NAFANAËL STIGULF
« Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres. L'homme aima les oiseaux et inventa les cages.»
Surnom Triste-Rire.
Nature Chimère.
Profession Bouffon.
Allégeance Comte Harkonen. ( Pour le moment. )
DESCRIPTIONS
Personnalité
La lune, dame adipeuse et blafarde enroulée dans ses soies sombres. La Lune, hautaine et toute en bourrelets argentés ; criblée de sons gris par la vérole, catin opulente des cieux, glorieuse noblesse astrale s'abandonnant à toute les luxures... La Lune, cette garce obèse, luisante et mélliflue qui l'écrase chaque nuit. Nafanaël lui voue une haine féroce.
Il est venu au monde sous son sourire moqueur, seul, nu et glacé tandis qu'elle se riait de lui, environnée des lumières de son aristocratique armada d'étoiles, dégoulinante de mépris, jaunâtre, cireuse, laide mais entourée. Il s'est traîné dans le sable froid, plus faible qu'un nouveau né, étouffé par les ténèbres, alors que la Dame Sélène s'épanouissait dans les cieux en compagnie de sa cour diaprée. Elle l'a regardée souffrir, seule témoin de sa naissance, sans l'aider, ses jupes argentées retroussées pour laisser l'ombre des dunes gigantesques le noyer dans des ténèbres glacées. Il a rampé sous elle, vaste sourire crayeux dont les brocards silencieux frappaient ses oreilles encore bourdonnantes de la chanson du Chaos, et crut mourir cent fois quand son corps dévalait des pentes grises qui le ramenaient aux brumes de sa mère spectrale... Mais ses volutes le fuyaient, et son souffle le rejetait toujours contre le sable cendreux. Il lui aura fallut attendre qu'une bourrasque l'emporte avec les dunes, éphémères, vouées à disparaître chaque nuit pour se recomposer autre part aux abords du Chaos. Aussi léger qu'une plume, ballotté dans un vent furieux, presque magique, venu de quelque recoins de ces contrées désertes, il tourbillonna dans le ciel jusqu'au prochain foyer des dunes vagabondes... Aux frontières du Chaos, ces choses là peuvent arriver. Et la chimère, plus légère qu'un enfant, pas plus lourde qu'un sac de plumes, aura suivi le sable gris dans ses errances, pour, la nuit suivante, réussir à quitter les Dunes, de nouveau démunie sous la Lune, rampant contre le sol sec et fissuré en maudissant la Dame Sélène... Ses déambulations au travers du monde l'auront ensuite façonnées, ce Nafanaël qui existe aujourd'hui.
C'est un être d'une douceur proverbiale, gentil et prévenant... Presque un ange, pourrait-on dire, si les coassements de sa voix ne portaient pas tant de fiel parfois. Ses paroles peuvent être un poison tout autant qu'un baume. Leur teneur en amertume et en acidité ne tient qu'à son humeur ; qu'elle soit bonne, et malgré ses intonations rauques, elles auront la douceur du miel. Qu'elle soit mauvaise, et alors Nafanaël vous entraînera dans ses propres tourments. Il sait parler. Il sait employer les bons mots. Il n'a que faire de vos propres sentiments, seuls les siens propres lui importent. Il vous donnera le meilleur comme le pire, sans regrets aucun... A moins que vous ne soyez noble, et que vous l'entreteniez. Alors, il saura se montrer flatteur et mielleux. C'est là son côté félin, sa part de ruse, d'avidité. Nafanaël n'a pas de scrupules à bafouer ses opinions, à se souiller, pour parvenir à ses fins quand il a affaire à une personnalité influente ; il sait devenir un flagorneur quand il le faut. Ce n'est pas là méchanceté de sa part, ni même une faiblesse : simplement une preuve que la Chimère a conscience de ce qui est bon pour elle. Et que pour l'obtenir, elle ne recule pas devant les laideurs inhérentes aux histoires de la Haute Société, devant les bassesses, les manquements morales, les complots, les fourberies. Un noble a tout intérêt à se méfier de lui.
Si Nafanaël sait servir, il sait aussi trahir. Bon bouffon, voué corps et âme à son art, artiste véritable qui donne aux soirées qu'il anime quelque chose d'inoubliable et de grandiose ; il contentera par ses services, mais ne fera jamais d'amis fidèle pour quelqu'un de puissant. Une oreille attentive, à n'en pas douter... Mais sûrement pas de celle dans laquelle on peut susurrer des secrets sans qu'ils ne soient vendus.
