêts qu'il n'avait pas connu. Celles qui explosaient en verdures éclatantes. Celles qui ne se tordaient pas comme les bois de Ténébris. Il rêvait de la boue où le groin des sangliers enfouissait les marrons, des châtaignes aux bogues hargneuses qu'on éclatait à coup de pierre. Il rêvait des odeurs de la pluie, de la poussière chargée de senteurs. D'un lit de racines entre deux arbres aux lignes brunes dans lesquelles courrait une sève épaisse. Parfois, il regrettait presque ses errances dans la nature sauvage- puis se souvenait alors, de ce visage flouté enrobé de noirceur. Cette face pâle au regard d'obsidienne, auquel s'accrochait des relents de feuilles humides, le nom d'une saison flamboyante... Il lui semblait qu'une bonne raison l'avait arraché aux griffes ligneuses des sylves.
Il ne savait plus. Il oubliait trop vite. Tout, tout le temps. Il oubliait. On jouait avec les remous de son esprit. On jouait avec sa mémoire opaque et noire...
Et lui, jouait avec la vie pour se venger de cet infamie.
Il n'était pas fait pour les rues bétonnées ; mais elles étaient, après tout, son terrain de chasse...
03-12-2013 à 14:33:30
Elles fusent de quelque part. Elles traversent le monde pour atteindre la cible blindée de mon cœur.
Qui sont ces voix au fond ? Elles bercent leurs mots dans le néant, bordent l'acide entre des bras trop courts ; elles ne m'atteignent pas, ce sont des mains sans doigts, des vagues sans écume. Leur feu brûle dans un âtre éteint, elles s'agitent, vaines, sur des pierres noires de suie. Qu'elles hurlent, ces voix, qu'elles crient, qu'elles versent tant qu'elles le veulent du sel sur des plaies qu'elles ne peuvent plus toucher. Leurs mots me tombent dans l'oreille, mais ils s'y noient. Un autre vacarme a saisit ces tympans là, une musique moins laide fait danser mon esprit. La mer a coulé dans mon crâne, c'est une liqueur, un miel tiède, langoureux. Chaque pensée est croquante et sucrée, moelleuse, enveloppée dans ses voiles dégoulinant de joie. Tout un océan déversé par quelques sombres étoiles, les seules qui comptent et qui brillent encore à mes yeux incultes des cieux alanguis après le jour martelé. Elles sont mes teintes d'après la pluie ; l'arc-en-ciel où je trempe mes doigts. Je compte les couleurs sur mes poignets, c'est elle qui les y ont posé.
Quand je regarde ces instants, que j'écoute le souffle des astres lointains, quand je palpe les beautés endormies de nos songes partagés, les voix deviennent une broutille osseuse, comme l'évadé de la vie, dans son lit d’hôpital. Le chanceux, il ouvre ses ailes loin de nos faciès crasseux, poisseux de mots qui collent. Sales, puants. Ces mots qui font des cages, ces mots qui ferment le monde, ceux qui s'échelonnent en murs, qui clouent le ciel dans la poussière des bonheurs desséchés... Là où les coquelicots pleurent le printemps qui s'essouffle, s'esbigne loin, s'accroche aux branches décharnées par l'automne, s'écroule entre les bras d'une tempête, puis tombe soudain, s'effondre face aux pieds nus de l'hiver. Juste là, au cimetière de nos songes.
Ils n'auront pas mon ciel. Les mots taperont au carreau, cogneront à la vitre. Ce sont des oiseaux en papier qui se froissent sur les remparts d'un univers bercé à la chaleur des torses aux échos qui s'unissent, résonnent ensemble, tombent en danses pâles contre nos lèvres closes ; mais nos doigts parlent, dans ces moments, ils connaissent d'autres chants et se font de nouveaux rites, des farandoles croisées qui s'éclipsent à l'ombre de nos rêves, s'effritent d'une caresse pour renaître sur un écran aussi profond que le ciel. Qu'elles parlent, les voix, qu'ils soufflent, les mots ! Il y a un ange qui chante jusqu'au cœur de mes rêves, une étoile qui patiente dans l'obscurité chût en averses coupantes au travers de ma vie... Une étoile, là-haut, là-bas, pleine d'ombres et de lumière, une éclipse vibrante, équinoxe d'un monde où roulent les teintes fluides des dragons, une étoile qui flamboie et verdoie, une étoile bleue, une étoile jaune, une étoile aux couleurs d'un univers qui souffle ses premiers chants.
