RP Random inachevé ( Eri' me maudit )

10-05-2015 à 22:54:12
Le vent, le vent, le goût du vent, les mains du vent sur moi, mon front. Je sens les doigts du vent sur ma peau, mes cheveux, il tire, il court sur moi, ma peau courre sur le vent, je brûle, il y a de la cendre qui brûle le soir dans l'âtre de Mama, je la touche, c'est douloureux, j'aime la cendre j'aime la couleur et l'odeur de la cendre et du bois qui brûle, les charbons sont jolis. Le vent me pousse à me lever, il veut que je le suive, il me dit de l'accompagner loin au large du monde. Il s'échoue sur ma peau, sur le rivage de mes paupières il s'échoue en longue main molle, il s'échoue sur mes joues, je suis une grève de sable chaud, une plage avachis dans le monde, ma peau a un grain tiède comme le sable, et je suis un pays inconnu, un beau pays loin loin loin. L'odeur de l'herbe et de la terre qui monte à mes narines, une odeur douce. Les fleurs dansent devant moi, elles essaient de parler, elles ne peuvent pas.

-Vous ne savez pas, les mots font mal.
C'est vrai qu'elles ne savent pas. Elles sentent bon, elles sont molles et douces, et parfumées. J'aime les voir qui se plient dans les paumes du vent, il les courbe et leur vole des baisés, des baisés qui emportent des pétales dorés, rouge, bleu, j'ai l'impression de monter dans un tourbillon qui va jusqu’aux tréfonds du ciel. Je suis couché. L'herbe est humide, l'humidité sent bon, une odeur de printemps et de terre mouillée, j'aime la terre mouillée. Le soir la terre est mouillée dehors et je sors pour sentir, Mama me dit que je ne dois pas sortir. Je rentre, mais heureusement le feu sent bon aussi. Une bonne odeur qui me rappelle les bras de Mama ; ses bras n'ont plus le temps de me serrer, ils ne savent pas que j'en ai envie. Je la regarde assis devant le feu. Puis je regarde les cendres, et les brandons qui grésillent. Les ombres s'évaporent, goutte à goutte. Ça ne fait aucun bruit, mais je sais qu'elles montent en vapeur et qu'elles remplissent le soir dehors. Quand Mama dort, je sors voir les étoiles. Elles sont tellement nombreuses et moi je suis si seul, je suis seul debout sous le grand ciel noir et agité. Les étoiles clignotent et font la révérence, la Lune s'échauffe et devient rousse. Je suis un caillou dans la grande marée noire de la nuit, le vaste océan nébuleux du soir profond et odorant, un caillou abandonné sur le bord du monde, oublié sur la grève stérile. Dans mon village, il n'y a pas de cailloux. C'est un village ennuyeux, boueux et frétillant de petites pousses vaillantes que les grands pieds des gens écrasent, enfouissent dans la terre molle, étouffent dans la bourbe féconde. Personne ne prend le temps de sentir la bonne terre. Mais en dehors du village il y a un grand champ de fleurs que personne n'a défriché encore. Il sent bon et le vent aime à s'y promener. Moi je m'y couche et j'y suis bien, je me sens à l'aise dans ce bal qui ne me prend pas en compte, les fleurs qui dansent et le vent cavalier, je deviens autre chose, une ouverture sur quelque chose, un espace qui respire et ressent et s'envole dans un rêve silencieux. J'aime l'odeur qui m'entoure. Je ne m'endors jamais, je regarde le ciel et la lumière qui joue sur la texture des nuages, le jour qui passe, l'azur coupant et dur, rêche, acéré, comme un poignard. Je n'ai vu de poignard qu'entre les mains des voyageurs et de certains bandits qui ont parfois pillé le village. Je n'ai jamais tenu de poignard. Les poignards n'ont pas d'odeur, mais le sang oui, j'ai déjà sentis le sang, une odeur riche et forte, putride et douceâtre. Le sang a mauvais goût, mais il a belle couleur, comme les tulipes qui s'ébattent dans le vent. Je n'aime pas y penser. Je préfère suivre le vent et faire courir ma peau avec lui, mon visage dérive avec le vent, il vibre avec les paumes qui me rasent les joues, j'ai l'impression que ma peau est un long voile, que l'ensemble de ma face est un navire et que le vent l'emporte haut dans le ciel. Et le vent sent si bon, c'est une odeur aérienne et légère qui imprègne ma chair, je suis parfumé de vent, groggy de vent. Le vent, le vent, mon vent qui souffle sur ma peau qui courre, ma peau enduit d'odeurs terrestres, elle se détache dans la brise, des languettes de peau qui s'arrachent à mon corps comme des pelures d'orange- je n'ai jamais mangé d'oranges, c'est chère une orange, Mama n'a pas assez d'argent. Papa n'est pas revenu. Je ne sais pas s'il reviendra. La guerre, loin, quelle odeur a la guerre ? J'aimerai ne pas savoir.
J'attends comme une autre tulipe, couché sur l'herbe. Je n'attends rien du tout, et c'est bon de ne rien attendre, c'est une sensation rassurante qui me fait un grand bien.
J'a-ttends. Le vent sent bon. Grande inspiration.
A quoi ressemble l'océan ? A la nuit ? Au ciel. Agité par les astres, retourné sur sa noire profondeur comme un champ semé d'étoiles douloureuses qui pulsent, hurlent dans l'oubli des ténèbres. L'océan, c'est plus vaste qu'une mer. Il y a des cailloux qui gisent sur les plages- papa m'a dit, des galets sur les côtes, des milliers de galets, de coquilles, des falaises effondrées percées de grottes. Il y a des vagues qui murmurent sur le bord des plages, comme des femmes assoupies rejetées par l'océan, dans des jupes en dentelles. Il m'a parlé de l'écume, il dit que l'écume ressemble à la dentelle. La dentelle, c'est trop cher pour Mama. Papa est partit, je suis tout seul devant le feu le soir.
J'attends. Heureusement, le vent courre sur ma peau, je me sens beaucoup moins seul. Non, non. Je ne suis pas seul avec le vent. Je lui murmure :
Merci.
Et je m'envole au milieu des odeurs, mes sensations dégringolent dans mes tripes puis remontent sur ma langue et elles rejoignent les nuages, la texture des nuages sculptés par le burin du ciel dur et froid.
Je suis couché.


J’aime me sentir protégée de ce monde agressif, ici-bas tout représente un danger et les pires ne sont pas forcément ceux qui sont mortels. Alors, je me plais à enfiler des vêtements amples, tous ceux que je trouve sans retirer les précédents sauf lorsqu’ils deviennent vraiment trop petits. L’amas de tissu forme un cocon qui me rend informe, le monde ne voit plus mes formes et moi-même je finis par les oublier. Peut-être même que je n’en ai même plus d’ailleurs, peut-être que tout ce tissu qui ne me quitte jamais a fini par fusionner avec ma peau. D’ailleurs, à quoi ressemblais-je déjà ? Suis-je une fille ou un garçon ? Je ne me souviens guère. Même lorsque surviennent des envies naturelles, je n’enlève jamais tout, uniquement les pantalons, je garde les robes pour m’asseoir sur les trous de fortune creusés pour l’occasion et la curiosité n’est pas assez forte pour que je me risque à me découvrir. De temps en temps je sens tout de même mon entrejambe saigner mais j’ignore pourquoi. On dirait que je me vide de l’intérieur, que mes entrailles fuient et s’échappent. Ça fait mal. Parfois lorsque ça arrive et que la douleur est trop intense je reste en boule sans bouger et j’attends que ça passe, d’autres jours je trouve une rivière et reste le plus longtemps possible pour voir le sang traverser mes vêtements et évoluer dans le courant. Alors que les deux liquides s’entremêlent et entament une danse