Nafanaël, c'est aussi une pauvre chose. Triste créature, qui a erré de longues années sur les routes, craintive et fragile, rôdant aux abords des brumes du Chaos sans pouvoir s'y perdre de nouveau, s'égarant au hasard dans des contrées sans nom à son égard, âme en peine effrayant les voyageurs, nue et haute, allant sans but. La Chimère a souffert de sa solitude. Elle a souffert des souvenirs qui vaguaient dans sa mémoire, l'assaillant d'images fugitives. Dans le passé, semble t'il, l'espace d'un instant au moins, une famille l'a entourée. Lors d'un autre, elle fut un être différent ; puis cent êtres, informes, tremblotants, s'évanouissant dans les volutes blanchâtres du Chaos avant même d'avoir entrepris d'exister vraiment, mais ayant pourtant fait perdurer leurs futiles souvenirs en elle. La survivance de ces existences brèves et vaines le tourmente. Trop souvent, il se souvient de ce qu'il a été, de ce que furent chacune des parcelles d'êtres qui le composent. Des rêves perdus, hantant les brumes du Chaos en gémissant lugubrement, des apparitions fulgurante nées du néant, des esprits piégés, ersatz d'Originaires décédés puis avalés par les brouillards blêmes. Nafanaël rêve d'une nuit qui ne lui soit pas ravit par ces souvenirs... Bien optimiste, alors. Ses songes ne lui appartiennent pas : ce sont ceux d'autres êtres, ayant existé avant lui. Il en est frustré. Blessé. Peut-il vraiment exister, lui aussi, en tant qu'être individuel ? Il ne veut pas être qu'un patchwork, une chose recomposée. Sa chair doit lui appartenir. Elle est sienne. Pour la conquérir, il l'a soumit aux plaisirs et à la douleur, aux voluptés comme aux morsures ; cela n'a pas suffit. Rien ne suffira jamais.
Nafanaël, ce n'est pas ce que cela. Il est aussi l'éternel amant des lieux abandonnés. La poussière est son amie intime, le silence un vieux compagnon. Il aime les retrouver, dans quelque endroit que ce soit, entre le murs d'une demeure fastueuse ou environné d'étourdissants horizons. Souvent, ceux qui le suivront tant bien que mal, le trouveront perché quelque part, comme un oiseau accroché à sa branche, en équilibre précaire. La plupart du temps proche du vide. Tout près de la mort. Il fixera quelque chose, éperdu, le visage ravagé par la mélancolie ou la tristesse. Alors, ses paroles sont douces et poignantes, ou cruelles, sèches, pleine de morgue, d'ironie, de cynisme. Les larmes semblent parfois lui être un suave nectar. D'autres, ce sont les rires qui le comblent et l'illuminent. Ce qui lui tient lieu d'âme n'a pas de désir certain. Tout change, tout est en mouvement... Rien n'est figé, jamais. Un jour votre compagnie lui sera le plus beau des cadeaux, alors que le prochain vous serez un fardeau sur ses frêles épaules. Il vous cherchera, tâtonnera vers vous, puis fuira l'ami que vous serez devenu. C'est un être instable et sans espoir. Si son corps a sut trouver une forme, lui n'a jamais cessé d'être une part de brume mouvante, que des vents contraires modèlent selon leurs fantaisies.
Peut être peut on dire de lui qu'il est lunatique. A moins que schizophrène ne convienne mieux ? Il n'est pas seul, là dedans, au fond de lui. Son esprit n'est pas qu'une seule et même entité, c'est un amalgame d'existences plus ou moins brèves renées dans la solitude et le froid. Nafanaël est instable. Fourbe, charmeur, fascinant et instable. Agréable, raffiné, doux, cruel et instable. C'est un danger permanent pour ceux qui le côtoient. On ne peut pas faire confiance à Nafanaël.
On ne peut que l'admirer, comme l'être exceptionnel et captivant qu'il est, sans jamais, ô grand jamais, l'approcher pour lui accorder la plus petite once d'amitié... Sans quoi, après quelques moments plaisants et riches de tout, l'on s'en repentira.
Cruellement.
Physique
Douce, sa peau. Pâle et satinée, sucre glace et soie blanche tout à la fois, immaculée, délicate, si veloutée qu'un contact semble suffire à la souiller. La toucher serait un crime : un être aussi délicat ne devrait pas marcher parmi les mortels. Il n'a pas sa place en ce monde pragmatique, enfant du Chaos trop fragile pour en supporter les rigueurs, pauvre et magnifique créature qu'un souffle emporterait... Littéralement. La chimère ne pèse pas plus qu'un sac de plumes, pas plus qu'une colombe, c'est un rideau de poussière, ou peut être une neige, dont le moindre vent peut se saisir pour en faire ce que bon lui semble. Ses mains sont longues et gracieuses, aussi légères et prestes que des oiseaux, et on pourrait s'attendre, d'un être si blanc, à une froideur certaine de la peau ; son toucher est chaud pourtant, d'une douceur agréable et d'une légèreté qui fait de chaque contact une caresse. Ses ongles sont d'opales, ses formes sont moindres mais gracieuses. Chaque courbe est une oeuvre d'art, qui en forme une plus grande. Sa langue est blanche, comme nacrée, ses dents semblent des perles dans un écrin de soie rose... Tout est beau et fragile chez lui, jusqu'à sa chevelure de lin, longue et soyeuse , si fine, qu'on la penserait presque encline à déserter son crâne au moindre souffle de vent.
Beau oui, cela va sans dire, mais aussi dérangeant. Nafanaël est si blanc qu'on le croirait poudré à outrance, ou tout juste sortit d'une tombe, la seule couleur venant égayer son visage, et son corps en générale, étant le violet de ses prunelles et de ses lèvres. C'est si peu, qu'il semble incongru de l'avoir doté de ces moindres teintes, plutôt que de lui laisser une pâleur intégrale, fantomatique. Ce contraste violent et inepte le rend d'une certaine manière plus étrange encore, bien qu'il soit doux somme toute.
Du reste, rien n'est certain. Parfois, la chimère se couvre de plumes éphémères qui tombent comme des larmes de ses joues. D'autres, c'est d'un poil de chaton qui s'évanouit au moindre frôlement... Et, à l'occasion de ses tours, de tout.
Quand vient le temps des bouffonneries, son corps se fait une chose incertaine et mouvante. Une queue peut surgir pour rattraper des balles folâtres, des ailes claquer soudain dans l'air pour mieux disparaître l'instant d'après ; un bec se saisit de quelque objet voltigeur, des pattes d'oiseaux se juchent au milieu des plats, et un visage halluciné vous guettant de ses pupilles fendus, se met à vous coasser à la figure pour votre peine et le plaisir des autres. Il n'y a qu'à ces occasions là, que Nafanaël démontre sa nature véritable de chimère. Le reste du temps, ce n'est qu'un homme mortellement pâle et grêle, presque étique, qui semble danser plutôt que marcher... Néanmoins, touchez sa peau, et c'est un fin duvet soyeux qui glissera sous vos doigts.
Car au fond, Nafanaël est incertain en toute choses, et chaque rencontre faîte avec lui, sera placée sous le sceau de la singularité : de nouvelles surprises desquelles s'intriguer, la chimère en a moult...
COMPORTEMENT
Ambitions Vivre confortablement, être libre de se rendre où bon lui semble. Peut être trouver une famille un jour, mais Nafanaël n'arrive pas à se poser, et seul un être semblable à lui l'attirerait... Autant dire que depuis les quelques trente cinq ans qu'il erre dans le royaume, il n'a trouvé personne, et à raison.
Il se plaît également à relever des défis, et son ambition à se rapprocher des puissants le pousse à virevolter d'une Maison à une autre. Il aimerait connaître chacune d'elle, et être le bouffon de tout les comtes. Son plus grand plaisir serait d'avoir officié chez chacun d'eux ; mais sans jamais s'être donné tout entier à aucun.
FACE A UN DANGER Tout dépend du danger en question. Si ce n'est pas la violence pure et dure qu'on lui oppose, Nafanaël trouvera ses aises à résister, à manipuler les gens autour de lui et à se battre avec son esprit. Face à un danger de cet ordre, il fait appel à ses finesses innées et déploie tout ses charmes pour vaincre son adversaire.
