Aveugle aux valses des mirages tombés sur le salon, Bartel avait conté son récit en y versant la substance de ses rêves.
Il n'avait pas pu voir les voiles illusoires qui dansaient face à l'aurore condensée fichée au front de Silver, déjà enfouis lui même au plus profond d'un monde factice- un monde qui fut, maquillé d'une laideur grise cachant quelque chose de plus obscur encore, de plus dégoûtant dans ses angles taillés en lames de couteaux rouillées ; réalité purulente où grouillaient des cauchemars on ne peut plus tangibles. Là, dans cet abîme préservé, il avait ses propres mascarades à édifier avec une douce fébrilité que l'âge pourtant avait émoussé, des fresques peintes sur de la peau, à déployer dans les arabesques colorées de sa voix. Ses propres mensonges élégants à fixer dans les yeux, -retour à cette nuit, plus beau et douloureux mensonge, transposition répétée jusqu'au terme des astres de la mémoire- pour quelques minutes de plus à ressasser le passé, quelques minutes de vérité où les souvenirs s’enchaînaient à ses lèvres. Tout un univers de paroles engluées dans les tourbes d'une mémoire vivace, quand venait l'heure de la mélancolie... Cosmos lexical entrechoqué à l'air, galaxies sonores échappées de sa gorge, dans une douce litanie relevée de son accoutumé brusquerie, toujours prompte à surgir au détour d'un buisson effervescent de mots, niant la misère de cette histoire trop ridicule pour mériter des larmes. Avec de pareilles toiles, à démêler du bout des cils, il n'avait pas les yeux assez vagabonds pour percevoir la venue discrète, impalpable, des mirages échelonnés sur la réalité tordue d'un monde déjà factice dans sa candeur fanée, essoufflée et impropre aux jeux de la dissimulation. Comme une flaque d'eau croupie, un nénuphar voguant sur l'onde fangeuse cernée de feuilles pourrissantes ; il passa à côté des rideaux froufroutants de mirages, saupoudrés ça et là par l'esprit en errance de Silver, étranges nuages qui affirmaient les barreaux de la cage de ses seize ans éternels, redessinant la contrainte martelée qui s'acharnait à lui coller au corps, malgré sa barbe, ses rides, nonobstant sa mystérieuse sagesse de satyre remâché par les vents, parfumé de la main des feux follets de son marécage natal- de tourbe, d'eau mousseuse et de baies écrasées. Il aurait pu débarqué d'un ravin peuplé de ronces, des feuilles de framboisier entre ses lèvres drues, la peau ointe d'un miel chaud aux brillances frénétiques et suaves ; ramper depuis un terrier de renard, coiffé de feuilles pourries, cascadant d'humus frai, le corps délavé par les vents, les paupières malaxées des doigts terreux des faunes. Venu au monde dans les bras gelés des ténèbres engluées de sirop pour la toux où les malades crachotaient près du braillement martelé, frénétique, des bourgeons de chair rose tout juste défroissés hors d'utérus gluants... Il avait connu la prolifération des brumes, spectre aux voiles d'ectoplasme cousus de questions tintant comme les chaînes acérées qui sinuaient sur des frusques noires, sourires des mômes balafrés par le doute, gotiques jusqu'aux oreilles percées, chaînes froides et rassurantes aux douces mélodies de maillons entrechoqués contre une peau blafarde, parfois repeinte avec l'absurde volonté de paraître toujours plus sombre à la face d'un monde qui n'avait rien à faire des plaintes adolescentes. S'il était satyre, c'était par le pouvoir perfide d'une abnégation, et nul chapelet d'heures, de jours, d'années, n'aurait pu effacer cette lente rumeur onduleuse du passé, serpent lascif aux crocs dénudés sur une gueule aux relents d'éthanol, parfumée de chairs putrides qui avaient choisis, de bonne grâce, de céder sous un émail lustré de venin- l'un des poisons les plus doux, virulent au compte goutte, corrosif dés lors qu'on lui cherchait un remède, que l'on prenait conscience de son lent cheminement, de ses flots sirupeux, corrupteurs. On menait trop volontiers la barge de sa vie sur des eaux assoupies, onde lente et obscure roulant des tourbillons glaiseux sur les berges limées, dépouillées, sagement refaites à coup de marteau. Lui même aurait suivis l'écoulement abrutissant de ces flots crayeux sans l'orage déferlé sur sa vie, un beau jour tout aussi dénué d'éclat qu'un autre. Un jour sans prétention, sans attraits ni abjection finale, jour de papier-mâché sur le décors en carton-pâte de sa vie, drapé de cellophane, illuminé du bouillonnement des lampes assassines en leur clarté immonde. Jour aseptisé, un autre jour de mort ignominieuse, presque doux, presque bon. Un jour de presque vie, loin des arbres et des vents, un jour propice à l'agonie abjecte où s'avachir dans de fausses voluptés jusqu'à ce que mort s'ensuive-mort de la noblesse d'âme, mort du cœur, mort de la grandeur humaine, pour peu qu'il y en ait une. Puis finalement, contre toute attente, jour d'une mort bien réelle, précipitée, déclarée.
