Archives CC achevés

28-04-2020 à 16:49:12
Cinquante grammes


Cinquante grammes de poivre droit dans la narine gauche. Ça tousse à toutes berzingue, ça envoie du mucus, pluie de comètes radioactives, façon déluge divin : après les sauterelles, un crépuscule morveux. C'est plutôt beau sous l’œil, cela dit. De très jolies nuances de vert, comme celles des aurores boréales ou des verdures trempées qui semblent se dissoudre, et mêlées à du liquide translucide -du jus de corps, de nez en fait- qui pourrait presque être fait de ces matières limpides qui tissent des pans du ciel. Le corps humain peut produire des merveilles n'est-ce pas ? On pourrait peindre des fresques venustes avec des pelletés de merde. Avec l'émail et l'os, faire de petites sculptures, très mignonnes, très champêtres, à poser sur des étagères, ou dessus les cheminées. Ça ferait quelque chose, comme, des trésors de famille. Je serais sensible à ce genre d'art, je pense. J'en prends conscience maintenant, grâce à ces cinquante grammes de poivre.
Cinquante grammes de vengeance, en fait. Cinquante grammes, c'est le poids du châtiment mesquin. C'est ma manière de punir les langues quand elles sont trop déliées, les corps quand ils prennent trop leur aise. Il y a des mots qu'on ne peut pas faire ravaler aux gens, il y a des actes qui se refusent à la possibilité d'être pardonnés- ils sont là, infamants, au-delà de l'excuse. Et c'est pourquoi il y a les sachets de poivre.
Cinquante grammes de justice à envoyer aux visages de ceux qui ont cru pouvoir agir et parler en tout impunité. Un jour, ça pourrait même s'avérer être utile pour me sortir d'une quelconque agression- moi même ou quelque d'autre. Sans biceps, il reste toujours l'art sinueux du bâtard, avec ses sourires en couperets, ses mots en épingles et ses techniques secrètes héritées d'une vie à être faible. Mais c'est toujours utile de voir le monde d'en bas, d'à côté, d'à l'extérieur de la grande bulle de la communauté. Ça vous incite à porter des petits sachets de poivre.
Un jour, j'en ferais mes quelques cinquante grammes de citoyenneté.

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Cinquante grammes de tarot passés à la moulinette. Les cartes racontaient de la merde, alors des confettis. Elles prophétisaient une sorte de bonheur bancale à travers les obstacles, elles donnaient de l'espoir entre deux gros jets de pierre, et c'était pas très propre, alors j'ai mouliné le destin imprimé sur les cartes et j'en ais fais de l'agrément de salades. Littéralement. Je mange le destin avec une vinaigrette dont je tiens la recette de ma très chère mamie.
C'est pâteux sous la dent. L'avenir a un sale goût, mais je suis pas surpris.
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28-04-2020 à 16:49:46
Automne

