i've been waiting to smile — défi one-shot quotidien

22-05-2013 à 22:42:31
Verset d'enfance — 01/07/2011

Tends la main. Souris. Juste pour moi, juste pour ça. Un instant, seulement. Elles s’envolent, ses pensées, elles virevoltent. Plus haut, plus fort, sans relâche. Du bout des doigts, il caresse la courbe du bois ; doucement il redessine le toucher rêche. Un soupir lui vient au bout des lèvres, petite bise dans sa bouche, menace d’orage. Alors il glisse le paratonnerre d’un joli sourire. Il frôle encore le jouet, avec presque de la tendresse. Son sourire s’éteint ; il se coule un peu plus profond dans le siège. Ses épaules s’affaissent, il soupire tout de même. D’un revers de main, il fait sauter la bille, attachée par la cordelette comme le lien ténu entre son coeur et la réalité. Retombe au bon endroit, et puis plus rien. Il s’abandonne. Un rêve, lointain. Un joli éclat de rire, qui éclate entre des dents encore blanches. Enfance lointaine, perdue depuis combien de temps déjà ? Encore un peu plus bas, il tombe, il chute. Des cheveux de paille, bouclés, attachés. Des courses dans les champs, des pirouettes au rythme d’une fleur qui tremble au gré du vent. Quelques danses dans les bottes de foin, chute sur des genoux vert herbe sauvage. Doux souvenirs, de nouveau il sourit. C’est loin tout ça, loin l’ère du bonheur fouillis. Souris, souris pour moi, toi mon ami d’enfance. Avant tu riais même, pourquoi maintenant tu pleures ? Il hume l’odeur du jouet dans ses mains, il se la grave dans les poumons. Les rondeurs de l’objet s’impriment sur l’immense plage de ses yeux. Il pleure un peu, peut-être. Ce doit être des pleurs de bonheur, il ne sait pas. La seule chose à laquelle il pense est une énorme marque de pneu sur l’histoire de sa vie. Parfum de chocolat chaud. Arc-en-ciel dans l’azur de l’été. Pépiement d’oiseau dans un arbre. Douceur coton de peluche. Sucré des fruits des bois. Une avalanche de cinq sens, et tant de mémoire qui s’accumule. Pleure, mon coeur, pleure, camarade. Au moins tu es vivant. Le jouet qui ramène les souvenirs. Pas encore de rides, seulement celles de l’esprit, mort déjà à petit feu. S’il avait pu être optimiste. Il caresserait peut-être cette babiole avec un immense sourire. Il s’en irait cueillir des coquelicots sur l’air de sa jeunesse. Trop tard peut-être. Pas vraiment. C’est juste ça. Reviens me sourire, mon coeur. Tu seras toujours tout. Alors, on serait des jouets. Bilboquets diaboliques.
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23-05-2013 à 06:37:55
Pause chaleur — 02/07/2011

Tic. Tac. Dans l’air, un lent balancement. Au rythme des notes allègres de la petite horloge, il promène son doigt comme une aiguille. Gauche, tic. Droite, tac. Il sourit. Un pépiement de moineau, au dehors, jeune oiseau qui attend sa mère. Il se penche un peu à la fenêtre. Dans le jardin, un plant de tomates grandit, lentement ; pas vraiment à vue d’oeil. Au-dessus d’une pâquerette, fièrement tendue dans le soleil, butine une jeune abeille. Peut-être que plus tard, elle rentrera à la ruche, et racontera sa journée à d’autres abeilles. Un papillon se pose sur son nez. Douce caresse du vent, éphémère instant blanc. Il louche pour fixer la bête, sourit encore. Loin, peut-être, quelqu’un écrase un doigt sur une touche. Un voisin se perche dans un cerisier, cueille quelques-unes des petites perles rouges. Tic, tac. L’horloger peut-être se demande ce que devient son bijou. Il s’écarte des vitres, grandes ouvertes sur son coeur. Trop vite, il descend les marches d’escalier. Une nuée de moucherons butine autour de lui. Fuyons, voilà l’immense, il risque d’en tuer quelques-uns. Ils s’en vont, il n’y prend pas garde. Sourire encore. Une sauterelle se perd dans les brins d’herbe, dans la pelouse. Il aspire de la limonade, savoure le goût sucré. Une coccinelle s’envole de la main d’un enfant. Des sourires se gravent sur des lèvres, tendres mimiques. Des mains essuient, nerveuses, des fronts en sueur. Un soupir peut-être. Oh, il profite. Il se rassoit, il s’enfonce dans une mollesse ouatée. De nouveau son doigt se balade. Mélodie satinée de la vie, qui s’éteint une seconde. Se rallume, suivant un rythme. Expiration, inspiration. Vivre et simplement vivre. Enchantement. Sort de l’univers, qui le rend prisonnier de la rengaine. Il s’enfonce dans un rêve bienheureux. Choc, il plonge. C’est un peu comme l’eau qui le submerge. Alors il rêve. Deux enfants, sûrement, courent main dans la main sur une plage brûlante, couverts de sable. Un agriculteur compte ses dernières bottes de foin. C’est tout d’un coup le monde qui s’agite. Un fourmillement un peu étrange, une mélopée réconfortante. Berce son sommeil, il ferme les yeux. Imagine. C’est une immense ronde des effluves sur un fond d’arc-en-ciel alors. Tous se tendent la main pour le regarder. Une bise de chaleur, débonnaire, caresse ses joues. Et il pense. Et toi, que fais-tu ? Tu souris, j’espère. Tu regardes les étoiles, à l’autre bout de la Terre. Tic, tac. Fraîcheur de l’instant d’été.