Mort de l'ennui. Enfin, le grand soupir avait saisit sa carcasse anonyme, enfin l'ultime respiration remâchée de la routine s'était éteinte, sans que rien n'ait prédit de changement, sans aucune évidente accolade du destin. L'orage, le fameux, convoité édredon de noirceur veiné de foudre, s'était appesantis sur lui.
L'orage, terrible, rugissant, incarné dans le bleu trompeusement limpide des yeux d'un monstre presque humain, crépitant sur la langue d'une créature au-delà des caresses bassement portées par des mains. Les cheveux noirs comme des ronces racornies, les lèvres acérées, la voix sèche, comme un végétation coupante. Brocéliandre. Une ménade enfiévrée, toujours rauque et dangereuse, nymphe corrompue dans toute sa morbide splendeur ; tout à la fois cadavérique et exultante, toujours environnée de vapeurs, toujours parfumée de papiers brûlés par ses soins terrifiants. Mais pourtant plus divinement aride que le cœur du Sahara, infertile jusqu'au bout de sa langue océane, douloureuse et salée. Il avait déjà fait les récits de cette banquise croulante qui s'acharnait à glacer sa mémoire, mais encore elle revenait le hanter dans des échos spectraux, tenace à glisser d'un souvenir à l'autre, rôdant dans sa mémoire comme une bête dans les bois. L'évoquer, c'était avoir de nouveau offert son cœur à un étau sauvage, avoir rendu son emprise à l'étrange, terrifiante, et absurde mélancolie qui le saisissait parfois- comme si Brocéliandre était à regretter.
Et même les lèvres closes sur un rictus espiègle, il n'en restait pas moins pensif, mâchant sa pitance sans y songer vraiment, mauvais chien en fin de compte, et sans doute meilleur dans un rôle de conteur que dans celui d'invité. Il garda ses yeux fiévreusement vert sur la Démence aux bras grêles, l'air songeur.
Son hôte semblait épuisé, et son visage blafard, relevé entre les ailes de ses cheveux épouvantablement noir, semblait le fixer comme celui d'un cadavre dont la tête aurait dépassé d'une terre profondément imprégnée de pourriture. Une fleur cireuse dans la clarté polymorphique du salon, sereine et abjecte asphodèle d'un vase de porcelaine obscur. Un pâleur de crypte qui renfermait un univers entier d'espoirs décomposés. Il tenta de comprendre ce qui l'attirait et le révulsait tout à la fois dans l'étrange conception de Silver. Doucement, établit un portrait de leur deux êtres, opposés d'apparence, mais résonnant étrangement au diapason d'une onde obscure qui unissait leur drame. Son esprit se mit à peindre une fresque singulière, amalgame des impressions les plus certaines qu'il pouvait se faire sans trop songer à ce qu'elles signifiaient.
D'abord Silver, dans la lumière d'aquarelle de ses astres en crépon. Un champ de fleurs fanées, romantique et morbide, une forêt desséchée où se pendaient les rêves. Une poupée écorchée dans une robe accrochée par des épingles noires. Un chiffon chamarrée sali par la suie. Un songe fascinant, déformé par l'angoisse, qui aurait oublié de finir bien une fois la peur passée. Somme toute, un beau gâchis, mais quelque chose quand même, et pas une moindre, non, plutôt une montagne cauchemardesque, une incommensurable merveille, au moins aussi atroce que fantastique. Une réussite dans la défaite morale la plus totale, une lumière aveuglante malgré les brumes de l'oublie. Une tragédie glacée- sa chevelure, charbonneuse, fluide, ténèbres absolues, et ses yeux, un souffle boréale fragmenté autour du prisme noircie de sa pupille élastique. Un poème démembré sur les flots de la nuit, navire coulant sans cesse dans la caresse des vagues à l'écume étoilée ; Silver était au moins une muse, autant qu'il était monstre. S'il n'en savait rien, le vent murmurait son nom sur les lèvres d'un faune.
Puis à ses côtés, autre chose. De terreux, d'enfiévré. Un bouillonnement de fourrure sanguine.
