(Je tiens à remercier Ludwina pour le montage de l'affiche, elle s'est donnée beaucoup de mal)
Ce soir là, Stone Mind tenait un concert en Australie. Niels, perché sur le bord de la scène, chantait sa haine envers le monde. Déprimé, il s'était mis à boire... beaucoup trop. Son amertume amplifiée par les vapeurs d'alcools embrumant son esprit faisait danser des milliers de personnes. Tous ces gens qui n'avaient en cet instant pas conscience de leur mort future, pour la simple raison que lui, enfant rêveur issu d'un monde aussi laid qu'un vagin excisé, leur projetait tout ce qu'il avait à cracher sur le monde, sur ce foutu monde, incapable de lui offrir ce qu'il recherchait tant... Et pourtant... c'était pas faute d'avoir cherché...
Les autres membres du groupe se souciaient de plus en plus de sa santé mentale, chaque jour plus bancale, noyée dans les talents d'un bon brasseur. Mais à ce moment précis, sur scène, défiant le monde à coups de baguettes et de médiators, acclamés par tant de monde, ils ne pensaient plus à lui. Au revoir, soucis du quotidien, remplacés par l'euphorie de la scène et les hurlements de tous ces gens.
Sans remerciements, Niels quitta l'estrade pour rejoindre les coulisses, et son vieil ami Jack. Il en but quelques longues gorgées, les cheveux lui collant au visage et la salive lui remontant aux babines. Les autres le suivirent après quelques paroles à l'attention du public. Niels semblait leur faire pitié, et il détestait ce regard à peu près autant que son ancien nom de famille.
Sans leur laisser le temps de lui faire la morale, en proie à une colère sourde, il partit, en compagnie de son fidèle ami, titubant comme le monde tourbillonnait autours de lui. Aucun n'essaya de le rattraper, préférant éviter de devoir se battre avec lui ; même ivre mort, il possédait une force incroyable, et personne ne voulait la remettre en question lors d'un affrontement.
Ca tourne, ça tourne. Le monde tourne inexplicablement autours de lui. Ou plutôt non... il réalise que lui seul tourne aussi vite, dans cette danse misérable qu'il s'impose à grands renforts de whisky. Le monde ne tourne pas autours de son malheur : le monde s'en fiche. Il est seul, depuis sa naissance et jusqu'à sa mort.
Seul.
Le monde est à chier. La société n'est bonne qu'à donner naissance à des chimpanzés habillés en pingouins, déblatérant des dizaines de conneries à la seconde.... A quoi pensait-il il y a deux secondes..?
"Sais plus..." marmonne-t-il en s'appuyant contre un mur.
Lorsque ses jambes ne purent plus le porter, il s'écroula, au milieu d'un trottoir, la bouteille à la main.
Il s'endormit, sa salive recouvrant le goudron, avec Jack pour seule compagnie ; la seule qu'il jugeait un temps soit peu intéressante.
Tout le monde se foutait bien de ce qu'il pouvait lui arriver, ivre mort dans le caniveau... tout seul...
"J'sais plus..." répète-t-il à nouveau dans un gargouillis.
Pourquoi le monde lui en veut-il autant..?
Le présentateur arrive sur le plateau, coiffé de son brushing impeccable, avec son costume hors de prix. Sur son chemin, des effets pyrotechniques font leur apparition pour donner un côté sensationnel.
BIENVENUE SUR LE PLATEAU DE DEADLY GAME !! La seule émission où la violence est sans effets spéciaux ! Je suis Kyle Goldman, et je serai avec vous durant toute cette saison 3 qui s'annonce hum... DU TONNERRE !!!
Il sort une télécommande de sa poche, visible par les caméras, et appuie sur l'un des boutons qui fait rugir les feux d'artifices derrière lui, tout en affichant un sourire aux dents incroyablement blanches. La foule applaudit. On se demande comment un présentateur aussi cliché et quelques feux d'artifices peuvent forcer une foule à acclamer le jeu le plus répugnant de notre société.
Pour ce troisième opus, nous vous avons concoctés des retournements de situation totalement inédits, et un système de retransmission en live ENCORE plus performant !
Comme les années précédentes, il vous suffit d'acheter le pack « Konnect » pour avoir encore plus d'exclusivités ! Vous pourrez choisir quel participant vous souhaitez suivre, à quel moment, et bien sûr, vous recevrez tous les plus beaux kills à voir et revoir selon l'angle que vous voulez, au ralenti, ou même à l'envers ! Il est tellement drôle de voir une tête se reconstituer lorsque la balle s'en déloge n'est-ce pas ?
