-One-shot-

06-06-2013 à 17:44:30
-2009-
La mort-

Aujourd'hui alors que je marchais j'ai vu cette ombre noire comme l'encre filer entre les arbres. Et alors voilà que cette nuit glacée, ce soir brumeux où les étoiles n'étaient pas visibles dans le ciel sombre, elle a frappé. Je me souviens, ô oui comment ne pas s'en souvenir de cette douleur sourde à l'endroit où elle avait frappé. J'ai hoqueté puis dans un élan de panique je pris la fuite, en courant mes jambes volants au dessus du goudron gris alors que mon esprit ne pensait qu'à une chose : la famille qui m'attendait. Puis dans un nouvel élancement de douleur voilà que je tombais à terre dans un cri de souffrance. Un souffle froid dans ma nuque des yeux glacials que je sens fixés sur moi... Puis la main blanche et dénuée de chaleur qui me retourna... Quand je vis ce visage pâle et ses yeux noirs, aussi noirs que ses cheveux de jais je su qui elle était... Comment ne pas savoir ? Ses yeux noirs et glacés qui me fixait intensément, ses lèvre aussi rouges que le sang fraîchement versé... Oui c'était la mort.

-Bonjour Matiew m'avait-elle dit de sa voix douce. Tu sais qui je suis n'est-ce pas ? Quand elle parlait toute chaleur était aspirée. Tout n'était que souffrance quand cette voix aussi douce que la soie me parlait. Bien sûr que tu le sais. Tout les humains reconnaissent la mort. Aujourd'hui tu vas mourir et c'est moi qui vais te tuer, on te croira mort de problèmes cardiaques. La démone éclata d'un rire cristallin. Ne t'inquiète pas ce ne sera pas douloureux. Puis dans un souffle, un geste de sa main la vie s'échappa de mon corps. Elle n'avait pas menti aucune douleur n'était venue m'arracher un cri de souffrance, la sensation était même agréable. Une torpeur étrange... Puis la lumière, cette lumière éclatante d'une pureté à couper le souffle... Mais ce n'était qu'un piège. Après la lumière ce ne fut que souffrance, agonie et cris de douleurs répétés encore et encore... Et contre toute attente le néant. Voilà comment je suis mort. Je n'ai laissé comme trace que mes pensées gravées dans l'air... La lumière. Maintenant vous savez, vous connaissez le visage de la mort, ses douces paroles et ses ruses. Méfiez vous et battez vous... Car les gens qui frôlent la mort ne font pas que souffrir, ils l'ont vue, ils l'ont touchée. Alors n'oubliez pas : soyez courageux et battez vous contre les ténèbres.
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06-06-2013 à 17:49:37
--2009-
Histoire d'un monde.

Dans une sombre rue, bien loin de là à Misrus street dans un tout autre monde il marchait... L'homme qui avait sauvé le monde... l'homme... Ce n'était pourtant qu'un adolescent de quinze ans qui avait toute sa vie souffert de son fardeau : La destinée. Comment la nature avait-elle pu le doter d'autant d'intelligence ? Personne ne le savait. En revanche tous les mages de Dawen oklure savaient qu'un jour il était né. Oui lui qui avait si vaillamment combattu le maître des ténèbres, le seigneur noir, L'impardonnable... Ce jour-là Dorian avait tout perdu : Sa famille, son bonheur et son âme. Aujourd'hui il poursuivrait le chemin que la terre lui avait imposé. Le jeune homme se rappelait de ce sombre jour :

- DORIAN ! Sa mère avait crié... Elle avait tant crié. Et voilà que le filament noir l'avait transpercée, la tuant sur le coup. Il n'avait pas su quoi faire horrifié devant le cadavre de sa mère. Au même moment son père se battant utilisant toute sa force vitale pour tuer le monstre qu'avaient engendré les ténèbres. Lui aussi était mort, transpercé par une épée tandis qu'un sourire ravi s'étirait sur les lèvres pâles du seigneur noir. Alors à ce moment il avait senti la colère, la haine... Puis la magie avait déferlé telle un torrent, emportant la vie de cette immonde engeance du mal crée par les peurs et les ressentiments de tout un peuple. Seulement avant de mourir voilà qu'il avait maudit le sauveur de la lumière... Dorian avait désormais besoin d'une chose pour vivre. Ha voilà.... Cet enfant n'aurais pas du désobéir à sa mère et sortir poursuivre un chien. S'approchant,il saisit le bambin de sept ans par la gorge et aspira sa vie. Le corps inerte de l'enfant tomba à terre dans un bruit mat et Dorian tourna les talons laissant le cadavre de sa victime pour continuer à errer... "Une vie pour une vie" lui avait dit le seigneur noir. Une vie ? Oui une vie tous les jours se dit le jeune homme en enjambant le corps sans vie de la sœur du garçon. Le stratagème avait été si simple... La nature lui avait donné l'intelligence nécessaire pour lutter contre le mal, et quelle ironie quand on savait que désormais les 150 de Q.I dont l'avait doté la Terre servaient pour sa cause, non pour le bien commun, non pour la lumière, mais pour satisfaire ses besoins. Le seigneur des ténèbres avait fait de lui bien plus qu'un mage noir : Dorian était son successeur.

06-06-2013 à 17:50:13
-2009-
Le rêve.

Dans cette belle et énigmatique forêt ils sont un jours nés... Tels des fleurs répandant leur pollen ils se sont multipliés, ils ont marché encore et encore jusqu'à enfin arriver devant leur créateur : Ce grand arbre au feuillage touffu et aux longues branches lisses, son écorce aussi blanche que celle de ses créations brillant au soleil aussi sûrement qu'un diamant. Oui ses feuilles vertes de la couleur des émeraudes, ce même vert qui dans les yeux de ses petits reflétait son image. Ce grand arbre au tronc épais et lisse d'où des branches s'échappaient des oiseaux apeurés par la foule de créatures au corps aussi fin qu'un pouce qui se massait au pied de leur père, leurs petites mains se tendant vers lui pour le toucher pour la première fois depuis leur naissance. Ils avançaient, courant, trébuchant, se poussant pour étreindre leur créateur, lui qui leur avait donné la vie. Le serrant et l'embrassant tel des abeilles sur une fleur ils se collaient, s'agglutinaient contre ce tronc si blanc qui se dressait fier et droit parmi les nuages ses branches se déployant touchant le ciel bleu du bout de leurs feuilles magnifique. Et pourtant oui pourtant tout ce magnifique paysages aux allures de paradis, ce même paysage dont le sol est couvert de fleurs aux couleurs vives et chatoyantes qui semble sortir d'un rêve n'est qu'inventions onirique de cet esprit torturé qu'est en réalité mon être. Tout ça n'est qu'un rêve, que trame onirique alors rangez vos souvenirs dispersez tout ce bonheur et revenez à la réalité, cette dure réalité qui s'offre à vous tel un tunnel sombre dont on ne voit pas la fin.
06-06-2013 à 17:55:16
-Été 2011-
Souffle-

Un souffle chaud s'échappa d'ente ses lèvres.
Il alla se briser sur l’herbe tendre en une douce caresse. D’éparses volutes tièdes s’y dispersèrent vivement, courant entre les brins en froidissant inexorablement. Deux yeux dorés observaient cette course vaine. Mille nuances s’y mouvaient lentement, ambre rehaussé d’or qui se mêlaient dans une danse indolente. Les prunelles de ses yeux n’étaient que mouvements d’un liquide onirique. Nulle qualification n’aurait pu décrire la beauté complexe de la valse oculaire. Elle dépassait toute chose magnifique en ce monde… Elle n’était pas humaine. Ni divine. Aucun mot ne pouvait la décrire en une vérité absolue. En sa nature résidait celle de tout le reste. Pour se rapprocher au mieux de ce qu’elle était, il aurait fallut utiliser « Tout ». Mais ce n’était pas vrai en soit. Elle était autant « Une » et « Rien » que « Tout ». Ce n’était ni la vie, ni la mort. Ni un homme, ni une femme. Peut être n’étais-ce simplement qu’une présence, sans forme, sans âme. Une impression qui résidait sur cette pelouse, sans nulle pour la ressentir. Un paradoxe à l’existence même. Personne n’aurait pu décrire son ressentit à sa proximité, ni dire vraiment si il ressentait quelque chose. Juste affirmer que l’air était différent en ce lieu, qu’un calme étrange planait dans la clairière. Une trouée dans la sylve profonde, que la canopée oppressante daignait laisser hors de ses ombres humides. Elle n’avait pas sa place dans la forêt, et pourtant, c’était bien d’elle que tout le reste s’était développé. De sa pelouse verte et courte, qui formait de réguliers carrés encerclés de paver blancs. Elle n’était pas très large, à peine plus d’une cinquantaine de mètres, parfaitement délimités par la bordure sombre du sous-bois. Un parfait carré, encore une fois. Tout était maintenu dans un ordre clair et distinct. La stricte régularité des lieux était singulièrement apaisante. Presque soporifique. Seule une fontaine, en le centre exact de la clairière brisait ce charme amorphe de silence et de paix. Elle glougloutait doucement, presque timidement. Son eau claire tombait sagement jusque dans le petit bac rond, d’un marbre éclatant. Elle formait alors un lac minuscule, retenu par la pierre blanche, sur lequel valsaient paisiblement des nénuphars fleuris. Au milieu de cette onde calme, s’élevait une petite tour à base carrée. Ses créneaux cannelés et ses meurtrières exsangues n’y trompaient pas : elle en était bien une. Cette reproduction miniature supportait le poids d’un large bol en verre. A l’intérieur… Une indéfinissable matière chaude et ondulante, qui tournait inlassablement sur elle-même, semblant presque vivre. Elle avait la couleur de la chair, mais cela paraissait improbable que c’en fut. Même en ces lieux. C’était de là qu’elle s’échappait. Cette présence probable dont les imperceptibles tentacules se traînait sur la pelouse. Elle avait bien deux yeux, deux perles d’or et d’ambre liquides, et deux lèvres, pétales d’une rose et d’un coquelicot, l’un d’un rouge profond et l’autre plus clair. Un visage également. Fin, d’un ovale régulier et doux, qui comportait un nez aux courbes voluptueuses. Sa chevelure était rousse, rutilante, flamboyante, sauvage. Elle retombait sur ses épaules droites, le long de son dos droit, jusqu’à ses pieds droits levés sur leur pointe effilée. Tout était droit chez elle. Jusqu’à ses bras le long de son corps, ses dents alignées sagement derrière ses lèvres, sa langue posée au fond de sa bouche, plate, sa colonne vertébrale comme un pilier de pierre blanche. Ses orteils même suivaient l’ordre rigide. Et pourtant, elle vivait, plus que tout autre chose. Ses lèvres s’entrouvraient pour laisser s’échapper un souffle, à chaque minute. Il portait jusqu’à la pelouse, s’y brisait comme une vague et se perdait dans l’air. Ses yeux suivaient les volutes tièdes échappées de son corps chaud, leur mort inévitable contre les brins d’herbe, et alors, elle attendait une nouvelle minute pour souffler encore. La chose était troublante, car elle n’existait pas à un sens strict. Cela dépendait des instants, de ses envies. Seule chose inconstante dans la clairière, qui pouvait décider, même dans l’inexistence de recommencer à exister ; ce qui était pourtant impossible. Mais qui restait tout de même une évidence pour elle, une normalité des plus véridiques. Si le monde entier avait pu faire de même, alors toute les fleurs auraient soudain disparues en hivers et en automne, pour ne surgir que du printemps à l’été ; les arbres n’auraient jamais perdus leurs feuilles, les hommes auraient toujours été en vacance, et même les nuages se seraient mis à pleuvoir quand bon leur auraient semblé. Mais son don était unique. C’était un pouvoir qui dormait au plus profond de son être probable. Elle choisissait chaque instant de sa vie, triait son existence pour n’en garder que le bon, et se prélassait au soleil dans la clairière, rattachée au bol de verre par un cordon invisible. Elle était seule dans ce monde, seule à vivre au milieu de la forêt. LaTerre était vide. Ce n’était qu’un défilé de paysages grandioses… Et déserts. La grande virtuose qu’était la nature n’avait jamais donnée naissance au moindre animale. Seule des plantes habitaient ce monde, le couvrant d’un tendre manteau de verdure, de pelouses sauvages, de prairie fleuries, de champs floraux aux mille senteurs, de forêts profondes et impénétrables, de buissons de baies sucrées ; un paradis sans nul être pour le ravager, le tout sous la garde d’un ciel bleu et calme. Les ruisseaux d’eau froide chantaient sans que rien ne couvre leur voix cristalline, et le vent ne portait que douces fragrances. Ainsi le monde tournait-il, sans même ressentir le besoin d’insectes, de serpents, et surtout, d’hommes. Elle se sentait seule, sur cette Terre idyllique où la beauté était d’une foisonnante diversité. Malgré les paysages magnifiques qui s’offraient à elle, partout autour de la grande forêt, ces lieux restaient vides. La fontaine, sa mère et source la retenait de toute manière. Bien sûr, elle aurait put couper le cordon qui l’y reliait, mais où irait-elle alors ? Le monde était trop vaste pour ses jambes, et elle ne se sentait pas le courage de le découvrir seule. Sa solitude lui semblait belle et bien éternelle, et avec le temps, prit même une certaine logique dans son esprit… Mais malgré tout, il lui arrivait de se dire qu’elle n’aurait pas dû être seule. Que si elle constituait l’unique présence sur Terre, alors une certaine mission lui avait été investit. Avec le temps, cela lui devint une certitude. Elle y pensa pendant d’interminables années, vagabondant dans la forêt, entre les arbres hauts, cueillant des fougères pour les examiner, se demandant pourquoi elles étaient là, pourquoi elles poussaient, et pourquoi tout était si calme. Pour peu, le monde aurait pu être qualifié de parfait. Il y régnait un ordre proverbiale, dont le mythe d’Eden aurait pu s’inspirer, tant la douceur y était anodine. La beauté était présente partout, abondante, surprenante, et le sous-bois en lui-même recelait maintes merveilles. Mais tout était bien trop plat. Seul le vent troublait la sérénité étouffante de ces lieux, soufflant entre les feuilles une mélodie apaisante. Le décor inoffensif invitait presque à se coucher sur le sol, pour y dormir éternellement. Ce ne fut qu’au fil du développement millénaire de ces pensées, qu’elle comprit enfin ce qu’il manquait au monde : de la vie mouvante.
Elle décida alors d’en créer. L’éternelle répétition de ses journées, qui ne passaient qu’au rythme de son souffle, prit une tournure radicalement autre. Cependant, un problème l’empêcha pendant longtemps de mener à bien son projet. Bien qu’elle sache comment faire et où puiser la matière, aucune idée de forme ne lui venait. A quoi pourrait bien ressembler les êtres à qui elle donnerait naissance ? Elle n’avait jamais été dotée d’imagination. Malgré son envie, elle était donc soumise à un infranchissable obstacle. Le problème lui paraissait insoluble… Cela dura des jours entiers. Des mois peut être. Ou même plusieurs années, d’une paire à une dizaine ; à des centaines. Elle réfléchit un temps considérable, essaya de penser à un corps, de se représenter un être vivant, et de nombreuses fois, plus encore que de raison, échoua. Et cela finit par lui paraître évident : elle ne réussirait jamais. Alors, sans chercher la moindre idée, sans penser à quoi que ce soit, elle approcha de la fontaine, franchit le bassin de pierre en y dérangeant les nénuphars, puis plongea ses mains dans le bol de verre.
Ce fut comme enfouir ses mains dans de l’eau chaude. Une agréable torpeur s’empara de ses paumes, réchauffant ses doigts et sa peau. La matière d’un beige pastel, aux nuances mouvantes, se posa dans ses mains comme si elle n’avait jamais attendue que ce geste. Alors elle remonta ses bras, et fixa ses paumes. Elles étaient pleines d’une chair brûlante et palpitante. Pendant de longues minutes, la beauté de cette matière vivante l’émue. Entre ses mains se tenait la solution, n’aspirant qu’à prendre forme. Elle se savait incapable d’en trouver une, mais au fond, cela ne lui paraissait plus si important. Elle sortit de la fontaine, et tourna, droite, sur elle-même, en lançant la chair à travers la clairière. Le hasard ferait tout. Il modèlerait cette matière pulsante bien mieux qu’elle…
Il ne manquait qu’une chose. Elle en avait pris conscience depuis longtemps déjà. La vie réclamait un sacrifice. Pour que la chair prenne forme et conscience, un holocauste était nécessaire. Elle devait mourir… Ou plutôt vivre à travers chaque chose qui aspirerait son énergie dispersée. Vivre pleinement, sans se cantonner à une simple sylve. Laisser la fontaine mère derrière elle.
Alors, l’unique et seule présence du monde, cette probable existence qui décidait de sa disparition, qui pouvait mourir et renaître à sa guise, lâcha son ultime souffle. Le dernier, qui donnerait vie à tout le reste.
Un vent brûlant passa sur la forêt en emportant la chair dans sa course ardente. Le bol vacilla et tomba dans l’onde de la fontaine, se brisant contre son fond dans une nuée de verre brisé, avec laquelle joua la lumière. Des étoiles paraissaient danser sous la surface de l’eau… La matière s’y mêla dans un nuage carné. Des corpuscules s’y déversèrent par millier, et le bassin déborda sur le sol. Une eau beige et pâteuse enveloppa les plantes, la pierre, s’envola sous le souffle final qui allait tout changer. Des arbres furent déracinés, de la terre se heurta à la chair en s’y mêlant, et à travers le monde entier, une pluie brûlante tomba, déversant la vie sur les montagnes et les plaines. L’océan n’échappa pas aux cataractes. Il bouillonnait déjà, alors que mille formes de le peuplait frénétiquement. Et pendant que la Terre se couvrait d’une vie nouvelle, le vent quitta l’atmosphère en emportant avec lui quelques nuages de chair, à travers l’espace… A la fois ravagé et plus vivant que jamais, le monde se cabra violemment sous cette émergence de vie. Des volcans explosèrent en déversant des nuées fuligineuses et blafardes dans le ciel, et des flots de lave incandescente sur la terre. La forêt mère commença à brûler sous les assauts de cette matière meurtrière. Un incendie liquide se propagea à travers les troncs, vomi par la planète bouleversée, malade de cette vie soudaine qui tombait à sa surface. Il dévora la sylve sans en laisser même une écharde…
Au milieu de ce chaos qui précédait une nouvelle ère, la Fontaine de Jouvence s’enfonça dans la terre, emportée par la lave dans les entrailles du monde… Un jour, une éruption la ferait de nouveau surgir, au sommet d’un volcan.
Mais pour le moment, elle s’en retournait vers son propre noyau, dans les profondeurs ténébreuses où sa terrait peureusement la source même de l’existence.
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Au loin, parmi des étoiles innombrables et des voiles gazeux irisés, un souffle ardent parcourait le vide de l’espace, des nuages de chair emportés par son insoutenable traction. Il défiait toutes les lois de la logique, et fendait les roches volantes de la galaxie sans que rien ne puisse l’arrêter. Car, cette bourrasque implacable avait une destination : un monde lointain à peupler, aux confins de l’univers... Une nouvelle planète devait se voir offrir la Vie. La quatorzième d’une longue série, dont la Terre n’était que le maillon d’une chaîne autrement plus grande.
06-06-2013 à 17:56:28
-Été 2011-
Innocence-

Petite fille qui court dans la rue. Ses pieds tapent sur le sol, ses os s'activent en cadence, ses petites jambes exécutent des foulées de dance. C'est comme une ballerine qui ferait des entrechats pour courir. Elle est en spectacle permanent pour le monde entier, pour les gens dans la rue, à leur fenêtre même, pour le ciel, les nuages, la terre qui défile sous ses pas. Il y’a l’herbe verte, comme de longue rangées de prétendants qui l’observent, qui attendent tous qu’elle leur porte de l’attention. Les fleurs qui poussent parmi eux sont des cadeaux, des bouquets de marguerites et de pissenlits- un romantisme sans prétention. La pelouse au masculin ne demande qu’un regard.
Mais la petite fille ne fixe que l’horizon, que le chemin devant elle, et les pelouses bien entretenus qui défilent sur les cotés, parquées par le trottoir bien propre, devant des maisons similaires bien rangées, le tout formant une résidence bien ennuyante, ne l’intéresse pas le moins du monde. Elle sait que d’ici la fin de sa course, tout le monde sera sortit, que tout le monde ira chercher sa tondeuse à gazon, et que tout le monde déchiquettera les fleurs sans y prêter attention. Que de toute façon, la nature sauvage qui essaie de pousser un peu partout, est déjà morte avant même d’être véritablement revenue s’installer dans la résidence. Les bouquets dans l’herbe, elle ne veut pas penser à leur disparition. De toute manière, elle n’a pas le temps : vite, il faut courir, faire des entrechats rapides qui dans leur continuité forment une course, se dépêcher d’atteindre le bout de la rue, juste avant que le soleil réveille les gens bien hypocrites de la résidence, dans leur lit bien défaits, qu’ils vont se faire une joie de refaire, simplement pour avoir la satisfaction de le revoir bien parfait, et de se dire : « C’est moi qui ais rentré les draps, tapé l’oreiller, rentrer les bouts qui dépassent et lisser les couvertures du plat de la main. C’est moi qui ais bien fait ce beau lit bien rectangulaire et bien symétrique. C’est moi qui ais fait quelque chose de parfait. » Et la fillette danse toujours plus vite pour leur échapper. D’affreuses teintes pastelles se saisissent du ciel, d’affreuses tâches de sang qui coulent entre les nuages, d’affreuses prédictions de la matinée à venir. Des signes annonciateurs… Les gens se lèvent tous d’un même mouvement. Grincements des lits. Vite, elle court. Les gens marchent sur leur moquette bleue. Bruits de pas étouffés. Vite, elle court. Les gens sortent de leur chambre. Fermeture minutieuse de la porte. Vite, elle s’envole.
Elle fait des entrechats dans l’air. Elle suit une courbe céleste, cours comme sur une pente qui monte droit vers le soleil. Elle va se perdre dans l’aube pour échapper à la résidence. Alors qu’elle passe à travers le filme plastique du ciel, les gens sortent de chez eux. Des centaines de paires de pieds qui claquent sur la première marche devant la porte des habitations semblables. Lentement, elle se couche contre l’aube.
En dessous d’elle, tout le monde prend sa voiture. Tout le monde prend la même route. Tout le monde roule à la même vitesse. Tout le monde est une grande plaie dans son cœur d’enfant. Elle observe Tout le monde qui s’embourbe dans des névroses ridicules. Ses yeux sont collés contre l’aube, elle regarde à travers le plastique rouge, songe que ses parents rejoignent la monstrueuse entité. Tout le monde les avale. Elle se lève, avec le désir innocent de ne plus revenir en bas. Si elle continue de grandir dans la résidence, c’en est finit de tout ses rêves. La créature, Société, la piégera comme tant d’autres. Pour lui échapper, une seule solution : monter encore plus haut dans le ciel, plus loin encore que l’aube. Trouver les étoiles et la Lune, rejoindre le soleil. Elle lève la tête, et voit la grosse ampoule ronde qui brille, accrochée au vide, et se demande si c’est une lampe écologique. D’où lui vient cette idée ? Il n’y a pas besoin d’écologie dans l’espace. Les arbres n’y poussent pas. Ce n’est pas la même chose. Le soleil peut polluer, il consomme l’énergie infinie du vide interstellaire. La petite fille se dit qu’il est stupide de consommer quelque chose, de toute manière. On devrait pouvoir marcher sans manger, sans boire, sans utiliser d’électricité. Elle va défier l’univers, juste pour le remettre à sa place, et lui prouver qu’elle peut vivre sans ses lois si strictes. Son régime totalitaire n’a que trop duré. Elle va tout renverser, pousser sur l’empilement fondamental des choses logiques, puis donner des coups des pieds dans les restes du tas, histoire de les expulser jusque dans un grand vide qui s’ouvre aux bordures du monde, là où naissent les ombres. Elle va tout changer, simplement en allant voir la Lune.
Son large croissant est comme un sourire dans la nuit éternelle de l’espace. Il l’invite à monter pour le rejoindre, marcher à sa surface, trouver une cabine téléphonique qui lui permet de parler à son noyau, puis lui demander de tomber sur la résidence, d’écrabouiller les maisons pour n’en laisser que des tas de briques pâteux, des pelouses qui se mélangent au trottoir, à la route, et des voitures qui fondent dans le sol. La résidence deviendra un vaste champ de pâte à modeler, dont la petite fille fera ce que bon lui semble. Il y’aura des chiens vendeurs de glace, des fermier rouge, jaune et bleu, des arbres qui penchent de tout les côtés, et un château sur une île forestière, avec des tours mauves, un pont levis rose, et pleins de couloirs, des fenêtres partout… Ensuite, tout séchera. En quelques jours, la résidence sera devenue un autre monde, pour tous les enfants qui ne veulent pas grandir. Peter Pan lui-même décidera de le transporter vers le Pays Imaginaire, qui s’agrandira avec ce nouveau royaume… Et puis, la petite fille retournera voir la Lune, pour lui demander d’écrabouiller le monde entier cette fois-ci. Tous les adultes vont fondre dans le sol, avec leur voiture et leur lieu de travail.
Enfin, plus tard. Pour le moment, elle cherche un escalier pour monter jusqu’au grand sourire blanc. Elle décide de l’appeler Chester, comme dans un conte qu’il lui semble connaître, puis se met à faire des entrechats sur le ciel, ses pieds s’enfonçant dans le filme plastique de l’aube, mais ressortant toujours, pour la faire rebondir. Elle danse sur un trampoline céleste, et fait tomber des pluies de bonbons à chaque rebond. Ils tombent dans l’eau, ou sur la tête des gens. Tout le monde a peur car ce n’est pas normal. Les enfants, eux, se contentent d’attraper les gouttes de cette averse sucrée entre leurs mains, de les engloutir, de défaire les emballages avec excitation, puis d’avaler avec d’énormes sourires. Certains ados décident de jouer le jeu, et glissent des chewings-gommes dans leur bouche. Ils font des bulles qui éclatent, les enroulent autour de leurs doigts… Les enfants rient aux éclats. Eux, ils ne jouent pas avec les bonbons, ils les engloutissent ou les savourent. Dans les cours de récréation, des fillettes se font des robes avec des marshmallows, pendant que les garçons se poursuivent, des bâtons à la fraise en main, pointés dans le dos de leurs camarades comme des épées ou des baguettes magiques. Harry Potter et son influence se sentent déjà.
Mais la petite fille n’y prête pas d’attention. Ce qui l’intéresse, ce sont les marches apparues au loin. Elles montent dans le l’espace, reliées par des filets roses et baveux, qui les maintiennent dans le vide comme dans un dessin d’enfant. Les marches sont en sucres rectangulaires. Elles scintillent légèrement, tous leurs cristaux illuminés par les lumières conjuguées des étoiles, de la Lune et du Soleil. Plus elle approche, plus celle-ci brillent, comme véritablement enflammées, et le spectacle lui arrache des exclamations émerveillées. Chaque bond de sa course dansante l’amène plus près. Le film plastique du ciel est devenu bleu. L’après midi est arrivé, et d’en bas, les cieux semblent onduler étrangement. La petite fille ne regarde même plus le sol, elle ne porte plus aucune à attention à Tout le monde qui hurle, qui gesticule en gémissant, qui cherche des explications sans en trouver ; à Tout le monde qui devient fou sans réponse logique pour l’éclairer. L’anarchie secoue Société, des spasmes monstrueux font trembler la créature. Elle parait prête à s’effondrer, simplement à cause d’une pluie de bonbons… Les enfants sont consignés chez eux. Ils se collent aux fenêtres en gémissant, pour retourner dehors, là où des douceurs tombent du ciel comme des gouttes d’eau. Mais les parents ont peur : ils font partit de Tout le monde. Alors les villes retentissent de pleurs, partout. La Terre est en grand émois.
D’en haut, la petite fille n’entend rien. Il ne lui manque que deux bonds pour atteindre les marches de sucre. Puis un seul. Ultime entrechat. Elle resplendit en plein air. L’apesanteur n’a pas de prise. Ses cheveux ondulent autour de son visage, ses yeux brillent, son corps est gracieusement tendu. Sa robe vole le long de ses jambes. C’est une vision divine.
La petite fille atterrie juste devant les marches. Sa main se tend. Ses pieds traversent le filme plastique du ciel. Troué. Elle tombe. Chute libre. Elle ne comprend pas. Les marches s’éloignent, le ciel se dégonfle. Un grand voile tombe avec elle. Derrière, l’espace. Le croissant de la Lune change de sens. Tristesse. La fillette hurle d’incompréhension. De désillusion.
Elle ouvre les yeux. Couchée dans l’herbe, pleurant encore. C’est la fin. Fin de son innocence. Le ciel est troué… L’espace dégouline le long des lambeaux du voile céleste. Elle n’a pas atteint les marches… Pas atteint la Lune.
Le vieil homme se relève, satisfait. Du sang le macule. Il a fouillé à l’intérieur ; de sa langue, de ses doigts, de ses instruments, de son bras ventre… En a terminé avec elle. Plaisir à sens unique, plaisir abjecte sur l’enfance. Il a put assouvir son Plaisir de monstre. Être odieux, être infernal. Né pour répandre le mal. La souffrance. Il l’abandonne sur le sol, dans son grand jardin. Va chercher un couteau. Silence après les pleurs. Personne n’a entendu.
La petite fille fixe le ciel, hantée.
Fin de l’innocence. Elle est déjà morte.
06-06-2013 à 17:57:17
-Été 2011-
Les murmures de l'orage-

Crépitement de la pluie sur les pavés. Les gouttières chantent à chaque goutte qui tombe.
L’eau s’écoule sur le sol, rejoint les égouts en sinuant, chute des nuages en faisant chanter les fenêtres, les tuiles, toute la ville sur laquelle elle s’abat. C’est un orchestre symphonique que seules des oreilles attentives peuvent entendre : les autres ne trouveront à l’orage qu’un capharnaüm irritant. Mais en fermant les yeux, en se concentrant sur l’averse… Une nouvelle musique surgit, tout autour, riche et virtuose. Elle révèle les notes de chaque pierre, de chaque bout de fer, elle réveille le monde pour que son chœur se mette à chanter. C’est une musique sans pareille, une merveille auditive qui ravit les oreilles, emporte l’esprit dans une ronde onirique. L’eau qui tombe fait chuchoter les maisons. Elles racontent leurs histoires, dévoilent leurs secrets… Pendant l’orage, une personne attentive peut apprendre bien des choses.