23-05-2013 à 06:38:45
Encre — 03/07/2011

Un matin comme ça. Un souffle retentit entre deux lèvres, sur un fond de ciel rosi, début de nuit d’automne. Une feuille se décroche d’un arbre, plane dans l’air, retombe sur son visage. Délice orangé, qu’il ne fait que repousser d’un revers de main, avec un nouveau soupir. Romantisme déplacé. Il passe une main dans la bombe de ses mêches en brosse, caresse des doigts un creux sur son front. Lentement, il se fait vieux. Il soupire, un sourire. Le vent froid lui tourbillonne autour, fredonne une douce mélodie à la barbe de sa figure peinte de crasse. Dévore le, sylve. Aspire le tout entier. Arrache ses yeux à la fourchette, découpe sa langue d’un coup de cutter. Plante tes dents dans sa chair. Une fois, deux fois, plusieurs. Tord son nez jusqu’à ce qu’il en torde sa bouche. Ecrase lui les pieds à grands pas. Tue le. Fais le souffrir. Crève le. Dévore le. Les os aussi. Oh, il ne demande que ça. Disparaître, partir. Quitter un monde qui ne lui plaît plus. Abandonner les guenilles qui couvrent à peine sa peau. Larguer la faim qui lui tiraille le ventre. Renoncer aux balafres qui décorent sa peau trempée. Capituler. Céder, cesser, déclarer forfait. Décrocher, laisser, plaquer. Répudier. Abdiquer. Enfin, partir. Alors, il pleure. Une larme, d’abord. Amère, défréchie. Qui lui roule le long de la joue. Un monde de mots, sur fond rose. Dégoûté. Alors, c’est ruisseau, puis fontaine, cascade. Infini qui naît de ses yeux, meurt au saut de son menton. Et pourtant, il pourrait sourire. Tellement de choses devraient le rendre heureux. Il n’y arrive pas. Il se laisse mourir, mourir noyé dans un néant bien trop immense pour lui. Trop petit pourtant.

Une larme s’écrase sur une feuille. Il pleure aussi, l’enfant adulte. Pleure de ce qu’il fait subir à ce pauvre homme. Chiale. Alors c’est la pluie qui s’écrase sur le monde en automne. Et une petite qui court vers son père ; qui répand une traînée de joie sur son passage. C’est un bonheur niais. C’est un peu comme un sourire forcé, mais c’en est un quand même. Qui se fait vrai, alors qu’il imagine tous les gens qui l’aiment. Alors, il prend la petite dans ses bras, et il farandole. Un matin comme ça. Où un père serre sa fille dans ses bras, où un écrivain sèche ses larmes. Un matin comme ça, comme il devrait y en avoir tous les jours, pour tous les gens. A l’unisson tous les coeurs y brillent.

23-05-2013 à 06:39:14
Marée astrale — 04/07/2011

Ouvre les yeux. Il plane. Il n’est plus là. Plus enfoncé dans une mollesse comateuse. Il s’est perdu, égaré sur le chemin de la raison. Pourtant, il sourit quand il ouvre les yeux, rit quand il découvre autour de lui tout un monde en jaune et noir. Etoiles rieuses sur fond de ténèbres. C’est l’oxymore de sa vie à des kilomètres de son corps. Il est heureux pourtant, il a ce sourire vrai. Un de ceux qui ne dissimulent rien. Pas un soupçon de désespoir, pas une once de tristesse pour une fois ne joue avec son coeur fatigué. Alors, dans son monde onirique il est un astronaute. Il tourne sur lui-même, et il ne sait même plus à quel astre ancrer un regard. C’est un bonheur tiède. Une joie doucereuse, et il la mérite. Plus et tout autant que n’importe qui. Il flotte. Le ciel noir est une marée immense, qui l’engloutit sous ses vagues. Chaque toile est un magnifique coquillage, qui, perdu dans l’océan attire les foudres de ses yeux. Il sourit, alors et il cueille un moment au creux d’un songe. Rêve lucide, viens donc, il t’aimera. Te chérira. S’arrêtera comme une feuille d’automne arrêterait sa chute pour laisser passer son prince. Pour ça, il arrête. Il abdique. Aux oubliettes. Il n’est plus le temps de se ronger, de se mutiler, se torturer. Il faudrait sourire. Donner l’exemple au monde entier. Redescendre, sauver cet univers qui a besoin de se redresser. Que pourtant, comme beaucoup, il abandonne. C’est peut-être pour ça, ce goût de clair-obscur, doux-amer, sucré-salé qui lui mord les papilles. Redescends, astronaute. Rêve encore mais ne laisse pas le monde. Il a besoin de toi. Personne n’est là pour lui. Redescends. Ce sera douloureux. Mais, imagine. Vent frais. Une petite fille ; ses cheveux ballottent sur ses épaules. Se mêlent avec les cassantes brindilles de la paille dont elle sort. Elle étend un sourire sur ses lèvres, douce mimique calligraphiée. Elle tournoie sur elle-même, les bras volant dans l’air autour d’elle. Elle rit. Oh, doux rire. Sautillant, comme elle qui bondit sur ses orteils nus que froissent les brins d’herbe. Et c’est une étendue immensément verte qui s’étend sous ses yeux alors que çà et là un champ de blé ondule. Casse le doux camaïeu. Elle est heureuse. Et si, au lieu de t’envoler, t’ouvrais les yeux ? Tu souriais. Ça serait beau. Tu serais dans le vrai monde. Et tu y serais bien. Alors, reviens. Essaie.

23-05-2013 à 06:39:41
Gaminerie — 05/07/2011

« Hé, attends moi !
- … Je dois t’attendre à chaque fois ! »

Pourtant, comme toutes les autres fois où elle lui avait demandé de poireauter pour elle, le petit garçon choisit de freiner. Il fit glisser ses pieds dans l’herbe grasse et avec un couinement aigu, il stoppa en cours de route la course folle de sa bicyclette, qu’il faisait avancer à grands coups de pédalier. D’aussi loin qu’il fût, il trempa un regard dans le gazon verdoyant et l’ancra sur la bambine qui pédalait de toutes ses petites forces pour le rejoindre. Un soupir glissa entre ses jeunes lèvres. Qu’elle était lente ! Décidément ! Si ça continuait comme ça, il allait passer sa vie à l’attendre ! Il gigota sur sa selle. Un murmure coupable lui serrait le coeur, étreignant ses pensées d’un cyclone tourbillonnant. Il ne voulait pas l’attendre, mais il ne pouvait en vérité vraiment pas la laisser derrière, trimant pour le rejoindre. Alors, il dégagea ses pieds de leur linceul fraîcheur d’été. Il prit ses marques et, prêt, feu, partez, eût tôt fait de la retrouver.

« Wah t’es super rapide ! »

A ces mots, le gamin sauta de son vélo. Tout de suite, lui vint à l’esprit une immense révérence, qu’il exécuta un peu ratée. Pourtant, il souriait jusqu’aux oreilles, flatté. Il fit signe à la fillette de prendre sa main, avec d’amples gestes qui, furent-ils gracieux, menaçaient à chaque instant de renverser la Terre de son équilibre naturel, tant ils étaient maladroits. Pourtant, elle saisit ce bras secourable et ils tournoyèrent ensemble dans la petite plaine, éclairés par la douce lumière du soleil. Ils durent tout de même s’arrêter quand le garçonnet, arrêtant au vol sa cavalière, déclara avoir le tournis. Il tomba dans l’herbe en riant. Le monde se dérobait à son ordre normal, dans la folie de ses pupilles qui s’agitaient comme s’ils tournoyaient encore. La gamine tomba à sa suite et s’allongea à côté de lui.

« Il est beau le sol-
- Ne le regarde pas ! »

Parfois, il avait un peu de mal à jouer son rôle, mais c’était son grand frère ; le gamin savait que si elle fixait un peu trop l’astre, elle ne verrait plus jamais qu’un monde immense de ténèbres et en détaillant ses jolis yeux, il se jura que rien n’arriverait à sa petite soeur. Il dégaina, tout simplement et le plus naturellement du monde, une arme bien connue. Du doigt, il pointa un des nuages, immense et minuscule masse de velours cotonneux dans le ciel.

« Tu vois celui-là ? On dirait un petit dragon !
- Ah ouais ! Et celui-là, ce serait sa maman !
- Oui ! Et on dirait qu’en fait, elle suivrait son enfant parce qu’elle aurait peur qu’il se perde. En fait tu vois ce serait son premier vol et c’est pour ça si ça se trouvait il tomberait et elle voudrait pas parce qu’il se ferait mal et elle serait pas contente.
- Dis, si elle était pas contente, elle pleurerait ?
- Oui, même beaucoup parce qu’elle serait très triste en fait parce que le petit et bah il aurait mal à l’aile en fait tu vois !
- Alors il faut pas qu’il tombe !
- Bah non !
- HE TOI, TOMBE PAS D’ACCORD ?
- Je pense qu’il tombera pas maintenant que tu lui as dit.
- …
- …
- Eh, dis !
- Oui ?
- Si elle pleurait la maman dragon, bah il pleuvrait ? »

23-05-2013 à 06:40:13
Rieur intemporel — 06/07/2011

« J’voudrais une bière, s’il vous plaît. »

L’aubergiste, grisonnant de vieil âge, hocha pensivement la tête. Quand il tourna le dos, ce fut comme un signal à ses pensées pour courir libres dans sa tête. Le vieillard tenait cette petite taverne depuis bien trop longtemps pour se rappeler la première chope qu’il avait servie, mais c’était un petit village, pas vraiment un lieu de passage ; il avait l’habitude de voir toujours les mêmes clients. Quelques alcooliques, des occasionnels qui se trouvaient toujours quelque chose à fêter, un conteur, quelques autres pour faire suivre les racontars du moment. Il était déjà un peu sénile, mais il se rappelait leur tête et ce qu’ils commandaient. Celui-là n’était pas vraiment un habitué de la maison. Pour ainsi dire, il ne l’avait jamais vu. Cependant, il avait vite appris à deviner les mauvais présages dans les rides de ses clients et il fallait bien avouer qu’il ne semblait rien pouvoir percevoir dans le visage du jeune homme. Aussi se pencha-t-il et remplit-il une chope de bonne bière, avant de prendre un air tout solennel - le menton droit couvert de barbe grise, les sourcils froncés, faisant ressortir les rides de son front en sueur – et de claquer le verre sur le bois de la table, déjà plus âgée que lui, dont on ne comptait pourtant plus les bougies. Ses sourcils se plissèrent un peu plus quand son regard usé se heurta une nouvelle fois à la façade toute de feu et de glace de son hôte. Ce dernier eut un demi-sourire, un peu absent.

« Merci bien. »

Les doigts de l’inconnu enserrèrent le manche froid de la chope, tandis qu’un soupir s’échappait de ses lèvres. Le regard verdoyant de ses prunelles semblait se perdre dans le disque d’alcool, s’y enfoncer et surtout s’y abîmer. Il leva pourtant une main et la passa dans ses cheveux relevés en brosse. Il les avait coupés quelques semaines plus tôt, quand il avait eu la malheureuse idée de s’engager. Il n’avait pas le profil type du combattant, mais on devinait dans les abysses de ses yeux une intelligence un peu étrange. Ses tempes grisonnaient un peu. Selon le vieil aubergiste, qui l’observait peu discrètement en frottant d’un chiffon sale un verre qui l’était encore plus, il entrait ou ferait ses débuts sous peu de temps dans la quarantaine. A son côté pendait un couteau de chasse, maigre arme d’un fantassin un peu particulier. Le soldat prit une gorgée d’alcool, qui remonta dans sa gorge, rappelant un vieux souvenir. Dans l’air se tracèrent des courbes particulières, qu’il connaissait du bout des doigts, mais n’osait dessiner à nouveau. Une femme abandonnée derrière lui, qu’il avait aimée pourtant. Adulée sans pouvoir demeurer auprès d’elle, pour une raison qui échappait à lui-même. Il leva sur l’ancêtre qui tenait l’établissement un regard inquisiteur qui fit un peu frémir ce dernier, tout retourné. Un soldat de l’empire dans sa petite échoppe, ce n’était pas particulièrement de bon augure. Cela risquait même de signer la fin de ce commerce qui peinait à le tenir en vie. Il évita soigneusement le regard et se servit plutôt un peu d’un vin qu’un ami faisait pousser l’été dans ses vignes. Une gorgée roula sur sa langue, descendit dans son estomac. Il attendait simplement une question, quelque chose.

« Vous avez les dernières nouvelles ? »

Le vétéran cessa de trembler, mais eut pourtant un haussement d’épaules aussi bref qu’hésitant. L’homme était patient, aussi continua-t-il de le fixer, sans se rendre compte que cela le gênait un peu plus encore. Aucun talent dans les relations humaines. Une nouvelle lampée du liquide blond prit le chemin de son ventre. Une effusion de rire remonta en lui, hoquetant, soulevant le rappel d’un petit garçon qui échappait à la tablée du soir pour courir dans un champ observer les étoiles. Trébuchait en route, évidemment le pauvre bambin, se relevait pourtant, les genoux barbouillés d’herbe et de sang qui mêlaient jusqu’à leurs effluves et se remettait à courir dans les plantes sauvages qui lui montaient jusqu’au cou. Une ombre de tristesse passa sous ses paupières qu’il avait, savamment, à demi-closes en prévision, et la verdure de ses pupilles prit une part plus importante de ténèbres. Il n’avait jamais été fait pour être un soldat, pourtant il était là. Il avait même abandonné plusieurs personnes derrière lui. La femme qu’il avait, le plus sérieusement du monde, promit d’embrasser devant l’autel, scellant une union pour l’infini, et la fille qu’il lui avait donnée. Il grimaça, tandis que ses doigts poussiéreux se mettaient à serrer un peu plus fort le manche de verre. Le patron semblait le dévisager, hésitant face au déferlement étrange d’émotions de son client inconnu. Finalement, une toux gutturale monta entre les deux hommes.

« J’ai entendu dire que les soldats de l’empire sont vraiment en mauvaise posture. Je ne connais pas l’idendité de nos ennemis, mais il semblerait qu’ils soient sur le point de triompher. On recrute déjà parmi les plus jeunes et les plus anciens. Tous les soldats sont appelés, pour une sorte de grand rassemblement, je crois. Ça vous convient, comme nouvelles ? »

Pas vraiment, songea l’homme attablé à la grande table de bois massif. Pas vraiment. Il haussa pourtant les épaules. Peu importe, après tout. Il voulait juste rentrer. Pourquoi était-il parti au fond ? Dès la première nuit, tout avait commencé à lui manquer. Le plafond parsemé de tâches de lumière dans les ténèbres, la voix pleurnichante de sa douce progéniture, et la douceur de sa tendre fiancée. Tout, jusqu’au pauvre corniaud qui venait couiner devant leur porte pour quémander un peu de viande qu’ils ne pouvaient pas lui donner, jusqu’à l’imbécile heureux d’oiseau qui se cognait à la fenêtre, ne semblant pas voir la vitre dans son horizon, bien que crasseuse, et qui le réveillait un peu trop tôt le matin.

« Pas vraiment, mais je pense m’en contenter, merci bien. »

Ceci dit, il allait s’abîmer dans ses pensées, chose qu’il évita habilement en avalant le reste de bière qui trônait encore devant lui. Le tavernier avait l’air un peu plus convaincu qu’à son arrivée. Il avait même l’air d’avoir eu, à la clémence du ciel, un éclair d’intelligence, qui peinait seulement à allumer une flammèche avec la mèche de la bougie de son esprit. L’alcool aigre soufflait peut-être sur la maigre allumette, cependant, ses sourcils se fronçèrent à un angle très impressionnant.

« Eh, mais. Vous n’êtes pas un soldat ? »

Aucun hochement de tête, aucune négation pour l’approuver ou non, aussi le patriarche choisit probablement cela comme un signe de continuer à dire ce qui lui pesait sur la gorge. Ce qu’il n’aurait pu s’empêcher de s’empresser de faire, de toute manière.

« Vous devriez être avec eux. Vous devriez … Vous êtes un déserteur ! »

Pas une parole non plus ne daigna couler des lèvres de l’invité, qui fit mine de reculer et, au lieu de ça, se leva et glissa deux pièces d’argent sur le comptoir.

« Qu’est-ce que vous faites ? »

Dans l’immédiat, il faisait simplement un pas vers la porte. Il l’entrebâilla, dans un grincement sinistre qui dévoila l’obscurité du dehors, aussi lugubre que la lueur qui passa sur la figure du jeune homme. Quelque chose qui ressemblait plus ou moins à un sourire se peignit doucement sur son visage, l’envahissant un peu. Il planta deux aimants verdâtres dans les yeux du vieillard.

« Ma famille m’attend. Je vais sourire au vent. »

23-05-2013 à 06:40:40
Murmure azalée — 07/07/2011

Vacillement. Très brusque mouvement, elle tombe vers l’avant. Agitant les bras dans l’air d’une frénésie toute neuve, elle se redresse pourtant ; se juche à nouveau sur la pointe de ses pieds nus. Le contact avec le bois poli, presque synthétique, de la chaise se fait une morsure tiède, fraîche comme une chaleur tempérée. La fillette ouvre grands les yeux, les écarquille pour percer la vitre, unique barrière qui l’empêche tout autant de chuter et de s’écraser alors tout contre Terre que de s’envoler enfin, un peu comme pour rêver complètement. Un nuage couvre la Lune, cachant une part de son appétissant croissant. A l’encre dorée dans le ciel se tracent les fines et délicates branches des étoiles. A travers le double-vitrage, le bruit déchaîné d’un glissement de pneu sur le bitume trempé se fait entendre, résonne à ses enfantines oreilles. Elle se penche, écrase son nez contre le verre synthétique gelé. Un peu plus encore, ses sourcils se redressent, ses pupilles se dilatent. Emerveillement lâché dans la nature. Sur ses tympans s’appliquent les moindres crissements d’un grillon amoureux ; de tout son coeur, elle insuffle dans ses narines l’âcre effluve du macadam humide, elle imprime sur sa langue le goût sucré de l’air nocturne. Minuscule hochet perché sur la pointe de ses orteils tremblotants, la rêveuse gamine frissonne un tout petit peu, imaginant la raideur souple de la bise d’été jouant sur sa peau la mélodie du bonheur, conjuguée aux huit temps de l’indicatif. La pluie, larmes coulant des tristes nuages, ruisselle sur sa peau, si vraie à travers la fenêtre, avec laquelle elle finit par faire corps. Elle fusionne avec la surface glaciale, de toutes les pores de sa peau. Gentille gamine face à ce triste spectacle de la nature qui s’abandonne, largue corps et âme, elle sent une main compresser son petit coeur battant à la folie. Un hoquet, débordant d’innocence et de bonne volonté, remonte sa gorge et se secoue, cognant fort contre la clôture de ses dents. Les larmes alors lui picotent les yeux et coulent sans retenue. Déversement d’amour goût pomme verte bien mûre, qui serpente sur ses joues, s’évanouit au creux de son sourire et disparaît à l’infini dans la courbe de sa joie. C’est plutôt une douce mélopée qui s’agite dans son corps. Alors elle rit, la gosse, cela explose de partout. C’est une douche brûlante s’abattant sur le monde entier, une réprimande pour un air qui rêvasse, une morale susurrée un peu trop tendre. Elle rit et retombe sur les genoux. Même à contretemps le crescendo est presque trop beau, quasiment cristallin ; il serpente s’inscrire directement en notes blanches sur la portée de l’univers. Cosmos qui se résume alors à une flopée d’onomatopées qui gravitent autour d’une mélodie toute pleine de vie. Et dans la nuit le rire qui s’éteint. Vacillement, vent de folie.

23-05-2013 à 06:41:06
Bataille — 08/07/2011

L’herbe, à ses pieds, ondulait, semblant posséder sa propre vie, fugitive et vivace. Les mèches de ses cheveux s’agitaient follement autour de lui, montant, descendant, au gré des courants d’air qui s’y engouffraient. D’en bas il était un peu comme une fleur rousse, au sommet d’une colline toute de verdure. Il fixait l’horizon, qui se mouvait doucement, troublé par la chaleur du début de soirée. Les mains croisées sur sa poitrine, il dégainait la stature d’un chef, pourtant, au milieu de l’univers, il n’était pas même un grain de poussière. Agacé, sous les nuages qui lui paraissaient moqueurs, il envoya un coup de pied dans une motte de terre. Elle roula un peu en contrebas, se figea sous les flèches de son regard dédaigneux. Pas même un sourire ne songea à effleurer ses lèvres. Ça ne le rendait pas plus heureux, ça renforçait même la frustration dans son coeur. De rage, il laissa la marque de ses talons entre deux marguerites, quand il pivota pour surplomber le campement. Deux trois tentes éparses, voiles d’étoffes blanches, se gonflaient un peu, claquaient dans tous les sens. Un ou deux chapiteaux les encerclaient et çà et là les braises d’un feu de camp rendaient leur dernier soupir. Acide, une larme perla timidement au coin de son oeil ; il l’envoya valdinguer au loin dans un bref nouvel accès de colère. De haut, avec le tissu grossier de sa chemise claquant au vent, le cuir de ses spartiates enfoncé dans la terre de glaise, il dominait tout. Il l’avait cette puissance, qui lui permettait de se tenir là, de gonfler la poitrine et de mépriser tous ces gens d’en bas. Il n’en voulait pas pourtant et ça ne contribuait qu’un peu plus à la marée de frustration qui, sans appel, le submergeait. Furibond, remonté contre ses faiblesses entre mille autres choses, il serra les poings pour s’éviter de pleurer. La morsure dans sa chair n’eût pas le loisir de se faire attendre ; déjà, il enfonçait ses ongles dans sa peau, perçant des rayures sanguinolentes. Il se calma un peu, pourtant, du moins, c’est ce qu’il sembla à la sentinelle qui l’observait, debout droit devant une des tentes, un pied jouant nerveusement dans la bouillasse humide du sol, la main enserrant le pommeau de son poignard tremblant d’impatience. En vérité, au vol, il avait cueilli une pensée récurrente, qui le tracassait la nuit et le laissait finalement redressé dans ses couvertures, en sueur et démuni. Il s’était revu, décrassé de la tête au pied, mal rasé, un baluchon de toile grossière sur l’épaule, un couteau de chasse au côté, partant de la maison familiale pour fuir un empire dévasté. Debout, là où il était, il avait grimacé à cette vision. A cette époque, il ne se serait pas le moins du monde imaginé comme cela, à la tête d’une petite légion, les observant du haut d’une dune d’herbe, ses cheveux roux flottant en pagaille autour de lui. Un soupir s’échappa de ses lèvres, court instant de répit dans sa fureur morose. Il était là pourtant, il combattait pour ce qu’il pensait vrai. Menait ses hommes sur son chemin, parce qu’ils avaient les mêmes idées que lui et qu’ils l’avaient élu commandant. En explosant une nouvelle motte, il se dit qu’il n’avait rien fait de particulier pour la mériter, cette place. Il n’était pas particulièrement éloquent, juste meilleur orateur que les autres fantassins ; il résistait un peu mieux à la tentation de l’alcool ; il maniait l’épée comme si c’eût été un couteau de cuisine ; il s’enfermait dans sa tente pour piquer des crises de colère. Décidément, non, ils auraient mieux fait de le laisser rester à sa place. Au lieu de ça, il était là. Les brins d’herbe chatouillaient ses orteils, le vent poussait sur ses joues gonflées de haine et creusées de faim, ses cheveux retombaient devant ses yeux, troublant sa vision. Le moment avait tout d’une pathétique petite chansonnette. Etrangement, cette musique, fredonnée par un imaginaire fantôme riant par-dessus ses épaules, l’apaisait un peu, calmait les ardeurs folles qui s’allumaient en lui. Finalement, un demi-sourire s’étira au coin de ses lèvres et son torse se bomba sans qu’il n’y prenne garde. Là, dans le début du soir, il était fier, calme et plein d’espoir. Alors, il cria. Il hurla jusqu’à ce que l’air se vide de ses poumons et finalement il s’écroula dans l’herbe, avec un immense sourire barrant sa figure. C’était un guerrier.

Il combattait pour la liberté.

23-05-2013 à 06:41:44
Avant-après — 09/07/2011

« Sécurité du territoire, bonjour. Procédure neuf millions vingt-six mille trente-sept, veuillez levez les bras et vous tenir immobile pendant que nous procédons à des vérifications, s’il vous plaît. »

Réactif, le jeune homme tourna la tête sur la droite et fronça les sourcils, mimant de chercher la provenance de la voix robotique qui venait d’énoncer clairement ces ordres. Ce geste aussi, c’était la procédure. Il fallait faire semblant de ne pas être habitué à s’entendre balancer tout ça à la figure. Personne ne devait être au courant de qui faisait ou ne faisait pas partie des conseils hebdomadaires. Aberrant, songeait-il en écartant les bras, bien tendus à quarante-cinq degrés autour de sa tête, c’était absolument idiot et complètement inutile. Du coin de l’oeil, il pouvait déjà considérer le bâtiment, derrière la masse robotique qui le passait au crible, armé de rayons lasers inoffensifs. C’était une tour immense, qui s’élevait si haut que sur le toit, paraissait-il, on pouvait toucher les nuages, en tendant les doigts. Toute la façade était couverte d’un matériau dont le nom lui avait échappé, conçu pour isoler la chaleur en hiver et faire rentrer la fraîcheur en été et à la faible lueur des projecteurs, toute la hauteur de l’immense donjon devenait une énorme boule à facettes, parsemant les lotissements alentour de raies de lumière. Même un aveugle, s’il y en avait encore eu, comme dans l’histoire qu’on lui apprenait par écrans interposés, aurait remarqué le quartier central de la préfecture. Immobile, il arrêta le cours de ses pensées en se concentrant uniquement sur les prunelles factices, d’une impressionnante couleur émeraude, du robot qui, encore, semblait bloquer sur la poche droite de sa combinaison. Une autre machine vint en renforts, tâta du bout de ses doigts métalliques son crâne dûment rasé de près, écarta sans ménagement la peau autour de ses yeux, vérifiant que les lentilles grises qu’on lui avait données étaient bien là, dissimulant l’extraordinaire couleur orange de son regard, avec laquelle il était venu au monde. Les robots, ensemble, vérifièrent encore des détails de la procédure qui lui avaient depuis longtemps échappé. Finalement, au bout d’une bonne demie heure, le creux de sa joue reçut une puce électronique, déclarant qu’il avait bien été examiné et pouvant le tracer en cas d’acte idiot. Un semblant de sourire se figea sur le visage déstructuré d’une des deux machines.

« Monsieur le Préfet, que sa vie soit longue et pleine de joie, la Préfecture et tous les membres du conseil hebdomadaire, ainsi que nos programmeurs vous souhaitent la bienvenue, monsieur. Une fois de plus, vous avez respecté toutes les conditions de sécurité et nous tenons à bien vous en remercier. Pour l’occasion le vice-Préfet vous recevra dans son bureau, après la cérémonie d’aujourd’hui et vous décernera ses congratulations. Entrez, monsieur Revan. »

Revan, obéissant à toutes les lois qui régissaient ce simple échange, rabattit doucement ses bras contre son torse, puis s’inclina très légèrement. Il réprima à la fois un sourire et un frisson ; le premier parce qu’une nouvelle fois, malgré tous ces examens, les machines ne pouvaient déceler l’embryon de révolte qui battait dans son coeur, le second parce que monsieur le vice-Préfet était un homme des plus effrayants, déjà rapiécé de toute part, vu les nombreux affronts qu’il avait dû essuyer. Les félicitations risquaient de tourner en malédiction. Le jeune avait déjà cette place au conseil qui se déroulait chaque semaine, il ne voulait pas en plus se retrouver avec un poste à la mairie, ou quoi que ce soit du genre. Tout son être débordait d’envie d’envoyer valser tous les engagements auxquels il se pliait. Il n’en avait simplement pas encore les moyens ; pour l’instant, il se contentait d’attendre et de recueillir la moindre information utile entendue lors des assemblées auxquelles il se voyait aussi contraint qu’heureux de participer. Dans l’immédiat, il se contenta de passer le portail et, comme d’habitude, se retrouva de suite dans une espèce d’autre monde. L’intérieur semblait un extérieur, vu la luminosité anormale pour un bâtiment, surtout de nuit. Derrière une longue table, des fauteuils tout entiers de métal étaient bien rangés, avec un espacement régulier. En face s’élevait une petite estrade, derrière laquelle on avait fait placer un tissu blanc. S’il n’était pas le premier, il n’était pas le dernier ; quand il tira sa chaise vers lui, d’autres hommes arrivèrent d’un peu partout, sortant de portails comme lui. Les femmes étaient présentes en nombre égal, mais généralement plus ponctuelles. Un battement de tambour, coup unique, le tira de ses réflexions. Dans un même mouvement, ils prirent tous place, tandis que sur l’étroite estrade surgissait le président du conseil, un ami du Préfet. Sur toutes les bouches courait le silence, fol accompagnateur de leurs vies toutes entières. Le patriarche, tant attendu, se tourna vers eux.

Selon la procédure cinq milliards deux cents soixante-dix-sept mille quarante-deux, ils devaient tous, d’une même voix, saluer leur commandant. Cependant, aucun n’eût le temps d’entrouvrir la bouche. A la suite de l’important homme venait d’en arriver un autre. De stature haute, il bombait le torse dans des vêtements éculés, déchirés qui laissaient deviner des articulations d’un rouge affreux, dépourvues d’un tatouage d’identification. Ses cheveux retombaient en mèches bouclées sur ses épaules et il planta un regard bleu de ciel dans les yeux de Revan, qui s’enfonça un peu plus en direction de son dossier. A toutes les lèvres montaient clameur unique et universelle et chuchotements inavoués. Sur la plupart des visages roulaient des yeux immenses d’étonnement. Le jeune homme, lui, tentait de garder une expression neutre, alors que tout son être se tendait comme la corde d’un arc vers le personnage insolite qui les troublaient tous. Cet homme, c’était un peu l’espoir qu’il ne s’avouait pas même à lui-même, c’était le début d’une révolte qui les ramènerait tous à une société un peu plus juste que la leur, plus respectueuse que celle du vingt-et-unième siècle, face à laquelle les hommes avaient seulement pu opposer ce régime de terreur. La naissance d’un sourire se résorba au son d’un nouveau coup plaqué.

« Mesdames, messieurs les membres du conseil, j’aimerais vous demander de vous tenir calmes et respectueux, s’il vous plaît. Il serait agréable que vous, représentants de l’ordre de ce gouvernement, vous songiez au moins à respecter les lois que vous aidez à instaurer. »

L’autorité du président était indiscutable et elle coulait dans sa voix, forte, immuable. A Revan même elle s’imposa et le jeune homme fixa son attention sur le motif répété du mur, pour faire disparaître la clameur d’envie et d’espoir qui s’élevait à toute vapeur dans sa tête. Dans un autre temps, il aurait poussé un soupir rageur, grimacé à la folie ; il se contenta de se tenir encore un peu plus droit dans son siège froid. Tous les visages, bien que calmés, tendaient vers les deux hommes au centre de la pièce, qui les surplombaient, un peu dédaigneusement. L’impatience brûlait dans tous les coeurs, aucun pourtant ne pensa même à bouger d’un millimètre le pouce, cachant ce sentiment honteux tout au fond d’un jardin secret pour certains déjà bien entretenu. Revan, lui, n’en pouvait définitivement plus. Sous peu, il était certain qu’il allait imploser. Heureusement pour lui, une voix se décida à rompre le détonateur.

« Merci bien, messieurs dames. A présent, je souhaiterais m’excuser bien platement auprès de chacun d’entre vous, car nous allons être forcés de bousculer un peu notre programme et d’oublier certains des ordres du jour pour s’occuper d’un cas d’infime urgence. Il s’agit, comme vous le devinez, de ce charmant homme - dont je ne connais pas l’identité, puisqu’il refuse de me dire son nom et que pas même nos agents de sécurité semblent avoir eu vent de lui – qui est un problème pour notre nation. Il nous faut régler ce petit souci au plus vite. »

Le léger inconvénient sus-nommé grogna, suscitant un peu plus le choc puritain de la foule, anonyme dans l’assemblée. Cet homme méritait au moins l’internement pour ce comportement absolument grossier ! Le jeune, sur son siège, remuait, pendu aux lèvres de son chef.

« Il se trouve, figurez vous, que ce monsieur ici présent, est contre notre régime. Ce qui est absolument aberrant, vous êtes très probablement d’accord avec moi. Calmez vous, s’il vous plaît. Bien, nous disions donc. Ce monsieur, comme vous le voyez, représente ce qu’on appelle un rebelle ; il n’a de cesse de se soustraire à notre bienfaisante autorité. Pour cela, messieurs le Préfet, le Vice-Préfet et moi-même avons décidé en autonomie qu’il méritait une sanction. Une punition qui soit exemplaire, pour que plus jamais ce cas ne se reproduise. »

Le coupable en question frémit. Il avait en horreur le fait que l’on parle de lui en faisant mine d’ignorer sa présence. Le président, en tout cas, avait bien jugé d’interrompre son discours, car de nouveaux murmures avaient gonflé dans la salle, plus forts les uns que les autres. Chacun avait son mot à dire, sa petite histoire à susurrer à mi-voix. L’homme le plus important de la pièce fit semblant de bien vouloir attendre. Revan, lui, luttait de toutes ses forces contre la nausée qui lui montait dans la gorge. Habitué à une hygiène qui chassait toute maladie, il se crût presque au bord de mourir, simplement, il n’en avait pas plus le temps que le droit. Un battement insistant roula dans la pièce, rond et fort, imposant. Une nouvelle fois, il fallait éviter de s’agacer de ce comportement facilement jugeable indigne de ces membres importants de la communauté. Il sembla très simple au chef d’écarter les bras dans l’air.

« Alors, messieurs dames, veuillez bien assister à cette sanction, maintenant. Si vous le permettez. Trois. Deux. Un. Allez-y, messieurs. »

Avec un intervalle d’une seconde, trois coups de feu, presque silencieux, claquèrent dans l’air et percèrent tous trois la poitrine de l’accusé en plein coeur, atterrissant dans le mille. La plupart des courtisans profitèrent de l’occasion pour parler à nouveau. Revan, qui se découvrit en même temps le plus jeune de la table ronde, tressaillit des pieds à la tête sur le fauteuil glacé. Au dernier instant, il recueillit les paroles d’agonie du rebelle qui s’était écroulé, embrassant le sol de toute sa hauteur. Il y avait là un message curieux, qu’il fut pourtant habile à déchiffrer.

« Ris pour le soleil. Ris. »

Pour l’instant il souriait. Cela faisait un peu de lui un nouvel homme, avec encore un peu plus d’espoir qu’auparavant et il avait déjà décidé d’en profiter. Il allait être Revan, l’homme qui les guiderait tous vers un truc un peu meilleur, plus pour tout le monde. Cet univers-là, il leur offrirait à tous, avec un sourire. Il le ferait en sa mémoire, avec tout son coeur. C’était une nouvelle naissance. Il rayonnait. Les autres étaient simplement trop aveugles pour le deviner sur son visage, trop sourds pour l’entendre après le crissement des balles dans l’air. Trop bêtes pour comprendre.

« Mesdames, messieurs, membres du conseil, je déclare désormais l’assemblée ouverte. »

Il n’écoutait plus. A l’intérieur, il riait. Un fou rire, incontrôlable, sauvage, magnifique et indomptable. Un rire pour le soleil. Un sourire pour l’espoir.

23-05-2013 à 06:42:17
Carrousel — 10/07/2011

Lentement, le manège tourne, avance paisiblement. De çà, de là, un cheval de bois monte, plane d’en haut en bas. Une petite carriole surnage sur l’air lourd, suivie par quelques voitures de diverses sortes. Au battement lent des coeurs des enfants, soutenu par une allègre musique, antiquité et moderne se succèdent avec une douce révérence. Au coin des yeux une larme, comment est-il ton manège à toi ? Il se balance, tic, tac, tic tac, boum. Il s’affole quand ton coeur se serre, il ralentit sa tendre folie pour un mignon sourire. Toc toc, les rides se creusent, les fossettes s’affaissent. Le sable coule sous les ponts, l’eau dans les sabliers, les larmes sur ta joue. C’est une belle symphonie pourtant. Chaque oiseau alors, qui s’ajoute instrument dans l’immense orchestre, chaque contretemps d’odeur sucrée devient un petit soleil, dans le ciel de l’Univers. Tu pleures pourtant tu souris. Tout ça c’est une raison de vivre. Le temps qui s’échappe, qui sépare les poignées de main, scelle les lèvres. Les chevaux sculptés dans l’écorce hennissent, choeur douloureux à l’écho des angelots. Soupir alors que monte l’ascenseur, avec cette pesanteur qui retourne l’estomac, l’enfonce à tes pieds. