Une étreinte éternelle et des centaines de souffles. Pas d'ombres, seules les lumières des Cœurs rayonnants battant à l'unisson, et le vent qui dansait sur leur peau. D'où venait cette bourrasque dans cette pièce close ? Un mystère de plus qui ne sera jamais résolu, peut-être provenait-il de la Dame Sélène qui l'embrassait, ou des souvenirs brumeux flottant dans les méandres confus des temps passés lointains qui se reformaient en volutes hasardeuses pour renaître et se laisser contempler une dernière fois avant de retourner dans le marasme infini de l'oubli. Son corps chaud contre celui tiède et pourtant d'un immense réconfort de sa mère. L'enfant de la Lune sentait les plumes qui lui poussaient au bout des doigts, l'incitant à voler enfin pour retrouver la place dont elle avait été déchue alors. Marchant sur elle-même, errant dans le labyrinthe des existences et ignorant sa précieuse progéniture dont la perversion s'accentuait au fil de ses viols. Les bras de la Terre, petite et fragile, farouchement accrochés au cou de sa divine mère, qui l'étreignait par la taille. Elle n'était plus qu'une enfant perdue et effrayée par l'immensité de la tâche qui lui était incombée, mais le choix était un luxe dont la déesse ne disposait guère. Et en souvenir de son père, en mémoire de ceux qui s'étaient battus pour elle, en hommage à leurs mentors, à Genghis et à Sèmil, elle continuerait jusqu'à ce qu'elle sombre ou qu'enfin son père resplendisse à nouveau dans les cieux, dusse-t-elle supporter tous les fardeaux, surmonter toutes les épreuves et souffrir de chaque perte qui lui serait infligée par le Destin jusqu'alors. La nuit serait longue, bien longue, mais l'ombre est toujours la plus noire avant l'aurore, et quand les lumières du Soleil viendraient enfin colorer ce monde désolé, le sang vermeil à même le sol découvrira enfin la raison qui l'a fait fuir des veines qu'il a déserté. Et la Vie, forte et indomptable reviendra, avec son lot de prédation, mais enfin baignée de chaleur flavescente. C'était leur ultime objectif, ce qu'ils devaient faire. Et elle se sentait à la hauteur, elle qui devait reprendre possession de son trône dérobé. Mais pas cette nuit, où elle avait juste besoin de bras réconfortants et de se laisser bercer dans l'amour qu'on daignait lui offrir. De s'abandonner à cette étreinte.
"Je suis là."
Et les larmes qui perlaient à ses yeux, les sanglots incontrôlables qui la faisaient hoqueter, elle se perdait dans le souffle de la Lunaire qui émanait du fond de la poitrine de son avatar frais, sa voix continuerait à la faire avancer dans les nuits sombres, et demain elle serait plus forte, car rien n'importe moins que le lendemain, et c'était au nom de cet insaisissable futur qu'ils se battaient tous. Car loin de l'aube, la Vie se mourrait sans lumière vers laquelle se tourner. Le Soleil devait revenir, apportant avec lui parhélies et autres chimériques nitescences prêtant leurs moires au jeu de ses rayons. Et la douce tiédeur qu'ils espéraient tous sentir sur leurs visages blêmes. Ses souvenirs étaient retournés à la poussière, flous car ils appartenaient déjà à une autre, à la Déesse en elle. Ce soir, elle n'était qu'une enfant perdue. Ce soir, elle était juste Zejaléa, embrassée par sa mère au seuil de la réalité abstraite de leurs retrouvailles incertaines. Leurs esprits se touchaient par une coalescence naturelle qui ne les avaient jamais quittées. Juste une mère aimante et sa fille au regard océanique. Sa génitrice parlait, lui murmurant des mots de douceur, ceux qu'elle avait tant attendu au travers des hivers, au fil des lames, au gré du vent. La Lune froide semblait être habitée par un feu de joie en cet instant, ce présent qui serait bientôt révolu, oublié et dont l'importance bafouée se conjuguerait au passé. Et l'astre froid se découvrait une âme humaine dans cet échange, quelques secondes à peine, le temps d'un instant.
"J'ai pleuré, tellement pleuré. J'ai cru que je ne pourrais pas vivre sans sa lumière. Mais j'ai vécu pour toi. Et j'ai haï si profondément le responsable de ma double perte, de toute mon âme solitaire. Seule dans l'Univers, car tu avais perdu l'aura Divine qui t'étais échue. Je l'ai tant méprisé. Il faut que tu saches. Même les Dieux manquent de pureté dans leur Cœur..."