Lui était là. Satyre de l'éternel lendemain surprenant, ravin tavelé de champignons, bord de ruisseau mousseux frissonnant de joncs. Fragment de paysage qui bruissait sur le tambour des saisons. Bourrasque brutale, agréable parfois. Intrusive surtout. Trop palpable dans tout ce qu'il avait pourtant d'immatériel. Et quand il n'était pas question d'aura, sa chair faisait le reste. Il était autrement qu'un paysage mouvant ; faune arrogant de sensualité, printemps prisonnier d'une carcasse ardente, fourrure ensoleillée rôdant dans le plein jour... Souffle d'automne où résonnait le brame.
Il était beau ainsi, à traquer les effluves, beau dans sa rudesse charmante, dans l'éclat brûlant de ses yeux, beau à la manière d'une falaise escarpée où ne courrait nul sentier, et peut-être comprenait-on alors que parfois l'espoir d'y tracer des chemins saisissait quelques fous, entraînant leurs mains à céder sous les siennes, impérieuses et vagabondes jumelles délabrées par la vie- plus belles d'être salies. Il y avait, à le voir, comme le germe d'un désir de dompter son éclat, de rabrouer fermement la sauvagerie exsudée par sa peau, de claquer la sensualité obsédante de ses manières bestiales. Quelque chose de vague, comme l'envie d'incendier la forêt, de tuer Pan une seconde fois ; et il vous laissait entrevoir une victoire, cédant le terrain de son corps pour une nuit, une chevauchée seulement ; reprenait ses sourires carnivores et son rire rêche une fois le sable renversé, le sablier brisé, jamais dompté finalement, tout juste aussi trompeur qu'un sous-bois inconnu, acharné à ronger toute entrave, à faire tomber chaque mur.
Réel et ancré dans le monde comme l'un de ses nécessaires dangers, plus profondément vrai qu'un millier de citadins existant dans la trêve et dans l'abdication d'une nature dépouillée, spectres de l'entre-monde goudronneux qu'ils avaient façonné. Si réel qu'il en était blessant, réel jusqu'à l'abstraction même de son être singulier ; presque un principe vivant, une sauvagerie sans visage, car elle en avait trop... Un pour chaque odeur, chaque parfum qui avait consentis à s'échouer sur sa peau, à s'agripper dans la végétation durable de sa barbe emmêlée. Autant de noms que d'essences différentes, que d'arbres enracinés.
Et pourtant si piètrement humain... Si ancré dans le drame de sa vie, perdu dans ses propres mots, à jamais cousu sur la noirceur poignardée de son existence, et heureux d'une histoire dont les maillons persistaient à enserrer sa gorge. Dérisoirement mortel au fond, à mille lieux d'avoir sabots fourchus et cornes spiralées. Humain jusqu'à plus soif de misères véritable. Insatiable puits de banalité humaine. Terrible humanité, grimée, tordue, ressourcée dans l'oublie silencieux des forêts.
Et quelque part, Silver était déçu. Déçu et rassuré, peut-être, de le savoir dérisoirement semblable à une infinité d'autres- entité presque non distincte de la foule anonyme, avant d'avoir pris la route en bandoulière. Avant d'avoir été le vent. Anciennement un pauvre homme ridiculement insignifiant ; pas même un homme si l'on était précis, un simple bourgeonnement de maturité étique volontairement flétris. Silver aurait pu rire, peut-être aurait-il dû tant la cible était grande, l'ouverture évidente. Tendons la hache et étirons le cou.
A quel point envieux, aussi, le bibelot maniaque ? Un peu hagard face à tant de réalité. Aurait-il voulu connaître une vie si ennuyeuse, une existence au moins autant pathétique que la sienne ? Ou bien regrettait-il ce récit adolescent, morne fragment d'histoire trop semblable à une vieille plaie jamais cicatrisée ? Suintant des odeurs de caniveau, de gouffre dépotoir, conte tricoté une nuit de Décembre à la lueur des astres indifférents... Il y avait, après tout, tant de louable banalité dans cette histoire, derrière ses apparences d'étrangeté, derrière les danses malveillantes des Ombres d'Hellishdale, derrière les mots si habilement employés, derrière.... Tout ce qui faisait de lui un merveilleux conteur. Un merveilleux menteur.
Ce qu'ils étaient, tous les deux, un peu à leur manière. L'un parodiant l'enfance, l'autre apostrophant la pauvre, pouilleuse et laide réalité, lui enfilant les parures de ses mots.