Il se met à rire, le rire le plus hypocrite que la télévision ait inventé. Avec un budget pareil, Deadly Game aurait pu engager un présentateur crédible au lieu de cet abruti incapable de se rendre compte de sa propre bêtise. Tout ce qui l'attire, c'est les sommes d'argent qu'il gagne pour ces prestations médiocres. Ses bagues et sa montre en or en sont les témoins les plus frappants.
Et comme d'habitude, n'oubliez pas de parier sur notre site qui s'affiche en bas de l'écran. N'hésitez jamais à miser sur votre candidat favori, ils peuvent en surprendre plus d'un ! Avec un peu de chance, vous serez aussi riches que moi !
Cette fois, il rit pour de vrai. Et l'imitation, qui était à la limite du supportable, était bien plus appréciable que ce rire-là. Là, vous entendez un gougnafier se vanter de s'enrichir sur le malheur des autres, et qui n'en a même pas honte. Il est tellement con et prétentieux que vous en venez à vous demander si ses cheveux sont aussi faux que ses dents.
Je tiens à vous rappeler que lors des saisons précédentes, aucun candidat n'a survécu plus de huit mois ! Cette année sera-t-elle synonyme de survie, ou d'une éradication encore plus foudroyante ? Ne quittez surtout pas, et vous aurez votre réponse !
Et cette année, pour plus de suspense, nous avons décidé de corser le jeu avec des trahisons et des prises de risques par dizaines ! Eh oui, chaque candidat se verra attribué une mission, qu'il pourra choisir de remplir ou pas ! Mais ce qu'ils ignorent, c'est qu'il y a TOUJOURS une récompense à la clé ! Une récompense qui pourrait très bien leur sauver la vie !
Derrière lui, un écran géant fait défiler les images des participants encore endormis, sans aucun doute drogués. Certains sont dans une pièce sombre. D'autres sont sur des toits d'immeubles. Certains sont même dans la rue, sous une poubelle. Beaucoup sont en groupes, mais d'autres sont seuls. Beaucoup mourront dès le premier jour, et une poignée d'entre eux n'aura même pas l'occasion de se réveiller.
Vous voulez du sang ? Vous voulez des tripes ? Vous voulez voir des têtes sauter tandis qu'un hurlement bestial vous glace les veines ? VOUS VOULEZ UN PUTAIN DE CARNAGE ?! Eh bien restez avec nous, l'émission débutera d'ici quelques minutes, le temps de regarder quelques publicités !
A tout de suite !
L'écran s'éteint sur son sourire étincelant, pour laisser place aux publicités toutes plus inintéressantes les unes que les autres. D'une certaine manière, vous avez hâte de pouvoir regarder le début de cette nouvelle saison. Vous pourriez vous trouver des excuses en vous disant que c'est pour savoir comment survivre, au cas où, puisque tout le monde le fait... mais on s'y fait à la longue... et on finit par aimer ça.
*
* * *
*
* * * * *
*
* * *
*
Il se réveille. Une migraine lancinante, atroce, comme un coup de marteau au milieu du front. Ses yeux restent clos. Aucune lumière ne filtre à travers ses paupières. C'est mieux comme ça. Le moindre point lumineux lui en aurait fait baver. Il reste couché, et tente de se rendormir. Le sommeil ne se fait pas prier pour revenir.
De nouveau, le sommeil le quitte. Ça va mieux. Un peu... Il ne perçoit toujours aucune lumière, mais préfère garder les yeux fermés. Il a froid. Il est allongé sur du dur, quelque chose de solide et glacial. Du béton peut-être...
Que s'est-il passé la veille..? Où est-il..? Aucune putain d'idée. Une violente envie de vomir le saisit à la gorge. Se tournant sur le côté, il se mit à vomir de la bile en grognant. Il toussât. Sa migraine lui compressât les neurones. Il gémit. Un bruit de chaînes sur sa droite. Puis un grognement. Un râle plaintif. Niels ne bouge plus. Son cœur se met à battre un tambour furieux. Il a peur. Il ne veut pas ouvrir les yeux, pris d'une peur ayant tendance à rendre les gens stupides. Il a peur de voir ce qu'il entend. Il ne peut se résoudre à regarder. Il préfère se rendormir, oublier sa migraine, oublier l'odeur fétide de son rejet d'alcool, oublier les bruits de la chose qui se tapit dans l'ombre.