Je mâche l'automne. Une bouchée après l'autre, gluante, cuivrée, des nœuds d'humidité fibreuses. J'avale l'automne, une déglutition après l'autre. Gros paquets de fils moites dans ma gorge, pelotes dans la bulle d'acidité de mon ventre. J'enfile des perles de salive dans ma bouche, sur la chevelure vive de- l'automne c'est ça, crashé dans une silhouette de neige et de noisette. Un corps de sucre glace, avec des pépites de chocolat, des scories de café. Et une toison fluide de sucre filé, une voilure de miel, craquante et fine, comme un givre doré. Délicatement fauve.
Je mâche. Les insectes crissent sur ma langue, leurs cocons, leurs pattes, leurs petits corps chitineux. Les chenilles sont onctueuses, grasses comme des pelouses ou des orbes de beurre, des perles de crème fraîche. La provende glisse sur ma langue. Riche automne grouillant de vie, somptueuse tapisserie de corps entremêlé aux feuilles, aux branches taillés par les cutters du vent. Automne bonbon. Une confiserie soyeuse, oh mielleuse, oh oui très oui, pleine de liqueur... Une couche de crème sur de la pourriture, un cœur de bile dans une ganache d'épices, de sucre et de chair-lait.
Dans ma bouche les quenottes bougent, oscillent, s'enfouissent dans la riche texture de l'humus trifouillé de mandibules sylvestres. Je me sens doux, petit, dessiné par la brise. Je me sens fait d'un tourbillon de flocons et de paillettes. Et je suis une bouche qui voyage, tendre, moelleuse, qui roule sur le monde dans un mouvement onctueux de lèvres, avec un abandon de la langue, une caresse qui courre. Et sur le monde, il y a l'automne... Alors je tracte dans ma bouche immense, j'aspire, les longues franges rousses de l’automne, les longs filets perlés de rosée qui épanouissent, épandent, tissent le long et multifaces, noble et pouilleux automne. Parfois liquide comme la pluie et la lumière aqueuse, parfois plutôt comme la gelée des yeux et des sous-bois. J'aime beaucoup, je goûte. Les branches qui s'effeuillent -je suçote leurs pointes nues-, les champignons poudreux. Je fais bouger des phalènes entre mes joues, je fais danser des lucioles et je souffle du glacis de feuilles, un entremêlement de matière moite et gelée et collée. Agglutinée déjà. Je désassemble la forêt puis je recrache les bouts. Mosaïque boueuse et saliveuse, fresque d'esquisses et de glaires chauds.
Les arbres flirtent avec mes gencives comme des cures dents. Les insectes fourmillent, se liquéfient et se durcissent. Je fouille le monde, le monde me fouille.
J'ai aussi des mains. Sur l’automne elles se glissent, modèlent sa forme lourde, et froide. Elles font de longs repos sur le cou de l’automne, dur et frais, lisse et blanc. Elles s’entrelacent à travers de steppes en vallons raides, de méplats en tendres ravins de satin. Doux... Trop vaste, trop riche pour moi, mais accueillant. Se laisse offrir très gentiment, il me sourit derrière ses lèvres.
Je fourmille, chaud dans la brise. Je me dessine en couleurs chairs. Tendrement, je mords l'automne, mouillé, pâle, amiteux... Il a le goût du paradis. Je savais déjà au moment où mes yeux se sont posés sur lui.
Je fonds à travers l'automne, je me glisse sur lui, je l'étreins, je le mange. Mon bel automne vaincu.
28-04-2020 à 16:50:17
Thème image garçon ailé

Rien qu'un joli visage, rien qu'un trésor à consumer. Une jolie gueule dilapidée en froncements de sourcils. Une perle à sertir sur toutes les couronnes qui passent à sa portée. Finalement rien d'autre qu'un rebus d'incendie. Q'une étincelle d'humanité, tout juste bonne à consommer.
C'était là, à saisir, une lueur dans l'orbite, joyau paumé qui crève d'ennui. Un soleil qui tremblait- au fond de l’œil mouillé, la pupille éclatée. Dans la pupille il y'a un trou, un abîme où tomber- pour tous ceux qui oseront et voudront regarder. Aucun lapin au fond, du noir qui broie. Mais n'ayez crainte, faîtes soulagement, car il est fort aisé de se fermer à la vision du vide. C'est un abîme acommodant qui fera des slaloms pour mieux vous éviter. Il est pudique, c'est de la dentelle de vide, du néant en napperon. Il volette hors de portée des doigts même quand on cherche à s'en saisir. Cet vide là est fuyant comme l'ombre d'une brebis.
Il y a des chemins plus praticables sur le joli visage, des routes où trois fois rien vous conduiront sûrement. C'est facile d'y dégringoler, on vous ouvre la voie. Vous le saurez comme tous les autres le surent avant votre arrivée.

C'était tout juste un baiser à cueillir, petite fleur de tendresse éclose entre les lèvres. Sans une épine, que du velours et de la crème, de l'épice et du miel... Doux comme un feu qui se craquèle, une mélasse ardente dans son replis de cendres. C'est la plus volatile et craintive des tendresse. De la tendresse qui meurt jusqu'au prochain contact. Un camélia fané qui s'ouvrait dans la bouche, une aurore frémissante éclose contre sa langue- sous l'arc chaud, lové, de la langue ramassée contre les dents serrées. Juste là, un petit bourgeon d'aube, comme une plaie qui palpite, colorée et lascive... Facile de s'en saisir. Il suffit de pencher, de se glisser dans la craquelure ouverte sur le joli visage- cette bouche qui ne sait pas parler, faille humide et pâteuse.
Ce n'était rien qu'une fleur qui menait au jardin, rien qu'une fleur en frissons pour ouvrir le sentier.

Le jardin c'est son cœur. Petite bulle de forêt entre les ventricules, encerclée par les ronces, le brasier et le vide- une mangeoire à oiseaux pour les pilleurs d'amour. Tous les feux le signalent, toutes les routes s'y fracassent. C'est facile à piller un jardin de cette sorte. On fait vite d'y entrer quand on en trouve la porte, certains y mettent les pieds même sans pourtant chercher. Comme ça, sans s'en apercevoir. Et ils se contrefichent de tout y piétiner, leurs yeux sont ailleurs et ils vous foulent du pied. De la pointe du soulier ils se font meurtrier.

L'indifférence tue aussi bien que l'envie, souvent même mieux de fait. L'indifférence des autres et l'envie qui est vôtre. L'envie vous creuse le bide comme une grand sarcophage. L'indifférence y enferme une momie vivante. C'est une momie qui gratte, et tous ceux qui l’entendent et pourraient l'en sortir tourneront les talons sans l'ombre d'un regard. La mort à ceux qui meurent, c'est une sorte de règle.

Il en faut si peu pour tuer quelqu'un. Suivre un courant, c'est suffisant : quelques coups de rames noieront bien une personne prisonière des tumultes. La passion n'est pas chic -ça tâche trop, ça danse trop-, la vérité non plus. On veut du mouvement et un peu moins de dialogue. Les mots enlisent, les gestes vibrent- c'est plus facile d'être un tambour que de vivre en orchestre. Trop complexe et bruyant.

Alors venez à la curée, festoyez de sa chair ! L'oiseau bas est tombé et il aime la poussière. Il ne demande qu'à se vautrer plus profond dans la cendre.

Arrachez lui la peau et pétez les os, utilisez les donc pour jouer au mikado. Qui fera s'effondrer en premier sa poitrine ? Qui lui fendra le dos et lui bouffera les ailes ? Dénudez et mordez, ça se mange cru l'oiseau... Ca se possède pour trois fois rien, un peu de tendresse feinte, une nuit d'étreintes dénuées d'amour. Rebondissez des hanches contre son cul osseux- il vous piaillera dans l'oreille ses jolies mélodies. Des qui font bander dur et font tout oublier. Une étreinte, un baiser pour se l'approprier ; à chaque saccade contre son corps, à chaque mouvement pour s’enterrer dans sa chair fraîche et tendre, en feignant de l'emplir vous creuserez un peu plus- vous émietterez ce que les autres n'ont pas su emporter.

Pilleurs d'oiseaux, je vous dis bienvenue ! Il y a encore à prendre, fondez lui sur le corps ! Pressez, pressez, avant que le banquet n'ait finit de pourrir. Tous les jolies visages finissent par se froisser. Toutes les fleurs finissent par arrêter d'éclore. Elles se lassent, à force, puis elles partent en voyage. Elles vont chercher d'autres jardins où propager leur blessure palpitante, leurs épices de désir. Venez donc vous repaitre avant qu'il ne se fane, car le jolie visage attend qu'on le profane- car le si joli corps n'attend plus que l'outrage- car le tout petit cœur demande qu'on le saccage. Les oiseaux n'échappent pas au compost de la pourriture. Certains s'y jettent pour durer moins longtemps.

C'est la guerre, tout est suie, tout est sang, dans l'ombre des absents les enlarmés pullulent. Ils se défroissent comme des gerbes d'orties, et ils vous griffent la paume en cherchant une caresse.

Vous ne pourriez leur faire de plus gentil cadeau que de les arracher à l'existence d'une torsion fatale. Si vous tendez l'oreille, dans leur dernier soupir vous entendrez un rire. Ils ne savent pas ce qu'ils manquent, mais ils savent parfaitement tout ce qu'ils laissent derrière. Croyez le ou non, ils ne le regrettent pas.