Mais dans ses yeux à lui, l'aurore se troublait au vol ardent des dragons, les lèvres se descellaient sur des chants de victoire , et quand bien même il n'était après tout qu'une poupée dégueulasse, une aube suintantes où les contes s'ébattaient dans un grouillement impie, lui se prenait à pencher ses vertèbres rompues par le voyage, redessinées sous un peau poussiéreuse gorgée de soleil usé, vers les lèvres gonflées de cette bête, splendide cauchemar marmoréen au linceul de mèches noires. Et sûrement après tout n'était-il pas si réel, plutôt factice, comme un mannequin de crash-test, mais il avait la beauté des rêves qui s'accrochent aux paupières quand l'éveil déchire le voile unis des peaux, la douceur scélérate mais presque nécessaire des demis-sommeils qui ne manquaient, jamais, de mettre dans l'embarras. Et quand son vis-à-vis de satyre étendait toute la puissance impérieuse de sa réalité, pressant les sens communs, lui touchait autre chose, grattant à la porte de l'esprit, à peine croyable à force d'étrangeté. Diaphane, tangible au compte-goutte, aussi lointain qu'une aurore boréale. Dansant parmi les mirages qui chuchotaient pour ses oreilles en pointe, dérivant dans les flots de sirop de son antre mensongère, cette douce mascarade imbibée de folie, doux si doux mouroir boursouflé d'innocence factice. Un papillon qui se consumait depuis des milliers d'années, escarbille éternelle dans les tourbillons étrangers de la folie, externe brasillement dans l'incendie en perpétuel élévation de l'univers sylvestre, valsant en dehors du cosmos enfiévré de Bartel.
Et s'il avait su, pourtant... Sut Silver accroupi parmi les feuilles gluantes, les genoux embrassés par le sous-bois poisseux, sut ses traques dans les forêts dégoûtantes de pluie, sous les branches nues ou à l'abris des végétations basses, chargées, odorantes et lourdes... Sut la caresse des brises embaumant la sylve ivre des saisons dansantes, tapissée de champignons, étouffante de pollens et de spores, éclaboussée de lumière infirmée par les frondaisons renouvelées au printemps... Sut Ténébris, sut les tourbières mousseuses, les mille fondrières envahies de joncs clairs, les berceaux de racines, les terriers volés, les branches où reposer son corps sculpté par la faim ; odieuse nature hybride du Candélabre noir, horreur hermaphrodite, produit dément et insensé d'une copulation fatale, glas d'une femme, d'une mère dévorée, carillon de l'existence pour un enfant nourri d'entrailles chaudes, de viscères bouillonnantes et de sang infusé. Déjà glacé dans le ventre déchiqueté d'une génitrice innocemment assassinée.
Mais il ne savait pas tout cela, et à ses yeux, aussi scrutateurs puissent-ils être, Silver était de ces beautés déchues fatalement magnifiques, dans leur défaite sur un monde affamé. Assurément fantasmé, mais gagnant aux changes... Car s'il était laid, au travers des yeux d'un fou au moins il trouverait la grâce, rené en tant que muse dans son antre burlesque et morbide- trop onirique pour être un craint, si tendrement couvé d'un regard indulgent -et pourtant acéré dans ses errances exigeantes- qu'il en serait moins monstre. Beau au-delà de sa maigreur affichée, de ses crocs, de sa pâleur douloureuse.
Et un jour, peut-être, cesserait-on de voir ses yeux violet, ses poignets intolérablement fins, un jour plus de fièvre artistique pour grimer sa laideur... Ce serait un jour pour la vérité nue, pour l'image presque insoutenable de cette humanité trop peu factice dans laquelle était piégé Silver. En fin de compte plus humain qu'on aurait voulu le croire, pris à leur façon dans le marasme affligeant de ses émotions, enveloppé dans la bourbe terrifiante où le cœur se risquait toujours à suffoquer, abrutis de sentiments plus débilitants qu'une piqûre de morphine. Aussi maniaque et démentiel qu'il puisse paraître, aussi incohérentes que soit ses paroles dont la modulation rauque manquait à chaque instant de muer sa voix râpeuse en long cri, il restait de ces âmes qui n'étaient que trop belles, à leur manière inconvenante, belles d'avoir été saccagé, d'avoir enduré les tourments qu'un monde impitoyable imposait même à l'innocence aveugle- et au prix de cette souffrance, peut-être, avait-il gagné et un monde, et un trône en carton-pâte, et le pouvoir de troubler les yeux par trop rêveurs qui se posaient sur lui ; et encore la solitude, la douleur des vampires qui se soignent dans l'ombre, vaguement réel à force d'avaler l'imbuvable sirop où se dessinait son univers d'impossible candeur. Plus triste que le monstre du dessous de lit, esquinté au-delà de tout espoir.
