[Zombis/Nouvelle] Chroniques d'un village nomade

29-06-2011 à 21:35:52
Miracle dans l'apocalypse

La fuite désespérée… Les épaules nues… Des zombis tout autour de lui… Le soleil qui brillait… Son bras frappant à l’aveugle, tenant une simple branche… Des corps sans tête qui s’écroulait, se relevaient… Sa vue brouillée par le sang sortant des corps en putréfaction… Attaqué par derrière… Morsure à l’épaule… Une gorge tranchée par un coup de griffe… Moment d’arrêt en regardant le ciel bleu… Submergé par la chair mouvante mais morte… Rage violente… Crocs ensanglantés, griffes dégoulinantes… Le ciel s’obscurcissant… Les derniers rayons cachées… Les yeux qui se ferment… Les coups faiblissant… Le bruit qui disparaît………


L’inconnu du désert se redressa brutalement ! Il haletait et tentait de reprendre son souffle. Il tâta divers endroits de son corps : rien de cassé, il était bien vivant. Sur son épaule, un morceau de bandage usé couvrait son épaule. Une légère odeur d’alcool émanait et parvenait jusqu’à ses narines. Il regarda alors autour de lui. Une toile de tente couvrait complètement son champ de vision. Il était assis dans ce qu’il semblait être une simple couche, avec juste un drap servant de sommier, et un autre, à présent à moitié froissé, couvrait encore ses jambes. Juste au niveau de sa main, il y avait une branche de bois. Un morceau de peau noircie restait coincé dans les méandres du débris végétal, dont la couleur avait pris une teinte rougeâtre, sauf à une extrémité, la plus mince. Il prit le morceau et observa de plus près cette partie. Elle semblait fragile, comme si on l’avait serré extrêmement fort. En y regardant de plus près, il vit également 4 marques profondes alignées selon l’axe, et une cinquième un peu plus loin, en forme de griffe… Si on en juge par le petit morceau d’écorce qu’il sentait encore sous son ongle de l’index droit, pas besoin de chercher bien loin pour savoir d’où venaient ces marques…
« Tu t’es réveillé ? » fit une voix derrière lui.
Il sursauta légèrement et se retourna. Un homme se tenait debout entre les deux pans de la toile qui fermaient l’ouverture. Dans sa stupeur, le lycanthrope ne s’était même pas retourné…
« Tu reviens de loin… La vigie à vu un attroupement suspect de ces macchabées ambulants. Le temps de prendre de quoi tout bazarder, on est arrivé et on a juste eu le temps de les envoyer retourner bouffer les racines pour de bon. Là, on t’a trouvé inconscient, en train de tenir cette vieille branche comme on s’accroche à la vie. T’avais ton épaule salement amochée, alors on t’as ramené, et on a bandé ça vite fait… »
Pendant qu’il parlait, le miraculé observait son sauveur. De nombreuses cicatrices marquaient la partie de son visage non cachée par le long foulard qui lui recouvrait l’œil droit. C’était visiblement un combattant de la survie lui aussi…
« Au fait, comment tu t’appelle ? Dans le camp, on m’appelle Mathus. »
L’inconnu fit alors une moue, avant d’ouvrir la bouche, sans émettre un seul son. La refermant, il fit un mouvement d’épaule avant de secouer la tête, d’un air navré. L’homme lui sourit alors.
« Pas grave, on va te trouver un nom. Une paire de bras est toujours la bienvenue dans c’te ville. »

Le surnommé Mathus partit alors, laissant l’homme-loup seul. Celui-ci souleva le bandage un instant pour voir la trace de la blessure, une simple ligne parcourant son épaule. Il allait falloir être prudent : tout le monde n’est pas forcément rassuré à l’idée de partager ce qui était sans doute avec les derniers instants de sa vie avec un loup-garou dans les parages… Les vieilles rumeurs séculaires restaient très tenaces…
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Situation Précaire

1 semaine s’était écoulé depuis que la troupe de Mathus avait recueilli l’inconnu. La peur de l’étranger avait fait place à l’accueil aveugle des survivants, peu importe leur passé. Passé dont d’ailleurs ils avaient voulu supprimer toute trace : chacun avait fini par adopter un nom qui n’était pas le sien, mais qui convenait à cette communauté. La seule exception aurait pu être le chef de cette troupe, Mathus, mais le lycanthrope avait rapidement compris qu’il ne devait son nom qu’à son aspect âgé mais encore solide, comme le devait être le Mathusalem des légendes anciennes. Chacun avait une place bien définie dans la communauté, mais chaque poste pouvait, et les attribués à ces postes le souhaitait également, recevoir quelqu’un d’autre pour les aider dans leur harassante tâche. Aussi ne fut-il pas difficile pour le recueilli de se trouver une place, que ce soit dans le renforcement des défenses ou dans la vigie.
Rapidement, il se fit remarquer par son endurance exceptionnelle, qui fut attribuée par l’endurcissement subi par de longs mois de voyage seul, et également par sa résistance aux blessures. Là, les explications étaient plus rare et hasardeuse : certains parlaient de zone contaminée, d’autres parlaient d’une réaction aux différentes blessures infligées par les macchabées errants… Heureusement pour l’intéressé, ils restaient loin de la bonne réponse.

Tout en contemplant la lune se lever peu avant le coucher de son cousin opposé, l’intéressé compta les jours restant avant la prochaine phase où il devrait se cacher : encore 3 ou 4 jours, si il comptait l’absence encore de début de mutation. Il commençait à se demander comment il allait pouvoir s’en sortir, quand il fut interrompu par un appel de Mathus:
« Eh, Sans-Voix ! Va remplacer Jambe-en-Bois à la vigie. Faudrait pas qu’on se r’prenne une vague avant qu’on ait fini de remplacer ce qu’a cassé ! »
Sans-Voix…. C’était ainsi qu’il était connu, en raison de son mutisme. Un nom qui en fin de compte le laissait de marbre. Il avait été seul pendant si longtemps qu’il en avait oublié son propre nom de toute manière…
Acquiesçant d’un mouvement de tête, il se dirigea vers une tour branlante faite de quelques poutres assemblées tant bien que mal, tandis que le précédent veilleur en descendait, avec une adresse exceptionnelle mais presque innée chez lui pour quelqu’un dont la jambe gauche avait été remplacée par un simple bout de bois. D’où son nom d’ailleurs. Pour expliquer cela, Jambe-en-Bois s’amusait à raconter que c’est à force de marcher sur des sols sablonneux avec une jambe qui s’enfonce jusqu’au genou presque à chaque pas qu’il a appris à voltiger de cette manière. Comme tous les autres, il n’aimait pas parler du moment où les zombis lui ont contraint à se couper la jambe suite à leurs morsures infectieuses. Il en avait parlé une fois au jeune loup-garou, mais il n’avais pu aller jusqu’au bout de son explication.
« A ton tour de guetter, vieux. Fais tinter cette cloche à la moindre alerte, comme si ta vie en dépendait ! »
Un sourire en coin apparu entre les lèvres de son interlocuteur qui secoua légèrement la tête, amusé.
« Ouais, t’as raison… T’aura pas besoin de faire semblant. Bah, ça te donnera des tripes.»

