-5 juin 2013-
Une heure le ciel, au bout du jour, et les enfants qui jouaient contre l'aurore plaquée. J'étais de ceux-là.
Les aubes avaient un goût de rose et les nuages flottaient comme des œufs battu en neige. C'était tout un monde nouveau déployé entre aujourd'hui et demain, un monde avec un peu d'éternité condensée dans ses secondes. Comme des colombes lasses, nous avions fait nos nids contre ses branches d'éther. Il fallait encore apprendre à utiliser nos ailes. Enrobées de plastique. Souffle de lumière sur les plumes.
Envol.
Cellophane déchiré, liberté gigantesque. Le monde est si grand comme une étreinte éphémère, le monde est tellement vaste comme les bras de ma mère. C'était tout simplement l'univers entier qui s'ouvrait à nos ailes et réclamait qu'on y vole. Candeur sucrée, journées de miel. Sur la corniche des jours on jetait des oranges, qui doucement roulaient sous les sapins de noël. Le temps des fruits qui voyagent.
Gorgés de soleil, nous devenions des pommes. Juteuses et rouges, qui balançaient leurs rondeurs jusque sur l'horizon. Et là éclations en pluies ; nous étions tout les bonheurs du monde qui dérapent des astres.
J'ai connu quelques étoiles qui ne s'assumaient pas, et parfois alors nous brillions à leur place, en agitant des lampes torches dans la nuit de velours. On s'enroulait en anges contre la nuit profonde et creusions des silhouettes contre sa peau de moire. C'était si simple d'être heureux. Bonheur saveur meringue liquide. Les jours coulaient comme du sirop en nous laissant le goût de toute ses joies sur la langue. On mourrait de diabète, en riant comme des étoiles filantes, on mourrait des guimauves plein la bouche, avec des intraveineuses de bonheurs contre les bras, et sur mon front on aurait peint la galaxie endormis entre les bras du vide.
Envol, envol. Mes ailes sont en papier mâché et je cède à leurs battements humides. Un jour je tomberai. Un jour le gosier du vide me prendra, et je tomberai dans la gorge du vent, en j'entendrai la voix des nuages qui se moque de moi, un jour la lune tendra vers mes yeux des cratères souriants. Un jour je tomberai et toutes les joies du monde dévaleront avec moi jusqu'au ventre des airs, là où s'échouent la poussières et les Hommes.
Un jour je serai adulte. Un jour le monde-pistache. Aussi petit qu'une pistache. Un jour le monde-couvercle. Un, jour dans une boîte... Je vivrai comme une chenille qu'on a enfermé, et jamais je ne deviendrai papillon. J'attendrai la chrysalide, mais j'en ressortirai larve, et puis. Néant saveur haricots-verts, pissenlit éteins qui s'endorment contre la joue poussiéreuse des jours d'été. Oublieuses des bonheurs, les heures d'obscurité, froides et amères, les heures d'ennui sous la tombe dans le lit. Les cercueils sont des boîtes de conserve pour insectes. Mais ils n'ont pas de couteau pour les ouvrir, c'est tout. Ils doivent les ouvrir à la force des mandibules. C'est tellement dur. Dur le monde, due, la vie. Un jour plus de vie, plus de monde. Et moi je m'éteins comme les fleurs dans la poussière.
J'ai étouffé enveloppé dans mes ailes et maintenant je paie les jours d'inconscience azurée. J'ai pris le temps à rebrousse-poil, il me donne cinq cent claques et me laisse pantelant. L'existence est une cuillère remplis d'épais sirop pour la toux. Je suis gluant. J'ai fondu comme un bonbon dans la bouche. Comme un chocolat dans la poche. Maintenant c'est finis, et pour toujours et pour jamais et je ne pourrai plus aller voir le bout des jours pour goûter à l'aurore.
Les aubes estompées ont finis de pleurer sur les anges décédés. Maintenant je roule contre des hérissons en priant la gangrène. Viens, viens, je t'en supplie viens vite. J'ai le mal de la vie, je vais vomir et tout finira dans ce flot de gerbe pâle. Empêche moi de tomber dans ma propre existence défaite. Je me suis perdu à un détour du ciel, mais je n'ai jamais retrouvé le bon chemin. Je suis fatigué d'errer contre le monde râpeux, je suis comme un oiseau sans ailes entre les pattes d'un chat, et sur sa langue j'attends que tombent les dents de la délivrance.
J'ai mal j'ai mal, je souffre comme les framboises qu'on noie je souffre comme les pierres brûlantes qui sont jetées contre les vitres. Cherche moi une corde, je me pendrai sur la branche de l'horizon qui ne bouge plus. J'ai pour tabouret les os de mes rêves assassinés. C'est finis, c'est finis. Tout es perdu désormais. L'univers s'est éteint, replié sur lui même, et les jours ont oubliés leur propre goût au détriment de la bile et du fiel des années sans innocence. Les mondes ratatinés bruissent comme des feuilles mortes, tous les futurs possibles craquent sous mes pas et je pleure sur eux, je pleure comme sur des tombes. Ma vie est un cimetière sans fantômes, ma vie est triste comme la peau ridée d'une vieille dame. Je crois que les années sont mortes et ne veulent plus revivre dans mon esprit. J'oublie tout ces jours arrosés de miel. Leur teinte est grise comme mon visage.