La fin de l'étreinte, elle le sentait. Elle savait que c'était le moment de se séparer, en dépit de toute la force qu'elles avaient lorsqu'elles se trouvaient enlacées, faisant fi du réconfort et de la douceur infinie. Pour qu'elle se retrouve, il lui fallait faire ce sacrifice douloureux, et pourtant si facilement oublié. Si elle avait pu, elle ne l'aurait jamais lâchée. Le cœur de la jeune fille tambourinait sans vergogne aucune contre sa poitrine, également désireux de trouver son chemin vers la paix d'un corps de glace qui lui avait tendu les bras. Et puis ce fut la fin de l'union, humidifiant le regard clair de Zejaléa alors qu'elles se séparèrent. Face à face à nouveau, se regardant l'une l'autre. Ou plus exactement, l'une dans l'autre, contemplant l'âme millénaire qui s'était offerte en l'espace d'un instant, amarre à laquelle elles s'ancreraient au travers les tempêtes de peines. La jeune apprentie tremblait un peu, et de ses yeux, l'eau gouttait avec un calme inexorable, descendant sans faillir à l'instar des sources serpentant jusqu'à la mer et soulignant au passage les milles courbes paysagères qu'elles pouvaient croiser. Tout n'était qu'un chemin de virages et de méandres, qui commençait par une rencontre.
"Mais toi, tu es si pure. Va ma fille."
De quel liquide sont faits les pleurs d'une déesse ? Une larme, unique, solitaire, s'écoulait lentement du regard lunaire chagrin. Un dernier sourire. Elle devait partir. C'était fini. Les yeux mi-clos, l'immortelle fragile fit volte-face pour ne pas ressentir le besoin mordant de retourner dans cette protection utopique et sortit, refermant doucement la porte derrière elle. Le couloir n'avait pas changé, il était resté le même, l'enveloppant dans une pâle radiance bleutée. Mais elle avait froid, si froid loin de ces bras pourtant glaciaux qui l'avaient tenue seulement quelques moments. Frissonnant, elle s'arracha à ses pensées en atteignant l’extrémité du corridor et ouvrit la porte pour se retrouver à nouveau dans la grande salle. La voie vers sa mère disparut presque instantanément dans son dos, sans un bruit, comme un signe de l'inexorabilité de sa situation. Des heures semblaient s'être égrenées depuis que l'Elfe sans nom lui avait ouvert la voie jusqu'à la créature lactescente de la nuit, mais pourtant, cet immense hall restait figé, froid et mort comme une plume recouverte de givre au petit matin. Au vu de l'heure, la guérisseuse s'attendait au silence complet, mais une perturbation imprévue attira son ouïe. Tournant la tête, Zejaléa eut la surprise d'apercevoir le frêle habitant lunaire en face d'une silhouette familière. Arl, et Moon au-dessus de lui comme toujours. Pourquoi étaient-ils là ? Peut-être avait-elle mésestimé le temps passé en compagnie de la Déesse glaciale, pourtant cela n'expliquait en rien la présence de l'apprenti à cet endroit. Réfléchissant, elle n'avait émis aucun son et était restée par instinct hors de vue, tel un faon glissé dans les feuillages automnaux, proie si facile dont seule la discrétion pourrait lui accorder le répit, faute de salut. Lorsqu'elle prit conscience de son attitude, la jeune fille en sourit et sortit de son pan d'obscurité en émettant délibérément quelques bruits de pas pour annoncer sa présence. Bien assez vite, ils la remarqueraient, se tourneraient vers elle et tous trois parleraient probablement.
Mais quelques secondes s'étaient amarrées à sa mémoire, le contact de la Lune demeurant gravé sur sa peau, marqué aux endroits où son corps s'était appuyé à celui de la Dame Sélène, qui lui avait révélé en cet atypique instant la beauté profonde qui l'habitait. Elle était géode, simple au premier regard mais sertie de joyaux en son cœur, fragments précieux dont les noms sonnaient encore jusque dans les légendes perdues. On les avait appelés forêts, rivières, montagnes et océans, ou même par caprice soudain, nuages. Fichés en elle à l'instar des étoiles dans leur drap céleste. La Lune lui avait rendu ses sensations, pulsant au rythme des aléas, envoûtante et protectrice. Elle lui avait rendu ce que l'humaine avait délaissé par manque d'immensité. Sa vibration. Elle la sentait à nouveau. Elle était la Terre, et elle vibrait vigoureusement, en accord avec l'infini.
Au diapason avec le chant des Nébuleuses.