Mais au moins il était roi, triste victoire, ah l'amère réussite... Il était roi oui, et ici, même les mirages dansaient pour lui. Il aurait pu être joueur d'Hamelin au milieu du désert, et lui l'enfant mourant de soif, abreuvé de musique sous l'ombre rouge des dunes, tendant ses lèvres sèches vers les paumes accueillante d'un monstre maternelle. Et peu importait qu'il fut cet enfer de pâleur aux dents limées par une horreur discrète, que l'espace livide de son visage fasse des tours autour d'une langue piquante- les trémulations de sa conscience, la danse maniaque de ses doigts de brindille écorchée. L'ensemble était beau.
Un esprit moins errant aurait dit inquiétant.
Et un être censé aurait fuis devant le regard envapé de l'Architecte, devant le glissement crispant de ses griffes sur la table... Mais pas un faune. Les faunes tournaient en danses indignes autour du danger, jetaient leurs mains au feux pour mieux se brûler les lèvres de leurs doigts embrasés. Gantés de suie, parcours d'étincelles qui ne voulaient qu'encombrer les peaux tendues à leurs jeux maniaques. Ils buvaient leur vin dans la bouche ouverte d'une femme étendue et tiraient de leur barbe des encens dont la fumée allaient vêtir les nymphes ; de leurs yeux des vapeurs s'élevaient pour retisser entre les troncs des buissons pleins d'épines, et là où personnes ne portait son regard, ils posaient sur la pudeur leurs paumes éraflées par le vent, saoul des odeurs de la terre et des corps jetés contre leurs gestes, emmêlées dans la poussière soulevée par leurs orgies.
Les faunes auraient tressés les cheveux de Silver en lui chantant le torrent qui arrachait les arbres aux berges où leurs racines chuchotaient la forêt. Puis leurs doigts seraient tombés sur ses joues, et tous se seraient déchirés dans une orgie sanglante.
Cependant il n'y avait ici qu'un satyre plutôt que le cortège bacchanale, et il se contenta de garder les yeux tremblants, à jamais pris de fièvre, les lèvres pincées sur le bord d'une coupe et presque sage dans sa calme impudeur. Il eut à peine à patienter pour entendre Silver.
Ses lèvres se descellèrent comme la pierre d'un tombeau.
http://neverneverland.forumactif.org/
> Azaria Kanerva.
Renommé par Peter : Tristelin.
Renommé sur le bateau : Rossignol.
-enfant prodigue au piano. Il a oublié les pianos en eux même, mais la musique le hante et ses doigts s'agitent souvent dans le vide. Quand il ferme les yeux, il peut voir les pianos par bouts : touches noires et blanches, qui se soulèvent et retombent. Il imagine des vagues de notes, des mélodies qui vibrent et ondulent, il voit la musique incarnées sur les touches du piano, et pour lui piano = un paysage.
-Père Finlandais. ( Je ris de moi. ) Anglais en réalité, mais avec des ancêtres Finlandaie + sa mère ( celle d'Azaria ) était la fille d'un intellectuel Arménien, elle a été bannie et déshéritée ( cf liaison avec un musulman, amour de jeunesse ), mais le père d'Azaria, homme d'affaire, touché par son histoire et aspirant à un monde plus juste, l'a recueilli. Végétarien et profondément attaché à la nature ( Finlande ) il entretenait avec elle une relation purement platonique = ils n'étaient pas mari et femme mais profondément liés, coup de foudre intellectuel et spirituel. Son père reste donc en Arménie où la mère d'Azaria accouche. ( Son père biologique est donc l'amour de jeunesse de sa mère. ) Elle finit par se lier à nouveau avec une partie de sa famille, bien que cette dernière ait du mal à comprendre sa relation avec son "mari".
Ils adoptent des orphelins. ( Deux filles, un garçon. )
Alors que tout semble s'arranger dans leur vie, la guerre d'Arménie commence : massacre, déportations. Le père d'Azaria est tué face à eux, ses deux sœurs sont violées et assassinées. On l'emmène avec son frère, longue marche.
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Une capricieuse
[00:08:40] Omatao Onrdi: Confortée dans ses caprices par l'Architecte.
[00:08:47] Omatao Onrdi: Qui prendrait plaisir à la pourrir grave.
[00:08:58] Omatao Onrdi: Dans l'idée de la lâcher un jour, ou de la détruire, ou de la garder sous sa cape.
[00:09:06] Omatao Onrdi: Bref, de la dominer via ses caprices.