J’ai entendu les murs qui murmuraient, dans mon berceau. Toute ma jeunesse, j’ai écouté. Ils racontaient des horreurs.
Je sais maintenant que des créatures faites de brume vivent à nos côtés. Le soir, elles pénètrent notre corps, s’insinuent dans nos crânes… Et mélangent nos pensées. Elles piochent dans nos cerveaux, assemblent les éléments entre eux, emboitent des souvenirs. Elles forment les rêves et cauchemars. Mais ce n’est pas tout. Je sais que ce n’est pas leur seule mission… La Nuit les envoient nous ravir les moments heureux de notre existence. Et s’en nourrit. Les ténèbres engloutissent toutes nos joies pour subsister. Ainsi, plus nous sommes heureux, plus elles grandissent. Tout se brouille…
Depuis cet orage qui a fait chuchoter les murs, je répand le malheur autour de moi, pour qu’elles cessent de grandir.
Hier, j’ai tué ma sœur. Cela m’a fait beaucoup de peine. J’ai sincèrement pleuré, pendant que je l’étouffais. Maintenant… Ils vont sûrement croire qu’elle s’est enfuie, ou qu’elle s’est faite enlevée. J’ai caché son corps dans les murs de la maison. Avec celui du chien. Il fallait tuer le chien, aussi. J’ai beaucoup pleuré.
Aujourd’hui, je dois me rendre chez les voisins… Ils doivent tous être tristes. Si je réussis, la Nuit finira peut être par mourir, ou au moins, arrêtera de grandir. Je compte faire des études sur le nucléaire, de toute manière. Un jour, je nous tuerais tous. Comme ça, les ténèbres mourront… Je vais nous sauver.
Mais pour l’instant, mes missions sont de plus petites envergures. Je dois tuer une seule personne à la fois. Et aujourd’hui, ce sera chez les voisins…
Ils doivent tous souffrir.

Écouter la pluie peut s’avérer dangereux. C’est une musique qui peut vous rendre dément. La folie est issue de l’orage, quand l’esprit se perd dans la chanson du monde. La sauvagerie de plusieurs millénaires, de luttes acharnées, de meurtres et de bains de sang, a imprégnée la terre jusque dans ses boyaux. La pluie ne réveille pas des notes douces.
Quand un nouveau né se perd dans la chanson de l’orage, il peut entendre le mal qui lui susurre des fadaises… Souvenez-vous en, la folie est issue de l’orage.
06-06-2013 à 17:58:12
-Été 2011-
Noyade-

Une main hargneuse l'avait sauvagement aplatit. Elle s'était enfoncée dans le mur liquide avec une violence inouïe, en un claquement sec qui avait précédé une vertigineuse descente.
L'eau froide l'enveloppait d'une gangue implacable, et d'insoutenables hurlements fusaient en tout sens. Le monde se résumait à peu de choses : des bruits infernaux, semblables aux cris étouffés de démons, la noirceur tamisée et trouble de cet univers sous-marin, et la lumière, lointaine, qui ondoyait à la surface en tâches éparses et évanescentes. Elle sentait autour d’elle la pression propre aux profondeurs, qui l’enfermait comme dans un manteau de plomb. D’autres s’enfonçaient aussi, vagues silhouettes qui scintillaient aux limites de sa vision. Elle ne put réussir à saisir leurs formes. Cela parut durer une éternité. Une radiance bleutée, parcourue de reflets entremêlés comme les mailles d’un filet solaire, l’entourait dans une dance sereine. Le tout baignait dans une atmosphère lunaire, qu’une poussière aquatique brouillait, calme tempête d’imperceptibles grains valsant. Il y’avait à las fois des ombres inquiétantes, et une lumière envoûtante. Cette dernière attirait son regard : elle dansait au rythme des vagues aléatoires, crées par l’incessant mouvement des démons océaniques. Les rayons du soleil, déformés, semblaient alors se voir pourvus d’une vie propre. Ils s’improvisaient danseurs. Elle se laissa envahir par la paix de ce monde liquide, se fermant aux hurlements pour mieux savourer la beauté de tout le reste. Pendant des longues minutes, une tranquillité onirique l’accompagna dans sa descente indolente. Ce fut agréable.
Puis, obéissant à une impulsion qu’elle-même ne put comprendre, soudainement, sans que rien ne l’annonce, elle remonta.
Autour d’elle, les autres coulées se voyaient soumises au même sort, d’une manière tout aussi violente. Ne pouvant réagir face cet événement aussi inattendu qu’assommant, elles trouèrent la surface, et les prisons transparentes qui les avaient enveloppées éclatèrent.
Elles regagnèrent alors l’unité de l’air, libérée de l’état de bulles qu’une main leur avait imposée… Puis s’envolèrent au dessus de la piscine, troublées par cette mirifique et singulière expérience.
06-06-2013 à 17:59:49
-Été 2011-
La valse du marché-

Les odeurs du marché tournaient dans mes narines comme pendant une valse. J’essayais de les saisir, de mettre un nom dessus, mais c’était impossible : mon nez n’identifiait que des courants d’air chaud et froid, certains tièdes, piquants, caressants, d’autres irritants ou étrangement moites. Il était bouché, et les odeurs qui avaient organisées un bal dans mes narines n’étaient rien de plus que des brises subtiles, hors de portée de ma compréhension. Je n’avais, me semblait-il, jamais rien sentit. Dés la maternelle, quand on faisait circuler de la lavande entre nos mains, pour nous instruire des fragrances florales, je ne pouvais que dire « ça sent bon », sans pourtant l’assurer. Mon nez bouché m’a poursuivit depuis tout ce temps.
Je méditais donc sur ce point, subitement troublé et agacé de ne pas sentir les odeurs valseuses, de ne pouvoir qu’en éprouver la température, comme si les aliments, les épices, ne dégageaient que du vent sans arômes. Le marché m’entourait de son effervescence cacophonique, cette marée hurlante d’hommes et de femmes qui gardaient les yeux rivés sur les étalages bariolés, tout en parlant de manière tonitruante. La rumeur des lieux me berçait, alors que j’esquivais les corps fonçant des clients, comme on éviterait des boulets de canons lancés vers sa poitrine. Ma sœur et ma mère m’entraînaient dans ce flot intarissable. Elles avaient repérées un nouvel étalage. Je posais vaguement mes yeux dessus.
Et n’en décrochait plus. Quand j’y repense, le passé devient présent…
Une petite table en bois, couverte par un drap rouge. Il dégouline jusqu’au sol, forme comme une robe en tissu de d’une qualité modeste, drape l’étalage comme si il voulait se joindre au bal. Je crois que c’est une Cendrillon moderne qui n’a jamais eut de bonne fée. Elle doit se joindre à la valse en s’habillant avec un vieux rideau découpé et mal cousu. Est-ce que le prince la remarquera quand même? Peut être, car malgré tout, elle est couverte de bijoux. Certes, en toc, en perles de plastique, en forme de papillons, de fleurs, et tout ce genre fantaisies. Je me demande si ça changera vraiment tout. Enfin, de toute façon, ce n’est pas ça qui a réduit mon champ de vision. Non. Maintenant, il se limite à visage. Il vole au dessus de Cendrillon, entouré d’une vapeur de cheveux noirs. Ondulent-ils vraiment, ou n’est-ce qu’une vision ? Il n’y a pas tant de vent que ça aujourd’hui. Au contraire, il fait même particulièrement chaud, le soleil tape fort, comme si ses rayons étaient tous des lignes de fer incandescentes, des aiguilles larges, coupantes, brûlantes à la manière de traits de feu. Le stand est en pleine lumière, un mirage s’est peut être glissé devant son visage, comme un masque d’illusion. Ou alors, elle est vraiment magnifique, charmante, envoûtante. Ces traits m’ensorcellent. Elle vient du sud est, assurément. Une peau de bronze, radieuse, qui couvre son ossature fine, entoure les fentes mirifiques de ses yeux marron. Ses prunelles sont deux planètes fertiles qui flottent dans un espace immaculé. Couleur de boue claire et foncée, troublée en son centre par une perle sombre. De la nacre noire, ça existe ? Il y’a un reflet blanc au fond de celle de son regard. Un éclat qui ne trompe pas : c’est une déesse parmi les mortelles. Elle me regarde, sans intérêt, sans méchanceté. Simplement comme si de rien n’était. Moi, je n’arrive plus à observer autre chose que ses yeux. Ils m’envoûtent. Et quand je réussis enfin à m’en détacher, c’est le reste de son corps qui m’attire. Je sens une attraction irrésistible se dégager d’elle, comme si nous étions un aimant et un bout de fer posés face à face. C’en est cellulaire : cytotropisme de se son corps sur le mien, pour la moindre molécule, la moindre parcelle de matière, qu’une force impérieuse tend vers elle. Cendrillon nous sépare, alors que sa mère parle avec la mienne. Pendant une seconde, j’ai l’impression que c’est d’un mariage arrangé, qu’elles discutent… Mais non, ce sont bien des bijoux. Au fond, heureusement. Ce serait tellement moins beau, si tout était prévu ! Alors qu’en cet instant, c’est une pure improvisation, une victoire du coup de foudre sans décharge ; une foudroyante douceur. L’oxymore de mon amour qui pulse, aussi soudain que démentiel, fou, incompréhensible, d’une logique totalement inexistante ; c’est presque inquiétant. Je détalerais si je le pouvais, effrayé par cette attirance sans fondement, lâche face à ce sentiment qui me parait diabolique, trop bon, trop beau, ce souverain de mon cœur qui m’impose une tyrannie inattendue que je n’ai même pas pu contrer. Le bastion est prit, les murailles sont tombées. Je suis fini, ma résistance est obsolète. L’amour d’une seconde a tout emporté, pire qu’une lame de fond en plein océan. C’est un cauchemardesque tsunami qui engloutit tout le reste. Au fond de moi, je me débat, j’essai de remonter vers la surface, de nager vers la lumière, en haut, cette radiance céleste qui a échappée à l’eau. Je sais que c’est mon dernier espoir avant la noyade. Si je coule, c’est terminé : l’amour va rentrer par ma bouche, mon nez, mes oreilles, et je ne pourrais plus me batte. Un émerveillement insoutenable se réveille en moi, une douceur impossible m’envahit. Déjà il a commencé son parcourt. Si je le laisse atteindre mon cerveau, je n’aurais plus besoin de barreaux pour être en prison. Le sentiment suffira. L’amour des imbéciles, l’amour stupide, l’amour qui ne donne pas d’ailes mais la peine, l’amour de camelote que je ne veux pas acheter, l’amour que je ne veux pas ressentir pour n’importe qui, l’amour qui décide de s’imposer à la vision du visage de la première venue, l’amour brigand, l’amour tyran, l’amour dictateur, l’amour totalitaire ; l’amour va me dévorer, me consumer. Je vais être réduit en cendres. L’amour va m’immoler sur le bûcher d’une passion trop soudaine pour être saine. En plein milieu du marché, je vais commencer à brûler comme une torche, comme Jeanne D’arc qui entendait des voix. Moi, j’entends l’amour qui conspire. Il susurre, murmure, chuchote, corrompt mes pensées. Il veut édifier un empire invincible et éternel, dans l’esprit de chaque humain, il veut nous imposer sous joug. Si il y’a autant de divorces aujourd’hui, c’est parce qu’il décide de nous lier sans attendre, de nous enchaîner à l’autre sans même laisser le temps à la moindre réflexion. Il décide d’utiliser son arme ultime : le coup de foudre. Dévastateur. On ne peut pas lutter, car avant qu’on en prenne conscience, l’électricité a déjà parcourut toute notre corps, paralysée nos organes, réduit le cœur, les poumons, les intestins, et surtout le cerveau, à une bouillie informe qu’il remuera avec une grande cuillère, pour en faire une mixture de malheur, une patte à modeler qui va remplacer les anciens organes, eux qui fonctionnaient si bien. On a rien demandé. Il arrive, il casse tout, reconstruit comme bon lui semble, puis part à la recherche d’une nouvelle victime, d’un nouveau terrain vierge pour agrandir son palais d’empereur.
Et pourtant, malgré tout, une partie de moi n’a pas envie de lutter. Ce n’est pas si gênant. C’est doux, sucré, merveilleux. Je ne sens rien d’autre qu’une intense satisfaction, et la singulière conviction que j’ai trouvé le grand amour, la femme à qui je dirais oui, à qui je tiendrais la main, à qui je comblerais le creux des lèvres, à qui j’offrirais tout ce que je peux, tout mon être, à qui je sourirais toujours, à qui je ferais des enfants. Nous formerons une famille, nous aurons une maison, un jardin, un chat, un chien, un aquarium et… Je me rends compte que je ne veux pas vraiment de tout ça. Cela arrache l’emprise que l’amour a sur moi. Je ne veux pas d’une petite vie bien rangée et parfaite. Je veux une petite maison au milieu des bois, en Irlande, de quoi écrire et c’est tout. Bon, je ne ressens pas le besoin d’avoir quoi que ce soit d’autre pour l’instant. Juste un havre de paix. Cela changera avec le temps, sûrement, mais pour le moment, je ne demande pas plus. Le reste de mes pensées me parait alors absurde. L’attraction disparaît, se défait dans l’air. L’envoûtement est rompu. Toujours belle, mais dénuée du charme étrange qui la caractérisait quelques instants auparavant, ce n’est plus qu’une fille parmi tant d’autres, dont je ne connais rien, et qui parle espagnol qui plus est. Je suis nul en langue. Je suis nul en amour. Et je me sens très bien comme ça.
Ma mère et ma sœur continuent leur chemin. Je souris à la fille, je frôle Cendrillon, puis je pars, les narines pleines d’odeurs qui continuent de valser sans daigner porter de noms. Je me dis que le bal des senteurs est fade et sans saveur.
Et que de toute manière, le vent parfumé, ça ne m’intéresse pas. Même si c’est une peau de bronze qui le dégage…
06-06-2013 à 18:01:24
-Été 2011-
Liberté-