Il se décala pour laisser la relève monter, puis lui-même alla se reposer de sa journée. Il ne fallut que quelques secondes au nouveau surveillant du village pour prendre son poste. Une grosse cloche en fonte, à moitié rouillée, était accrochée à ses côtés par un renfort de poutres en meilleur état que le reste de la structure et renforcée. Le battant interne ayant depuis longtemps cédé, une masse en métal était placée à côté. Portant le regard sur le lointain, il surveilla un quelconque mouvement par dessus l’horizon ou un bruit sortant de l’ordinaire qui pourrait être apporté par le vent. Mais les seules choses qu’il vit et entendit, ce sont les restes de la bataille s’étant déroulé quelques heures plus tôt. Les réparations, menées par Mathus, délogeait un certain nombre de morceaux de chair putréfiées qui rejoignaient alors le bûcher alimenté par les corps en décomposition tombés au cours de la journée. Le tout sous l’œil attentif de La-Plume, une femme qui s’était prise pour mission de retranscrire tout ce qui se passait ‘afin de ne jamais oublier et de retransmettre aux autres’ disait-elle. Quand on lui demandait de quels autres elle parlait, elle se contentait d’un haussement d’épaules avant de reprendre sa plume.
Le lycanthrope avait déjà eu l’occasion de lire un de ses rapports : elle notait avec soin et une précision remarquable le détail de chaque fait marquant de la journée, et à quel moment de la journée il s’était produit. Personne ne lui a jamais demandé comment elle pouvait mettre une heure, tellement cette information était devenu si peu utile que tout le monde s’en moquait, lui plus que tout autre. Sauf La-Plume.

Pendant sa surveillance, il recensa les personnes de la ville, afin de la comparer aux autres qu’il avait déjà visité : Il y avait tout d’abord Mathus, Jambe-en-Bois, La-Plume, Demi-Tête (une brûlure marquait la moitié de son visage), Le Borgne, Manchot, Coupe-Tête (un ancien tueur à gage semble-t-il, reconverti dans le génocide de morts ambulants), Poêlée (une cuisinière qui ne se sépare jamais de sa poêle), Farfouille et Hachette… Sans compter lui-même, cela faisait 10 hommes et femmes rassemblés entre ces murs. C’est beaucoup si il comparaît ça aux autres villages qui rassemblaient à peine 4 ou 5 égarés, mais une futilité comparés aux dizaines, aux centaines de milliers de morts-vivant qui les mettaient en danger à chaque seconde… Si quelqu’un se rendait compte de cela, l’espoir disparaîtrait en un instant. Pourtant, chacun sait que l’espoir est leur meilleure chance de survie.

Parfois, pour pouvoir vivre, il vaut mieux ignorer, ou faire semblant d’ignorer, la vérité.
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Attaque nocturne

La nuit était tombée sur le campement ensablé. La lune presque pleine inondait de sa lumière le désert alentour, surveillé par l’œil unique mais vif du Borgne et par le regard muet de celui incapable de prononcer un son.
Les gardes nocturnes étaient assurés par des groupes de deux personnes, afin que chacun puisse empêcher l’autre de dormir, ce qui limitait les risques d’une attaque pendant le sommeil des réfugiés, chose qui serait fatale à tous. Personne n’y trouvait à redire, d’autant plus que les descriptions d’une telle attaque par Demi-Tête s’étaient suffisamment incrustées dans les esprits pour que personne, de toute manière, ne puisse dormir tranquille. Même si toutes les attaques subies jusqu’à ce jour s’étaient passé en pleine journée, les mots ‘Il suffit d’une fois’, gravés sur diverses enceintes du mur de protection, rappelaient si besoin est le caractère définitif d’une défaite, qu’elle soit nocturne ou diurne.

Cette nuit, un vent fort soufflait sur le désert, rendant ainsi très difficile la tâche des guetteurs. Il fallait savoir distinguer parmi les ombres dansantes les mouvements des macchabées aux simples jeux de lumière créés par les éléments et le sable, aussi les demandes de confirmation de l’un vers l’autre concernant la nature suspecte d’une observation brisaient la monotonie d’une nuit venteuse. Un simple de ces contrôles détourna un instant le regard du lycanthrope vers un point sombre que lui montrait Le-Borgne. Quelques secondes d’observation commune confirmèrent le caractère inoffensif de ce nouveau mouvement de sable. Cependant, quand il se retourna, ces quelques secondes avaient suffit pour que sorte du brouillard sableux un grand nombre de formes humanoïdes. Des formes à la démarche chancelante, hésitante, mais pas affectée par le sable ou le vent. Sentant l’immobilité soudaine de son compagnon, Le-Borgne se retourna, et ne put prononcer un seul mot à l’égard de ce que si se dévoilait sous leurs yeux : des centaines de cadavres ambulants marchant vers les murs.

Le loup-garou fut le premier à se ressaisir : bousculant son voisin, et le sortant par la même occasion de sa torpeur, il prit la masse et frappa la lourde cloche, faisant ainsi résonner son chant à travers tout le village. Des tentes s’ouvrirent au second coup, laissant apparaître des têtes mal réveillées, mais qui prirent rapidement conscience du message. Un troisième coup fut porté avec plus de force, et même trop au vu de ce qui se passa alors : l’attache de la cloche se brisa sous l’onde de choc, libérant la masse de fonte à l’emprise de la pesanteur. La chute de celle-ci traversa sans brocher le plancher de la tour et brisa toutes les poutres sur son passage jusqu'au sol où elle s’enfonça sans bruit dans le sable. Mais le mal était déjà fait : Le-Borgne, encore en train de descendre, vit, face à ses yeux et avec horreur, l’ensemble des poutres commencer à tomber les unes après les autres, brisant les liens qui maintenaient le fragile ensemble en état.
La masse toujours en main, le lycanthrope fit la seule chose qui lui venait à l’esprit : sauter. Passant par-dessus la balustrade, il jeta son corps loin de l’ancienne plate-forme de surveillance, maintenant en train de se transformer en support de bûcher, et atterrit sans dommage sur le sol sablonneux malgré la hauteur d’où il venait, touchant le sol au moment où l’ensemble s’effondrait sur lui-même, faisant résonner la cloche une dernière fois. Un coup fort, qui sonna comme un glas de mort.

Un bref regard sur la structure ne lui montra qu’un amas désorganisé de monceaux de bois en tout sens, entouré par le nuage de sable soulevé lors de cette destruction. Puis, sans se soucier du reste, il se dirigea vers le mur ciblé par les zombis, avec la ferme détermination d’en découdre si jamais ils venaient à passer. Le bruit du vent a maintenant fait place aux grognements des morts-vivants, aux battements des cœurs tambourinant contre les cages thoraciques des vivants, aux claquements d’élastiques et divers bruit provenant des systèmes de défenses bricolés par les défenseurs et actionnés mécaniquement en train de trancher chairs et os des cadavres en marche.
A l’intérieur, chacun retenait son souffle et guettait l’instant où ils devraient passer à l’action. Soudain, à l’insu de tous, le lycanthrope passa sa main sur son visage : il venait de sentir les premières mutations du cycle lunaire. Ces changements changeaient chaque mois : cette fois-ci ce fut son œil qui se fit l’annonciateur de la métamorphose prochaine et était devenu lupin. Avec ses caractéristiques, à savoir un iris jaune au lieu de sa couleur verte humaine, et surtout reflétant le surplus de lumière reçue. Difficile de passer à côté si on le regardait à ce moment là. Son ouïe s’affina aussi s’il en croyait les différents sons qu’il entendait à présent, mais un bref mouvement de main le rassura sur ce point : cette mutation ne serait pas visible par les autres.
De l’autre côté du mur, la masse d’assaillants sembla diminuer. En tout cas, c’était ce qui était perceptible à l’oreille humaine. La tension était palpable, les phalanges de tous étaient devenues presque blanches à serrer les manches des différentes armes saisies au vol, de la machette au manche d’une masse ou d’une poêle à frire. Seul Coupe-Tête attendait avec un calme apparent, mais son regard trahissait quelque chose que le loup-garou ne pensait jamais voir dans une pareille situation : l’excitation. Excitation qui tomba, tout comme la tension sur les autres survivants, quand les seuls les bruits des rouages défensifs, activés par une manivelle tournée par Manchot, se firent encore entendre.
Cependant, ce n’était que le calme avant la tempête. Alors que le lycanthrope continuait d’entendre des bruits suspects de l’autre côté du mur, ce fut le Manchot qui fit comprendre que le danger était bien plus proche qu’il n’y paraissait.
« Les systèmes de défenses sont coincés !! Ces saloperies les ont coincés !!!
-On est foutu !! »

Aussitôt cette phrase prononcée, Demi-Tête prit la fuite vers le centre. Personne ne le suivit : il était à la fois paranoïaque et pessimiste, et ce n’était pas la première fois qu’il agissait ainsi. Mais pour les autres, c’était quand même le signe d’un gros danger. Ce fut Poêlée qui sut en premier à quel point.
« Les murs bougent ! Ca va s’casser ! »

Cette prédiction ne prit guère que quelques secondes avant de se réaliser : une demi-douzaine de poteaux se décrochèrent et tombèrent, laissant apparaître les chairs putréfiées des zombis. La mince ouverture fut aussitôt comblée par Coupe-Tête et Sans-Voix pour empêcher l’arrivée d’autres assaillants, tandis que les quelques-uns uns qui avaient put entrer se firent déchiqueter par les autres dans un grand ensemble.
« Vite ! Aux murs !! Si d’autres tombent, ce s’ra vraiment la fin ! » Héla Mathus.
Comme une seule personne, chacun prit sa place aux côtés des deux défenseurs pour empêcher l’ouverture de s’agrandir. Et alors que les cadavres s’accumulaient devant l’ouverture, les muscles tendus des autres, y compris Demi-Tête, revenu malgré sa peur, s’efforçaient de maintenir la muraille droite, malgré les assauts répétés.

Fort heureusement, les envahisseurs avaient vu leur nombre très fortement réduit par les scies circulaires externes et autres fosses piégées, et ce supplice ne dura que quelques minutes de plus. Lorsque le dernier cadavre tomba enfin, ils mirent encore quelques minutes à reprendre leurs esprits. L’ancien tueur à gage regarda son ‘compagnon’ de défense avec un regard plein de reproche, avant de hausser légèrement un sourcil. Mouvement qui passa totalement inaperçu aux yeux de tous. Ce fut Mathus qui rompit le silence :
« Où est Le-Borgne ? »

Instinctivement, tous les regards convergèrent vers la tour de guet, réduite en un tas de ruines boisées. Le sable s’était dissipé et révélait l’ampleur du désastre, mais surtout la couleur rougeâtre que commençait à prendre le sable autour. Comme dans un état second, tout le monde se dirigea vers les ruines, d’abord lentement, puis en courant. Ce fut Mathus qui arriva en premier. Il jeta un bref regard à travers les poutres, puis entreprit de grimper au sommet. Les autres arrivèrent au fur et à mesure, et la plupart détournèrent le regard aussitôt. Coupe-Tête arriva juste avant le lycanthrope en dernier, qui pu constater de lui-même ce qui avait causé tant d’émoi.
Le bandeau du Borgne était à présent sur la pointe ensanglanté d’une des minces poutres de bois. Sa tête était plus bas, séparée de son corps et transpercée du même morceau au niveau de l’œil. Son torse gisait plus profondément, écrasé par la masse qui s’était écroulé sur lui. Ses côtes rougies apparaissaient plusieurs fois, transperçant la peau sur dix à quinze centimètres par endroits. Le reste de son corps était sans doute encore ailleurs, mais totalement invisible, caché par les restes de la tour…
« Que s’est-il passé ? Demanda dans un sanglot Farfouille.
-Le fil qui tenait la cloche s’est cassé, répondit Mathus arrivé en haut. Le coup était trop fort. Après, j’ai pu voir Sans-Voix s’jeter par-dessus, mais Le-Borgne est apparemment resté coincé. »
Il redescendit et regarda avec tristesse ce qu’il restait du malheureux guetteur.
« M’enfin… L’aura pas souffert… Bon, on s’remet au boulot ! C’te muraille va pas se réparer seule. »