[00:09:32] Voodoo Child: Et elle serait comme ça parce que sa soeur o uson frère, plus jeune, était gâté, et ça l'a deg
[00:10:52] Omatao Onrdi: Et un prédef d'emballé. /O/
[00:10:59] Omatao Onrdi: Ah non tiens, son pouvoir.
[00:11:06] Omatao Onrdi: Bouarf, libre.
[00:11:17] Voodoo Child: Ouep
[00:11:33] Voodoo Child: (c'est ce que je me suis dis en créant mes autres prédef)
Son sourire hésitant perdu sur les lèvres comme le baisé d'une fée, il regarda le cœur en fête Nasim se joindre à lui ; pantelant d'une joie effervescente, transis par un soulagement qui allégeait son corps. La solitude, enfin bannie de cette journée si longue, si morne, à l'image de tant d'autres, d'une platitude presque rassurante- s'il ne se passait rien, alors il n'y aurait pas de mort, tout le monde resterait sagement en vie, splendide tesson d'existence coloré, merveilleuse part d'humanité aux jours baignés de soleil. Cela suffisait à Azaria : quand bien même les journées moroses s'échouaient l'une après l'autre sur les rivages de son cœur alanguis, au moins pouvait-il sourire de les savoir tous vivants, en sécurité sur le Jolly-Roger. Il n'y avait qu'à attendre le soir, pour le retour d'un peu d'animation, et le Rossignol vivait pour ces quelques moments de bonheur avant le retour aux couches, où tous s'unissaient au sein d'une assemblée qui ne quittait plus les rires des yeux. L'humeur générale était bonne alors, ils baignaient tous dans une atmosphère légère, agréable, rassurante ; appartenant tous au même groupe, unis dans leur exil, parias flottant loin des côtes maudites de l'île. Ceux qui, à Neverland, n'étaient aimés d'aucun si ce n'était d'eux-mêmes. Au moins, sur le pont du navire, dans l'éclat mélancolique du soir poignardé d'astres, ils retrouvaient une forme de lien particulier qui leur faisait souvent défaut le jour, quand on ne se voyait guère ou pas plus que furtivement. Ils étaient de nouveau ensemble, et non vacants à des tâches quelconques pour maintenir leur demeure à flot, royaume de planches flottantes d'une cohorte bannie.
En plus de quoi ces jours mornes étaient ce qu'ils pouvaient espérer de meilleur, quand bien même la sérénité sépulcrale qui entourait le navire avait parfois quelque chose de profondément triste. Si certains se lançaient volontiers dans la bataille dé lors qu'elle survenait, impatients de croiser le fer avec peaux rouges ou bambins trop armés, d'autres préféraient encore la morne immobilité qui caractérisait l'absence de tout litige entre les différentes factions.
Azaria ne pouvait donc que savourer cette offrande prosaïque, moment de partage dans la longue période vide qui séparait deux nuits de réunion sur le pont. Même s'il n'avait pas parlé, Nassim aurait été le bienvenu... Le savoir présent, tout proche, aurait suffit à reconstruire un peu le cœur en ruine d'Azaria.
Aux tentatives d'humour de l'aîné, il répondait par un sourire plus franc, moins crispé, sans toutefois réussir à se départir totalement de sa gêne coutumière. Toujours un peu claqué par la brise saline, hésitant à se montrer trop heureux, peu enclin à vivre assez fort pour faire preuve d'une brillance aussi effrénée que celle du maître voilier. Ses lèvres avaient de toute manière oublier comme se déployer pour rire, et si des chants hantaient sa gorge, la vibration cependant sur laquelle se réglait le tempo du bonheur lui semblait bien lointaine, étrange, presque inconnu. Comme une mélodie dont il n'aurait gardé que des échos froissés, rangés tout au fond de lui.
Cependant, il apprendrait auprès des autres. Il commençait déjà, tentant de rattraper sa vie qui s'était cru maligne à filer loin devant avant que son corps n'expire. Déjà maintenant, il faisait de son mieux, se laissant porter par la joie simple d'une compagnie estimée au plus haut par son cœur déchiré.
Le gamin s'assit également, une grimace plus sincère lui balafrant le visage.
-Je ferais attention.
Il n'y pensait pas vraiment, doux éclat de jeunesse inconsciente. Il se sentait si bien, en hauteur, loin du sol qui tanguait, que l'idée de tomber des vergue ne l'avait jamais saisit. Évoluer entre les voiles, dansant avec le vent, lui semblait naturel, au moins autant que de marcher sur le pont.
