Les contes de Lémoné

16-12-2017 à 20:23:36
Lémoné



Il est des terres de neiges et de glaces, des terres terribles et infertiles, des terres où rodent les bêtes, des terres où la peste frappe. Il est des terres de sable et de soleil brûlant, des terres de paix, de rois et d'empereurs puissants. Il est des terres où il fait bon vivre, des terre où chaque jour est une souffrance.

Il y a Lémoné.

Une terre douce-amer. Une terre de pluie tiède, d'orages doux. Une terre où la terre est tendre et collante, rouge comme une glaise ou comme de l'argile. Le ciel en est bleu clair, sillonné de nuées blanches. Parfois une tempête naissant au cœur du Lac central gonfle et recouvre la région comme une couverture ombre-brûlé. Alors le vent souffle, fait ployer les roseaux, les aulnes et les paludiers, couche les herbes grasses et les blés des champs épars. Il rafraîchi pour un instant l'air doux du pays. Il remonte les collines et leurs forêts de châtaigner, de pins parasols et de chênes mêlés. Il vient tempêter doucement sur les plateaux nus et ras où paissent les troupeaux de moutons, au milieu des buissons de genêts ou de bruyère. Il arrive enfin sur les flancs abrupts des montagnes aux flancs ombragés de robustes conifères et vient mourir sur les sommets gelés et blancs. La pluie arrive, et l'orage avec elle. Elle mouille la terre, la rend molle et grasse. Puis l'ondée passe et le soleil brille sans ardeur et sèche les pierres humides, les plantes mouillées. Le héron, le martin pécheur, le colibri, le merle, la grive, le rossignol, le rouge gorge, l'hirondelle, la mésange... tous les oiseaux sortent de leurs abris et font résonner leurs mélodies sous les frondaisons. Alors l'homme aussi ressort, et reprends son labeur.

Il est des routes défoncées en Lémoné, serpentant entre les monts et les collines, traversant sur des chaussées de pierres moussues les marécages des basses terres. Elles relient entre eux les hameaux de chaumières de bois et de torchis, les petites villes aux demeures hautes et étroites, aux toits pentus, aux encorbellements successifs ombrageant les rues boueuses. Elles rejoignent les ruines des hautes cités de pierre, dont les décombres de gré rouge émergent encore de sous le sable et l'eau des lacs. Là, seul le silence répond au voyageur, et des chaos de pierres effondrées émergent parfois des sculptures d'êtres déshérités, mornes, qui parfois savent toucher de leur étrange mélancolie ceux qui les voient. Les arches brisées, les colonnes effondrées et les palais ruinés se dressent encore, dressant des doigts mutilés vers un ciel indifférent. Quand le crépuscule l'embrase, ces vestiges s'effacent dans l'obscurité et bientôt ne reste que le silence. Ainsi voyage-t-on en Lémoné

Sur les crêtes qui entourent le Lac central se dressent fièrement les châteaux de Lémoné. Leurs murailles de brique ou de pierre rougeoient sur les sommets, visibles de loin pour les voyageurs fatigués. Les guerres auxquelles se livrent leurs seigneurs ne touchent qu'eux. Dans les lits fangeux des rivières qui découpent ces monts reposent leurs squelettes blanchis et leurs armures rouillées que le limon remplis jusqu'à les engloutir. Les batailles sont rares, rapides et sans effet. On les fait par habitude, comme tout ce qu'on fait en Lémoné. Le paysan les oubliera dans les mois qui suivront, et jamais n'aura été inquiété par celles-ci. Le blé dore invariablement, la farine blanche en résulte toujours, et on en fabrique ainsi le pain et les galettes qu'on partage au repas le soir depuis des générations. Rien ne vient troubler le quotidien du peuple de Lémoné. Ni les grandes guerres des empires si lointain, ni les pestes, ni même les famines. L'été passe, l'automne suit et offre ses fruits, ses noix, son vin, puis l'hiver vient et on abat le cochon. On fait des boudins, des jambons. On mange et on raconte des histoires au coin du feu pour se réchauffer. On file la laine des moutons pour passer le temps et se faire de chaudes couvertures et de bons vêtements. Puis le printemps vient. Les jeunes gens se charment, s'embrassent, les mariages sont parfois célébrés. Des nourrissons viendront bientôt s'ajouter aux petites communautés. Et ainsi passent les années en Lémoné.

Parfois un village ne donne plus de nouvelles. On s'y rend et on trouve les maisons vides, le mobilier propre, les lits faits, les greniers pleins. Mais nul trace ni des habitants ni de leurs animaux. Le silence règne. On prends tout ce que peut offrir les demeures désertées et on rentre vite chez soit. Au crépuscule, on rejoint souvent les monolithes obscurs au milieu des prairies aux herbes grasses et élastiques. On dépose des gerbes de céréales, des couronnes de fleurs, on fait des prières et des vœux. On rentre tout aussi vite chez soi. Parfois au matin les couronnes ont fané, les céréales sont mangées. On trouve alors de petites sphères noires gravées de motifs ondulants, que l'on s'empresse de ramasser pour les garder précieusement dans ses bourses. Ainsi prit-on en Lémoné.

Un soir l'on voit les lumières d'un château s'éteindre. Le silence s'étend sur la campagne alentour et tous, loups, hiboux, chouettes, grenouilles... tous se taisent et l'écoutent durer. Au petit jour une délégation vient et le trouve vide. On en vide alors les beaux meubles, on s'empare des tentures verdoyantes de chasses, on fond armure et épées pour en faire des clous, des serpes, des faux et des socs de charrues, on démonte enfin les charpentes pour construire un nouveau moulin, et les ruines restent solitaires et désolées. Mais chaque équinoxe et chaque solstice on viendra y veiller autour du patriarche, espérant y voir le Seigneur Silence et sa Maisnie. Souvent il ne viendra pas, mais on a tous en mémoire les légendes qui en promettent la venue. Certain de ses suivants se détachent alors des rangs et viennent rejoindre les villageois, et le patriarche rejoins la Maisnie, avant qu'elle ne reparte. Ceux qui en viennent sont toujours muets, mais leur visage exprime si parfaitement leurs émotions qu'il n'est nul besoin de paroles avec eux. Ainsi passe la vie en Lémoné.

Quand un vieillard arrive au terme de son existence, il s'éteint paisiblement, et on l'installe aussitôt sur une civière. On le mène au pied d'un monolithe, et on l'entoure de ses outils. Tous rentrent alors chez eux. La nuit passe et au petit matin, il n'en reste rien. Le Seigneur Silence l'a accueilli en sa Maisnie. Ainsi meurt-on en Lémoné.
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16-12-2017 à 20:27:36
L'Enfant Sauvage



On raconte que la belle Itülm chante doucement dans une prairie de Lémoné, et tant qu’elle chantera Lémoné vivra. Tout en elle est désirable ; ses longues cuisses fuselées, sa taille haute, sa poitrine ronde, ses bras élégants et ses longues mains qui fouissent la terre grasse et en fait naître de grandes roses aux épines si piquantes qui la protègent, et dans les branches desquelles ses longs cheveux d’or brun qui flottent en auréole autour de son visage à nul autre pareil, aux yeux pareils à des lacs étals. Jadis, elle avait un fils, qu’elle appelait Meilwin. Il avait les yeux couleur de l’orage, ses cheveux étaient d’un noir que seule l’abîme cosmique où flottaient les étoiles pouvait dépasser. Sa peau était pareille à l’albâtre et était si fine qu’elle aurait pu paraître translucide. Il y avait dans tout son être une sinistre beauté, dans ses mouvements, dans sa musculature fine, son visage impassible, à jamais mi-homme fait mi-enfant. Il vivait nu, et se promenait dans les forêt du monde, dans les marécages, dans les prairies, et quand la nuit tombait, il s’avançait avec le crépuscule vers les villages, où il s’amusait à escalader les toits et épier le sommeil des hommes.

Il entrait par les chemins de terre, sa main ouvrait doucement les lourdes portes des murs et il marchait dans les rues, accompagné d’une brume bleuté et suivi de cerfs et de corneilles. Dans son sillage se formait des rubans de mousses et de pissenlits en fleur diaphanes, et les poutres des maisons autour de lui s’ornaient de jeunes pousses aux feuilles d’un vert tendre, leur chaume refleurissait. Il se promenait, d’un baiser sur les dormeurs il les débarrassait de leurs souvenirs douloureux, ou s’il était de mauvaise humeur collectait toute leur mémoire les laissant vides et hagards.

Lorsque la lune brillait comme un chaudron de cuivre, il rejoignait la Maisnie du Seigneur Silence et ensemble ils parcouraient les villages, collectant les offrandes des fermiers endormis, emportant ceux qui les voyaient. Leurs chevauchées nocturnes et silencieuses s’achevaient au petit jour, et là il rejoignait dans les forêts humides de rosée, que le soleil rose et endormi réchauffait tout juste. Il y rejoignait la ses clairières secrètes où il jouait, ses cavernes cachées où il dormait en attendant le soir. Et dans les ténèbres chaudes il s’enduisait de la glaise bleue des souterrains, s’y fondait pour un temps. Un soir, il ne s’éveilla pas, et il ne parcourut plus Lémoné durant plusieurs siècles. Ainsi oublia-t-on jusqu’à son nom, et son souvenir vint à s’effacer à son tour.

Et en Lémoné, tout est immuable, le temps pouvait bien filer, Itülm se lamenter dans ses plaines et le Seigneur Silence chercher sans relâche l’Enfant, la vie poursuivait son rythme. Été, Automne, Hiver et Printemps se succédaient, sourds à leur tristesse. Les hommes poursuivaient leurs travaux, cultivaient la terre, rendaient hommage à Silence, veillaient les nuits d’hiver, et le temps passait. Les cités glorieuses toujours élevaient leurs flèches rayonnantes, leurs palais sublimes autour du Lac Central, les châteaux des seigneurs poursuivaient leurs escarmouches sans fin, et leurs armures sans cesse venaient s’échouer sur les berges de sable des rivières, leurs os blanchis s’y enfonçant toujours. Toujours le vent venait à souffler, les nuages à remonter jusqu’aux montagnes, blanches et éternellement immaculées, et la pluie s’abattait avec douceur sur le pays.

Mais un jour Meilwin rouvrit les yeux obscurs, et son regard sonda l’obscurité. L’argile fissura quand il fit jouer ses muscles, et il sortit doucement, pareil à un félin. Dès lors, Lémoné s’assombrit. Les arbres perdirent leurs feuilles alors même que Printemps s’en venait tout juste plein de promesses. L’herbe pâlit et se fit fantomatique, les nuits furent noires et charbonneuses, et les hommes se blottirent dans leurs fermes, priant Dame Abonde, Dame Itülm et Seigneur Silence de les protéger. Chaque soir où le soleil, d’un ocre malsain, roulait derrière l’horizon, l’Enfant approchait des villages, et il en ravissait les habitants dont les âmes jamais n’iraient en la Maisnie. Si bien qu’enfin Itülm comprit que Néant s’était infiltré dans les cavernes de son fils et s’était emparé de lui à la faveur de son repos. Quand elle sut son fils mort et anéanti, elle versa tant de larme que le Lac vint à déborder et les Cité glorieuses furent à jamais ruinées, et désormais elles ne seraient que silence et deuil. Alors Dame Abonde et Seigneur Silence vinrent trouver Meilwin le vaisseau de Néant, et le tuèrent. Ils percèrent sa peau délicate, et la noirceur qui avait pris la place en son sein s’en écoula et reflua dans les profondeurs du Monde.

Ainsi s’acheva l’histoire de Meilwin l’Enfant Sauvage de la belle Itülm, l’étoile de Lémoné. Celle-ci chanta à nouveau, et alors le pays retrouva ses vertes forêts, ses praires où le vent soufflait avec mélancolie, et tout revint pareil à autrefois. Seules les Cité demeurèrent désolées, dressant leurs flèches mutilées, leurs arches et leurs colonnes hors des eaux qui autrefois les ennoyèrent. Leurs noms s’oublièrent, et bientôt leurs ruines furent autant éternelles que les montagnes. Les villageois à nouveau cultivèrent leurs champs, et chantèrent les douces mélodies du pays. Ainsi la vie continue en Lémoné.
16-12-2017 à 20:30:40
La Dernière Garde



L’aurore approchait. Entre les hautes montagnes découpées, toutes en dents acérées et escarpées, un vent froid soufflait, annonçant l’approche du jour nouveau. La neige qui recouvrait leurs rocs sombres se parait de teintes bleutées, répondant au ciel où les étoiles frémissaient et dont le bleu pétrole à l’est palissait toujours d’avantage, jusqu’à blanchir. Enfin le soleil émergea, rose qui déploya ses pétales iridescentes sur le pays. Il fit étinceler la neige de milles feux, fit des pics des pointes incandescentes, joua avec les stalactites des cascades gelées et glissa sur la glace des lacs. Il vint faire reluire l’armure de plate argentée du chevalier qui reposait sous l’un d’entre eux, à quelques pas de la berge. Sa caresse tiède en fit ressortir les nielles, les entrelacs, les longues lignes élégantes qui s’y dessinaient. À ses côtés reposait son épée, longue lame aux reflets irisés dont le pommeaux s’achevait par une délicate couronne noire. De la visière de son casque dépassait encore la longue dague qui lui avait perforé le crâne au niveau de l’œil et le sang qui s’en était échappé lorsqu’il était tombé s’était figé dans l’eau en un nuage plein de volutes.

Le chevalier avait longtemps été l’un des gardiens du Col des Aigles, le dernier avant-poste de l’Empire, au nord-est de la province de Wealdhelm. Au delà s’étendait les montagnes de la Grande Chaîne qui séparait au sud l’Empire du doux royaume de Lyonesse. Au nord, la chaîne s’élargissait encore, sur plusieurs trentaines de lieux, et nul ne savait ce qu’il y avait plus loin. La route qui passait le Col des Aigles était déjà là quand l’Empire avait conquit Wealdhelm, et les habitants de ce vieux royaume l’avaient toujours connue. Au delà, les montagnes s’étendaient en tout sens, élevant leurs flancs colossaux, étageant leurs éperons et leurs sommets sous les neiges qui ne fondaient qu’en été. On disait qu’à une cinquantaine de lieues, en suivant cette route, on atteignait la contrée septentrionale de Lémoné, où jamais rien ne changeait. Las, personne n’avait pu l’atteindre. Le froid et les créatures féroces avaient raison d’eux bien avant. Et le Monde inférieur avait de nombreuses entrées dans les vallées encaissées qui y menaient. De leurs gouffres surgissaient parfois des êtres terrifiants qui, s’ils sortaient des montagnes, iraient semer la mort dans l’Empire. Pour se protéger d’eux, les ancêtres du Wealdhelm avaient édifié la Tour des Aigles.

Carrée, haute d’une quinzaine de toise, elle s’appuyait contre le versant nord du col et s’entourait d’une chemise circulaire festonnée de tourelles, qui en protégeait aussi les annexes ; réfectoires, forges, écuries, cuisines, dortoirs, et salles d’armes, sans oublier la chapelle de la Cathèdre qui élevait sa flèche et s’avançant jusqu’à surplomber les murailles, ses lourds contreforts enserrant la courtine sous leurs masses colossales. Depuis ce puissant bastion partait un long fossé et un rempart qui fermaient le col en une longue ligne. Il n’était guère plus beau spectacle que la vue de ses fiers gardes, élite parmi les soldats de la province, effectuer leurs rondes sous le soleil doré qui faisait resplendir les sommets. De jour comme de nuit ils arpentaient les fortifications, observaient les alentours du col, ses étendues enneigées l’hiver ou herbeuse l’été, qui filaient en pente douce vers un lac d’un bleu sombre. Là bas s’élevait une forêt de hauts pins qui se poursuivaient jusqu’aux vallons encaissés qui constituaient la première étape de la Route de Lémoné.

Ainsi, pendant des siècles, la garde resta en poste, et d’aucun disaient qu’elle tiendrait toujours la frontière. Puis vint la période trouble de la Guerre Civile qui mit bas l’Empire. Les armées en déroutes pullulaient, les provinces s’affrontaient et en Hercynée, dans la vieille capitale, le Trône demeurait vide au milieu des décombres du palais. Et pourtant, en dépit de ce monde qui sombrait dans le Chaos, la garde tint bon. Toujours ses chevaliers en armure d’argent et ses sentinelles aux yeux perçants poursuivaient leur tache, tenus à leur unique rôle et serment. Ils laissèrent passer ainsi des centaine de voyageurs, fuyant la désolation qui les avait frappé, et qui espéraient trouver en Lémoné a paix qu’ils avaient perdu. Nul ne sut jamais s’ils y arrivèrent. Du moins aucun ne revint.

Puis une nuit de fin d’automne, presque un an plus tard, comme les premiers flocons dansaient dans le crépuscule gris et que les ombres s’allongeaient, un homme vint frapper aux portes du mur, venant de la Route. Il disait venir apporter des nouvelles des voyageurs. Les chevalier lui ouvrirent, sur leur garde. L’inconnu n’était pas bien grand, mince, portant seulement une tunique et une cape, ses pieds nus foulant sans dommage les roches dures comme la boue froide de la cour. Son visage juvénile était aussi d’une maturité stupéfiante, comme s’il avait vu et vécu plus que ce que plusieurs vies pouvaient offrir. Ses cheveux ailes de corbeau étaient entremêlés en boucles qui couvraient jusqu’à ses oreilles, et ses yeux gris orage brillaient d’un éclat malicieux. Il fut conduit, étroitement surveillé, jusqu’au réfectoire où il expliqua que les réfugiés avaient atteint Lémoné et ses terres de paix, et avaient fondé une colonie à l’entrée de la route, surplombant les plaines centrales. Là bas, la terre était fertile et donnait sans grand labeur, et tous étaient heureux. Lui était revenu pour annoncer l’heureuse nouvelle et demander quelques outils qui manquaient parfois et seraient difficiles à produire là bas. On l’écouta avec bienveillance, et on lui offrit l’asile pour la nuit. Ces nouvelles avaient grandement réconforté les gardiens, qui assistaient eux à l’agonie de l’Empire, toujours plus exsangue.