Tuez moi tuez moi avec des mots, frappez mon corps si vous y tenez, je ne sais pas, je ne sais plus, est-ce que j'ai déjà su ?, je veux partir, libérez moi des chaînes de la vie, car tout n'est plus qu'une mauvaise blague et je ne saurai souffrir qu'on se gausse de moi plus longtemps encore. A toi je te demande un couteau, ou tes ongles. Tord moi les yeux et fouille mes veines, prends mon cœur dans tes mains et frotte le contre tes joues jusqu'à en faire de la charpie moite. Ce n'est pas important que ça fasse mal, je veux juste connaître la fin plus vite, je veux juste. Le silence et la nuit.
Avant je fuyais et je voulais le sucre des journées séchées, mais c'est finis pour de bon, et maintenant je sais que plus jamais on ne posera sur mes yeux des fausses paupières en pétales de coquelicots, je sais que les sucreries sont faîtes poussières et que les joies sont éphémères comme les étoiles dans le ciel qui tombent après avoir été déçus.
Ne pleurez pas, ne riez pas. Surtout toi, tu ne peux pas, je. L'amour est mort et tu m'aimes encore. Je ne sais pas. Peut être que ce n'est pas vrai et qu'on cesse de brasser de la joie quand on sent que l'été approche. Il m'a desséché. Je regrette les hivers doucereux qui me cueillaient et posaient sur mes joues pâles des bourrasques comme il n'en existe plus. Où sont passés les buissons de mures pleins d'épines, où sont les arbres centenaires et les vieilles maisons dans la forêt ? Où est l'enfance, où ais-je été perdu ? Où me suis-je laissé abandonné, où suis-je tombé ? Pourrais-je remonter un jour, peut-on reconstruire les ailes qui ont été brisées ? Je veux les brumes citronnées et la douceur des jours, je veux les beautés dont on m'a privé le jour de la chute, je veux, je veux, je veux.
La liberté. Je suis né pour toi, liberté, je suis né pour t'embrasser, oh j'ai été là pour toujours entre tes bras une fois, pourquoi suis-je maintenant ici ? Liberté, liberté, hurlement de mon cœur, chanson sauvage qui hante mon sang, liberté liberté, reviens moi je t'en prie. Je suis une bête qui ne connait plus sa place et je regrette les bois. Les bonheurs d'aujourd'hui me font mal et les sourires sont comme des coups de couteau. Je ne supporte plus les gentillesses des autres, de. Ce monde si triste. Je ne suis plus certain de connaître ce corps. J'étouffe. Je meurs. Je meurs d'une mort longue et infinie. Un supplice sans fin s'attaque à moi, je ne vois plus l'horizon, je ne vois plus la route. J'ai mal quand je vois ce monde, j'ai mal quand je vois tout ces gens, j'ai si mal de la douleur des autres.
Parfois je pleure, et dans le noir mes larmes n'existent pas. Et parfois au jour je tend mes joues scintillantes et mes yeux qui veulent exploser en gerbes liquides, mais alors je souffre de ce dénuement.
J'ai été déçu tu sais, par le monde et les gens, ils m'ont tendu la main pour poser sur mes joues la brûlure de leurs claques. Je ne sais plus comment. C'est arrivé et je n'ai rien fait, hébété. Maintenant je les vois tous, heureux ou luttant pour des joies qu'ils ne savent pas savourer. Ils ne regardent pas autour d'eux le rayon de soleil qui tombe sur le sol, il ne voit pas les coquelicots au bord de la route, et pour eux les arbres ne sont pas des géants de bois bienveillants. Ils vivent à côté du monde en croyant le connaître, et pourtant c'est faux. Ils ne sont qu'en bordure de lui, pour toujours, aveugles, mais ils ne savent pas et ne sauront jamais. Que dois-je faire ? Immergé en ce monde mieux que tout ces gens, que dois-je faire ? Mettre un bandeau sur mes yeux, décrocher les étoiles pour m'éblouir jusqu'à la cécité ? La boue n'est pas fertile ici, elle salit, et je dans cette fange je me roulerai si je pouvais tout faire cesser alors, mais je sais que c'est faux et que pour toujours une voix dans mon crâne chuchotera des mots et des accusations, je sais que quelque par derrière mes yeux il y a une chose qui ne peut pas s'endormir, qui ne pourra jamais, qu'elle aura pour moi des murmures douloureux ; et je ne peux rien y faire, car on ne fait pas taire cette voix, elle ne s'éteindra plus maintenant.