Cette annonce sortit tout le monde de sa torpeur, et parti à ses occupations. Seul le lycanthrope resta un moment près des ruines, sa main sur sa tête cachant son œil dans une posture qui pouvait rappeler un regret immense. Mathus tenta de le consoler.
« T’y peux rien. Depuis que c’te saloperie de zombie est apparue, on sait qu’on va tous clamser un jour ou l’autre. Lui au moins s’ra mort humain. C’est presque une bonne chose dans c’te monde. »

Il ne put rajouter autre chose : un appel retentit et Farfouille arriva à leur hauteur.
« Y a plus rien à prendre : on a fouillé avec Hachette la dernière zone, mais y a plus rien. Même pas assez pour réparer…
-Très bien. Faut partir alors. Fait passer l’message : rassemblez tout ce qui peut servir et préparez les chariots. Demain même heure, on devra être parti. »
Farfouille parti transmettre le message, Mathus répondit au regard devenu très interrogateur du loup-garou.
« On a construit y a longtemps des chariots qui permettent de trimballer du matos et également de se reposer en ch’min. C’est déjà le 3ème village qu’on construit. Dès demain, on reprendra la ‘route’ pour s’trouver un nouveau coin d’où on pourra se r’faire des murs et des défenses. C’te fois, tu voyageras pas seul » conclut-il en souriant, avant de partir préparer le départ.

Le muet resta un moment interloqué : demain, ils seraient tous dehors à marcher sous la pleine lune. Mais demain, il ne pourrait pas garder forme humaine. Comment allait-il-s’en sortir ?
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Révélations sélènes

Derrière le groupe en mouvement était encore visible la fumée des deux bûchés, allumés dans le village juste avant leur départ. Un pour réduire en cendre tous les zombis qui s’étaient amassés autour des murs en cette funeste nuit, l’autre pour honorer la mort de leur compagnon d’infortune. Même si personne ne regardait en cette direction, les pensées elles, voyageaient pour eux.
Le groupe avait rapidement récupéré les vivres ainsi que divers matériaux utiles et rares qu’ils avaient chargé sur deux grands chariots à patins, reliés entre eux et propulsés à la force des bras. La répartition était simple : quatre devant les chariots pour les tirer, deux derrière pour les pousser, ainsi que deux équipes de deux en surveillance devant et derrière. Mis à part Jambe-en-Bois qui ne quittait jamais sa place à la poussée, tout le monde se relayait régulièrement afin d’avoir le moins de repos à faire, cette idée était renforcée par la présence de deux semblants de couchettes sur les chariots, pour que les plus fatigués puissent se reposer sans ralentir le groupe plus que nécessaire.

Sous un soleil de plomb, le silence était de mise. Mais à l’approche de la nuit et avec l’arrivée de la fraîcheur crépusculaire, on commençait à parler, racontant leurs souvenirs entre les murs qu’ils avaient du abandonner, leur vécu de cette dernière nuit… Seul le lycanthrope, pour des raisons évidentes, et Coupe-Tête gardaient le silence. Personne n’en fut surpris, ce dernier étant le plus associable du groupe. Mis à part quelques cadavres errants ‘solitaires’ et quelques rapides arrêts pour vérifier la teneur en débris utilisable de certains secteurs, la journée s’était passé sans encombre et le groupe se préparait à passer leur première nuit de voyage, sous la clarté de la pleine lune qui s’annonçait.

Cette clarté sélène étaient pour la plupart des voyageurs une bonne chose : ils pouvaient se passer de fabriquer des torches pour pouvoir éclairer la route, mais pour le loup-garou, c’était une source de crainte. Après tout, cette nuit tout le monde pourrait voir qu’il n’était pas humain, bien que vivant, et rares étaient ceux qui avaient consentis à le laisser vivre près d’eux une fois qu’ils avaient découvert son secret. C’est pour cette raison qu’à l’approche de du lever de l’astre nocturne, il s’était placé en sentinelle à l’arrière du convoi, là où le moins de monde possible pourrait le voir, avec Mathus. Toutefois, après à peine quelques minutes, celui-ci laissa sa place à Coupe-Tête.
Le comportement de ce dernier depuis leur départ intriguait le lycanthrope. Il n’avait cessé de rester à proximité du muet, soit le rejoignant dans sa relève ou précédent de peu son intention. Comme s’il voulait le surveiller en permanence, lui et pas les autres. D’après Jambe-en-Bois, qui l’avait remarqué également, ce comportement n’était pas exceptionnel de la part de l’ancien tueur à gages. Cela aurait pu le rassurer, mais à l’approche de l’instant fatidique, il aurait préféré qu’il se tienne loin de lui.

« La lune va bientôt se lever. »

Le loup-garou ne put s’empêcher de sursauter. C’était la première fois qu’il entendait la voix de Coupe-Tête. Une voix qui ne laissait pas indifférent : c’est presque comme s’il voulait tuer juste avec ses mots.

« Je n’aime pas qu’on me prive de mes victimes, qu’elles soient déjà mortes… ou non. »

Pourquoi lui disait-il ça maintenant ? Le lycanthrope ne comprenait pas et regardait, intrigué, le dos de son interlocuteur. D’accord, il avait compris qu’il lui en voulait d’avoir pris part à ses côtés pour empêcher le massacre qu’aurait pu provoquer les armées mort-vivantes, mais pourquoi avait-il rajouté ces derniers mots ?
« Mais cette fois, je crois que je vais avoir une proie de premier choix » dit-il en regardant enfin le muet.

Ce dernier haussa les sourcils, surpris. Le regard du tueur exprimait la même excitation que la veille, à l’approche des zombis. Par acquis de conscience, il regarda derrière lui : aucun signe d’une activité quelconque. Tout ce qu’il y avait à remarquer fut la tâche de clarté à l’horizon, annonciateur de la proximité de la Lune. Les regards se soutinrent à nouveau.

« Ces attaques de zombis sont devenues le seul moyen d’avoir un peu de distraction en ce monde. Pourtant, personne ne souhaite mettre sa vie en jeu pour connaître ce sentiment. Ils ont trop peur de perdre. C’est pourtant le seul plaisir qu’il nous reste. »

Il devenait de plus en plus obscur, et de plus en plus inquiétant aussi. Coupe-Tête était particulièrement avare en parole depuis que le lycanthrope le connaissait, et pourtant, en à peine quelques minutes il avait déjà bien plus parlé que tous les autres à l’encontre du muet.

« Mais ces zombis se laissent détruire trop facilement… Il n’y a plus de plaisir à les voir se coucher. Rien ne vaut la mise à mort d’un être vivant, voir ses réactions, sa peur au moment où sa vie le quitte. Mais tuer un homme n’est pas vraiment possible maintenant…»

Un déclic se fit. Il commençait enfin à voir où il voulait en venir, mais espérait sincèrement se tromper. Quand aurait-il pu avoir un doute ?

« En revanche, personne ne devrait m’empêcher de tuer un vivant qui ne serait pas humain… Car tu n’es pas humain, n’est-ce pas ? »

C’est à ce moment là que l’astre sélène se dévoila suffisamment de la ligne d’horizon. Sans un mot et devant les yeux avides du tueur, le lycanthrope se retrouva rapidement sous sa vraie forme.

« Ainsi donc, c’est ce que tu es… Un de ces monstres des légendes. Un de plus. Mais au moins, toi tu vis. Depuis la veille, avec ton œil jaune, que je t’observe, et maintenant tu es à moi. L’avantage, c’est que personne ne t’entendra hurler, dit-il en sortant sa machette. Je n’ai encore jamais eu de trophée de ton espèce… »

Ils se regardaient maintenant droits dans les yeux, chacun dans une position défensive, attendant que l’autre fasse le premier geste. Néanmoins, ils ne restèrent que quelques minutes dans cette posture : le loup-garou ne tarda pas à voir les autres arriver dans le dos de Coupe-Tête. Le tueur les entendit aussi et sembla passablement énervé, bien que restant silencieux.
La stupeur se lisait sur les visages des autres quand ils virent ce qu’ils avaient sous les yeux : un des leurs manquant à l’appel et à la place une créature non-humaine, portant ses vêtements… Une voix s’éleva de l’ensemble :
« Sans… Sans-Voix ?
-Il se tient devant vous, ce monstre qui se cachait. » Fut la réponse de l’assassin.

Et sans attendre plus longtemps, il se jeta sur le lycanthrope dans la ferme intention de ne pas lui laisser le temps de réagir. Ce dernier eut juste le temps de prendre la lame émoussée dans sa main pour éviter un point plus sensible, laissant apparaître un mince filet de sang qui se mit à couler jusqu’au manche.
Une voix forte s’éleva alors :

« Arrêtez !! »

Tous tournèrent la tête vers l’origine de l’appel, les deux adversaires toujours dans la même position, et l’attroupement se sépara pour laisser passer Mathus. Il observa un instant la situation, puis déclara :

« Tout l’monde au boulot, j’vais rester avec lui si vous avez pas confiance.
-Tu veux le laisser en vie ! S’exclama Coupe-Tête en lâchant le manche de son arme et en se dirigeant vers lui. Mais c’est un monstre, il n’a pas le droit d’être ici ! »

Ils se regardèrent un instant, puis avant que chacun puisse réagir, le doyen prit l’assassin à la gorge de sa main gauche et de la droite, le retourna et maintint sa main dans son dos.

« Ecoute-moi bien. Son cœur bat, il respire, il est vivant. Il a donc autant le droit que toi d’être ici. Si tu le tue, je te tue de suite. Et j’hésiterais pas avec toi : C’est à cause d’un gars comme toi que ma famille est morte, et ça me soulagerait d’enfin pouvoir les venger. »

Sa voix avait perdu son calme habituel, et c’était la colère ainsi qu’une forme de rage qui était à présent perceptible dans la voix de celui qui avait pris la tête du groupe. Il relâcha son emprise après une trentaine de secondes, et l’ancien tueur à gage tomba alors à terre, se massant le cou et l’épaule. Il se releva et, après un dernier regard envieux envers le lycanthrope, retourna vers le traîneau. Les autres regardèrent Mathus, et l’inquiétude se lisant sur la quasi-totalité des visages.

« S’il avait voulu nous tuer, il a foiré plein d’occas’. Allez-y. »

En entendant ces mots, tout le monde remonta vers l’avant. La-Plume, la seule à n’avoir pas montré de signe évident d’inquiétude, haussa les épaules et marqua quelque chose dans son calepin avant de suivre les autres.


Il se remirent alors tous en route dans ce nouvel ordre, sous la lumière sélène. Mathus et le loup-garou marchèrent côte à côte, sans que ce dernier n’ose regarder son voisin, jusqu’à ce qu’il prenne la parole.

« J’te demande de rester. Oui, je sais que t’es pas aussi humain qu’on le pensait. Oui, je sais que les autres ont les j’tons en pensant à toi, et qu’ça changera pas. Mais ton sang en toi, comme pour chacun de nous. On est pas nombreux à avoir survécu à c’te catastrophe, et une vie reste une vie, qu’elle soit humaine ou autre. On doit s’serrer les coudes contre les macchabées. »

Pourtant, le lycanthrope savait qu’il ne pourrait rester indéfiniment avec eux. Même si Mathus lui faisait confiance et qu’il était considéré comme le chef de ce groupe, il ne pourrait pas retenir longtemps les autres qui, sous l’effet de la peur, chercheraient à le chasser, si ce n’était le tuer. Comme ailleurs, rejeté pour ce qu’il était malgré les services qu’il avait rendus…
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Danger souterrain

Une rangée de simples morceaux de bois… Telle était la seule protection qu’ils avaient pu installer avant la nuit, dans ces ruines trouvées sur leur chemin. Des ruines suffisamment récentes en tout cas pour que les murs de béton présent soient encore debout et en assez bon état. Un vrai luxe dans ce monde désertique. C’est pourquoi la troupe s’était installé ici, une journée seulement après qu’ils aient tous vu la vraie nature de celui qui, la veille encore, n’était que ‘Sans-Voix’, et qui maintenant est devenu pour beaucoup le ‘Garou’, l’ ‘inhumain’ ou encore l’ ‘étranger’, quand ils ne reprenaient pas l’expression de l’assassin, le ‘monstre’.
Dans ce groupe qui lui était à présent hostile, le lycanthrope pouvait encore cependant compter sur l’appui de Mathus mais également de Jambe-en-Bois aux côtés de qui il avait poussé les chariots durant une bonne partie de la journée. Avec La-Plume qui montrait une incroyable indifférence envers sa nature, c’était les trois seules personnes qu’il pouvait regarder sans voir en eux un mouvement de peur, de recul ou de haine.

« Vont finir par se rendre compte qu’tu veux et qu’tu peux les aider, et ça ira mieux, lui avait dit l’estropié. M’a fallu du temps avant qu’ils arrêtent de me jeter des caillasses, tu sais ? Bon, toi, ça risque d’être encore plus long… »

Malgré ses paroles réconfortantes, le muet avait pris sa décision : une fois que les défenses seront suffisamment organisées et solides, il partirait. Ainsi, il n’avait plus à supporter le regard inquisiteur de l’ancien tueur à gages qui, cette nuit également, le surveillait. Lui-même était surveillé par Mathus qui le soupçonnait de vouloir profiter de la moindre occasion pour compléter son tableau de chasse. Ils étaient donc trois à rester éveillé par cette nuit de pleine lune et à être prêt à tenir jusqu’au lever de l’astre solaire.