Et quand bien même parfois l'envie de sauter depuis le haut du mat polluait son esprit enchevêtré de pensées obscures, Azaria savait qu'il ne se délivrerait jamais en se laissant tomber vers les planches lustrées : sa mort l'attendait sous les vagues, entre les bras glacés d'une sirène de passage. Là, il recevrait son premier baisé- le dernier également. On l'entraînerait dans les abysses, et quand finalement la créature atteindrait son repaire, il serait déjà mort d'avoir connu trop intimement l'eau froide, le sel, et la pression des profondeurs
Personne probablement, ne serait surpris de le voir passer au-dessus du bastingage.
-C'est bien vrai ! Après tout on risque d'avoir besoin de nous à tout moment !
Azaria hocha la tête, laissant l'horrible rictus mécanique qui rôdait entre ses joues lui étirer les lèvres. Il aurait voulu répartir également quelque chose, mais aucun trait d'esprit ne vint jouer sur ses lèvres, et l'angoisse de ne réussir qu'à s'empêtrer dans les mots poisseux qui lui coulaient sur la langue l'empêcha d'ouvrir la bouche. Finalement bourdonnant de silence, le gamin ravala sa frustration pour mieux apprécier la compagnie de Nassim. Il s'accrocha à son pauvre sourire, tordu, hésitant et fleuris pourtant. Comme une guirlandes de bourgeons déjà flétris, un chapelet délité qu'il aurait pourtant continué de porter vacant contre sa gorge.
Qui sait, peut-être notre bon Capitaine trouvera enfin le moyen de nous faire quitter cette île extraordinaire...
Fidèle à l'équipage qu'il voyait sa famille, Azaria haussa doucement les épaules, peu enclin à savoir s'il voulait ou non quitter Neverland. Cela n'avait plus aucun sens à ses yeux, et il ne se souvenait plus s'il avait ou non tenu un jour à voguer loin des rivages de l'île. Bien sûr, il avait très tôt voulu quitter Peter, mais le pays en lui-même... Certes dangereux, mais si beau ! Quand bien même il ne se souvenait plus de l'autre monde, le Rossignol savait qu'en ces lieux d'où on l'avait tiré, on ne trouvait ni fées, ni monstres, ni sirènes. La jungle elle-même lui semblait merveilleuse, et à écouter Nassim dont le ton trahissait une certaine nostalgie à l'idée d'un départ, Azaria pensait que Neverland n'était pas si terrible, au fond. Sûrement y avait-il pire, mais quant à savoir si le pays de Jamais était meilleur que le monde lointain auquel on les avait volé... Personne ou presque n'était capable de préciser quoi que ce soit sur l'autre monde. Certains s'en souvenaient plutôt bien, comme Nassim, mais la plupart étaient juste capables de de se baser sur les dires de Peter ou de quelque autre mémoire plus ou moins vivace. Azaria faisait partie de ceux-là : seuls ses cauchemars pouvaient se faire passer pour d'illusoires souvenirs d'une vie passé hors de Neverland, et il doutait parfois que tous soient dû à ce monde oublié. Il n'aurait su décrire de villes comme le faisait Nassim, parler de gens connus, raviver l'image fuyante d'un visage qui se dessinait dans la poussière de ses rêves...
-Je ne sais pas... Peut-être que ce n'est pas vraiment important ,chuchota t'il sans vraiment regarder le maître voilier. Le monde doit avoir changé, de toute manière.
Il secoua la tête, troublé au fond par son désintérêt, puis releva les yeux. Le regard de Nasism se planta dans le sien comme une flèche à la pointe d'obsidienne. Il rougit, mais n'osa pas se détourner.
Que quelqu'un le fixe aussi franchement le mettait mal à l'aise ; il avait trop peur qu'on puisse lire l'agitation sordide qui agitait le derrière de ses yeux, que quelqu'un ne plonge dans l'entrelacs sinistre de ses pensées noires. On s'y serait écorché comme dans un bouillonnement rageur de ronces aux branches barbelées.
-Dis moi, Azaria... Tu penses souvent à ta vie d'avant ?
Un instant, le Rossignol resta interdit. Le mots s'enchaînèrent comme des cordes de brumes, enlaçant son esprit, puis la phrase tout entièrement formée le tira vers un sens qu'il aurait préféré davantage occulte- alors, il aurait pu éluder, faire semblant de ne pas comprendre. Mais Nassim avait parlé clairement, et ses yeux sincères d'une effroyable profondeur l'empêchèrent de feindre la moindre ingénuité.
D'abord, il paniqua, ayant du mal à croire qu'on lui pose cette question, tant le sujet abordé semblait tabou, tant l'idée de se souvenir lui parut incongrue d'une part, puis dangereuse d'une autre. Terriblement lascive, mais scabreuse, mauvaise. Une idée suicidaire, celle d'une vérité nécessaire, d'un changement de voile qui ne le tentait guère. D'une remise en perspective dont il ne voulait pas vraiment.
Ensuite, une franche sensation de malaise s'insinua en lui. Confier sa douleur sourde lui semblait indécent, cruel... Tentateur. Affreusement tentateur. Il avait rêver trop de fois de se libérer du silence qui lui rongeait le cœur, de se défaire de la solitude qui l'étreignait toujours quand ses lèvres restaient closes alors qu'il ne voulait qu'hurler. Mais toutes ces fois là, personne ne lui avait posé de questions, personne n'avait pris la peine de lui tendre la main : tous sentaient le monstre d'obscurité qui se cachait derrière son air éteint, tous avaient vu la violence piégée dans ses yeux qui s'allumaient trop peu. Tous savaient intuitivement qu'il était de ces êtres brisés dont les éclats risquaient de vous couper, un chiffon remplis de verre qu'il était dangereux de saisir. Et tous avaient jusqu'à maintenant laisser la ruine angulaire de son cœur à ses seules mains scarifiées, décombres lugubres signalées à cent lieux par ses paupières lourdes, ses cernes et ses nuits agitées. Est-ce que Nassim savait à quoi s'attendre ? Faisait-il vraiment preuve de cette générosité dangereuse qui lui avait été si longtemps refusée ? Peut-être ne savait-il pas. Peut-être ne se rendait-il pas compte, peut-être... L'aîné devait penser engager une discussion légère. Ou bien il n'avait pas sentit ce mouvement abyssale, ces glissements noirs en lui.
Azaria le dévisagea, les yeux brillants. Sa détresse béait, et il avait de pleurer, allumette rallumée au briquet des lèvres safranées de Nassim- puis, une partie de lui, la plus noire, purulente, désespérée, céda soudain sur sa langue.
L'éclat furieux de son regard se ralluma alors. Et il parla.
-Chaque nuit. Chaque nuit je me souviens, dans l'étreinte lacérante de mes rêves. Peut-être n'est-ce pas tout, j'ai sûrement été heureux, et David était avec moi, je sais qu'avant Neverland aussi, nous vivions sous un seul et même toit. Alors, ma vie ne devait pas être si terrible. Elle était sûrement agréable même, avant que nous n'arrivions ici.
<< Mais il s'est passé quelque chose, et je sais que tu peux le comprendre. Il y a dans ta voix, sur ta peau, je.. Un reste, un signe, quelque chose qui me dit que nous avons appartenu à un même pays peut-être une même région de ce monde que tous ici cherchent à retrouvé sans que je n'arrive à savoir trop pourquoi. Et je peux le dire : quel qu'ait été ces lieux, quand je les ais quitté, ils étaient en proie à une guerre sanglante. Je ne saurais dire quand, pourquoi, si ma famille l'a subite, si j'ai toujours été orphelin... Je ne sais rien de toute ça. Mais mes rêves sont hantés par la haine, par le sang. Par la mort et la douleur.
Il se tut. Baissa les yeux.
Chaque nuit, je me souviens , murmura t'il doucement, mais ce dont je me rappelle cette vie passée ne mérite pas de resurgir vraiment... Alors non, je ne veux pas y penser. Je ne peux pas faire autrement, mais je ne le veux vraiment pas.
Il respira profondément et releva les yeux ; vers le ciel cependant.
Tous les jours, presque à chaque heure. J'y pense, encore et encore. Sans jamais aller trop loin, sans jamais me souvenir complètement. Mais j'ai peur de chanceler un jour, de...
Le gamin retrouva à nouveau le silence, incapable de s'exprimer plus clairement. Il fit un geste vague, fataliste, d'un air tragique et impuissant.
Tout le monde ici sait que je ne mourrais pas lors d'une bataille.
Et la conclusion lui sembla bonne. L'éclat furieux retomba, sans avoir véritablement brûlé, sans avoir consumer qui que ce soit : Azaria avait su tenir sa langue. Presque.
Le Rossignol tourna les yeux vers Nassim. Cette fois, il accrocha son regard lui même, et peut-être, s'il n'avait pas été si dépouillé de charmes, aurait-il d'abord souris, ou frotter son crâne chevelu ; mais Azaria était au fond plus abrupt et froid qu'aucun autre sur le Jolly Roger, et sa question sembla trop dure pour ses lèvres hésitantes. Quand bien même au fond de lui, il ne voulait blesser personne.
Et toi, tu y penses à ta vie d'avant Neverland ?