Elle me raconte le monde comme une chanson triste et soupire à chaque phrase. Elle sanglote parfois en me parlant des gens, et regrette la fumée qu'ils aspirent, les changements qu'ils subissent ; elle dit qu'en d'autres temps ils étaient différents et que maintenant elle souffre, que maintenant elle regarde dépitée ces personnes qu'elle avait cru connaître. Mensonge. Immonde mensonge dégueulasse à en gerber immonde mensonge qui m'a porté, immonde immonde immonde. Je voudrai ne pas savoir, mais c'est trop tard maintenant. Je sais. Je sais ce qu'ils sont, ce qu'ils font, je sais ce que je suis. Je ne peux plus me cacher tout ça, et. Battement d'ailes des corbeaux. Sur mes yeux de l'ombre comme de l'eau. Quelque part de l'herbe et du vent ; mais pas ici, autre part, et je suis là pourtant, et je suis là.
Où est le reste du monde, où est posé l'Islande ? Où sont les forêts, où sont les mythes ? Je veux devenir une feuille d'un arbre, et pousser partout dans les rêves des enfants. Je veux être l'instant de candeur des adultes qui se sont oubliés, je veux être dans l'ombre des gens heureux qui redécouvrent la beauté d'une pelouse. Regarde les épis de blés vert qui brillent au soleil, je leur dirai, regarde les marguerites qui s'élancent vers le ciel, regarde le monde à côté du monde, regarde, regarde, c'est ce qu'était la terre avant et il en reste un peu, prends ta part, défends la, exige qu'on te rende tout ce qui a été volé. Regarde.
Je suis si vieux quelque part, et tellement jeune. J'ai des folies qui me poussent, et des rêves en trop, j'ai des angoisses qui rongent fort et trépignent dans mon cœur. Ce que je suis c'est ça, c'est une bête sauvage dans un corps de gamin. J'ai toujours été la créature des bois, des océans profonds, et maintenant je vais mal ici, dans la ville, je vais mal dans le monde qui rétrécie. J'aurai voulu avoir les pieds cornus et la peau comme du cuir, j'aurai voulu vivre près d'un forêt aux milles yeux et bruisser avec les feuilles quand serait venu le soir. Je voulais une autre époque, un autre monde, je voulais. Kairec. Autre chose. Un univers plus loin. Je voulais le roulis éternel des vagues, et l'herbe ondulant entre les mains du vent, les sources chaudes, les volcans, les jours froids pelotonné contre des gosses aux joues douces, voilà c'est ça, une autre vie, plus profond dans le temps, une autre vie seulement, une autre vie.
J'aurai voulu les voyages qui défilent façon photos, de faux chemins qui serpentent sous les yeux et pas de route du tout, juste l'inconnu et l'horizon qui tremble. J'aurai voulu un monde fébrile et cent humanités dispersées vénérant la faune et la flore, j'aurai voulu. Des lutins dans des villes d'acier, des enfants qui ne grandissent jamais, l'écume des vagues contre le pic des montagnes, les chants du soir devant un lac scintillant, les couleurs de nos joies peintes sur le ciel, j'aurai voulu. J'aurai voulu le monde comme il était, en plus beau, j'aurai voulu le sublime et les douceurs qui durent toujours.
Je veux retourner au bout du ciel, ou je ne veux rien. Je veux retrouver les nuages et la lune, ou ce sera l'obscurité. Donnez moi la vie, donnez moi la mort. Je ne sais pas.
Donnes moi ton sourire si tu ne peux pas créer le monde. Donnes moi quelque chose. J'ai besoin de toi, j'ai besoin. De solitude et de silence, j'ai besoin de temps, j'ai besoin de fleurs et d'herbe grasse, j'ai besoin ds forêts qui vibrent doucement des oranges déclinés du crépuscule sur un monde endormis redevenu sauvage.
Un jour, bout du ciel, je te reviendrai. J'aurai perdu mes ailes et mes yeux seront blancs, mes cheveux tomberont comme le duvet des oiseaux. Je serai la feuille morte qui roule contre toi, je serai les pétales sèches qui se fracassent sur tes ondes, je serai si tu veux l'ange maudit venant mendier aux portes du paradis, je serai le démon osseux, je serai la vague fracassé qui retourne à la mer.
Je te veux, je te veux si fort que parfois j'en pleure, je te veux comme les plantes veulent le soleil et comme les galets veulent les marées changeantes, je te veux plus fort que tout, je te veux comme un premier souffle d'air, je te veux comme une bouchée de pâte d'amande, je te veux si fort, je te veux. Prends moi dans tes bras, berce moi contre toi je t'en supplie.
Arrache moi au monde, pour une fois qui durera à jamais.
Arrache moi à la vie.
Arrache moi.
Arrache moi.
Arrache moi.