La nuit vint, froide. La lune et les étoiles avaient disparues derrière les lourds nuages et la neige venait blanchir les murs, le sol, faisait disparaître lentement les détails du château sous son manteau blanc. Un cri terrible retentit, venant de la Tour Magne, glaçant d’effrois les sentinelles en faction. S’y joignirent d’autres hurlements qui bientôt formèrent un tout qui résonnait, haut et clair, venant de gorges au supplice, et se répercutait dans les montagnes. Il faisait vibrer le sol, se multipliait en échos et hérissait la peau de ceux qui l’entendaient. Enfin il cessa, et à ce moment toutes les lumières aux fenêtres de la tour frémirent et s’éteignirent. Un froid mordant s’abattit sur le col. Brandissant leurs torches, les gardes entrèrent, et trouvèrent leur compagnons morts, gisant là même où l’instant d’avant ils s’activaient ; qui devant une bibliothèque, qui assis sur sa chaise, devant l’âtre éteint, qui dans son lit où il sommeillait, qui affalé sur sa table au milieu des reliefs de son repas inachevé. Un silence glaçant planait sur ce spectacle affreux, et le froid, toujours plus intense, déjà déposait une couche de givre sur la peau des cadavres qui scintillaient dans la lumière des flammes.

Voyant cela, beaucoup s’enfuirent et vinrent se réfugier sur le bastion de la porte, au milieu du mur du col. D’autres plus courageux progressèrent dans les étages, le cœur serré. Ils montaient vers la chambre qu’ils avaient cédée au garçon étrange, mais la trouvèrent vide ; la fenêtre était brisée, le vent s’y engouffrait et faisait danser les tentures du lit défait, amenant un peu de neige sur le plancher. Un rire cristallin et sinistre leur fit lever la tête. L’enfant était assis en tailleurs au plafond, tête vers le bas. Ses yeux étaient deux étoiles dans son visage assombris et sinistre. Alors que déjà quelques chevaliers armaient leurs arbalètes, il se mua en une ombre monstrueuse qui bondit sur eux. Un seul réussit à y échapper. Encore au seuil de la porte, il avait dévalé les escaliers en hurlant comme un fou, sa torche éteinte encore serrée dans sa main. Les bruits sinistres venant d’au dessus entretenaient sa terreur, il se cognait aux murs en essayant de sortir et finit par atteindre les remparts déserts. La neige tombait drue, noyant sous son averse le col plongé dans le noir le plus total. Tâtonnant, il atteignit le bastion d’entrée, trouva les battants des portes grands ouverts, les corps de ses compagnons gisaient au sol, épars, ensanglantés. Alors l’averse cessa, les nuages se dispersèrent et la Lune drapa le paysage d’une lumière cendreuse.

Il s’aventura dehors l’épée au poing. Une forme se profila devant lui dans l’encadrement du portail, et il reconnut le monstrueux garçon. Il se précipita en avant, tremblant de tout ses membres, avec l’espoir fou qu’il pourrait l’abattre avant de mourir à son tour. Mais l’ombre se défila, et partit le long de la route vers le lac. Il se figea, hagard, incertain. Finalement il partit à sa poursuite. Le sol glissait, la neige crissait sous ses grèves d’acier, il manqua de tomber plusieurs fois mais finit par atteindre l’étendue d’eau, étale. Une fine pellicule de glace en couvrait la surface, et brillait comme un miroir. Un silence doux, une étrange sérénité baignait le pays, et il n’entendit bientôt plus que les battements sourd de son cœur...
Soudain il entendit un craquement dans son dos. Il se retourna brusquement, l’épée en l’air, prête à frapper, et une douleur fulgurante rayonna de son œil gauche. L’instant d’après son esprit se brouillait et volait en milles éclats écarlates. Un grondement d’orage emplit ses oreilles et se mua en sons de clochettes. Sa main s’amollit, il laissa tomber son arme et s’effondra d’un bloc en arrière dans l’eau glacée.
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