La surveillance constante dont il était la cible n’était pas une nouveauté pour le lycanthrope. C’était pourtant la première fois que cette surveillance le perturbait à ce point. D’ordinaire, il était surveillé pour vérifier qu’il ne s’attaquerait pas aux autres, ce qui n’avait aucune chance d’arriver, mais là, il était observé pour guetter un moment propice à sa mise à mort. Ce n’était guère réjouissant de savoir qu’un nouveau péril potentiellement mortel pendait sur soi tel une épée de Damoclès. Comme si la mort n’était pas déjà suffisamment proche au quotidien…
Dans ce silence presque total et lourd, tous les sens de chacun était aux aguets. Seul le bruit du sable qu’on gênait dans son immobilité parvenait aux oreilles sensibles du lycanthrope. Il regarda aux alentours pour constater que, comme quelques minutes plus tôt, seuls Coupe-Gorge et Mathus, immobiles mais attentifs, était une preuve d’une présence organique entre ces murs. L’absence de vent rendait la surveillance olfactive un peu plus délicate, mais il ne décelait aucune trace quelconque de zombis. Aucun danger de ce côté là donc.

L’astre sélène continua sa course céleste sans qu’aucun des vivants ne bouge, le vent étant toujours absent de ce tableau. Seul le bruit de sable persistait aux seules oreilles du muet, même s’il lui semblait qu’il devenait un peu plus fort. Soudainement, le garou sursauta, s’attirant de suite les regards des deux autres guetteurs. Si rien ne bougeait, quelle était l’origine de ce bruit ?
Un cri résonna alors, en provenance de la bâtisse transformée en dortoir, et quelques instants après, une main d’outre-tombe sortit du sable pour s’accrocher à la cheville du lycanthrope. Il la sortit de terre, entraînant tout le bras en putréfaction par la même occasion, avant de se libérer et de jeter ce reste au loin. Quand il regarda autour de lui, la vision paisible s’était transformée en épouvante : partout, des cadavres s’arrachaient au sol sablonneux, s’accrochant à ce que leurs mains avides pouvaient attraper, tandis que d’autres sortaient des bâtiments bétonnés de leur démarche macabre et le regard éteint.
Cette ville était un gigantesque cimetière qui venait de se réveiller d’entre les morts.

Rapidement, toute trace d’organisation disparut. Seule la survie comptait, et chacun se débrouillait avec ce qu’il avait à sa disposition pour lutter contre les flots pourris de cette armée de morts. Du coin de l’œil, le lycanthrope vit le tueur à gages frapper de tous les côtés, une courte lame de couteau dans chaque main un sourire avide aux lèvres, et Mathus se débattre avec un morceau de béton qu’il avait du ramasser en tentant d’aller vers l’origine du cri. Il ne put le surveiller plus longtemps, un mort-vivant venait d’obstruer son champ de vision et il dut concentrer son attention sur ses environs premiers, se débattant à coups de griffes et même de crocs, malgré le goût faisandé que chaque morsure laissait dans la gueule du garou.
Quelle que soit la direction qu’il tentait de prendre, il rencontrait un cadavre, et pour chaque zombi ramené à terre, il s’en dressait de nouveaux. Cela semblait ne plus finir.
Soudain, deux détonations claquèrent, surpassant le bruit des grouillants, et lycanthrope sentit quelque chose frôler son oreille en sifflant, en même temps qu’une vive douleur dans l’épaule gauche. Il tourna la tête vers l’origine du bruit, pour voir le bras ensanglanté de Coupe-Gorge dépasser d’un tas grouillant de cadavres dont la main tenait un pistolet encore fumant, pointé droit sur lui, avant de tomber, séparé du reste du corps. Cette chair fraîche devait se révéler une excellente diversion sur les morts-vivants puisque leur attention fut immédiatement attirée par le bras immobile. Profitant de ce moment, le garou s’empara de la machette à sa ceinture et d’un mouvement circulaire, trancha tous les cadavres autour de lui. A présent libéré, il put enfin partir à la poursuite du chef du groupe, laissant derrière lui les cadavres en train de se déchirer pour dévorer les restes du tueur.

Les zombis s’entassaient autour d’un bâtiment précis : celui dans lequel les autres s’étaient endormis. Le garou arracha un morceau de mur effrité et le lança de toutes ses forces à travers la marée cadavérique, libérant un passage vers le mur. Rangeant sa machette, il se dépêcha de l’emprunter et utilisa les trous du béton pour grimper jusqu’à une fenêtre à l’étage. Là, un spectacle macabre s’offrait à ses yeux : dans l’unique salle de ce qui restait de cette demeure, le sol était jonché de cadavres putréfiés, et laissant dépasser par endroits un bras ou une jambe de quelqu’un qui était encore vivant il y a quelques minutes à peine. Au fond de la salle, un éboulement récent et sans doute provoqué condamnait l’unique accès à la salle pour les macchabées, juste à côté de quelques putrides encore debout rassemblés autour d’un coin. Sans prendre le temps de réfléchir, il ramassa quelque chose de solide par terre et le lança dans le crâne d’un des corps gesticulants. Si cela ne le mit pas à terre, cela détourna son attention ainsi que celle de ses camarades vers le lycanthrope, juste à temps pour voir les griffes de ce dernier labourer leur tronc puis la tête pour les mettre à terre, définitivement. Ce faisant, ce dernier constata avec amertume que ce qu’il venait de lancer n’était rien d’autre qu’une jambe de bois, ce qui voulait dire que son ancien propriétaire avait succombé à cette attaque…
Regardant enfin ce qui attirait ces zombis, le lycanthrope eut la surprise de voir Mathus, blessé de toute part et respirant avec peine, une simple armature d’acier dans sa seule main encore valide, aux côtés de La-Plume, blessée elle aussi et inconsciente, mais encore vivante.

« Sans-Voix ? T’es venu ? » fit Mathus, la voix faible.

Le garou s’accroupit pour se mettre à sa hauteur et regarda les blessures des deux survivants. Si celles de La-Plume étaient somme toute assez légères et pouvaient être guéries, le chef en revanche était si profondément atteint que c’était déjà un miracle qu’il n’ait pas sombré dans le dernier coma avant l’appel de la Faucheuse. Et il le savait.

« Semblerait que mon temps est v’nu… J’ai fait mon possible. »

Le chef toussa, crachant un peu de sang. Le lycanthrope ne fit aucun geste pour le contre-dire. C’était inutile, il le savait.

« Comment s’en sort Coupe-Gorge ? C’tait lui les coups d’feu ? »

Le muet secoua la tête dans un mouvement lent qui en disait long.

« Même sur le point de clamser, il a tenté de te flinguer… fit le chef en remarquant l’épaule du garou. Shooté qu’il était c’gars là… Un fou, un psycho… Mais on s’rait par arrivé si loin sans lui… Même les pires pourris sont utiles dans c’monde… »

Une nouvelle quinte de toux sanglante interrompit Mathus. Il prit quelques secondes comme pour reprendre quelques forces avant de reprendre.

« Faut vivre, vieux. T’es p’tet pas humain, mais tu l’es plus que d’autres… Survis, et aide les autres à vivre. C’est mon dernier souhait… Tant qu’il reste une once de vie… On peut tout reconstruire… Participe à c’te renouveau… Et fait tout ce qu’il faut pour… qu’un max de monde puisse … voir ce nouveau… »

Sa voix se faisait de plus en plus faible, et dans un dernier soupir, la tête de Mathus retomba sur son torse, tandis que sa main tenait encore sa dernière arme, accroché à ce symbole de défense jusqu’au bout et au-delà. Le garou lui referma doucement les yeux, avant de se relever. Il lui fallait survivre, aussi bien pour lui que pour cette dernière volonté.
Le nombre de zombis encore debout ici était bien trop important pour espérer tous les mettre à terre. De plus, les corps de ses anciens compagnons d’infortune pouvaient encore se relever, et il n’avait pas le cœur à les attaquer, surtout deux d’entre eux. Il lui fallait donc fuir, et si possible en détruisant un maximum de cadavres derrière lui.
Il commença par ramasser un sac, et rassembla tout ce qu’il pouvait trouver. Ensuite, il prit La-Plume encore inconsciente et la posa près de la fenêtre après avoir écarté les cadavres de cette seule sortie. Ce qu’il comptait faire à présent demandait de la vitesse.
Il s’approcha de l’éboulement et, sortant une allumette des affaires qu’il avait trouvées, enflamma un tissu qui traînait. Alors que le feu prenait et commençait à se propager parmi les chairs putréfiées, il prit un gros morceau de béton de l’éboulement, libérant ainsi le passage aux macchabées mais surtout un accès pour les flammes afin de tous les brûler. Courant vers la fenêtre, il lança le béton sur la masse morte-vivante sous lui. Prenant ensuite La-Plume dans ses bras, il sauta sur ce bloc, et profita de l’absence de zombis dans son entourage immédiat pour s’échapper, La-Plume dans ses bras. Trop lents pour réagir, les morts ambulants ne purent pas les attraper et prirent feu petit à petit quand leurs compagnons embrasés tombèrent à leur tour par la fenêtre.

Cette ville était un cimetière qui avait pris dans ses filets une troupe de vivants. Maintenant, c’était un brasier géant duquel s’échappait deux rescapés, deux miraculés.
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Journal de bord.


An VI, neuvième mois, jour 20.
Le lendemain de l’attaque qui nous a presque tous tués. Nous pensions être à l’abri, et nous nous sommes retrouvés piégés. Mathus, Hachette, Manchot… Tous ont succombés. Seuls Sans-Voix et moi-même avons survécus, lui sans doute grâce à sa nature de garou, moi grâce au sacrifice de Mathus. Il a donné sa vie pour tenter de nous sauver tous, mais je suis la seule survivante du groupe au repos cette nuit-là.
Sans-Voix m’avait déjà conduit loin quand je repris mes esprits, et il partagea les affaires qu’il avait pris entre nous deux, pour économiser nos forces. Nos réserves d’eau et de nourriture sont faible : à peine quelques jours si nous économisons. C’est notre principale priorité.


An VI, neuvième mois, jour 24.
Mes blessures ont presque complètement cicatrisé maintenant. Celles de Sans-Voix ne sont déjà plus qu’un souvenir depuis la veille. Cette régénération accélérée est surprenante : après l’avoir vu à l’œuvre, je comprends mieux les légendes d’invulnérabilité des garous. Combien de cicatrices aurait-il s’il ne guérissait pas à ce rythme ? Rien que ces derniers jours, il a reçu un certain nombre de griffures qui n'existent plus aujourd'hui.
Nos provisions s’amenuisent. Demain nous serons à court si nous ne trouvons rien. Nous apercevons des ruines à l’horizon. C’est peut-être notre dernier espoir.


An VI, neuvième mois, jour 26.
Nous sommes sauvés : ces ruines comportaient une citerne d’eau encore potable et des stocks de vivres variés dans ce qui semble être un abri antiatomique désaffecté. Si je m’en réfère au calendrier trouvé à l’intérieur et compte tenu du décompte fait depuis la catastrophe dans ce journal, nous devrions être un 24 décembre, la veille de Noël. Quand j’explique cette découverte à Sans-Voix, il hausse les épaules, comme si cela ne lui importait pas. C’est vrai que depuis ce jour funeste, nous n’avons plus de saisons…
Nous allons tenter de rester dans cet abri, mais il semblerait que l’on doive déjà partir : les morts-vivants sont déjà très proche et l’abri est déjà trop abîmé pour nous protéger efficacement.


An VI, dixième mois, jour 5.
Nous n’avons pas pu rester dans l’abri, comme nous le craignions. Les nuits sont maintenant sombre et toujours aussi silencieuse. Nous devons garder le silence pour entendre les zombis arriver, mais je sens que je deviens folle. Comment a fait Sans-Voix pour ne pas craquer durant le temps où il était seul ? Plus le temps passe, et plus je me rends compte des difficultés qu’il a dû rencontrer pour survivre seul, et de la chance que nous avons eu de pouvoir être en groupe dès le début de l’après-catastrophe.
Les activités mort-vivantes sont continues, environ une dizaine de zombis par jour tombent sous les frappes de Sans-Voix. Il en vient toujours autant malgré tout le temps passé...

An VI, dixième mois, jour 9.
Enfin, les nuits sont un peu plus lumineuses. Mais toujours pas suffisamment pour que je puisse être tranquille. Cependant, Sans-Voix semble être déjà un peu plus à l’aise. J’ai mis du temps avant de me rappeler qu’il n’était pas humain. En temps normal, rien ne le distingue d’un être humain standard à première vue. Je commence aussi à comprendre pourquoi les garous sont craints dans les légendes… Est-ce que son calme est commun à tous ceux de son espèce –ou race, je ne sais pas– ou est-ce juste lui ? Quelque part, il n’en est que plus mystérieux… Je ne sais plus quoi penser, si ce n’est qu’il ne semble pas être un danger pour moi.
Nos provisions sont à nouveau assez minces. Nous avons à peu près une semaine pour trouver de nouvelles provisions. Elles auront duré trois semaines, alors que j’avais à peu près estimé nos réserves en sortant du bunker à un mois. Il nous faudra être plus prudent. Peut-être est-ce dû au surplus d'énergie demandé pour mettre à terre tous ces zombis?