Il y a trop d'assassins sans lendemain qui aiment se nourrir des jeunesses volatiles.

Il n'en a fallu qu'un plus silencieux et plus fort que les autres pour lui défaire le cœur. Cet oiseau là a dépassé le rire. Il ne vole pas ni ne se contorsionne dans sa poussière allouée.

Il flotte, moins lourd que l'air, car il ne reste rien dans sa carcasse vidée.

Rien que du rien et des baisers volés.
28-04-2020 à 16:50:36
Au féminin

Un jardin sous la mer. Éclats de corail tendres comme de la chair de palourde, imbroglios violents de flamboyance. Sur un écrin lacté de roche empaquetée par les algues, les mailles du soleil dansent au rythme des vagues. La pierre se dilate et s'étend en coulées de magma. La mer se ramasse en tourbillons onctueux qui concentrent tout le souffle salé qui donne naissance à l'air marin ; mille éclats d'argent y tournoient comme des clochettes dispersées par le vent. Ce sont des poissons qui savent tout de la prudence et de l’hardiesse ; le courant leur arrache des écailles qui vont se poser sur le sable mouvant. Pépites de fer qui s'enfouissent dans la matrice goulue des fonds océaniques. Mais il y a plus profond, plus loin encore. Des abîmes de noirceur dense où grouillent des énergies primaires. Des feux qui ne s'éteignent jamais tout à fait, des mouvements si lents et si amples qu'ils donnent naissance aux vagues elles même. Un milliard d'yeux et de mains flottantes qui s'entrecroisent là-bas. Caresses, étranglements. Des nœuds d'algues qui coulissent, suintants. Des sourires plein de fleurs qui s'épanouissent en courbes de lune, en croissants de soleil. Les carillons explosent, les grelots dégringolent en cascade de leurs bouches- les nymphes aux cheveux tressées crachent des clochettes comme des pépins de raisins. Elles rebondissent sur le sol moussue de la forêt et germent en cathédrales. Leurs vitraux font des enfants avec la lumière, des volutes de couleur jouent à travers les bois. Une rivière leur tresse des sérénades. Des prairies expirent et s’affaissent. Des orchestres cuivrés se gondolent, fondent, bouillonnent jusqu'à former des volcans, engloutissent des pans entiers du ciel dans un chaudron solaire. L'azur se démantèle et glisse, lamelles entières. Des morceaux de crépuscule cloutés d'étoiles, le film translucide de l'aurore rosée se décolle, tout son jus s'écoule en liqueur de violette. Une biche s'étend et meurt. Une montagne pousse de son corps, elle porte une fourrure tachetée et se met à rouler à travers la terre dans une vague de muscles et de pelisse soyeuse. Un déferlement de satin qui sent le piment et la terre noire. Tout prend feu et le monde se contracte. Il écrase tout dans un noyau puis se déchire en deux. A l'intérieur c'est une géode de rosée et de jade, il y a un dégueulis de roses tièdes et des jardins remplis de vrilles. Un orbe de feu pulse sous un tapis de printemps fané. Des mailles défaites de verdure se délitent, colliers de feuilles et de perles noires. Une sorcière danse dans un cercle de bougies. Il y a une nébuleuse dans chacun de ses crachats. Chaque pied qui touche le sol fais naître une insomnie quelque part. Chaque main qui s'élève crée de nouvelles musiques. Son corps entier joue de la harpe. Il s'en élève de voiles qui s'enroulent torsades autour des étoiles ; des dames se forment, paillettes de feu. Un vol d'oiseaux s'échappe de chacune de ses aisselles, un troupeau de bisons jaillit de sa bouche. Elle vomit une savane et va régner sous un lac de cristal. Dans son palais de pierre froide et de nacre on se nourrit de perles et de poisson cru. Elle oublie le temps qui passe. Chaque matin verse du feu en travers de ses membres. Des banquises se craquèlent dans ses entrailles. Elle a mille paire de mains qui défroissent des carrés de nuit pour y semer des graines d'orage et d'aurores boréales. A chaque pluie, elle se transforme en cerf.
28-04-2020 à 16:51:06
Thème image femme pluie

Madame pluie sort vêtu de guirlandes et de colliers de perles.