Mais face aux poings et aux lames, il ne peut rien. Alors,la chimère s'enfuit, et avec un art certain ; c'est là sa capacité première. Personne ne peut rattraper Nafanaël quand il fuit. Comme un chat, une colombe, un corbeau... Prenez garde, tout de même : le félin en lui a la rancune tenace. Si c'est en son pouvoir, ou si il y tient vraiment, Nafanaël se vengera de vous.
Et alors, vous comprendrez à quel point il peut être dangereux, sans pourtant porter aucune arme...
FACE A UNE PROVOCATION C'est un bouffon. Face à une provocation, c'est donc en bouffon qu'il réagit, avec légèreté et humour, en s’arrangeant pour tourner au ridicule la personne qui aura osée l'indisposer. C'est là sa part humaine, capable de ruses subtiles pour ne jamais perdre la face.
Il répond donc presque toujours à une provocation, mais pour se faire mordre les doigts à ceux qui auront à supporter ses bouffonneries vengeresses.
FACE A UNE NOUVELLE RENCONTRE Tout dépend de son humeur. Qu'elle soit bonne, et la chimère se complaira en risettes et amabilités ; mauvaise, et alors il fuira tout contact, et sûrement ne l’apercevra t'on même pas.
FACE A DES SENTIMENTS NOUVEAUX Aucune réaction. Nafanaël analysera silencieusement la situation pour savoir comment mettre à profit les troubles qui l'habitent.
FACE A UNE PERTE / LA TRISTESSE On le trouvera aussi bien dévasté à l'outrance, écroulé et fané de tout son être, que dans une fureur sourde et implacable. Mais il n'y a pas de juste milieu pour la chimère, face à ce genre de situation.
COMPÉTENCES
Capacités & Talents La légèreté d'une plume, l'agilité d'un chat, et la promptitude à fuir d'un oiseau. Voilà les trois talents dont fait montre Nafanaël.
Une bourrasque pourrait le porter : il pèse moins qu'un sac de farine. Cette extrême légèreté lui est autant un fardeau qu'un don utilitaire. Si cette dernière l'aide à réaliser ses tours, et fait de lui un artiste hors pair, un vent violent et c'en est finis de la chimère. Même un enfant pourrait aisément le porter ou le mettre à terre... Une bousculade, et le voilà tournoyant jusqu'à chuter.
Du moins, pour peu qu'on puisse le toucher. Pour cause, il n'y eut jamais plus rapide fuyard que Nafanaël ; sa capacité à s'éclipser pour échapper à ses agresseurs est légendaire. Il ne peut compter que sur elle, étant trop faible pour combattre physiquement. Seule moyen de survivre à une confrontation rapproché eet palpable pour lui : utiliser son agilité et sa rapidité pour s'enfuir loin, hors de porté, à la distance la plus conséquente possible de ceux qui lui font face. N'importe qui pourrait le tuer sans trop d'effort, même le premier bambin grassouillet venu, pour peu qu'il lui mette la main dessus.
On comprendra donc que la chimère ait apprise à s'esquiver prestement... D'autant plus quand sa langue trop acérée peut lui attirer tant d'ennuis.
Equipement
Toute sorte de balles de jonglage, de cordes, de quilles, des sachets de poudres pour enflammer des torches à balancer dans l'air, des tissus chamarrés, des pièces... Un bric-à-brac qui l'aide à officier dans les maisons nobles qu'il sert, dont il ne s’embarrasse pourtant pas le moins du monde : tout ces outils de pitrerie sont enterrés quelque part, en un lieu que lui seul connait. Il déplace régulièrement sa cachette, pour éviter la découverte de ses précieux accessoires, mais ne s'embarrasse jamais de tout cet équipement pour voyager ; il n'aurait, de toute manière, pas assez de forces pour le porter lui même.
Du reste, la chimère se plaît dans la sobriété : elle va nues-pieds, et se vêtit simplement, souvent de blanc. Quand l'envie la prend d'officier à une cour, elle s'amourache pourtant des soieries, des habits chamarrés et des dentelles, pour peu que le tout soit léger et aérien. Nafanaël aime être vu et savoir qu'on le regarde. On le trouvera aussi bien confortablement engoncé dans de vieilles frusques, qu'enveloppé de riches atours colorés. En les lieux qui ont sa faveur, il devient vite le gandin de service, parfois même tristement gommeux... Tant que cela l'amuse.