Une étoile qui patiente, aussi fidèle que la marée.
Le voix ne peuvent pas l'éteindre. Les voix l'entourent, la coupent parfois, mais personne ne peut tuer la lumière, on ne peut pas aire tomber les étoiles. C'est un astre éternel où dansent les esprits d'une nature exilée, la Terre substituée de tous les malheureux. Inexorable radiance, la ritournelle oubliée d'un monde qui tombe en ruines. Le perce-neige du néant, le bosquet capiteux des forêts éoliennes, le champ de fleurs neuves, tout juste défroissées, où les chevaux courent libres. Les saules-pleureurs versent leurs mains sur son cœur, les loups chantent pour la Lune en regardant ses yeux.
Oh, cosmos irisé... On se détournerait de toi pour faire sourire ses lèvres.
Les voix peuvent bien cabrioler autour de son visage, leurs jeux morbides ne cacheront pas sa joie ; ni ses larmes, que j'effacerai d'un souffle si ses joues le demandent. Les voix n'ont pas le pouvoir d'exulter plus fortement que mon cœur quand se tendent ses lèvres. Je pourrai relire les sourires brodés sur sa peau jusqu'à la fin des temps. Les voix ne peuvent retentir que l'espace d'un instant, gonfler comme des crapauds qui fument ; exploser pareillement, sans rien laisser qu'une odeur vite défaite, étirée dans l'air froid, déchirée, dispersée. Les voix meurent aussi tôt qu'elles sont nées. Les voix chuintent comme la neige sur les toits. Elles fondent.
Ils sont beaux, leurs mots, tiens !, à se débattre dans la bouche de mon indifférence, qui les mâche, les recraches, les vomit en tourbes acides. On ne peut pas voguer sur ce mépris qui dort, il engloutit les dangers cachés au détour noir d'une phrase. Il s'éveille comme un monstre tapis dans les sables glacés de l'océan, laissant surgir une gueule pour happer ceux qui passent, croyant pouvoir fendre des lames qui les briseront sur des récifs masqués, frangés d'une écume aguicheuse qui invite les coques à caresser les crêtes ; le chant des sirènes a changé.
<< Fais moi mal. Je suis faible. Je me briserai sous le martel de tes mots. >>
Croyez-y donc. Je vous boufferai, tous, jusqu'au dernier, j'égratignerai vos claques, je planterai mes dents dans vos paumes rêches. Aucun de ceux qui s'approchent en pensant trouver un esprit où semer les graines d'un incendie de souffrance ne trouvera plus qu'une heure blanche, tendue le regarde ouvert, les lèvres agiles.
Venez donc, jetez sur moi vos rires, vos brocards et vos râles dégoûtants. Pas une plainte ne franchira mes lèvres. Je ne suis pas sourd à vos paroles : je les entends. Mieux encore, je les lis sur vos yeux, ces miroirs que l'on a peint. Mais, le saviez-vous ? Elles ne sont que buées. Un brouillard de mots ne peut pas me faire du mal, en enserrant ma gorge, il glisse en perles le long de mon cou, habille mes clavicules d'un collier délité. Votre venin s'éteint dans l'air, flamboyance vaine, épée sans lame. Avant d'atteindre mes oreilles, il a déjà tout perdu de sa prime virulence. Ce n'est plus que le spectre d'une bile pâle parfumée de défaite. Le relent de vos mots, l'écho ternis de vos phrases, tout cela. Je l'entend qui roule au loin. C'est que j'ai tourné les yeux loin de vos faces rougeoyantes, limpides à la lumière mauvaise, opaques quand vient le jour. J'ai quitté la poussière pour rejoindre les astres, je balance mes rêves dans un panier tissé, au-dessus d'une forêt. Au bord du ciel, mes songes soupirent.