Liberté.
Sucrerie linguistique qui s'envole de ma bouche à tire d'ailes ; colombe qui s'empare d'un nouveau mot et s'en fait un symbole. Pourtant, je n'ai pas l'impression qu'elle s'échappe. Plutôt qu'elle fond, comme un morceau de chocolat sur ma langue. Douceur.
Mais pas seulement. Il y'a aussi ces picotements frénétiques, comme si celle-ci, cette colombe, enfilait des talons aiguilles et se mettait à danser sur mes papilles gustatives. C'est une déferlante de petit coups rythmés, qui pétillent et me font sourire. Elle se laisse emporter par la chanson d’un mot, la mélodie suave de la liberté, et je la sens dans ma bouche, je la sens à l’intérieur de mes joues et contre mes dents, quelques fois dans ma gorge, qui se fait une piste de mon corps, folle, délurée, exubérante. Un arôme s’en dégage et caresse mes narines, comme l’odeur douceâtre d’une tarte aux pommes qui sort du four. Il n’y a pas de petits quartiers bien rangés sur une pâte fondante, ni de fruit caraméliser chauds comme des braises, des braises comestibles qui n’attendraient que qu’on les mange. Non. Juste une sensation délicieuse qui déclenche une musique vibrante, ouvre la porte de mon cœur, sort, et remonte tout le long de mon estomac, tourne follement dans ma gorge, puis se met à danser sur ma langue. Un mot sucré, un mot bonbon doux et acide qui libère une colombe enfermée dans mon cœur. Elle enfile des chaussures hautes à ses pattes d’oiseaux, lustre ses plumes, graisse ses articulations avec du chocolat fondu, s’éclaircit la gorge d’une rasade de citron glacé, puis prend son envole dans mon corps, jusqu’à la piste de ma bouche. Alors c’est partit pour une longue fête à l’intérieur, sur la musique du mot chanteur. Il vendrait des milliers de disques, s’il pouvait être enregistré.
La colombe en talons aiguilles fait encore quelques pas, se lance dans de frénétiques claquettes avec ses chaussures pour paraître plus grande, puis elle s’envole, sort de ma bouche dans un éclair de plumes blanches, rejoignant la brise et les cieux, et là, d’en haut, elle l’est, plus grande. Plus grande que tout le monde, avec ses ailes déployées, son bec ouvert en une mélodie glorieuse, et ses yeux noirs, ses billes d’ébènes qui luisent fièrement, rien que pour dire aux autres oiseaux : « Vous me voyez ? Vous me voyez, qui n’ai rien à envier aux aigles, ni à vous tous ? Vous autres qui n’êtes le symbole de rien, qui n’êtes rien du tout, alors que moi je suis l’l’étendard de la liberté ? Oui, pour les yeux d’une personne au moins, je le suis, je suis un drapeau au ramage parfait, un étendard volant qui surplombe le monde de sa grâce divine et céleste ; je suis magnifique. Je suis une colombe qui sait danser avec des talons aiguilles. » Et elle le sait, que tout ça est vrai. Après s’être libéré de mon cœur, s’être approprié la danse de la Liberté, c’est une reine à mes yeux, la plus belle, celle qui vole dans le ciel et dompte le vent, les tempêtes, qui fait le tour du monde en un jour et revient s’endormir dans ma poitrine, là, bien au chaud dans cet organe qui palpite. Elle s’y enroule, s’y enfouit doucement, avec délectation, et propage dans mes veines la griserie de son voyage, partage avec moi tout ce qu’elle a vu. Je bous, je fais de la soupe avec mon sang, grâce au feu qui court et galope dans mes artères, qui rugit et allume partout en moi un brasier de bonheur, de joie. L’extase grâce à elle. Je brûle comme jamais. Je suis une torche, un flambeau, un phare, un soleil humain qui illumine tout pendant un instant, pendant ces quelques secondes magiques où il n’y a plus de limite. Le monde sous mes pieds, sous mes yeux, sous mes ailes agités par le vent, le monde qui s’endort et s’éveille alors que je vole au dessus de lui. La colombe me prête ses ailes, ses plumes. Je les enfile puis je m’élance, je fais comme je peux, maladroit d’abord, louvoyant dans le vide, mais vite, cela devient plus simple. Je peux alors profiter, et faire comme elle. Je suis aussi un symbole, pendant l’instant imaginaire de mon vol sans frontière. S’il existait, ce vol, j’habiterais dans un nuage qui me servirait de couverture. Je m’entourerais de ses volutes comme d’une couette, me glisserai dans sa masse comme dans un lit, et mon matelas d’eau condensée, cotonneux dans mes pensées, serait plus douillet que n’importe quoi d’autre, confortable comme si c’était l’épaisse fourrure d’un animal dérivant dans les cieux, qui brouterait l’azur comme de l’herbe et boirait la neige des montagnes. Je rêve quelques secondes ; c’est beau.
Liberté, encore. Elle me donne le droit d’imaginer tout ça, de transformer les nuages en gros herbivores servant d’hôtels pour humains volants, de voir le ciel comme du gazon bleu, les neiges éternelles comme des lacs poudreux, et même de lui donner un symbole, à elle qui me permet cette folie imaginaire. Une colombe chaussée de talons aiguilles qui aime danser sur ma langue, comme un feu d’artifice pétillant qu’on aurait allumé dans ma bouche. Saveur et arômes sucrés, de fruits et de bonbons, de cannelles et de chocolat fondu à la poêle avec de la margarine. J’en ferais une mousse qu’il faudra manger chaude, brûlante, à s’en cramer les papilles comme si on avalait de la lave cacaotée ; tellement brûlante que la cuillère fondra entre mes doigts, couvrira ma paume et me fera un gant en fer liquide aux reflets argentés. J’aurais une main brillante comme la Lune, couverte d’étoiles artificielles qui s’épandent en fonction de l’angle sous lesquelles on les regarde. Un moule scintillant, auquel je pourrais trouver une histoire merveilleuse quand on me demandera d’où je le tiens. Et je pourrais répondre que tout a commencé un soir de pleine Lune, quand une comète amoureuse a frôlée la terre, en laissant un arc en ciel enflammé dans son sillage. Que c’était une étoile, follement éprise d’un météore, dont la passion ardente l’a fait flambée comme jamais ; car les comètes sont toutes des étoiles amoureuses. Mais pour le rejoindre, elle est passée près de notre ciel, et son amour était si brûlant qu’il a fait fondre la nuit. Elle a coulée vers la terre, dégouliné dans la mer, dans les forêts, s’est répandue dans les terriers de lapins et engloutit des villages. Une vague énorme de soir liquide, un océan céleste qui a fait chavirer les montagnes. Et moi, dans une maison qui n’avait pas été emportée, depuis une fenêtre, j’ai glissée ma main dans un flot d’étoiles. Elles s’y sont accrochées, cramponnées, invitées leurs amis, et toutes les étoiles du ciel m’ont faites un gant à la main droite. Personne ne me croira, et de toute manière, ça n’arrivera jamais, car les cuillères ne fondent pas quand on s’en sert pour manger du chocolat brûlant. Mais ça n’a pas d’importance : la Liberté me donne le droit d’imaginer tout ça, même si c’est stupide et puérile. Je fais un pied de nez à la réalité, à la logique et au monde entier. L’humanité est outrée, moi, je suis comblée. Seulement par des pensées. Merci, Liberté.
Je t’aime, tu le sais ? Mon esprit vagabonde grâce à toi, suit Eole en chevauchant des bourrasques nées de ton souffle, et le vent pour moi, il n’y a rien de plus libre. Il coure, chaparde les feuilles d’automne des arbres, porte la neige et les nuages d’orages, balaie le monde, balaie mes joues, balaie mes cheveux, balaie mon âme. C’est un peu le balayeur de la nature et des villes, qui disperse les déchets, les pétales de fleurs et la parure des forêts dans un énorme désordre, un mélange singulier d’artificielle, de naturel, de synthétiques… Si le vent a une décharge, je veux m’y baigner à l’occasion, faire des brasses au milieu des sacs poubelles, des feuilles mortes, des pétales séchés, des vieux caleçons, des chaussettes, des gants de cuisines, des pulls usagés et défaits, des jouets cassés, des éclats de verres brisés, et de tout ce qu’il a rapporté à l’occasion d’un voyage de Paris à Tokyo, de Sydney à New-York, du pôle sud au pôle nord et des étoiles à la Terre ; de partout jusque dans les coins sombres, les ruelles fétides, les sentiers dans le sous-bois , et en dessous des jupes des filles. Le vent est un coureur, l’amant du monde entier qu’il embrasse et caresse, qu’il emporte et dépose sur tous les monts, tous les volcans, les monuments, les toits et dans les maisons des gens, par les fenêtres ouvertes. Si vous trouvez une personne dans votre lit en rentrant chez vous, le soir, c’est que le vent l’a emporté dans son voyage, avant de le larguer brutalement sans daigner faire preuve de douceur. Assommé, l’innocent rescapé d’une chute plus grave ne se réveillera que si vous lui donnez un baisé, les lèvres barbouillées de confiture à la fraise.
Voilà, j’ai encore suivis le fil tordu et houleux de mes pensées. En résulte une étrangeté de plus, encore, comme si la Liberté était pour moi synonyme de folie ; une folie douce et naturelle qui s’empare de mes doigts et séquestre les mots, le temps d’une histoire, pour leur faire faire des tours de cirque, comme des lions qui sauteraient dans des cercles de feu, des femmes serpents en papier mâcher couchées dans des prisons de verre, et des funambules suspendus le long d’une corde tressée avec du fil dentaire. Je divague, j’écris sans savoir quelles seront les prochaines phrases. Je suis libre. Libéré de toute convention, de toutes règles, libérées du cachot humide et puant de la conformité.
Maintenant, j’aimerais qu’elle revienne, la Liberté. Tout à l’heure, je m’adressais à elle, mais là, désormais, à personne. Je parle ; non je pense ; non j’écris seul, dans le vide. C’est dommage. J’aimerais que la colombe sorte de nouveau de mon cœur, se mette une fois de plus à danser sur ma langue. Je le saisirais entre le pouce et l’index, la sortirais de ma bouche, et la poserais sur le sol, en l’observant avec tendresse, cet oiseaux chaussé de ses talons aiguilles qui fait des claquettes sur le bitume. Ses pas résonneraient mieux, avec encore plus de force qu’avant, et leurs échos énergiques s’élanceraient dans le vide comme des vols d’oisillons qui testent leurs ailes duveteuses. Des enfants ailés, encore mous et geignards qui naissent à chaque claquement de talon aiguille contre le sol. Alors, je lancerais un peu de poudre sur elle, pour la faire grandir, et tout de suite, comme une plante qui se déploie à la vitesse d’un rayon de lumière, elle pousserait pour prendre ma taille. Tête à tête, elle ressemblerait plutôt à un ange, avec de longues plumes blanches en guise de cheveux, des ailes larges déployées, et un halo de lumière doré la couronnant royalement, cercle solaire majestueux qui la sublimerait, la transfigurerait, la délivrerait de l’état mortel d’une colombe pour en faire une beauté céleste, juste devant moi, debout, avec son bec-lèvres et ses plumes-cheveux. Alors, je lui prendrais les ailes, et tous les deux, nous commencerions à danser. Valse sauvage. Pas de lenteur gracieuse comme dans les vieux bals, mais une vitesse grisante, un mouvement de toupie lancées à pleine vitesse, une danse aux pas improvisés, quitte à s’écraser les pieds. Elle ses pattes d’oiseaux, moi mes pauvres petits orteils d’humain, tout boudinés et caparaçonnés par des ongles blancs délavés. C’est sans fioritures, sans pas superflus, sans mouvements recherchés emprunts de grâce ; c’est sauvage et virevoltant, éolien, libre, spontané, ardent, d’une magnificence bestiale et brute. Je danse avec une colombe devenue ange. Je suis libre.
Quand le soleil se couchera, elle s’envolera. Car elle aussi, elle est libre. Ce n’était qu’une dance d’une heure, au crépuscule, quand les cieux saignent et que les nuages sont imbibés de sang. Je suis de nouveau seul, souriant, avec mes pensées et mes doigts qui pianotent comme une étrange mélodie, dans laquelle le chœur et les paroles sont les mots qui naissent dans le déclic harmonieux des touches. On peut chanter avec les doigts, alors ? Avant ce jour, cet instant, je ne savais pas. Mais c’est possible, c’est là, c’est présent, je le sens, je l’entends, je le vois, et je respire de cette fragrance délicieuse qui se dégage pourtant d’une chose immatérielle, un sentiment de plénitude, de bonheur, qui apporte chaleur, picotements, et qui libère des colombes en talons aiguilles de mon cœur alanguis. Je suis heureux dans le vide, et c’est sûrement stupide, mais j’adore sourire au vent. Encore une fois, c’est lui le plus libre de tous, le plus libre dans le monde, à mes yeux voilés, à mes yeux qui ne voient que ce qu’ils veulent, qui voient des forêts dans les pelouses, des demoiselles dans les fleurs, des trucs qui volent dans les feuilles, des machins dans les bâtons cassés, des bidules dans les tiges, et d’autres choses encore, tellement, dans les arbres, le ciel, les pierres, les chemins pavés, goudronnés, en terre, couvert d’un tapis de feuilles, de laines, de racines nouées, de fils tressés ; des tapis bigarrés, écarlate et doré, jaune et mélèze, vert profond, rouge royale, gris et noir, ou les deux, à pompons, à motifs, à rien du tout aussi. Il y’a aussi des murailles dans les murets, des déserts sur les plages, des villes mortes quand les barbecues sont noirs, couverts de cendres, et aux alentours, des contrées perdues, lointaines, abandonnés, des lacs de flaques, des océans de mers et des vides d’océan qui s’étendent à perte de vue, à l’horizon, en vacance, par temps de pluie, à l’occasion d’un renversement de bouteilles sur la table ou par terre ; en tout cas, dans chaque petit coin mouillé où je pose mes yeux qui ne voient que des rêves.
Pour le moment, je suis serein. Dans ma tête, le chaos est passé, comme une tornade éphémère dont les bourrasques hurlantes se seraient perdues dans les hauteurs du ciel. Brises égarées dont les cris décadents se taisent enfin. Souffles morts vivants qui rejoignent les nuages lointains, déambulent sous leur ventre gonflés, au dessus de leur crâne cotonneux ; jusqu’à l’intérieur de leur masse fraîche. La comparaison allume de nouvelles chandelles dans mon esprit. Elles éclairent des images saugrenues, des tapisseries étranges dont les personnages sont des brises chargées d’un relent de pourriture. Du vent décomposé… J’y réfléchirais plus tard. Pour le moment, je veux savourer ces quelques instants de paix. De toute manière, j’ai toute ma vie devant moi.
Après tout, je suis libre de rêver.
06-06-2013 à 18:02:48
-Été 2011-
L'enfant perdu-