Histoire
Tout commença avec la Lune. La Lune, les ténèbres, et des étoiles.
Il s'extirpa des brumes blafardes du Chaos sous sa lumière falote, flasque et valétudinaire, larve misérable sur laquelle le hasard avait posé un fin duvet de plumes blanches. Depuis ce jour maudit qui le vit naître, il voue à la Lune une haine tenace. Hautaine et méprisante, elle le nargue chaque nuit ; lui, feule vers sa face gibbeuse en faisant claquer ses aies pour espérer l'atteindre.
Après qu'il se fut abandonné au monde trop vaste qui s'étend au delà du Chaos, Nafanaël a connut l'angoisse et la solitude. Durant deux interminables journées, il a rampé sur la poussières de dunes grises, cherchant à atteindre leur sommet sans jamais réussir à les gravir. Il n'a jamais réussis ; le vent aura finis par l'emporter en même temps que les cendres, car ces dunes là n'étaient pas de celles qu'on peut visiter avec la certitude absolue de les revoir : elles vagabondaient aux abords du Chaos, se reformant au gré des humeurs éoliennes. Il tournoya donc en leur poudreuse compagnie, accompagnant dans son voyage l'étrange poussière voyageuse. Ainsi fut la première journée de la chimère : céleste. Littéralement. Il la passa à dériver dans le ciel, ballotté par les bourrasques, retenu seulement parmi les cendres vibrantes par la singulière magie qui faisait se mouvoir les dunes. Il devint l'oiseau, en perdition dans son nuage invisible et bohème, la créature sans aile que portaient des vents froids. Ses dérivations ne lui plurent pas. Il en garde un souvenir atroce. Impuissant et gelé jusqu'à la moelle, affamé, entouré d'une lumière trop crue et d'immenses nébuleuses d'humidité blanchâtre qu'un miracle avait condensé pour son plus grand malheur. Il fut noyé par les nuages.
Désormais, à qui veut bien l'entendre, il prétendra avoir vu au delà du Chaos. Il dira : "J'ai entrevu des contrées merveilleuses qui s'étendent après la fin de nos terres... Ce qui nous appelons notre monde n'est qu'une parcelle d'un univers plus vaste, oh oui, bien plus vaste, et le Chaos se charge de mettre un frein à nos conquêtes ; mais au delà des brumes, il est des berges fantastiques sur lesquelles s'épanouissent des civilisations où la grâce et la beauté n'ont de cesse de s'accoupler ensemble ; j'ai vu des cités d'argent et de verre, j'ai vu des êtres beaux comme l'aube et fluides comme l'ondée qui dansaient dans des rues jonchés de fleurs séchées, et près de leurs villes grandioses, s'étendaient des champs dorés où éclataient les corolles d'un millier de plantes grasses et luisantes, allant jusqu'à sembler suinter d'un nectar aussi épais que le miel. Sur une tour, perché, un homme m'a regardé, buvant dans un verre étincelant la sève d'un arbre qui poussait au sein de la verdure opulente d'un jardin suspendu... Elle brillait comme une larme lunaire, oh oui !, et nous savons tous que je rêve de voir la Lune pleurer, beaux seigneurs. Mais voilà, sires sémillants : tout cela est au delà du monde, bien lointain aux marges de nos contrées... Vous ne pouvez que m'en croire, et vous nourrir des mots que j'ai cueillis pour parler de ces berges lointaines, car il est des merveilles qui nous sont interdites." Et tout n'est que mensonges, mais quelle importance ? La Chimère saura transformer ses contes les plus fantasques en vérités douloureuses, pour que l'enfer de ses premiers jours se fasse un voyage fantastique dans la mémoire collective.