Quelque part dans les sylves défroissées par leurs chansons cliquetantes, des étoiles dansent et rient. Elles sont toutes les couleurs de l'arc-en-ciel cosmique, farandolant entre les racines tavelées des vieilles forêts qui s'éveillent. Là-bas, le vent joue des mélodies aux teintes vives, qui claquent, étendards de nos rêves, entre les branches opalescentes d'avoir trempées dans la lumière sélène. Ne serait-ce pas, dans les bras d'un tilleul fatigué, quelque étrange créature habillée de lumière coulante, embaumée d'une sagesse diluée de candeur fraîche ? Elle a baigné dans le lavabo du ciel, et sur terre, dans la lie, parmi les nuées grises qui s'écorchent grommelantes sur les trottoirs d'asphalte, la lumière écailleuse a trouvé du bois mort.
Entre ses doigts, il respire à nouveau, plein de couleurs et de voix qui s'entremêlent. Parmi les mélodies versicolores de son alto qui pulse, les autres étoiles s'offrent des songes. Enveloppées dans des mots, battants sous les phrases qui scintillent contre leur peau diaphane. Et là, mon étoile... Qui jamais ne s'éteint. Fidèle comme la marée.
Oh, dans cette forêt dorment tous ceux qui doivent compter. Là-bas, sous les branches drapées de rêves qui frémissent doucement, jouets d'une bourrasques aux mains vives, aux doigts froids qui s'échauffent pour un pizzicato, là-bas où j'ai posé mon cœur, qu'ils peuvent toucher, qu'ils peuvent frapper... Et qu'ils caressent, si doux, si beaux.
Là-bas, peu importe les voix, peu importe qui elles sont. Qu'elles fusent. Moi, j'ai tout le ciel qui pulse dans la forêt des astres- ma poitrine éclatée, transfigurée en sylve, foulée par les mots de ceux que je peux aimer sans crainte...
09-12-2013 à 12:10:19
La nuit entremêlait ses cheveux tressés d'étoiles aux doigts du joueur d'alto. Ce soir là, elle laissait glisser tous les astres du ciel le long de sa fluide toison cosmique, perdant quelques mèches trempées de lumière dans les paumes fatiguées du jeune garçon. Assis contre un tilleul qui avait veillé sur les jeux de son enfance. Face à l'étang, il reposait ses yeux, frottant un archet contre la peau de ses bras ; son regard était triste, car il savait que son corps n'aurait pour musique que celle d'un cœur battant, et ses pauvres mains froides ne seraient pas celles du vent. Il se morfondait seul alors, tout le ciel jeté sur ses épaules, dégoulinant des cils, cachant ses lèvres closes qui ne savaient plus sourire. La pâleur de ses joues lui peignait des jours de solitude sur le visage, enterrant sa vie sous une couche de peau blafarde, cachant le sémillant de ses yeux sous un habit de cernes et de paupières alourdies par fatigues et sanglots.
En arrivant de loin, on l'aurait cru sur le point de mourir. Puis, on aurait pu, alors, décider d'approcher... Et de voir son bonheur.
C'était lui qui tressait les cheveux de la nuit, glissait des perles emmi ses mèches coulantes, c'était lui qui sifflait entre les branches vibrantes, laissant sa voix se multiplier entre les mains du vent ; c'étaient ses mélodies qui caressaient les feuilles, c'étaient ses yeux brillant sur l'horizon noirci. Tout le corps alanguis de la nuit, toutes les courbes obscures du ciel poignardé d'astres froids : c'était lui. Il n'était pas triste, cet archet dans la main, frottant sa peau doucement, jusqu'à l'en faire rougir pourtant. Il s'habillait, simplement, des musiques qui crissaient contre les cordes d'un compagnon ligneux. Elles le porteraient dans les cieux étoilés, entre les nuées irisées qui flottaient en bancs valseurs tout au travers du vide. Elle seraient ses ailes, non pas celles d'un dragon, au grand dam de ses rêves, mais peut-être malgré tout quelque chose qui ait valu la peine d'apprendre à faire parler le bois et siffler l'air nocturne. Ni bête à plumes, ni créature squameuse, il serait l'ange porté par ses chansons- l'ange moqueur, l'ange ténébreux, un ange pour le lézards, qui chevaucherait les vagues et hurlerait dans la tempête, cet ange là qui faisait danser les flammes, ce genre d'ange qui hantait les récits frangés de dentelles gothiques. Il verserait le feu sur le crâne des enfants, enflammant leurs pensées pour qu'ils apprennent le pays des merveilles, au travers des bourrasques il parlerait aux bêtes d'une forêt enchantée. Il serait cette brise là qu'on trouve dans les histoires, toujours porteuse d'un parfum de mystère, transportant quelque étrange ritournelle d'infini et de voyages déments, un murmure prophétique dans le vent, dont les lèvres dansent toujours proches du bon esprit à venir troubler avec la voix mystérieuse des oracles.