An VI, dixième mois, jour 14.
Nous arrivons enfin dans une nouvelle zone anciennement habitée. La lune bientôt pleine va nous permettre de pouvoir l’explorer dès ce soir. Nous n’avons pas le choix, nos réserves d’eau sont épuisées. Pourquoi ai-je l’impression que cela part plus vite que prévu ? Arriverons-nous à survivre, au moins jusqu’à retrouver d’autres survivants ?
Pas de zombis dans le secteur. Mais notre précédente expérience nous a suffis: nous ne nous arrêtons que sur des sols en dur et restons vigilants.


An VI, dixième mois, jour 15.
Nous avons pu dénicher de quoi tenir une semaine de plus en nourriture, et à peine quelques jours d’eau… Et encore moins si on se réfère aux consommations de ces derniers jours. Il reste une cave dont l’entrée est encore inaccessible suite à un éboulement. Nous allons dégager l’accès demain, ce soir il nous faut du repos. Il ME faut du repos.


An VI, dixième mois, jour 16.
L’accès a été libéré, mais par la force brute de Sans-Voix en tant que garou. Le mois dernier, je n’avais pas vu de quoi il était capable, ni même sa transformation. Tous deux sont impressionnants, et en même temps terrifiant. Des blocs de plusieurs dizaines de kilos ont été soulevés comme des fétus de paille. Même si cette action nous a donné l’accès à d’autres réserves d’eau, je ne peux m’empêcher d’avoir peur.
Quand je relis ce dernier mois, je me rends compte que j’ai perdu cette objectivité que j’avais au départ… Qu’est-ce qu’il m’arrive ?


An VI, dixième mois, jour 18.
Nous quittons le bâtiment, vidé de tout ce qui peut nous être utile. Aucun zombi ne nous a dérangés pendant que nous étions ici, chose rare mais extrêmement profitable. Nous avons récupéré eau et nourriture pour une dizaine de jours au vu de nos dernières consommations.
Nous reprenons la route, mais les yeux jaunes de Sans-Voix m'ont fixé un moment, et j'ai cru déceler de la tristesse dans son regard. Pourtant, il devrait être un peu soulagé de ne plus être seul. Je ne le comprends pas. Je crois qu'en fait, personne ne peut le comprendre.

An VI, dixième mois, jour 21.
C'est moi qui suis à l'origine de la surconsommation de nourriture ces derniers jours! Moi qui utilise plus de nourriture et d'eau que d'ordinaire! Pourquoi? Je n'en sais rien. Mais maintenant que je le sais, je vais essayer de me restreindre. La situation est extrêmement difficile, il faut faire des sacrifices pour pouvoir espérer s'en sortir.
Cela fait à présent 7 jours que nous n'avons pas croisé la route d'un zombi. Pourtant, nous voyons leurs traces, et ce matin même un bras putréfié seul traînait sur notre chemin. Ils sont toujours là.

An VI, dixième mois, jour 23.
Je n'ai pas pu tenir bien longtemps ce « régime »... La faim me tenaille de plus en plus, malgré des rations bien plus conséquentes que ce que nous pouvons nous permettre: Sans-Voix me donne une partie de sa part afin que nos réserves ne baissent pas trop vite. J'ai l'impression qu'il me cache quelque chose, et je ne sais pas ce que c'est. Ou plutôt, j'ai peur de savoir ce que c'est...
Le vent nous rapporte des bruits de voix, mais il nous est impossible de savoir d'où ils proviennent. C'est la première fois que je vois Sans-Voix en défaut sur quelque chose... j'ai l'impression qu'il n'entend même pas ces voix.
Toujours aucun zombi à l'horizon. J'ai déjà rencontré ce grand silence auparavant, il faut que je relise les dates d'avant.


An VI, dixième mois, jour 27.
Il y avait déjà eu un cas semblable, il y a deux ans... 3 semaines sans voir aucun zombi, avec dans le même temps Hurleur qui mangeait de plus en plus, et faisait de plus en plus de fausses alertes. En fait, il entendait des voix... J'ai les mêmes symptômes. Exactement les mêmes symptômes... Pour lui, la fin de la troisième semaine correspondait au moment où son âme est morte, laissant son corps marcher de lui-même. Il était devenu un des leurs.
Selon toute logique, je finirais exactement dans le même état. Et selon les dates, cela devrait arriver dans les prochains jours. J'ai annoncé la nouvelle à Sans-Voix, et je lui aie demandé s’il le savait. Sa réponse fut sans équivoque: il le savait. Et depuis 3 semaines, soit avant le début des premiers symptômes. Ce regard triste, c'était en pensant à moi...
Demain, je lui demanderais de me donner la mort. Je suis encore du bon côté entre la vie humaine et la vie zombifiée, et je veux mourir en restant du bon côté. Je sais que je n'aurais pas le courage de le faire moi-même, j'espère que Sans-Voix l'aura pour moi...
Ceci sont très certainement mes dernières lignes. Je vais revoir Mathus, Le-Borgne... Tous ceux que j'ai croisé et que j'ai vu mourir. Adieu.

La-Plume.

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An VI, dixième mois, jour 28
Je reprends là où elle s'est arrêtée. Quand elle m'a fait sa demande, je l'ai tuée. Sans hésiter. Avant, on aurait appelé ça « euthanasie » il me semble. Maintenant, ce n'est plus qu'un geste de survie comme les autres.
En sa mémoire, je vais conserver ce journal. Je suis peut-être incapable de parler, mais je sais encore écrire. Mais je ne saurais pas être aussi précis qu'elle sur les dates.
Elle avait raison sur ce point: nous devons garder une trace de ce qui se passe pour ne pas refaire les mêmes erreurs, et avancer. A moins d'un miracle, je ne serais jamais accepté dans une nouvelle société humaine, quelle qu'elle soit. Mais je peux, je dois aider cette société à se construire. J'en ai fait la promesse à un des rares humains qui m'a accepté en tant que garou. Je tiendrais cette promesse.
L'initialement anonyme.

Les lycanthropes renferment bien des secrets. Êtes-vous sur de vouloir les connaître?
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