Il lui plaît de mentir, car rien ne fut beau pour elle avant longtemps. Après avoir suivis les dunes, elle fut posée au abords du Chaos. Rien n'avait changé. Elle rampa vers les brumes, et tenta de s'y perdre, grelottante, traumatisée par ce premier jour hors du giron voluptueux de sa mère évanescente. Mais il n'y avait plus de place pour elle dans ces brumes joueuses. Des souffles chauds la rejetèrent dans l'air froid, des bras apparus dans le seul but de la pousser au dehors, prirent forme pour s'évanouir ensuite. On la mit debout, et on lu ordonna de marcher. Le Chaos lui parla, au travers d'une soeur éphémère, une Chimère que l'on ne verrait jamais fouler le sol des royaumes d'Inverness... Il lui expliqua qu'elle ne pourrait revenir avant que sa mission ne fut accomplis, mais refusa de lui décrire celle-ci. Avec des mots simples et dures, jaillit en brumes légères d'entre les lèvres frémissante de la Chimère qui portait la voix du vaste Chaos, on lui expliqua qu'elle ne devait en aucun cas s'éloigner pour le moment. Il lui fallait marcher jusqu'aux côtes des contrées stériles qui bordaient ses brumes originelles, pour se perdre dans une ville malfamée dans laquelle... Et bien,on ne lui en dit pas plus. Il ne savait qu'une chose : marcher en exilé tout près du royaume de brouillard qu'il aspirait à rejoindre, errer dans les rues puantes d'une cité pleine d'êtres étranges qu'on lui faisait nommer "humains", puis attendre que ne vienne une chose obscure... Voilà comment devait commencer son histoire en dehors du Chaos. L'histoire d'un être né de cinq esprits... D'un être où se mêlaient la colombe, le corbeau le chat, l'Homme, et... Et... Une créature secrète, qui, scellée au fond de lui, ne sortirait pas avant que ce ne fut nécessaire.
Il vagua aux frontières du Chaos, habité de sentiments étranges et contradictoires. Bien que la terre fut sèche sous ses pieds duveteux, il y avait quelque chose d'incroyable à la sentir si ferme ; bien que l'air fut emplis de poussière, que son goût fut âcre sur sa langue, un inexplicable délice habitait ces saveurs nouvelles ; bien que le monde fut vide et aride, le voir si stable rendait sa vision délectable, magnifique, grandiose... Ce monde nouveau était excitant, au fond, et déjà la jeune chimère se sentait l'envie de l'explorer avec hardiesse. Mais elle savait que partir au hasard dans cet étrange désert ne la mènerait qu'à la mort... Mieux valait suivre les directives du Chaos. Il avait conçu des plans pour lu, et il se devait de les suivre, en bon rejeton qu'il était... Un temps du moins, jusqu'à ce qu'il puisse faire autrement. Déjà, Nafanaël développait la volonté farouche d'être libre de ses actes.
S'il avait su, eut être n'aurait-il pas été se perdre dans les rues de Terrilvile.
On l'y conduisit avec une rigueur implacable, lui fournissant une nourriture surgit des brumes, à sa spéciale attention. Il se nourrit d'autres chimères, nées pour finir entre ses mains, ses griffes, ses serres... Puis arriva face à la mer, écrasé par une chaleur étouffante. Mère Chaos fit surgir de sa matrice blafarde une chimère pour le porter à travers les flots, un être dément qui empruntait à la baleine, à la pieuvre et à l'oiseau. La mer n'en fut pas troublée longtemps, car la créature disparut rapidement, retournant se blottir entre les bras brumeux du Chaos, une fois Nafanaël déposé sur les quais, la nuit tombée. Si loin du brouillard desquels elle avait émergé, la chimère sentit l'étreindre une viscérale angoisse. Elle resta un instant immobile, nue, vêtue des seuls embruns salés d'une mer tiède. Silence relatif. Plus de voix pour la guider. Que faire de cette liberté ? S'enivrer avec elle ? On lui avait demandé se se perdre dans les rues de ce grand port... Mais désormais, elle n'était plus sous l'influence d'une entité aux projets inavoués. Alors, plutôt que d'obéir... Mieux valait fuir. Avec trop de promptitude, elle se transforma, devenant un ange maladroit qui vola dans les rues.
On la vit. Depuis les bordels, les tavernes, les habitations, les commerces... On la vit fendre la nuit, se cogner aux fenêtres, heurter les murs. On la vit traverser les rues, tombant, reprenant son essors, perdant ses plumes sur la chaussée. Son vol anarchique éveilla la cité. Elle se précipita dans les bras obscures de l'inconscience, en fuyant une foule hurlante qui agressait ses sens. Un mur rencontra son visage. Pus ce fut tout.