ondine des plus plaisantes, je ne peux m’empêcher de me demander si l’eau bleutée et le sang rouge s’aiment comme j’aime mes vêtements protecteurs. Ceux-ci, à force de ne pas me quitter me collent, s’imprègnent de mon odeur, me suivent partout. Si bien qu’ils en deviennent une partie intégrante de mon être. Désormais, même le soleil ne m’atteint plus depuis que l’excroissance tissulaire s’est développée au-dessus de ma tête. Avantage de la pauvreté : mes parents ne m’obligeaient jamais à me déshabiller et admiraient même mon sens de l’économie. En effet, avec ce comportement je ne coûtais pas cher en textile. Et puis, de toute façon, cela importe peu désormais car je ne peux plus rentrer chez moi. Personne ne m’a chassée, pourquoi vouloir se débarrasser d’une gamine discrète et docile ? Non, en réalité je me suis juste perdue un beau jour en suivant la rivière, puis en pourchassant un joli papillon jaune dans les champs jusqu’à que la nuit tombe et que je me rende compte de ma bêtise. Qu’importe, au moins mon frère mangerait mieux le soir. Loin d’être traumatisée, je me contentais alors de me nourrir de quelques cultures ainsi que de coquelicots. Une juste revanche sur la nature qui m’agressait continuellement. C’est bon les coquelicots, un goût plutôt neutre mais une texture si douce (je n’ai pas trouvé de coquelicots à goûter pour te décrire le vrai goût, je sais qu’il y en a qui poussent près du chemin de fer mais je ne me souviens pas de la saison). J’aime aussi les pommes, bien que pour les obtenir il faille grimper dans l’arbre au risque de tomber. Ces troncs touffus savent protéger leur trésor, des branches frêles et cassantes, certaines s’agrippent à mes habits afin de me déstabiliser. Mais même si elle peut s’avérer encombrante, cette masse de tissu que je chéris finit toujours par se rendre utile : ainsi une fois en haut elle me permet d’emporter et de stocker une dizaine de fruits. Encore une fois je vaincs cet infâme environnement qui m’obsède par son omniprésence. Depuis que je me suis égarée, j’erre de champs en champs, de villages en villages. J’aimerais bien m’établir définitivement dans un petit hameau mais il faut de l’argent pour cela, argent que je ne possède guère. Alors je voyage en suivant mon instinct, cependant je m’amuse toujours à longer les rivières lorsque j’en croise. L’eau est un des seuls éléments naturels que je tolère, avec la terre vierge, j’aime sentir l’eau couler autour de moi, m’entourer et laver toutes les salissures qui me souillent. Parfois, j’aimerai devenir son amie, me laisser flotter et suivre le courant mais demeurer trop longtemps en sa compagnie fripe la peau comme celle des vieilles personnes. Ce liquide démoniaque cherche sûrement à drainer la vie des baigneurs qui cherchent à l’apprivoiser. Malgré tout, j’ai déjà essayé de fusionner avec le liquide bleu, car cela doit être amusant de faire partie de la rivière, de voyager sans limite au gré du courant. Immergée totalement, j’attendais que l’eau me fasse un signe pour sceller notre alliance. Au lieu de ça, elle m’a étouffé et s’est infiltré traîtreusement dans mes poumons, je me suis traînée hors de l’eau, ma poitrine brûlait. Je ne cessais de recracher, un peu plus et je vomissais. Je déteste la nature, prête à tout pour se débarrasser de moi. Encore en ce moment, alors que j’arpente un champ qui se veut paisible, je sens les herbes qui cherchent à percer mes barrières protectrices, elles veulent me griffer et me transmettre de vilaines maladies comme celle qui emporta ma grand-mère trois ans plus tôt. A la maison, tout le monde devait travailler dès son plus jeune âge, néanmoins afin de ne pas me tuer à la tâche, ce qui priverait mes parents de quelqu’un qui veillerait sur eux lorsqu’ils vieilliraient, on ne me donnait que des corvées comme la lessive ou la cuisine qui restaient tout de même harassantes malgré l’absence de charges lourdes à porter. Mais mon ancêtre ne rechignait pas aux travaux des champs et se levait aux aurores pour aider. Elle ne s’arrêta de participer aux cultures uniquement lorsque la vilaine cicatrice laissée par une vile plante épineuse s’infecta et la cloua au lit. Elle n’eut guère le temps de souffrir. Mais, ce n’est pas aujourd’hui que mes protections cèderont, surtout contre de petites fleurs dépourvues de piquants. Soudain, je stoppe net ma marche quand j’aperçois cette forme allongée, prisonnière de ces petites immondices que je sous-estimais tantôt. Aussitôt, je réagis, il ne faut pas perdre de temps. J’attrape immédiatement sa main et le tire contre moi puis je commence à courir sans le lâcher, il me suivra qu’il le veuille ou non :

« Viens et ne fais pas d’histoire. »

Je ne m’arrête pas avant d’être sur le premier sentier venu, hors de l’influence de cette maudite nature assassine. Alors, je peux enfin prendre le temps d’observer le petit rescapé. Quel imprudent ! Il ose s’approcher si près du danger sans même prendre la peine de se couvrir. Sans hésiter, j’ôte l’une de mes couches protectrices, une longue tunique chapardée sur l’étal d’un marchand de passage, et lui enfile de force. C’est déjà mieux même si l’inconnu semble plus effrayé par moi que par les fleurs au milieu desquelles il se prélassait, elles l’auront sûrement hypnotisé afin qu’il s’enfonce dans la terre et leur serve d’engrais. Un sort si terrible que je frissonne rien qu’en y pensant.


-Lâche moi.
Elle a pris les odeurs, et le ciel, et les fleurs. Elle est arrivée avec ses longs vêtements puants qui sentent la poussière et la peur. Puis elle a fait tomber ses mains sur moi, puis ses doigts se sont fermés sur ma main pour me relever avec violence, et ses mains et mes mains ont disparues dans la course, courir a cet effet de tout faire disparaître. Et mon épaule me faisait mal, mes genoux ont blessés les fleurs, mes pieds ont écrasé les tiges, alors tout à coup j'ai eu envie de pleurer, mais je n'ai pas eu le temps parce-que mon souffle s'est coupé quand on a arrêté de fuir- fuir les odeurs, la lumière, l'énorme bleu coulant du ciel. Le monticule horrible s'est tourné vers moi, elle avait de grands yeux -je dis elle, on dit une créature- et un visage très pâle, comme si le soleil avait peur de venir la toucher. Je le comprends, moi aussi je n'aurai pas voulu, elle ne sent pas très bon, et son corps est très effrayant, comme le paquet d'une araignée. Est-ce qu'elle morte là-dessous ? Son visage, on dirait un nuage bizarre. J'ai déjà vu de cailloux au bord des ruisseaux, qui avaient la même couleur, mais ça semblait normal sur un cailloux, alors que voir ses joues blafardes à elle, ça accouche un malaise étrange et bruyant au fond de mon estomac. Personne au village n'a de teint semblable. Quand je regarde mes mains, je vois qu'elles sont brunes et fines, comme des feuilles en automne, ce n'est pas du tout la même couleur, on dirait bien qu'elle est malade alors, parce-que les gens en bonne santé ne sont pas blancs comme ça. Et puis c'est très étrange de voir sa peau, elle est toute enveloppée dans des vêtements crasseux, alors je ne sais pas à quoi elle ressemble vraiment, je ne vois pas ses cheveux, je peux juste deviner la couleur grâce à ses sourcils, mais je sais que c'est trompeur parfois, parce-que les sourcils des gens sont plus clairs que la chevelure dans certains cas, j'ai remarqué avec des filles au village, quand je regarde les filles qui jouent sans parler parce-que je sais que les garçons doivent regarder les filles sans faire de bruit, c'est comme ça. Ce n'est pas comme une science, mais ça ressemble beaucoup à une sorte de loi qu'il faut respecter sans poser de questions, ou bien pas beaucoup, et sans s'attendre vraiment à avoir une réponse, sinon on est déçu. C'est parce-que les adultes ne sont pas satisfaisants, souvent.
Je m'imagine en train de la regarder, elle. Mes grands yeux noirs posés sur son visage, comme deux mouches muettes ou bien deux plaies profondes et sèches, ma bouche mince et insolente pincée sur un silence coriace, aussi dur que de la viande séchée. Je mâche le silence très lentement, c'est pour ça que je suis patient, moi. Elle doit se dire que j'ai l'air bête, les gens du village pensent que je suis stupide parce-que je ne parle beaucoup et que j'ai de grands yeux, comme les très jeunes enfants, parce-que mon visage a de longs espaces vides et secrets, des creux qui font comme des tombes. Ils trouvent pas ça normal qu'à mon âge je n'ai déjà plus des joues d'enfants, des rondeurs croquantes. Pourtant je suis petit, mais tout cassant comme une brindille. Je n'ai jamais vraiment ressemblé à un enfant. Ça me rend triste des fois, puis je me souviens que ça n'a pas d'importance, parce-qu'un jour je serai adulte et tout le monde oubliera, j'aurai un visage d'adulte comme il faut. Long, austère, muet et triste. Les adultes doivent toujours être graves et solennels, sinon ils ne sont pas bien vus. Les gens respectables tirent la tronche, c'est mon frère qui l'a dit. Il disait des choses comme ça avant de partir, lui aussi, comme papa.
Je la regarde et je me dis : ce n'est pas moi qui suis stupide, je n'ai pas pris le ciel et les fleurs et les odeurs qui sentent bon pour mon nez. C'est toi l'imbécile. C'est toi. Tu es très moche. Tu sens mauvais. Laisse moi, laisse moi.
Je t'ai dis, lâche moi. Si tu ne me lâches pas je te ferai mal.
Elle n'écoute pas. Elle me prend par les épaules puis m'enfonce dans un grand tunnel obscur et râpeux qui me vole l'air et la lumière. Je me débats tout de suite, elle a fait disparaître la journée et je panique, je panique je panique je panique je panique je sais qu'elle me veut du mal elle va me retenir prisonnier et je ne pourrai plus jamais partir ni sentir le monde et voir les fleurs qui se balancent et les arbres qui veillent elle veut me tenir loin du ciel et me dessécher peut-être comme la viande salée boucanée on dit la viande qu'on mange quand on voyage elle va me transformer en viande dure et salée pour me manger pendant un voyage c'est une ogresse et c'est pour ça qu'elle a sauté sur moi et qu'elle a quitté le champ les ogres ne supportent pas les choses belles même quand elles sont si simples et c'est aussi pour ça qu'elle se cache elle ne veut pas que je vois les enfants qui continuent de mourir dans son horrible ventre les mains des enfants à travers la chair qui bougent et glissent entre ses intestins et elle pue à cause du cimetière qui vit et qui remue à l'intérieur de son corps je cris je cris je cris ça ne finit pas de glisser sur moi en me râpant les joues et j'ai peur de ne pas rentrer ce soir regarder le feu et renifler le soir qui respire je ne verrai vraiment jamais la mer
Puis il avait disparu mais il revient et claque sur ma rétine, il se remet à me parler avec tous mes nerfs à la fois. Il entre en moi et me secoue. Monde, monde, monde. Je t'aime tant. Délicieux monde azuré-verdoyant, le monde, le monde avec sa lumière et ses odeurs, je faisais ton deuil monde imposant et splendide. J'ai eu si peur sans toi, tu étais partis, j'étais seul dans le noir avec les mains qui faisaient glisser le tunnel ténébreux sur moi, qui faisaient couler de l'ombre sèche sur ma peau qui ne voulait que toi, la lumière, toi le vent, toi le monde, monde chéri, adoré, monde incroyable
Je m'accroupis je serre mes épaules et je pleure.


Il eut beau se débattre, et me menacer je ne renonçais pas. D’ailleurs je me demande toujours s’il plaisantait tout à l’heure : « Je te ferai mal. », cela me donne envie de rire et de câliner ce petit être frêle qui semble si fragile qu’un simple coup de vent aurait pu l’emporter. Heureusement que celui-ci n’avait pas repéré le garçon avant moi, sinon j’imaginais cet adorable enfant éternellement ballotté dans les airs, incapable de redescendre un jour parmi les siens. Mais malgré cette crainte, peut-être aurais-je dû lui donner une protection plus légère, mon protégé semble en effet crouler sous le poids du tissu. Néanmoins, j’ai peur qu’il soit encore sous l’emprise des maudites herbacées et qu’il tente de s’enfuir si je change son vêtement. Je ne réfléchis pas davantage à la question, car mes craintes se confirment, le garçonnet vient de tomber, sûrement écrasé par la tunique. Il gigote, se débat, hoquette. Alors je panique mais devant agir vite avant d’être responsable de la mort de celui que je tentais de sauver tantôt, je me jette sur lui et enlève la tunique :

« Respire ! Ne t’en fais pas je vais te trouver quelque chose de plus léger, tu es bien trop fragile tout de même. »

L’épreuve semble l’avoir tellement marqué qu’il en pleure alors je le serre contre moi malgré ses réticences, ce contact me rassure presque autant que mon cocon. Le garçon bouillonne, c’est agréable. Des souvenirs remontent, des étreintes, des embrassades. Souvent, dans notre petite maison on dormait entassés dans une chambre les nuits d’hiver:

« Ne t’inquiète pas à partir de maintenant je m’occuperai bien de toi ! »

Je serre fort sa main et le balade, si je lui trouve de quoi se repaître peut-être sera-t-il apaisé. J’aimerai bien qu’il se calme et qu’il commence à m’apprécier. Cela fait si longtemps que je manque de compagnie, encore la faute de la nature elle m’isole, m’isole pour mieux m’encercler et en finir. Mais voilà, désormais je ne suis plus seule ! Tu m’entends la nature ? PLUS SEULE ! Je retiens mes cris de joie, cela effrayerait le petit, déjà qu’il est tout agité. Le pollen l’hypnotise mais je ne peux pas l’empêcher de respirer après tout. Il me rappelle mon frère, en plus grand, peut-être même avons-nous le même âge, mais sa corpulence de moucheron ne permet pas vraiment de le déterminer clairement. Je le regarde, attendrie, quand la vérité me frappe. Je vois enfin clair dans cette infâme conspiration, bien pensée mais je suis rodée maintenant face aux ignominieux stratagèmes de la Nature. Quelle horreur ! J’ai tout de même failli me laisser piéger, jamais je n’aurais cru qu’elle utiliserait un enfant pour parvenir à ses fins. Peut-être cette adorable créature ignore-t-elle qu’elle sert d’arme à la vocation d’en finir avec la seule entité consciente de l’ignominie de cette fourbe manipulatrice. Alors, paniquée, je repousse ce maudit gamin si fort qu’il en tombe, j’ai peur, je ne veux plus l’approcher ! Je voudrais fuir loin de lui mais je me refuse à abandonner ce frêle garçonnet à son funeste destin, néanmoins il va dorénavant me détester à cause de mon geste et s’il fuit les plantes l’hypnotiseront à nouveau pour le dévorer. Raaah, tant de pensées, tant de doutes, je n’en peux plus j’attrape ma tête à pleines mains et m’enfonce un peu plus dans mon cocon. Là au moins je peux réfléchir à l’abri de toute influence externe. Mais suis-je vraiment en sécurité ? J’ai tantôt remis la tunique prêtée au garçon, et si elle contenait des spores ? Ceux-ci s’infiltrent au travers de tous mes vêtements je le sens, je suis perdue ! Prestement je me débarrasse de ce qui constituait quelques secondes auparavant ma seconde peau, je voudrais pleurer, cette vilaine Nature s’en est pris à mon plus fidèle allié. Je ressens à nouveau l’air pur qui glisse contre mes joues et transportent les particules néfastes issues des plantes jusqu’à mon nez pour qu’elles empoisonnent mes poumons. Je vois plus clairement toutes ces menaces qui m’entourent, cette lumière qui agresse ma rétine, un sentiment de peur panique m’étreint. Le seul sens dont l’amélioration ne me déplaît pas est l’ouïe, c’est plaisant d’entendre à nouveau clairement, comme un réveil après une longue nuit. Néanmoins je reste tétanisée, ce soudain influx de nouvelles informations dans mon cerveau m’effraie et m’empêche de prendre une nouvelle décision, imbécile ! Je me suis laissée bernée, me voilà totalement vulnérable.
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