Il ne parvient qu'à obtenir un demi sommeil. Il ignore combien de temps il passât ainsi, à tenter d'ignorer l'horreur des sons et des odeurs. Car une odeur particulière l'avait pris entre ses griffes nauséabondes. Une odeur que n'importe quel être vivant pourrait reconnaître en un battement de cils.
Ça puait la
mort.
Il espérait que ce ne fut qu'un mauvais rêve. Une putain de blague de ce bon vieux Jack. Merci enfoiré.
Il dut se passer quelque chose comme une dizaine d'heures avant qu'il puisse enfin ouvrir les yeux. Et il le fit lentement. Il n'y avait aucune lumière. Il se mit à tâter autours de lui. Sa main se posât sur une surface bancale, métallique, et terriblement froide. Il s'appuyât dessus pour se redresser, poussant un grognement impossible à contenir. La chose refit tinter les chaînes en gargouillant. Maintenant qu'il avait l'esprit plus clair, Niels savait où il se trouvait. Pas de façon précise, mais un nom horrible lui venait dans la bouche, tellement dégueulasse qu'il en venait à regretter le goût de la bile.
Il savait que ce jour viendrait. Le jour où on lui ferait payer sa grande gueule. S'il n'avait pas épuisé toutes ses larmes depuis des années, il se serait recroquevillé, et aurait chialé comme un gosse qui se prend une mandale.
Putain...
Il serrât la chose qui lui avait servi d'appui de toutes ses forces, sa colère revenant faire surface. La chose trembla. Puis un éclair retentit dans sa tête. Il se recroquevilla en hurlant, se prenant la boîte crânienne entre les mains, s'arrachant les cheveux. Quelque chose lui était tombé dessus.
-Meeeeerde..!
Il venait à peine de se réveiller, et il en avait déjà marre. Les enfoirés devaient bien se marrer derrière leurs écrans. Ils l'observaient. Ils l'épiaient, comme s'ils se prenaient pour des dieux. Bande d'enfoirés.
-Marrez-vous tas d'merdes... Dès que j'sors d'ici j'vous crève !!
Il regrettât aussitôt d'avoir crié... c'était pas bon pour sa caboche tout ça... en tâtant autours de lui, il mit la main sur ce qui lui était tombé dessus. Il passât ses doigts dessus pour deviner ce que c'était... et poussât le bouton.
Une lumière en jaillit, ce qui le fit grogner. Une lampe, classique, un vieux modèle qui devait dater de 2010, mais qui éclairait beaucoup trop pour ses pauvres yeux. Il devrait l'allumer par intermittence pour supporter la luminosité.
Il éclaira sur sa gauche. C'était une vieille étagère rongée par la rouille. La lampe devait être posée dessus. Il plissa les yeux autant qu'il le put, et éclaira le mur en face de lui. La chose grogna encore plus, mais Niels commençait à s'y faire... enfin presque.
Il fit de même sur le mur derrière lui. C'était du béton. Simple, brut, sans peinture ni fenêtres. Ça ressemblait à une cave. Un classique de films d'horreur, ils n'avaient pas cherché très loin.
Restait à éclairer sa droite. Il savait ce qui l'y attendait. Il refusait juste le le voir. Parfois la peur nous rend stupides, on refuse d'accepter la réalité et se conforte dans l'idée que l'on ne fait qu'un cauchemar très réaliste. Niels n'était pas différent, il était humain. Il regrettait presque de l'être. Le regret total n'allait sans doute pas tarder, ceci dit.
Il prit une longue inspiration, et pressât le bouton deux fois. La lumière émit juste assez longtemps pour le faire trembler. Beaucoup d'émotions se bousculaient dans sa tête. Tellement d'émotions que les énumérer serait épuisant. Ce qu'il a vu était pire que ce qu'il imaginait. Il vomit de nouveau. Aucun mot, anglais comme français, ne pouvait exprimer le dégoût que cette chose lui inspirait. Il partit se réfugier dans un coin de la pièce, à quatre pattes, laissant la lampe loin de lui. Il voulait mourir. Mourir plutôt que d'affronter ce qui l'attendait là bas.
Comment des humains pouvaient faire preuve d'autant de mépris face à la vie d'une petite fille ?
Lorsque je te serre la main, c'est une souffrance que j'appréhende. Tu ne sentiras pas le tonnerre de ma haine s'abattre sur ta nuque. Tu ne pourras que pleurer, et saigner. Saigner autant que mon dégoût le désire. Je me délecterai du spectacle macabre de tes chairs broyées sous mon poing vengeur. Personne n'est innocent.