En s'éveillant, la chimère se découvrit en cage. Elle ne comprit pas tout de suite. Elle passa ses bras entre les barreaux, laissa baller ses jambes. Pendant quelques minutes, elle joua avec son corps, s'agrippant dans toutes les positions, explorant cette espace infime. Puis, elle s'en lassa. Voulut sortir.
Elle ne pouvait pas. Son visage se hérissa de fourrure blanche, ses pupille s’effilèrent ; elle feula. Rien ne se passa.
Elle étudia l'espace, nyctalope et grognant sur un ton bas. Autour d'elle, il y'avait d'autres cages. Certaines vides, d'autres occupés. Des chimères faisaient leur vie à l'intérieur. Le plupart avaient face humaine, certaines semblaient même d'innocents enfants... Mais elle savait reconnaître ses soeurs. Les filles du Chaos. Silencieuses, apathiques. On les retenait.
Pourquoi ?
Première ébauche d'une pensée véritablement humaine. Le questionnement, la réflexion. Peser une situation, s’interroger sur le monde. L'animal avide de liberté, traître à son maître, découvrit chez lui un esprit aiguisé. Il y'avait là, parmi tout les instincts, quelque chose de plus profond, d'effrayant et de salutaire. C'était une mémoire pleine de compréhension, un merveilleux Eden qui regorgeait de connaissances. Car on ne l'avait pas livré au monde totalement démunis : les débris de plusieurs êtres flottaient dans cette parcelle de son esprit. Ils formaient quelque chose de vague, une identité grandiose et floue, encore informe, qu'il fallait s'approprier avec le temps puis modeler à sa guise... Pour le moment, ce n'était qu'une masse d'informations et de souvenirs qui devait l'aider à appréhender ce monde dans lequel on l'avait jeté. En l'exploitant, il pouvait former des pensées, accéder à la compréhension.
La bête savait : je suis emprisonnée et je veux sortir. L'esprit humain expliquait : on m'a mis en cage pour me vendre, je suis unique, je suis un enfant du Chaos, et en tant que tel, je représente une merveille qui pèse son poids en or. Peu importait de savoir d'où lu venait cette certitude, ces connaissances ; elles étaient là, et changeaient la donne. Il pouvait jouer avec le monde, car on lui avait donné le potentiel de le faire.
Émerveillée, la chimère venait d'accéder à sa part d'humanité. Elle découvrit le plaisir d'expliquer les choses, de donner au monde qui l'entourait une complexité hors de portée de l'esprit simple et pur des animaux. Soudain, ce fut le grand amour. Elle savait que plus jamais, elle ne pourrait se passer de cette analyse, de cette délicieuse part d'elle même qui s'avérait être un outil si pratique. Ô, fourbe créature pleine d'une ruse innée ! Voilà qu'était né l'ébauche d'une personnalité.
Calmement, la chimère s'immobilisa dans sa cage, et fit le tour de ses sens. Elle avait conscience que sa chair pouvait frémir d'une manière absolument formidable. Il suffisait de se concentrer sur une moindre et quelconque vibration de sa peau, pour que son corps ne change soudain. Consciencieuse, elle explora ces sensations étranges, et éprouva les changements fluides que subissait son anatomie. Des doigts, des serres, des pattes... Sa peau était nue, couverte de plumes, ou bien douce d'une fourrure immaculée. Sa vision changeait, pour peu que son regard ne se concentre vraiment sur les ombres. Elles étaient anonymes, puis, l'instant d'après, habitées d'un monde étranger aux couleurs. Et il y'avait, dans son dos, des ailes cachées. Ses os s'étiraient, pour former une queue. Sa taille elle même, pouvait varier soudain. D'adulte, il devenait enfant. Don étrange que le sien... Il était semblable à l'eau, qui pouvait prendre différente formes. A la chenille, capable de se transcender. Au feu, qui s'étirait et se résorbait. Ainsi donc, voilà quelle était sa chair... Une matière de laquelle se jouer.
Il n'y avait pas de limites, si ce n'était sa créativité. Et l'Homme en regorge. Forte de son esprit pratique, elle pouvait laisser libre court à sa curiosité, à son envie de jouer. Expérimenter, pour apprendre sur les possibilités de ce corps incroyable. Dans sa situation, cela ne pourrait que lui servir...