Un rire monta dans l’air, geyser de bonheur dont les notes cristallines retombèrent comme une pluie chaude sur l’herbe tendre. Il était seul, mais, sa solitude était en elle-même si belle que cela n’avait pas d’importance : étoile rousse sur l’océan de verdure, il dansait avec toute la grâce de l’innocence. Les cieux bleus luisaient d’un éclat céruléen qui n’avait de pareil qu’en les mers lointaines sud, et tout cela, tout le paysage s’accordait au tourbillon de ses bras brassant le vide, à ses cheveux détachés et libres autour de son visage à la teinte cotonneuse. Un étendard de feu qui flottait, jaillissant depuis un nuage à la forme de petit garçon. Il avait toujours eu la légèreté d’un nuage. Un de ces dérivants célestes aussi blanc que neige, qui occasionnellement lâchait ses salves d’eau froide sur les terres s’étendant sous leur ventre. De grands moutons qui paissaient avec indolence dans l’espace azuréen du ciel. Mais contrairement à eux, l’enfant ne pleurait jamais. Ni de tristesse ni d’amertume, car sa vie était douce. Il passait ses journées à danser sur la plaine, les pieds dans l’herbe grasse, riant de tout son soul sans jamais s’arrêter de sourire. Le monde autour de lui n’était qu’exaltation de la nature, ruisseaux chantants et mélodie des sens. Nuls espoirs melliflues. La Terre était belle et lui aussi. Il n’y avait pas d’autre vérité, pour cet esprit de petit garçon. Seulement le bonheur simple de danser sur la plaine, de laisser s’envoler son rire harmonieux, comme une musique sur laquelle baser tout ses pas. Mais ce n’était pas le cas : il était libre, spontané. C’était un luxe si plaisant, la liberté… Mais pour lui, simplement une évidence. Y’avait-il des gens qui ne l’étaient pas ? Qu’étais-ce qu’une cage ? Des barreaux ? L’acier n’était-il pas simplement un beau métal ? Quelque chose qui brillait à la lumière du soleil ? Utiliser les entrailles de la terre et les fondre, pour en faire des prisons… C’était d’un ridicule ! Un petit garçon, ça ne voulait pas de cage. Lui, il aimait l’herbe verte, la rosée du matin et le bleu du ciel. L’aube falote lui plaisait, mais le crépuscule écarlate aussi. Toute les couleurs du monde étaient belles aux yeux d’un enfant qui riait. Dans ses prunelles, la laideur n’existait pas. Pourquoi y’en aurait-il dans le monde ? Quand on dansait sur une plaine, l’univers entier chantait, brillait. Il étincelait, pureté et harmonie se fondant en mille courbes, mille lignes ; tant de beauté qu’elle s’en faisait outrancière. Au milieu de ce fantastique croquis, de ce dessin sans limite aux nuances kaléidoscopiques, il y’avait un nuage enflammé qui tournait. Il éblouissait le monde alentour plus que tout autre chose, éclaboussait la plaine de sa joie d’enfant, barbouillait l’air de son bonheur éclatant. L’univers était une grande toile tendue, une peinture pour ses mains dégoulinante d’innocence. Tout son corps l’irradiait, l’exhalait ; partout sur lui elle coulait. Tant de candeur, cela faisait sourire. Le cœur battait plus vite, l’air était plus suave. La vue d’un enfant heureux, il n’y avait rien de plus beau. Lui, il était sûrement celui qui l’était le plus. Son enchanteresse mélodie du rire n’avait pas de fin. Ses poumons brassaient l’air, chargé d’un parfum de nature qui caressait ses narines, effluves merveilleuses du monde libre tout autour de lui. La lumière et l’ombre se mêlaient, donnaient naissance à des teintes qui tapissaient la plaine, définissaient le relief des petites pierres, et sublimaient l’eau transparente. L’enfant était seul, oui. Seul, à danser partout où le portaient ses pieds nus et le chant de son rire. Mais cela ne l’empêchait pas d’être heureux.
Et que cela était beau, un enfant qui dansait…
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Froissements frénétiques de ses deux ailes fragiles. Pétales de soie blanche, d’une douceur immaculée, qui transforment le petit corps en une silhouette d’origami. Pliages et dépliages qui portent l’insecte léger, ce corps pâle dont les ailes sont l’extension principale de son être malingre. Liberté dans un souffle qui le propulse, une brise qui l’envoie dansé autour de la lampe argenté. L’extase d’un vol nocturne, l’envoutement de l’éclat lunaire ; mais celui-ci accessible… Qui ne voudrait pas toucher la Lune ? L’astre des rêves, du repos, qui tracte les marées et dompte l’océan. Hors de toute main, de tous pieds, hors de portée de nos vies. Impuissance, dans cette futile existence. Seul un regard qui permet le contact, rêve sucré dont la suprême douceur fait briller les yeux. La nuit emplit nos prunelles, nos iris, scintille dans les orbes encastrées sous nos lourdes paupières. Tout notre corps est lourd, comme une masse de plomb, une statue de fer qui coule tout le long d’une vie si fluide, si rapide, qu’elle n’accroche même pas nos saillies. C’est finit. Le fond sableux nous happe. L’océan funèbre se referme, cendres de pierres érodées, ne laissant qu’une brume marine, un nuage doré dans les plus profonds abysses. Ténèbres mortelles. Et maintenant ? Désormais, que reste-t-il de notre passage ? Des larmes. Vague de peine qui submerge nos yeux, les noies sous un tsunami de frénétiques picotements. La douleur pour les vivants, pendant le sommeille des gisants. Un peu de gibbérelline sur une petite pousse de bonheur, ferait repartir les rires… Nouvel engrenage de la machine à joie ? Il suffirait d’un peu de ça, pour qu’ensuite se mette en branle la vaste machinerie. Du bonheur industriel, c’est si triste, au fond. On n’arrive donc plus à faire le deuil tout seul ? Même avec des gens autour de nous, la famille qui sanglote aussi, surpasser la peine est devenu impossible. Chagrin sans fin.
Et le papillon dans tout cela ? Que devient le pauvre insecte dansant, ce tranquille valseur nocturne, qui tournait rêveusement autour de l’éclat lunaire ? La douceur de ses ailes se perd dans le vent. Il fripe, fane. Sa beauté roussit et s’enflamme. Le corps chute, tourbillonne, s’écrase sur le sol dans une violence inaudible. Un mort sur le sol, qui s’est brulé à la surface d’une fausse Lune. Flammes éteintes, après que les ailes aient portées l’incendie jusqu’à son corps fragile. Dégringolade gracieuse, jusqu’à cette tombe sans pierre véritable. Pas de terre non plus. Et aucune larme pour un insecte. Ce n’est qu’un petit corps noir sous une lampe après tout. Quelle importance ? On ne pleure que pour les humains.
Mais peut être pas partout. Il y’a deux petits yeux qui tout vues de cette mort. Deux yeux d’enfants dans la nuit. Il courrait sur la plaine, mais a trouvée ce lampadaire, là, dressé au milieu de nulle part. Que faisait-il ici ? Cela n’avait pas d’importance, pour l’instant. Il n’y avait que la tâche noire, sur la pierre plate, au pied de la tige de fer, qui en avait. La peine ronge ses prunelles. Premiers sanglots ; première entaille dans l’innocence. Il s’enfuit dans le soir, disparaissant dans la pénombre argenté. Silhouette qui court au milieu des ombres.
Un enfant seul et libre, qui a encore toute sa candeur, c’est un être fragile. Comme un papillon. Et quand il grandit, ses ailes ne brulent-elles pas ? Il peut courir, mais le temps le rattrapera pour le frapper encore…
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Quand les premières larmes coulent, le sang pourrait remplacer l’eau. La déchirure de l’âme est sans pareil. La douleur, cuisante, dévore et brule. La plaie est là. Nulle suture ne la fermera jamais. Elle restera ouverte, béante, peut être apaisée pour un temps, mais toujours prête à saigner de nouveau. Des vannes que personne n’a jamais voulu vider ce sont ouvertes pendant les premières larmes. Après cela, on ne peut plus que pleurer, encore, toujours, à chaque échec, chaque mal de la vie, toujours avec cette même eau qui attend sagement aux bords de la plaie dans nos yeux, ne demandant qu’à suinter pour couler sur nos joues. Elle roule et mouille, laisse son sillage d’humidité affligeante le long de son odieux chemin. Des deux côtés, une route de larme s’est tracée, et les prochaines la suivront elles aussi. C’est un nouveau sentier pour la tristesse. La première fois est toujours la plus difficile. La plus douloureuse. Elle marquera les prochaines. Car il y’en aura toujours d’autres. Que l’on veuille pleurer ou non, c’est ainsi. Et généralement, personne ne le veut. Heureusement, il n’y a pas qu’une nature de larmes. Pour compenser la peine, pour colmater les plaies, reste encore celles de bonheur. Elles changent tout sur un visage. Elles ne le creusent pas ; elles le subliment.
Mais un enfant préfèrerait ne jamais avoir de premières larmes. Cela serait tellement plus simple ! Cependant, la vie ne l’est pas. La douleur en fait partit, autant que la tristesse qui l’engendre parfois, que l’affliction, l’horreur, le dégout, et tant d’autres sentiments que l’on voudrait ne pas ressentir. Un petit peu d’eau de joie n’arrange pas tout ça, et il n’y a jamais assez de rires pour effacer les premières larmes. Elles creusent et s’enfouissent, plus profondément à chaque fois, toujours dans les abysses les plus sombres. L’hémorragie débute, et le flot ne se tarit ensuite jamais plus.
Pour un enfant qui dansait, les premières larmes sont fatales. Il était heureux, au milieu de sa plaine verdoyante, le soleil d’été sur son visage et de la lumière plein les yeux. Mais désormais, il connait la douleur et la mort. Tout cela à partir d’un petit corps qui repose sur une pierre. Un rien qui donne naissance à beaucoup plus. Maintenant qu’il saigne, comment faire pour rire de nouveau ? Il faudra du temps avant de pouvoir recommencer. Mais un jour, cela reviendra, comme un baume liquide versé sur sa peau. Une sensation délicieuse, le bien-être d’avant, quand tout allait bien. Tiède et rassurant, le monde le redeviendra pendant quelques temps. Cela ne durera pas, mais pendant la durée de ces moments exquis, il savourera la joie recouvrée plus encore que jamais.
Malgré tout, adieu la félicité des premières années, celles qui défilent plus vite que les autres, en ne laissant que quelques souvenirs brumeux, sur lesquels nos doigts n’ont pas prise. Un seul contact vaporeux, qui frôle la chair des mains avant de se disperser en volutes éparses. Le nuage disparait dans l’ombre. Adieu. Il va oublier sa joie d’avant, pour le présent plus ardu. L’enfant perd sa légèreté. Sa peau n’est plus aussi blanche qu’auparavant ; peut être un peu plus cendreuse. Et ces yeux, eux, ne pétillent plus. Pas non plus de feu pour ses cheveux : roux terne des carottes. Roux d’un légume piégé sur terre par ses racines filandreuses. La réalité l’a emprisonné. Maintenant, il sait ce que sont des barreaux, et qu’alignés, ils forment une cage. Il suit des yeux la liberté, qui disparait dans le lointain et se fond dans l’horizon. Silhouette qui est retournée sur la plaine.
Lui, emprisonné, rejoint le pallier suivant de sa vie : après les premières larmes, la grande plaine n’est plus pour lui. Un camion l’emporte jusque dans le village qui borde l’étendue de l’enfance. Les prémices de l’ordre et de la logique.
L’enfant saigne de grandir.
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Tout est droit et rectiligne. Les petites maisons en bois sont bien alignées de chaque côté de la route terreuse, dont les sillons parfaits suivent un tracé angulaire. Angles, rectangles. Que de mots en « ang ». Lignes continues, segments maîtrisés ; peu de courbes véritables dans le village. C’est le début des règles : interdiction de sortir le soir, pas de gribouillages sur les murs, respect des horaires indiqués pour entrer et sortir, obligation de se présenter à l’école… Le monde est étriqué, enfermé dans la gangue stricte et ferme de la logique réglementaire. La liberté se limite désormais aux bons-vouloirs des autres. Intolérante société, qui pourtant, clame elle-même la tolérance. Car c’est ainsi : vivre près d’autres personnes implique des règles. L’anarchie risquerait de démanteler toute cette mécaniques bien huilée, sinon. L’humanité a besoin d’une base stable, d’un sol qui ne cahote pas. Plus de routes qui défilent ; non, le temps du sédentarisme impose sa loi suprêmement incontestable sur le monde et ses habitants. On ne peut pas se battre contre une pareille logique. L’enfant le sait. Il se plie aux règles, courbe le dos et ploie. N’était-il pas plus léger avant ? Il lui semble que l’air, a soudainement décidé de poser un peu de son poids sur ses épaules. Souffrance de ses os et de sa chair. De son esprit aussi, qui sent fuir au loin l’ancienne extase de vivre. Bonheur fluide, qui se perd dans le monde alentour, gâché par mille contraintes. L’innocence ne suinte plus de ses pores ; elle s’est tarie, et son flot est moins crut. Comme un fleuve qui s’assèche sous un soleil ardent, dont les flammes célestes font vapeurs de ses eaux. Candeur perdue qui s’en va en volutes, comme le passé révolu. Tout cela se fait nuages, qui montent dans les cieux et se fondent à la nuit noire. Personne ne voit donc les nuages du soir ? Ils sont pourtant bien là, eux aussi, comme pendant les longs jours de printemps. Seulement, peu de gens lèvent la tête pour voir les dérivants nocturnes, masses de coton obscure qui défilent lentement. On ne fait pas attention à eux. La Lune est plus importante après tout… Mais même elle perd de son éclat, maintenant. Dans le village, l’enfant la trouve plus terne. Et où sont les étoiles ? L’argent du ciel s’est-il dissout dans l’acide de la nuit ? Il n’y a plus que quelques pâles lumières, piquetant l’immensité d’encre noire, qui a coulée depuis l’espace. Dégoulinade horrifique sur le crépuscule orangé. Lentement, les ombres s’installent.
Il est l’heure de rejoindre une des petites maisons, si droites, si étouffante. L’enfant s’assoit devant la cheminé qui crépite. Le feu danse timidement à l’intérieur de l’âtre, rapide mouvement qui attire son œil. Les toits de chaume, paille sèche ramassée aux abords de la plaine, garde cette chaleur et la distribue aux murs de rondins entassés. Autour du petit garçon, il y’a des ombres. Il est seul, mais ici, ce n’est plus la même chose : les ténèbres guettent, rôdent autour de lui. Il se rapproche de la cheminé, s’éloignant des lisières de la lumière protectrice. Une ombre ne peut pas lui faire de mal, mais il a apprit la peur. Désormais, il sait trembler, il connait la sensation des sueurs froides dans son dos, et le malaise qui fait frémir sa chair. C’est une crainte infondée, mais elle s’enracine en lui, et plante ses crochets pleins de venin dans son âme. La chaleur l’enveloppe, présence susurrante qui le rassure, lui murmure des mots doux. L’enfant s’endort sur le sol de terre, près de l’âtre brulant. Douceur d’une étreinte, qui amène le sommeille. Il profite du répit de cette nuit pour dormir. S’envolant vers le pays des songes, le petit garçon laisse le village derrière lui. Le monde de sa rêverie vagabonde l’accueille avec chaleur, l’emportant dans une ronde folle, pleine de couleurs éclatantes et d’astres chantants. Il danse au milieu du ciel nocturne, ses doigts fluets serrés contre ceux de lumière, d’une étoile blanche à la silhouette incertaine. Mais il discerne une forme vague, d’ours dressé de toute sa hauteur imposante. Il connait cet éclat… Comme tout les bergers. C’est elle la plus brillante tout les soirs. La Grande Ours. Eclat de rire lâché dans le vent de son rêve. Endormis près de la cheminé, il sourit, pelotonné contre la pierre où reposent quelque braises rougeoyantes. Bonheur solitaire au gré d’un songe. Pendant la journée, ce n’est plus aussi bon. Il profite donc de ce temps de repos.
Mais il se réveille. Et le temps passe, s’écoule, cascade sans qu’il puisse le retenir. Les mains en coupe, il s’efforce d’en emprisonner un peu, car il a peur de ce flot impétueux : chaque année, dans le village, des camions emmènent au loin les enfants plus âgés. Dés l’âge à deux chiffres dépassé. Et chaque jour, il s’en approche. Alors que les petites maisons lui deviennent familières, qu’il oublie peu à peu la plaine verdoyante, ce nouveau foyer lui sera bientôt arraché. Les années passent, il grandit. Les rêves de son enfance s’effacent, son rire est moins argentin. Plus d’éclat dans ses yeux. Il ternit, et après tout, cela ne rime t’il pas ?
« Alors que tu grandis,
Tout en tout se ternit. »
C’est si triste, que tu ne te souviennes pas… Les volutes t’échappent et se perdent dans l’air. Pourquoi tu ne les retiens pas ? Tracte la brume, bas-toi ! Regarde ! Ton passé s’envole, il disparait. Ne le laisse pas. Pourchasse les nuages. Ils s’éloignent vers la plaine, rejoignent le seul lieu où ils ont encore une raison d’être. Tu pourrais y retourner, il suffit de marcher. Ce n’est jamais qu’une barrière et un peu de distance, qui te séparent de la nature épanouie. Allez, retourne-y ! C’est bien mieux là-bas. Vas-tu attendre passivement les camions aux fenêtres barrées ? Tu n’as pas à être aussi droit que tout le reste. Soit une courbe qui se glisse, laisse les lignes rigides derrière toi… Ce n’est pas si difficile de retourner sur ses pas. Ce n’est pas pendable non plus. Regretter ton enfance, la vraie, n’est pas un crime. Retourne-toi ! Les années passent trop vite, si tu ne commence pas à courir maintenant, tout espoir est perdu. Mais… Tu n’entends plus. Tes oreilles sont sourdes, et tes yeux se font aveugles. Depuis quand n’as-tu plus cherché les étoiles dans le ciel ? C’est triste, un enfant qui oubli tout ses rêves, tout son passé… Mais c’est ainsi que tourne le monde. Et alors que tu trembles à chaque année qui passe, tes jambes cliquètent sans pourtant te faire courir. Et un jour, c’est trop tard. La porte claque, le cadenas la clôt, et les barreaux découpent la lumière du dehors en lignes ondulantes. Alors que le camion se met en branle, cahotant sur la route, le village s’éloigne de tes mains serrées sur le fer froid. L’impuissance laisse un gout étrange dans ta bouche. Tu n’as encore jamais éprouvé ce sentiment, et pourtant, tu en connais le nom : amertume. On te ballote, pour la deuxième fois. Tes yeux restent secs, fixés sur les maisons qui rétrécissent, perdent en hauteur, en substance… Le soleil se couche. Un crépuscule sanglant s’épanouit dans le ciel, comme une blessure suturée dont on écarterait les bords. Les chaumières se font des ombres sur la ligne de l’horizon. Peu à peu, elles se fondent au reste, puis bientôt, plus rien… Le village est trop lointain.
L’enfant s’affaisse dans sa prison de fer froid, balloté par le camion et le destin. Il ferme les yeux. Et éprouve de la haine.
Petit garçon en colère, que vas-tu faire de tes mains, serrées en deux poings rageurs ? Et la lumière rouge qui tombe sur ta peau, est-ce une promesse de mort ? Il semble que du sang y coule déjà, souillant tes doigts, tâchant leur blancheur. Mais dit moi, je voudrais savoir… Ce sang, ce n’est pas le tient, n’est-ce pas ?
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Un mot étrange qui change tout. Barbare à ses oreilles. Le simple fait de l’entendre laisse sur son visage une grimace de dégout... Il ne veut même pas y penser. Mais au fond de lui, il sait que l’enfance est derrière, au bout de la route quittée par le camion… Que désormais, il est entré dans....
L’adolescence.
Ses traits se tordent. Il hait ce mot. Si cela était possible, il le cracherait par terre, et le piétinerait jusqu’à n’en laisser qu’une bouillie méconnaissable. Qu’est-ce donc que ce nouveau qualificatif ? Comme il laid, comme il est rude ! Et son diminutif le laisse chaque fois choqué. Comme un outrage à sa langue. « Ado ». Une bête sauvage et violente, dont la conscience est à la fois présente et pourtant inactive. Que fait donc Jiminy Criquet ? Le petit pantin de bois qu’il sermonnait gentiment, était un ange en comparaison de ceux que le jeune garçon côtois désormais. Il pense même que s’ils avaient un nez, aussi long que le chenapan ligneux, ils l’utiliseraient pour mieux frapper les autres. Hurlements, beuglements, gémissements, explosions, fracassements, sang, vomis… Tout se mêle et retentit, en ce nouveau lieu. Une jungle grise, du nom de « ville », sylve bétonnée dont les troncs fenêtrés débordent de prédateurs cruels. Entassement qui dégénèrent en émeute, bandes de jeunes qui rôdent dans les ruelles… Les routes sont infestées de déchets, le monde se fissure sous les coups ; tout éclate et se disperse sur le sol. Aucun trottoir qui ne recèle pas un piège. Autour de l’enfant qui n’avait pas voulu grandir, le chaos s’épanouit en une totale liberté. Et le village, ses règles ?! Comme il regrette cet ordre saint et clair ! Là où les lignes étaient rassurantes, ici, elles coupaient. Là où les ombres étaient apaisantes, ici, elles cachaient un potentiel danger. Pluie de verre, jours et nuits, brasier hurlant dans boutiques, et ciel d’encre, dévoré par des nuages d’une fumée étouffante. Désolation et violence se partagent la ville, dont les immeubles sans fin semblent se pencher sur les rues, pour étouffer ceux qui y marchent. Ou plutôt, y courent : la jungle grise ne permet aucune sérénité. Chaque parcelle d’obscurité se révèle porteuse d’une menace, et mieux vaut se précipiter, que s’attarder sur les trottoirs. En quelques jours, il a tout appris de ce monde nouveau, dans lequel la moindre erreur peut le mettre en danger. Et pourtant… Recroquevillé entre deux poubelles cabossées, dans une ruelle humide et glacée, il tremble encore, ne pouvant se résoudre à sa situation. A son nouveau nom, « d’adolescent ». La ville le révulse, et ceux qui habitent ses méandres noyées d’une pénombre glacée, le terrifient et le dégoutent à la fois. Rien ici n’est fait pour lui. Tout est trop laid et sale, brutale. Le bitume granuleux mord ses pieds nus, un vent plus froid que n’importe quelle eau gelée souffle autour de lui et s’insinue sous ses loques crasseuses. Ses cheveux roux ont brulés à leurs pointes, après qu’il ait de justesse échappé à un incendie. Alors qu’il venait d’arriver dans la ville, le camion avait été renversé et brulé. Son conducteur, ombre anonyme dont le visage lui avait toujours été inconnu, c’était révélé être une insensible machine. Bras mécaniques et jambes vissées par des boulons d’inox. Froide et immaculée. Le feu l’avait dévoré.
En son fond, il avait sentit une joie féroce à la vue de se spectacle…. Que devenait-il ? Sa destruction l’avait fait rire, alors que le camion brulait à ses côtés. Des cloques marquaient sa peau. Il n’en avait que faire. L’odieux être mécanique qui par deux fois lui avait volé son bonheur, était mort devant ses yeux. Et en cet instant, nul innocence ne brillait dans ses prunelles bleues. La hargne les faisait luire d’un éclat malsain. L’engrenage implacable de l’existence l’avait conduit jusqu’ici. Pour survivre, devenir comme eux se faisait nécessaire. Durcir son cœur, l’affuter avec le bitume du sol pour que ses bords coupent ; en faire une pierre dangereuse et saillante. Porter un masque de rage et de ruse, calquer sa démarche sur celle d’un autre, plus fort, et dépasser la limite fatale : trouver une arme pour se défendre. Ne pas hésiter à faire couler du sang. A se réjouir d’un meurtre. A vandaliser, bousculer, piétiné et faire souffrir. A rire de la douleur des autres, et à masquer la sienne. Tant de changements, pour ne pas terminer comme le petit corps, le papillon carbonisé qui avait tout déclenché... Mais au fond… Pourquoi ? Où était le bonheur ? Le monde était dépassé par la violence qui régnait ici. Même les machines qui semblaient diriger leurs vies, ne pouvaient lutter contre la débauche de haine dont la ville était le sombre théâtre. Tant de sang et de morts… Tout perd son sens, en un cadre pareil. Le monde est noyé sous ce flot hétérogène, soumis à la pression d’une cascade de violence, de douleur et de colère, un torrent implacable, d’une insoutenable force. La destiné n’est plus qu’un chemin entouré de murs vertigineux, dont il est impossible de dévier. Tout est sous contrôle. Mais le contrôle de quoi ? Ou de qui ? D’un homme, ou d’une machine ? Et malgré cet encadrement, pourquoi la ville baigne dans une telle anarchie ? Depuis qu’on l’a arraché à la plaine, l’enfant qui n’a jamais voulut grandir souffre. Mais désormais, il est au-delà de cet état. Plus que la souffrance, c’est une haine tenace envers chaque chose qui vie, dont son corps vibre hardiment. Prostré, faible, il maudit le monde entier, qui tourne, insensible à son sort et à celui de tout les hommes. Cruelle existence, d’abord douce, fantastique, jamais à bout de merveilles. Si brillante, onirique, pleine de senteurs suaves et de lumières chaleureuses… Découverte de la Terre, que la jeunesse de nos yeux rend d’une éblouissante beauté. On ne perçoit pas encore, ni le danger ni la laideur. C’est peut être là le secret de bonheur ? Ne jamais grandir ? Ou alors… Grandir autrement. Pas de la même manière que lui, balloté et contraint… De toute manière, cela n’avait plus d’importance. Dans tout les cas, il trépasserait dans une laide solitude. Aucune âme bonne ne pouvait survivre ici. Et pour le moment, malgré la malveillance qui avait un instant luit dans ses prunelles trop jeunes pour abriter une pareille haine, il se savait encore de celles-ci. La ville ne lui arracherait pas ses derniers lambeaux de pureté et d’innocence. Il mourrait en les serrant contre son petit torse maigre, corps hâve blottit entre deux poubelles. Combien de temps cela durerait ? Il n’en avait que faire. Seule la finalité comptait. La libération que serait la mort. Après tout, le papillon n’avait pas semblé souffrir. Le feu avait embrasé ses ailes, dévoré sa peau si fine, et en un instant, une chute qui malgré son horreur avait été envoutante, magnifique, le petit insecte s’était posé sur une pierre, mort en toute beauté. Peut être y’a t-il une chance, infime, que la sienne soit si belle… Préservée de la laideur de la ville. Au fond, il espère retrouver sa paix d’antan, comme dans la plaine, quand il était encore radieux, nuage à la forme de petit garçon dont la chevelure était une vaste flamme qui ne brulait jamais. Un ange dansant au paradis. Chérubin enchaîné sur la Terre sanguinaire. Il souffre. La délivrance lui parait la seule perspective heureuse.
Alors, seul, les mains serrées contre son cœur qui palpite faiblement, l’adolescent qui ne veut pas en être un, qui veut redevenir un enfant, meurt doucement, victime du monde cruel… Personne ne le remarquera. Petit corps pâle entre deux poubelles. Né heureux pour mourir triste. Et pourtant, malgré cette tragédie la Terre va continuer de tourner. Car, qui se soucie d’un enfant silencieux ?
Un enfant qui ne veut pas grandir. Qui n’a jamais voulu. Le temps est implacable.
Souffrance d’un innocent. Pas de pitié pour cette candeur.
L’enfant qui s’endort, sans bras pour le bercer…
Sans réconfort, jamais.
Enfant qui saigne.
Enfant du vide.
Du silence.
De rien.
Néant.
Mort.
Pourquoi personne n’écoute jamais le silence d’un enfant ?
06-06-2013 à 18:03:52
-Été 2011-
Tempête-