Il serait, tout simplement, l'élément déclencheur de tous les récits du monde. Le lapin surgissant du terrier, la maison qui brûle, la mort du père, l'étoile qui tombe. Il serait ce point d'exclamation, tout au fond des phrases qui naissent en tremblant sur la langue. Il serait la première fleur à gueuler son parfum dans l'air encore frisquet. Le mot qui se déploie et s'étale en songeries, enfant d'une bouche qui vibre avec l'univers tout entier tenu au chaud entre ses joues rougies. Il serait ce papillon de nuit posé sur l'écran bleu, celui qui joue à la marelle sur les touches d'un clavier, éclatant dix milles fois en lettres et en mouvements. Il serait le geai bleus qui ne siffle qu'à minuit, l'oiseau nocturne caché entre ses ailes, une créature des aubes qui aurait finalement préféré le goût de la nuit. Là, d'une caresse, avec ses plumes dégoulinées d'un ciel martelé de soleil, il lisserait les plis de la nuit tout en chantant les mélodies secrètes des forêts qui s'éveillent. Il parlerait des enfants aux cils encroûtés de sel, fugueurs emportés par un vent marin brûlant d'une iode incrustée dans l'air en cristaux dansants. Il compterait toutes les couleurs qu'il ne pouvait pas voir et les jetterait sur la toile de sa vie ; là, il nommerait les nuances de cette grisaille bariolée, leur donnant à chacune une existence nouvelle au pays de ses rêves. Il prendrait des cravates et les ferait brûler sur des plages, tout au clair de la lune, sur le sable que les mains de la nuit brodaient d'argent un peu terne. Il jetterait sur les vagues frangées d'écume bruissante, les costumes gris des employés de bureaux. Il rattraperait tous les enfants perdus en chacun de nous, étouffés dans nos chairs, agonisant dans un bouillonnement rageur de café, de fumées, d'obligations pressants ; il leur tendrait ses longs doigts de joueur d'alto, souriant comme un malicieux lutin chevaucheur de bourrasques... Ce qu'il était, ce qu'il serait toujours, dû t'on souffler nous même pour lui faire un monture, dû t'on le forcer à devenir cavalier de nos songes.
Il danserait pour les crabes au bord des rivières qui ont chantés tout au long de son enfance. Regardez : il a déjà commencé, berçant contre une épaule son alto enchanté. Au milieu de la clairière, il tourne avec nos rêves.
C'est le joueur d'alto, c'est le joueur de bourrasques... Il les file entre ses paumes glacées, son habit est fait de vents tricotés, et les mailles dansent sur lui. Je crois que nos vertèbres cliquètent. Sûrement car il nous rend heureux.
Avec sa voix, nous irons nous blottir parmi les nébuleuses.
29-12-2013 à 00:55:23
Dans le grésillement de couleurs impies barbouillées l'esprit gourd, la chose a retrouvé son lit. Elle se blottit dans les draps tâchés d'innocence factice, hume sans y croire le fumet insipide de son univers poisseux, dégoulinant. Il sent le sucre, le sucre candi, et son odeur doucereuse, écœurante, réconforte le petit Architecte enveloppé dans ses couettes.
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