Dans sa cage, plutôt que de paniquer, la chimère se gaussa donc pour la première fois de la logique naturelle, changeant de formes pour mieux connaître son potentiel caché...
Vendue sur le marché. Achetée par un homme. Remise en cage ; mais heureuse, oh oui, heureuse.
Le chimère s'était découverte douée de parole, et détenteuse d'une ruse qui pouvait lui permettre de décider où elle marcherait, et aux côtés de qui. Quelle surprise, quand on l'avait laissé seule sur l'estrade, des hommes la cernant, des acquéreurs partout devant elle ! Heureusement, elle n'avait pas perdu son temps : en souriant, la chimère s'était mise à faire montre de ses talents, sautillant, coassant, déployant des trésors d'imagination pour prendre en valeur. Elle avait été jusqu'à parler à la foule, brocardant certains clients, en flattant d'autres... Cherchant le bon poison, le gros, celui qui brillait. Et il était là, le regard aiguisé, les lèvres étirées d'un sourire. Richement vêtu, semblant doué de quelque finesse agréable, c'était, elle le sentait intuitivement, un homme d'importance.
Il fallait que ce soit lui qui l'achète. Sans aucun doute.
Alors la chimère avait raillée l'assistance, ne s'affirmant digne que d'un seul homme, et le désignant d'un doigt immaculé avec un sourire plein de morgue. Aux regards de ses geôliers, elle avait compris que si son plan échouait, on la maltraiterait pour ce jeu audacieux. Mais bien heureusement, il n'en fut rien. L'homme jugea sa valeur assez conséquente pour investir en elle, et sans autre forme de procès qu'un sourire éclatant face à sa vivacité, l'acheta à un prix qui avait de quoi flatter.La chimère ne manqua pas de s'en targuer en moquant les mines défaites ou furibondes de son assistance, riant d'une voix de corbeau et sifflotant un petit air qui portait sur les nerfs tandis qu'on la remettait, une chaîne autour du cou, à son nouveau propriétaire... Du moins, à l'homme qui investissait pour son propriétaire.
En effet, on lui apprit sur le chemin qu'elle appartenait désormais à la maison Atréides, et qu'on ne serait que trop heureux de lui enseigner là-bas comment exploiter au moins ses capacités. La Chimère en fut ravis ; on allait lui donner les clés pour s'échapper, après l'avoir nourris et logée... Quelle belle entrée dans ce monde nouveau ! Bien entendu, il restait quelques points à éclaircir, notamment celui de l’identité et du caractère de son "propriétaire" -l'imbécile qui croyait pouvoir la contraindre à rester en place pour toujours en faisant quelques risettes pour le divertir- mais elle aurait le temps pour ça. Toute une vie que lui avait donnée le Chaos... Une existence qui s'annonçait trépidante.
La géographie, l'Histoire, les usages de la Cour. On lui avait apprit le nécessaire avant qu'il n'atteigne son nouveau foyer, tout en pierre celui-ci, à mille lieu des brumes du Chaos. Un espace clôt, délimité strictement, des murs durs, un sol stable... Voilà qui était bien différent de ceux à quoi on l'avait habituer. Nafanaël y prit goût rapidement.
Tant qu'à faire, on lui avait aussi donné un nom. Quelque chose comme Feulcôasse, s'il sa mémoire était bonne... Mais quelle importance après tout : il avait changé le jour même, déclarant qu'il s'appelait Nafanaël. D'où lui était venu l'idée ? Il n'en savait rien. Son esprit s'était simplement rebellé instinctivement, comme si on lui eut fait une grave offense. A croire qu'on l'avait vraiment désigné ainsi un jour ! Quelle absurdité... Quelle troublante absurdité.
Depuis quelques semaines, il officiait donc chez les Atréides, chaque jour convié par un homme dans une salle pleine de machines, de cerceaux, balançoires... De quoi jouer avec son corps, s'exercer pour prendre du muscle, ou se récréer entre deux contraintes menées à terme. Ici, il y'avait de quoi faire pour s'entraîner à la voltige. Nafanaël y passait de longues heures à tournoyer dans l'air, à sauter au dessus d'un vide immense en dessous duquel s'étendait un tapis, s'aidant de quelques métamorphoses pour pallier les distances trop conséquentes.