La tempête l’enveloppait, noyant le monde sous une avalanche céleste de flocons virevoltants. La neige tombait follement, implacable tourbillon de blancheur glacée. Lui, silhouette perdue dans ce déchaînement d’une froideur mortelle, claquait des dents, les entrechoquant douloureusement en une mélodie funèbre. Rythme saccadé de sa mâchoire, qui précipitait émail contre émail. Le mouvement réchauffait au moins son visage. Souffrance bénéfique. Mais ce n’était pas le pire… Ses os n’étaient plus que glace. Un monceau d’iceberg taillé en un squelette, dont la moelle même avait gelée. Tout son corps était couvert d’un givre cristallisé, dont la couverture hivernale s’insinuait jusqu’en dessous sa peau. De doré, elle était devenue immaculée. D’une blancheur, non pas délicate ou envoûtante, mais simplement macabre. Au milieu de la tempête, seul, abrité contre un sapin au ramage épais. Cette dérisoire protection, ne le protégeait en rien : Même ses cheveux noirs de jais, disparaissaient sous une couche craquante de neige épaisse. Il baignait dans l’expression la plus brutale de l’hiver.
Qui était-il ? Un étranger, un voyageur. Un homme fougueux dont le sang brulait comme un brasier sauvage. Feu mouvant dans ses veines.
Il venait de loin, depuis des terres chaudes que le soleil ne quittait jamais. Des contrées aux étés éternels, où la mer était calme, le sable brûlant et la vie douce. Mais il avait quitté ce havre, tracté par son cœur aventureux vers des pays lointains. Désir délicieusement comblé… Qui l’avait mené vers sa perte. Désormais, il tremblait sous l’assaut d’un vent chargé de neige, sa peau et ses os imprégné de la glace du nord, le feu de son sang éteint par des rafales porteuses d’un froid d’une intensité mortelle. Son visage n’était plus qu’un masque de givre, agité par les claquements brutaux de sa mâchoire glacée. Même ses prunelles s’étaient éteintes, leur lueur d’une impérieuse chaleur soufflée par les vents de cet hiver implacable. Le froid mordant réduisait l’habituel incendie qui couvait dans son corps, à une faible flammèche, dont la dérisoire portée peinait à réchauffer son cœur. Quelques braises à peine rougeoyantes, qui s’éteignaient doucement sous les assauts de la tempête. Que pouvait-il faire ? Comment lutter contre un pareil déchaînement ? Aucun homme n’aurait put échapper à cette neige, qui semblait être dotée de mille crocs effilés. Chaque parcelle de son corps torturé, n’était plus qu’un glacial incendie. Le moindre mouvement était synonyme de souffrance.
Alors, recroquevillé contre le tronc rigide, toujours droit malgré les rafales qui chargeaient ses branches d’une parure glacée, il attendit que la tempête ne lui arrache sa vie. Autour de lui, les souffles froids d’Eole semblaient hurler d’une hargne sans nom. Cris de guerre dans la soirée fatale. Le vent paraissait prêt à emporter son âme dans sa course folle. C’est ce qu’il fit.
Ses paupières se fermèrent, rabattues par l’épuisement et la douleur. Il s’endormit, noyé sous le flot de l’hiver. Le sommeil éteignit la dernière étincelle qui réchauffait encore son cœur indolent. Il resta piégé au cœur de la tempête, son corps gelé, affalé sous la neige.
Et alors qu’il succombait à l’hiver, une jeune fille aux yeux brillants de plaisir, gloussa gaiement. Devant ses grandes prunelles d’un vert printanier, ses deux petites mains secouaient doucement la boule de verre, admirant le paysage forestier qui y était emprisonné. Une pluie de flocons artificiels couvrait la sylve de plastique teint. Et quelque part, un chalet…
Il en était si près. Petite silhouette qui ne bougeait jamais, à laquelle la fillette imaginait une existence, une vie, un passé. Mais il était immobile… Alors l’histoire finissait toujours mal : il mourrait, près du salut ; du chalet qui l’aurait protégé de l’hiver assassin. Tragique ? Non. Logique, parfaitement normale selon elle. Pourquoi y’aurait-il eut une fin heureuse ? Après tout, son histoire à elle ne commençait pas si bien. Sa vie était aussi triste que la mort de la petite silhouette. Mais tout les jours, pas seulement pendant un hiver qui durait quelques minutes.
Couché dans son lit froissé, corps tiède et malingre sous les couvertures, la petite fille souriait, malade, mourante, la sphère de verre à bout de bras. Une lumière grise emplissait la pièce blanche, vide. Elle faisait étinceler le bibelot, légèrement, y allumant éclat semblable à une petite étoile. Comme du cristal brillant entre des mains d’enfants. Une vision apaisante, hors du temps… Dans ce tableau, la fillette était d’une exubérance irréelle. Elle dégageait une aura puissante. De vie, de joie, d’innocence… Et de cruauté. Mais elle ne quittait pas son lit.
Comme elle ne bougeait pas depuis longtemps, peut être vivait-elle aussi dans une boule à neige ? Dans ce cas là, elle espérait que celui qui la secouait trouverait vite une fin à son histoire.
Elle était tellement fatiguée…
Dehors, derrière la fenêtre, les flocons dansaient dans l’air glacé de la saison froide. Noël. Qui secouait sa boule à elle ?
06-06-2013 à 18:07:29
-Été 2011-
Lumière-

Ses ailes battaient largement, froissées par le vent rugissant. Des bourrasques glacées, qu’on ne trouvait que dans les hautes strates du ciel, s’engouffraient sous ses plumes jusqu’à mordre la chair noire en dessous. Les crocs d’Eole lui arrachaient sa chaleur de quelques habiles bouchées, la mettant en charpie pour mieux l’avaler ensuite. Elle tourbillonnait dans la gorge du vent, se perdaient en volutes tièdes dans son estomac, puis froidissaient finalement, se fondant dans la masse éthérée. Elle eut un frisson. Mais il fut imperceptible, fugace ; se perdit dans sa masse. Le vol resta stable, et l’Ange s’éleva un peu plus haut encore.
Sa silhouette, auréolée de lumière céleste, se découpa contre le soleil pourpre. Autour d’elle, les cieux rouges s’étendaient, vaste camaïeu d’écarlate, qui à mesure de sa descente vers l’horizon terrestre, fonçait pour se faire noir. Mais plus loin, là où l’astre culminait dans le midi, les couleurs étaient encore vives. Une situation étrange… Quel était donc ce moment de la journée ? Il n’avait pas de nom : c’était un ciel de rêves. Des songes tissés ensemble, pour former un paysage onirique de toute beauté. Mais il s’estomperait bientôt. Les rêveurs se réveilleraient dans quelques minutes. Et à ce moment là, le véritable soleil reprendrait ses droits sur le monde, jusqu’à la prochaine nuit. En cet instant précis, la lumière qui caresserait la montagne déferlerait dans une cascade éthérée de la plus grande pureté. Une perfection lumineuse qu’il lui fallait capturer.
L’Ange poussa sur tout son corps, se propulsant à plus grande vitesse. Ses ailes habillées d’un ramage immaculé, couverture splendide de plumes à la blancheur neigeuse, battirent avec plus d’ampleur. Elle goûta à l’ivresse de ce vol, fendant l’air du grand tissage onirique. Ses trois pupilles bleues restèrent malgré tout fixées sur l’objectif de sa mission : la chaîne montagneuse. Et mieux encore… Le pic central, plus haut que tous les autres. Sa masse mauve se détachait contre les cieux écarlates, culminant jusqu’au dessus de nuages. L’Ange s’éleva encore, son doux visage blanc fouetté par le vent. Ses lèvres roses s’étirèrent en un sourire, et l’œil de son front brilla, illuminé par une lueur de joie. Griserie. Enivrée par ce vol, libre…Elle fendit l’océan nuageux, laissant les volutes frénétiques derrière elle. Pendant un instant, le monde se cantonna aux brumes cotonneuses, célestes émanations d’eau condensée en l’air. Masses de gouttelettes serrées, qui enveloppèrent sa silhouette gracieuse, glissèrent sur ses plumes, le long de ses larges ailes. Impressionnante colombe à visage humain. Elle s’éleva au dessus des dérivants éoliens. Devant la trinité étincelante de son regard, la plus haute des montagnes lui présenta sa masse immuable. Les pentes rocheuses étaient presque nues à pareille hauteur. Le froid mordant et le vent glacial ne laissaient que quelques herbes sèches, des lichens jaunâtres et de la bruyère clairsemée habillé le grand pic. Cette végétation hésitante, s’étendait en pelouses rachitiques, sèches, lambeaux de verdure insipide sur les pentes, passerelles et cavités. Malgré tout, les lieux étaient habités : de minuscules silhouettes s’agitaient dans les rares cavernes, fissures ou grottes, petites ombres en pleine activité. Des créatures qui s’étaient échappés des rêves avant leur disparition. Elles vivaient désormais ici, là où aucun songe ne s’aventurait jamais, indépendantes de leurs créateurs. La plupart possédaient des ailes, et s’étaient enfuie des paysages oniriques pour échapper à d’affreux cauchemars. De nombreux corbeaux, des mouches, moult insectes, des fées déformées, zombis, vampires ; d’autres plus étranges, comme des libellules à visage humain, des pieds ailés, des objets pourvus de pattes d’araignées, ainsi qu’une quantité de chair flasque, et d’hommes sans visages pour le moins impressionnante. Communauté grouillante, horrifique, mais silencieuse et sédentaire.
L’Ange ne se laissa pas divertir. Elle avait déjà eu le loisir d’observer les monstres qui habitaient la montagne. Ils vivaient dans la crainte du monde alentour, reclus dans les ténèbres, agglutinés, effrayés par la lumière, maussades, abjectes, poltrons… Peut être n’auraient-ils jamais dût quitter leur cauchemar. Cela ne les avait menés à rien de plus plaisant, qu’une existence ténébreuse.
Mais le sort de ces créatures ne lui importait pas. L’ange n’avait que faire de ces êtres répugnants, nés de terreurs nocturnes, qui se terraient sur le pic par crainte du vaste monde. Leurs peurs lui étaient étrangères, à elle et ses ailes qui la portaient dans les cieux. Libre, ébouriffée par le vent vivifiant, l’Ange s’éleva plus encore, laissant cette fange vivante derrière ses battements d’ailes.
Course dans l’air, gracieuse montée de son corps ; piquée vers l’espace… Exubérance, extase de l’empressement, électrisante sensation de talonnage. Le délai se rapproche, s’apprête à la saisir par tout les côtés, à l’étirer ensuite comme étoile.
Et enfin, elle atteignit la cime éclatante. Neige scintillante qui couvrait l’ultime prémonitoire, couverture chenue sur la roche. Elle se posa sur ce coton glacée, y enfouissant ses pieds nus avec délice. Ses jambes d’oiseaux frémirent doucement. Quelques exquises secondes passèrent, paisibles. Le vent chantait autour d’elle, mélopée d’Eole sans nul autre pareil, murmurant à ses oreilles. Seule présence dans le ciel, qui engloutissait le pic dans sa dance virevoltante. Ronde des bourrasques autour de son corps. Jusqu’à ses fibres qui vibraient à l’unisson. Bal des brises, sans apparats, sans fioritures...
Déchirement des cieux. Aucune transition, pas de sonorité annonciatrice ; rien qui ne prévint la disparition des rêves. Le monde se délia. Une infinité de mailles qui se défirent subitement. Ondulation frénétique d’une seconde. Trames oniriques perdues dans l’air. Le réveil d’un millier de personnes, un millier d’âmes qui sortent du sommeil.
Et depuis un puits de noirceur, la lumière déferla, flot doré qui arrosa le monde, éclaboussa la terre de sa radiance, emplit les cieux et galopa jusqu’aux limites de l’horizon. Cavalcade solaire.
Sur la montagne, l’Ange leva le visage vers l’astre renaissant. Sa peau bouillonna et fondit. Dégoulinade de chair le long de ses plumes. Troue sanglant.
La lumière s’y engouffra, et pendant un instant, l’Ange arbora le visage du ciel…
Puis la peau vivante, chaude, reprit ses droits. Prison pour les rayons... Ange damnée.
Fausse colombe.
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La lumière attendait sur le plan de travail, pure, brute ; éthérée mais prisonnière. Les rayons condensés qui la constituaient ondoyaient parfois, vagues mouvements dans la masse éclatante, fils dénoués d’une trame immatérielle. Mais le maillage était solide, cousu par des mains expertes : il ne se déferait pas, même si quelques rayons se délitaient parfois. Et ils se noueraient finalement de nouveau. C’était une lumière de qualité, venue de la plus haute des montagnes. La travailler s’annonçait une expérience des plus excitantes, pour le jeune apprenti.
Ses yeux d’ambre pétillaient déjà, fixés sur cet éclat solaire qui attendait qu’on le taille. Il se sentait fébrile, son cœur battant à en rompre ses os. Le voir sauter sur la table, puis y danser ensuite, n’aurait pas parut le moins du monde étrange au jeune homme : il pulsait avec tant de force, à une telle cadence, que c’en était douloureux. Et pourtant, le moment était délicieux. Devant lui, sagement posé sur la table de verre, la lumière semblait n’être là que pour ses mains. Il serrait déjà son unique outil. Le cristal était glacé dans sa paume. Mais il avait fallut le garder froid, pour qu’il puisse être utilisé de façon optimal. De plus, la pellicule de grive qui couvrait l’instrument s’avérera nécessaire… Alors il ne s’en plaignit pas. De toute manière, Sudon était trop excité pour cela. Il y’avait de quoi : tailler une lumière si pure était un privilège. C’était une preuve de confiance de la part de son maître. Une façon de lui dire qu’il était prêt ; ou qu’il le serait si son travail était à la hauteur de ses espérances. Ce dont le jeune homme essayait de ne pas douter. Car malgré son impatiente, il ne tremblait pas : ses mains devaient rester assurées, sa prise ferme, et ses gestes précis.
Il approcha doucement de la table, calmant son cœur, rappelant à l’ordre son esprit plongé dans une fébrilité enfantine. Une inspiration pour enchaîner les autres, une deuxième pour apaiser son palpitant, et la dernière afin de reprendre une attitude professionnelle. Son visage pâle se fit grave, et ses traits doux sérieux. La lueur de ses yeux s’envola vers des contrées plus fastueuses, rejoignant la migration de ses sentiments exubérants, en les terres fertiles du fond de son être. Plaines vierges, qui jouaient le rôle de camps de réfugiés pendant son travail. Il devait faire preuve d’une concentration proverbiale pour tailler.
Sudon se pencha lentement, et ferma les yeux. Puis abattit le marteau de cristal. La lumière éclata littéralement. Des copeaux de soleil s’étalèrent sur la table, étoiles du jour dispersées en un désordre artistique. Quelques rayons se détachèrent, se fondant à la clarté ambiante. La pièce resplendit, sans limite, brouillée par la lumière ; ouverte sur le monde, les nuages et le ciel. Puis un nouveau coup. Tonnerre explosant sur la table. Le fracas souffla le monde extérieur, emporta les meubles en noyant les murs dans une vague solaire. Sudon garda les yeux fermés, ses oreilles pleines de l’harmonie argentine du ciel, l’ombre de ses paupières engloutit par une radiance assoiffée de ténèbres. Elle dévora toute pénombre, glissa ses langues avides en dessous de meubles, lécha les murs et assécha les moindres reliefs. Il lutta pour ne pas se perdre dans la déferlante. Serra ses outils glacés pour affermir sa volonté, entaillant ses paumes en une vague de picotements acides. Mais elle lapa les dernières gouttes d’ombres, puis commença son ressaque. Retour à la source, sur la table, dans ce petit éclat posé à la surface du bois massif. Rétraction. Mais avant que la pièce, le monde et ses limites, ne reprennent leurs droits sur la réalité, le marteau tomba une dernière fois.
Un hurlement magnifique déchira l’air, beauté suprême d’une horreur céleste. Cisaille dans la masse, détachement. Les copeaux lumineux s’envolèrent, tournoyèrent dans l’air, rasèrent le vide près de son visage. Comètes valseuses dansant dans l’air… Elles s’écrasèrent sur le sol et fondirent. Quelques une coulèrent sur sa peau, tracèrent des lignes, des courbes sur ses pommettes. Dégoulinèrent autour de ses lèvres, définirent les contours de son visage. Masque de lumière liquide le long de son corps, tâches de rayons fondus sur le sol. Le soleil était mort dans la pièce. Liquéfié. L’illustration d’une beauté sans égale. Le travail était terminé.
Taillée, la lumière reposait sur la table de bois, entourés gouttes en pleine ébullition. L’apprenti ouvrit ses yeux cerclés de courbes luisantes. Il posa un regard serein sur son œuvre, apaisé. Son esprit était encore illuminé. Il avait transfiguré l’état primitif de l’éclat solaire. En avait fait une œuvre d’art.
Devant lui, reposait le visage du ciel…
06-06-2013 à 18:08:39
-Été 2011-
L'amour-