C'est presque tout. Elle a aussi un jupon fait de nuages en loques. Un long poncho de lumière grise. Et ses pieds sont chaussés de sabots à la semelle de plomb.

Ses souliers d’airain claquent dans la rue en affolant les flaques, brouillant le ciel et ses reflets. Ils ne se réconcilient pas après qu'elle soit passée : le ciel n'a plus jamais aucun reflet sur l'eau. C'est fini pour toujours. On y voit exclusivement la toile badiné de goudron où des breloques d'étoiles ont été accrochées- ce qu'il y a au-dessus du ciel communément admis, léger film bleuté cachant l'obscurité. Une peau de panthère percée de ferraille. Ça tinte d'un soleil d'argent à l'autre, là haut. On y danse sur la pointe des ballerines en faisant de grands gestes de paon. Pour ceux qui peuvent se targuer d'habiter la peau de panthère et ses replis de moires, les quelques puces chanceuses, les tiques enflammées qui là-bas se gorgent de liqueurs obscures. Madame pluie n'est pas de leurs. Elle n'a que faire de leurs affaires. Rien ne la concerne là-dedans, peu lui importe qui danse au firmament, quelle étoile brille plus intensément qu'une autre, de quel gaz raffiné se nourrit la combustion d'un astre plus en vu que ses pairs, avec quelle élégance tournoie telle lune, à quelle planète s'accouple tel satellite. Toutes les histoires qui se tissent dans la peau de panthère lui sont indifférentes. Ce qui l'intéresse est ailleurs. Sous ses pieds, devant ses yeux.

Le toit des villes qu'il faut faire crépiter, les forêts douces qu'il lui faut humecter, les rivières qu'elle doit gorger d'orages. Des veines boueuses qui se gonflent quand elle leur fait l'honneur de son passage, des cœurs enfouis qui se remplissent de cristal liquide, prêts à être pompés. Les colliers de perles se forment et se défont autour des membres de madame pluie- ils ricochent en un solfège de verre et de mercure. Les gouttières tremblent. Les égouts rotent. Des fougères se déploient en poudroyant, tendres comme des cœurs vert, secrètes comme eux. Madame pluie leur souffle doucement dans la spirale. Elle a les faveurs d’alizée, zéphyr et d’aquilon. Ils l'aident à bondir au-dessus des villes, à disperser partout ses bijoux de cristal. Ils dégringolent comme du caviar d'une coupe renversée. Chacun transporte l'espérance d'une floraison ou d'une inondation. Il y a l’œuf d'un torrent dans chaque goutte, ou bien encore le pépin d'un orage, ou le noyau huileux d'une prairie froissée.

Les torrents sont des serpents habillés de dentelles. Les orages des arbres pyrotechniques découpés par les cutters du vent. Les prairies des marchés pour les fées couturières.

Madame pluie les sème tous, elle les cajole puis les piétine. Elle extrait le parfum de chaque chose et les dilue dans l'air en un brouillard de rose. De lilas, de lavande et de volubilis. Quand elle a finit de courir et de s'alanguir, elle retourne se coucher dans son nid suspendu. Coton gris, scories de nuit, coagulums ambrés de lumière pris dans des nœuds de vent, du duvet d'aube, tout frémissant, sur un tapis de cendres tièdes. Très douces.