Ton crâne est comme une grande bouilloire, dont le bonheur sous pression, en pleine ébullition, bulle furieusement contre tes os. La joie allume une flamme démente dans tes yeux, lueur dansante dans ta pupille, qui brûle sur le fil de ton nerf optique comme un lambeau d'incendie funambule. La folie de la joie. Heureux, tu l’es. Le sourire béat que tu affiches en est une indéniable preuve. Un peu de bonheur dégouline même depuis tes lèvres, élixir de ta bouche, de ton corps, bouillie de pensées roses qui nagent dans la marmite tapit derrière ses yeux. Tu baves, et n'en est que plus laid.
Un visage heureux, il n'y a rien de plus moche. On voudrait lui plaquer une paume sur la gueule, pour lui barbouiller son sourire tout le large de sa face. Tes lèvres en peinture sur tes joues, ton menton, dégoulinant dans ton cou, brûlant ta peau au passage, suivant les courbes de tes reins, et puis, c’est la fin. Ton sourire tombe sur le sol, éclabousse le bitume. Coule entre les graviers. Tu te baisses, t’éclates les ongles contre le trottoir, déchire la chair de tes doigts pour le rattraper. Mais c’est terminé. Tu le vois bien, qui coule vers la chaussée, se déverse sur le trottoir, puis s’engouffre dans une ouverture d’égout. Tu souffres, tes yeux sont vides de toute flamme. Les larmes les ont éteintes, parce qu’elles se préparent à chuter par terre, petites tâches sur le goudron noir. Pour le moment, ce ne sont que des lueurs dans tes yeux, lumières qui dansent au milieu de tes prunelles, valsent entre elles, s’entrechoquent, explosent, se mêlent, fondent l’une dans l’autre dans une masse indistincte, étoiles liquéfiées dans l’encre d’un iris, argent fondu qui va coaguler et te faire une balle dans l’œil. Si tu pleures, elle te percera un globe oculaire. Il y’aura du sang partout, qui suivra le chemin de ton sourire, droit vers les égouts, histoire d’aller lui aussi se mélanger à l’eau croupie, verdâtre, nauséabonde. Fluides hématiques qui te souillent la gueule, le corps, flot délétère sur ta peau, encre carmine partout sur toi. Tu ne souries plus, et ne peux même pas pleurer bien avec un œil en moins. Incapable ! Tu vois où ça t’as mené le bonheur ? Tient ! Dans ton cul la béatitude ! Tu l’as mérité ! Il ne fallait pas être heureux ! Pauvre débile, avec tes lèvres étirées, ton extase sur les pommettes, et cette putain de lueur à la con dans les yeux ! Va te faire foutre, crève ! Je n’aime pas quand tu es heureux ! Tu me dégoûtes ! Alors va-y, chiale, crève toi les yeux avec des balles en argent d’étoiles fondues, et affale toi dans la rue, pitoyable, misérable, victime urbaine de mes mains qui ont tuées ton sourire ! Tu as mal, c’est drôle comme tu peux souffrir maintenant.
Mais… Tu me fais de la peine au fond. Je regrette un peu. C’est dur de voir saigner. Oui, d’accord, j’étais jalouse de ton bonheur… C’est mal de vouloir te mettre à mon niveau ?! De vouloir te rendre triste ?! Je te hais quand tu souris ! C’était trop dur de te haïr toute la journée… J’étais obligée de le faire, tu vois. Et puis, maintenant, je regrette, tu sais, je regrette de l’avoir fait comme ça, je regrette que ça ait été avec mes mains, et… Elles pleurent, mes mains. Elles suintent de larmes, qui coulent depuis mes paumes, coulent d’en dessous de sa peau, coulent à travers ma chair et s’abattent en pluie salé sur le trottoir. Connard de trottoir qui réceptionne tout ce qui chute ! Et voilà ! Mes larmes s’en vont dans la bouche d’égout. Connard d’égout qui bouffe tout ce qui coule dans sa gueule puante ! Connard de monde qui tourne comme un dingue, qui nous laisse le cul par terre sur le bitume, ou le goudron, je ne sais plus et je m’en bas les cils comme une petite fille qui a les yeux brûlants ! JE PLEURE PAR LES MAINS, PARCE QU’ELLES ONT TUÉES TON SOURIRE A LA CON !
Mais relève toi, relève le visage, le menton, fait toi pousser des nouvelles lèvres en dessous le nez, redresse ton dos, tes épaules, ton cou, tes os qui se courbent vers l’avant. Ce n’est pas le vent qui te fait ployer, tout ça, c’est la faute de mes mains… Oh ! Viens, je vais te réchauffer avec de longues caresses, mais des caresses de mes pieds, un massage avec mes orteils, sans mes mains, sans mes doigts et mes ongles- de toute façon tout est humide par là. Je vais te serrer contre moi, blottir ton corps contre le mien, ta chaleur contre la mienne, ton âme lover dans le creux de la mienne, et il ne sera plus question ni de moi, ni de toi, mais de nous qui sommes fondus l’un dans l’autre, alliage d’amour, de sentiments passionnés, et nous serons beaux, ainsi mêlés, sans limites ni contours, juste transformés en beauté spirituelle et physique. Nous qui formerons un tout, juste un tout et pas un rien, car nous est notre seul besoin, nous est notre lumière, nos ombres, notre eau fraîche, notre soleil, notre Lune ; nous c’est le monde entier qui se coince dans une étreinte à en étouffer l’air. Non. On aspire l’air par les narines, on colle nos lèvres dans une union brûlante, et on le partage dans un souffle mêlé. Respirations qui tournent dans nos bouches, dansent sur nos langues, sifflent une chanson romantique entre nos dents. Tu ne veux pas de tout ça ? Ce serait beau, tu sais. On ne ferait qu’un, on serait NOUS, comme avant, comme quand on était encore à deux dans la maison, dans le lit, dans la vie… Je n’aurais plus à liquéfier ton sourire et tes lèvres. Tu n’aurais plus à les coller au visage d’une autre, à mélanger ta salive à la sienne… Ton souffle… Ton corps… Reviens…
Ce serait beau, tu sais, nous deux… Reviens…
Je t’en supplie ! Je pourrais allumer à nouveau ton crâne, ta marmite à bonheur, et j’y jetterais des ingrédients pour faire une soupe de joie, et ce sera aussi bien qu’avant, quand tout était parfaitement lié… Nouvelle flamme dans tes yeux, flamme qui danse mieux que l’ancienne, qui t’allume le regard avec plus de grâce, de vivacité. La flamme de nos cœurs qui battent à l’unisson, une mélodie comme en faisait Mozart, si belle, tellement mieux que les siennes, qu’il se retournera dans sa tombe, sortira de la terre et… Ce ne sera plus qu’un petit tas de poussière. Il va se disperser aux quatre vents, disséqué par les brises, entrer dans les narines des gens et jouer de la musique dans leur crâne, tambouriner, apprendre le rock, la pop, tout ça, et se réincarner en jeune de notre siècle, bébé avec des baguettes de batteries dans les mains, qui va hurler comme un damné et vendre des disques, devenir gothique et se percer les joues, casser sa guitare fétiche pour le style, mais pleurer sur les morceaux éparpillés par terre, après, seul dans son lit. Nouveau génie, mais triste cette fois-ci, parque seul dans sa vie, comme il l’était dans sa mort, petit tas de poussière sous la surface, qui ruminait dans les ombres, aveugle, sourd… Tu vois ? Il n’y a rien de pire que la solitude ! C’est notre plus grand danger, le requin sentimental de notre ère, qui va nous arracher le visage d’un grand coup de dent si nous ne sommes pas à deux… Mais à deux, BIEN ! Pas avec quelqu’un d’autre, à deux, avec nous deux qui formons le deux, le deux salvateur, le deux qui s’aime, le deux de mes rêves et du passé ! REVIENS !
Mes souvenirs sont tellement mieux que maintenant… On pourrait recommencer ?
06-06-2013 à 18:09:46
-Été 2011-
Faucheuse-

Le souffle brûlant passa sur son visage de plâtre, bourrasque ardente dont les senteurs fétides griffèrent ses narines d’un coup de patte immatérielle. L’air n’était qu’une immense bête fauve, dont les coussinets en lambeaux étaient percés de pointes effilés, longues, à la dureté minérale. Attaque de brises sauvages contre son corps offert. Nu, debout sur une pierre perdue dans un océan de corps pourrissants. Morne étendue d’une platitude irréelle. Le paysage lui-même l’était… Au dessus de lui, à une distance incalculable, une unique ampoule dispensait de la lumière à ses yeux. Étincelle dans l’obscurité, éclat jaunâtre sans saveur, sans beauté. Elle était minuscule, et pourtant, sa lueur maladive portait jusqu’à des kilomètres. Et ce n’était qu’une vaste mer macabre, coagulum horrifique de cadavres en décomposition. Déliquescence de l’air lui-même, dont la chaleur étouffante, oppressante, sèche, enveloppait son corps d’une gangue venteuse aux effluves sinistres.
Et une pierre, des abysses en dessous de l’ampoule solaire de cet univers sépulcrale, unique dispensateur de stabilité pour le seul être à vivre en ce monde mort. Il ne pouvait pas partir, à peine bouger. Pas même s’asseoir. Ses pieds couvraient presque tout l’espace terrestre disponible. Et il n’avait pas de vêtements, pour se protéger du souffle brûlant exhalé par l’océan pourrissant. Son corps était crispé, tendu, supplicié par l’air lui-même.
D’une pâleur extrême, il paraissait n’être qu’une gangue de plâtre lisse. Ses os n’étaient plus que fenton. Ses yeux, des billes luisantes. Ses cheveux… Il n’en avait pas. N’en avait jamais eu. Laideur de sa personne. Avait-il une âme ? Si tel était le cas, elle se terrait au plus profond de ses entrailles blanches. Mais peut être qu’à l’intérieur de son corps, n’y avait-il plus qu’une poussière blafarde… Que tout avait finit par se dessécher, par se décolorer, devenir cendres froides. L’air brûlant s’était glissé en lui, par ses narines, ses oreilles, et avait dévoré chaque parcelle de couleur, chaque semblant de vitalité, tout jusqu’à le laisser sans rien d’autre que le propre souvenir grisâtre de son existence, à transporter, éternellement. Coquille de plâtre ou urne funéraire ? Ce n’était qu’une spéculation, une supposition de… De quoi ? Du vide, du néant. Pas même un fantôme, une âme errante pour hanter ces lieux. Juste ce corps, cet être dont Rien doutait.
Au fond, était-il vraiment vivant ? Y’avait-il jamais eus une chose qui l’ai été ?
Ou juste l’imperturbable océan de chair morte… Le dépotoir… La morgue… Le cimetière sans sépulture…
Faucheuse, où es-tu ?
06-06-2013 à 18:10:36
-Décembre 2011-
Glace-

L'embrun glaciale que crachaient les vagues attaquait son visage.
Elle hurlait, perchée sur son rocher, ses poumons en feu, les yeux luisants de larmes factices qui avaient roulées depuis son front ; l'air salé dévorait sa peau et ses prunelles. Le vent qui la fouettait jetait de l'acide sur son corps nu. Sa gorge n'était plus qu'un couloir étriqué en proie aux flammes immortelles de l'iode. Il chevauchait les bourrasques, habitant de l'air du large, peuple du feu issu de l'eau glacial. Et elle était sa proie. Le vent la rongeait.
Son beau visage commençait juste à fondre. C'était un énorme gâchis : elle était la plus réussite de toute, l’apogée d'un art. C'était la première glace parfaite à laquelle on avait insufflée la vie ; la première œuvre d'art vivante créer par l'homme. Ou du moins... La première qui réagissait comme un être doué de raison. Alors pourquoi l'avait on abandonnée ici ? Au loin, la plage était couverte d'humains à l'affût. Ils l'observaient qui mourrait. Voyeurs... Ils ne faisaient rien de plus que la regarder. Elle hurlait pour qu'ils viennent l'aider.
Elle ne pouvait pas nager jusqu'à la plage. L'eau salée aurait fait fondre son corps avant qu'elle n'ait pu la rejoindre, ou même esquisser plus de trois brasses. Ce rocher était son seul espoir de survivre... Et sa prison. Les vents marins l'agressaient. Ses joues se creusaient, redevenaient pur liquide alors que ses yeux humains la brûlait. On lui avait accorder la vue de ses créateurs. On lui avait donné la parole.
Mais tout cela ne lui servait à rien. Elle allait mourir.
Le vent lui souffla sur la poitrine, avide, et s'en saisit comme les mains d'un soudard. Fonte. Ses seins glissèrent le long de son torse humide et allèrent se briser sur le sol dans un tintement de verre mélodieux. Un bruit qui n'avait pas sa place ici.
Anpagué se sentit violée. Elle se replia sur le rocher, cachant son corps béant sous une vaine étreinte. Ses bras coulaient le long de ses genoux rongés. Elle n'avait presque plus de pieds. Ses orteils formaient déjà une flaque d'eau claire, et l'écume projetée hors de la mer par la cavalcade des vagues retombait sur tout son corps. Ses épaules étaient creusées par le sel, et son dos ruisselait de sa propre chair glacée. Quant à ses doigts trop fragiles, elle les sentaient près à craquer au moindre geste. Ses dernières minutes en ce monde n'étaient plus qu'une agonie indolore et horrifiante. Les humains, sur la plage, l'observaient avec ce qui semblait être une grande excitation.
Elle aurait voulu pleurer, mais on ne l'avait pas doté ni de larmes, ni de sang. Elle aurait voulu fermer les yeux, mais on ne lui avait pas fait don de paupières. Elle pouvait juste attendre que ne cesse son existence.
Son nez la prévint qu'il allait la quitter d'une petite glissade jusque sur ses lèvres froides. Elle souffla pour qu'il tombe plus vite, et il dégringola la pente de son visage, oscilla un instant sur la pointe de son menton, puis alla s'écraser entre ce qui restait de ses pieds. A quoi bon le retenir ? C'était fini de toute manière. Elle ne pouvait plus rien faire. Juste cesser de crier et se replier, pour leur ôter le plaisir d'observer son agonie. Il ne verrait rien, juste un morceau de glace qui fondait ; mais aucun corps beau et fragile qui se faisait liquide sous le vent. Car c'était ce qu'elle était à leurs yeux : un beau corps de glace qui allait disparaître. La poésie cruelle de sa mort était un enchantement du regard. Alors, forcément... Cela faisait un bon spectacle.
Ses lèvres finirent de disparaître, ne laissant sur ce qui avait été son visage, qu'une fente mince et vide. Elle n'avait plus de dents depuis longtemps. Elles avaient coulées dans sa gorge et fondues dans sa poitrine.
C'était là qu'allaient glisser ses yeux.
Autour d'eux, ne restait rien de la glace rongée par le sel. Ils tombèrent dans son corps creux, et s'écrasèrent tout au fond de ce qui avait été son bassin. Ils voyaient encore. Le ciel... Il était clair et bleu. Les monceaux de son corps scintillaient dans la lumière du jour, comme des icebergs dentelés. Elle n'avait jamais vu quelque chose d'aussi beau. Son corps était une merveille.
Alors, une vague plus haute que les autres surgit de l'océan. Elle s'arracha à sa masse corrosive, muraille liquide emplit de sel. Les yeux d'Anpagué fixèrent cette mort grandiose. L'écume acide avait une certaine beauté, et tout cette eau d'un bleu profond lui inspirait tout à la fois la crainte et le respect.
La mort n'était pas si laide.
Elle s’abattit sur le rocher et l’engloutit... Son corps dansa un instant dans le chaos de l'océan, tourbillonnant au milieu de cette eau mortelle. Puis il se dissout.
Et ses yeux, telle deux perles de nacre rehaussées de saphirs, se posèrent sur le sable et cessèrent de voir.
06-06-2013 à 18:13:24
-Février 2012-
Rien n'est plus que glace-

L'éclat brisé de la vie. Radiance ternie qui se répand sur la Terre, rampe sur le sol. Une lumière grise parcourt les allées obscures, noyées par l'ombre de grandes tours. Béton qui enténèbre cette ville d'étincelles mourantes. Une foule s'amasse et tournoie vainement sur les trottoirs goudronneux. Des braises qui parsèment ce grand foyer souffreteux. Autant de cendres rougeoyantes, valsant, se confondant en une foule de lueurs falotes. Dans des antres blafardes, quelques-une crachotent d'autres étincelles, d'autres parcelles d'un feu qui s'éteint. L'incendie se meurt, tout est consumé. Il ne reste que ces flammèches qui vacillent, alors même que le vent essoufflé ne les attise plus. Elles s'accrochent à ce qui n'a pas été brûlé. Pas encore. Des brandons illuminent la nuit, perdus au milieu de braises spectrales. Mais elles savent que ce n'est pas réel, que leur espérance est une doucereuse illusion. Un mensonge sucré qui séquestre leur raison. L'étouffe. La foule est une flamme démente qui s'éteint dans les rues, une nuée délétère vouée à se perdre au milieu d'un vaste vide. Elle veut remplir un espace destiné à rester vide. Sa masse grouillante roule comme une vague de braise vers l'océan. Un abysse de noirceur glaciale, une plaie guerrière d''encre profonde et dévorante de l'univers. Guerrière de son siège sur cette sphère de plomb, qui s'enfonce en le spatial abîme de ses tréfonds gelés. Entrailles de ce gouffre qui redéfinit la mort, qui donne un sens nouveau à l'hiver. L'hiver du vide, l'hiver perpétuelle qui se masse aux lisière de la chaleur évanescente d'une fragile planète. Lézardée de gouffres, de gerçures poussiéreuses. Cette lumière fracturée pleut dans les rides de la Terre éreintée. Un orage de cendres et d'étincelles se dépose en tapis crépitants dans les sillons du monde. Les villes s'écroulent en soulevant la poussière des choses brûlées et mortes. Des choses anciennes ravagées par l'incendie fait braises. Car tout n'est plus qu'agonie, les spectres se réveillent pour railler la vie décadente.
Bientôt les flammes cessent de mettre bas. Les étincelles ne naissent plus en leur sein. Trop terne, la lumière grise s'éteint dans la cendre froide. Alors ne restent que des décombres et le fantôme d'un incendie, qui sans même une lueur pour témoigner de sa faim passée, ne peut compter que sur la poussière des choses. Sa seule mémoire.
Alors que la sphère tombe, que la Terre se creuse. Le vide si profond engloutit cette orbe desséchée. Il gèle la poussière et se moque des cendres inertes. Les pierres éclatent dans la banquise ultime, les montagnes s'écroulent et dispersent leurs éclats à travers le monde mort. Son océan est une pluie glaciale. Les continents rendus givre par l'ombre s’émiettent et se dispersent en flocons gris à travers l'univers. Une grêle terne s'immobilise dans le ventre de l'espace. Dispersée... Immobile... La Terre n'est plus.
La vie n'est plus.
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