Elle s'y enroule en ricanant, prête à germer d'autres colliers de perles. Madame pluie aime les bombardements ; ils lui chatouillent le ventre comme d'autres pour l'amour. Elle ne dort bien qu'en sachant qu'elle a pu être ivre à travers toute la terre.
28-04-2020 à 16:51:29
Thé de patience

Patience est devenu mère, elle a pleuré toute la nuit. Elle a enveloppé son bébé dans de la soie fraîche et elle l'a balancé pardessus le balcon- balancé entre ses bras de mère, des bras tous neufs, très ronds. Il y a du lait dans ces bras là, dans tout son corps aussi, des litres de lait chaud qui gonflent sa peau pâle comme les voiles d'un navire. Patience a une belle peau de mère, très souple et très crémeuse... Épaisse comme il le faut y enfouir des pleurs et de nez d'enfançons. Une peau qui contient toutes les caresses, toutes les histoires nécessaires à une enfance heureuse. C'est une très jolie peau, avec des petites pointes d'aurore glissées ici et là, à fleur de l'épiderme, comme des poches d'eau de rose. Une peau très noble que toute les mères n'ont pas, c'est le tapis persan des peaux de mères, le diamant bleu de sa catégorie...

Mais Patience a pleuré toute la nuit après avoir balancé son bébé pardessus le jardin, pardessus les massifs de fleurs corsetés d'épines, pardessus la fontaine de marbre rose. Il était chaud entre ses bras, dans son draps de soie fraîche.

Elle ne l'a pas regardé une seule fois, elle regardait la lune et les giclées d'étoiles. La voie lactée dans le ciel, comme un miroir de sa chair neuve à elle, sa tendre chair liliale. En allant se coucher, elle a longtemps gardé les deux mains sur son ventre.

Patience a passé la journée dans son lit. C'est naturel pour une nouvelle mère, on est venu à son chevet pour la couvrir de fleurs. On en a mis tout autour d'elle, jusqu'au milieu des draps, des fleurs de champs très fraîches, l'aube palpitant encore au sein de leur corolle. Certains bouquets se sont pris dans ses cheveux comme entre des épis de blé froissés, elle avait l'air d'une princesse celtique glisant sur une rivière. Autant de fleurs que pour un enterrement, mais pour fêter la vie, pour encenser sa peau de mère, ses hanches onctueuses, son ventre doux. Couchée dans son lit de printemps, elle a gardé les yeux mis-clôt et les lèvres scellées.

Le soir venu, Patience n'a pas été balancer son bébé au-dessus du jardin. Il a pleuré des heures au fond de son berceau. Mais elle, n'a pas versé une larme, une seule, de toute la nuit durant. Le ciel était couvert ce soir là, on ne voyait aucune étoile depuis les fenêtres ni depuis le balcon. Une brise légère a parcouru la chambre. Les fleurs ont bruissé jusqu'au matin dans leur vase de cristal. Il y avait des pétales à travers tout le lit, la rosée suspendue a déteint sur les draps.

Ensuite, les jours se sont passés. Ils ont défilé les uns après les autres. Il a fallu changé la litterie plusieurs fois. Les fleurs ont commencé à faner dans leur vase. Le bébé a ouvert les yeux. Il a vu énormément de plafond.

Patience est restée couchée.

Le bébé a continué de pleurer. Des mains moins douces sont venus pour le border, ce n'étaient pas des mains de mère... Elles l'ont posé contre le sein de Patience, une tendre banquise sous une couche de neige. Le lait chaud qui gonflait dans sa chair est venu gorger peu à peu le bébé. Il est devenu incarnat comme un bouton de rose. Puis le lait a fini par se tarir, alors on l'a posé sur d'autres seins, sur d'autres peaux moins neuves.

Un jour, Patience s'est levée. Elle est allée en ville dans une belle calèche ; le bébé est resté dans la chambre, avec une non-mère. Il a beaucoup pleuré.

A son retour, Patience est allée s’asseoir sur le balcon. Elle a demandé qu'on lui prépare un thé ; elle a envoyé un sachet aux cuisines, qui sentait aussi bon qu'une prairie après une pluie de mai. Sous le balcon, le jardin resplendissait de vrilles et de promesses. Tout était fin et beau, complexe et volubile. Mais pour elle, les choses étaient très simples.

On a apporté son thé à Patience. Elle l'a bu très doucement en regardant le ciel. Le lendemain matin, elle n'avait pas bougé, elle était toujours assise dehors, sur le balcon, et la rosée brillait entre les plis de sa robe.

Après ça, Patience n'a plus jamais passé une seule nuit à pleurer.
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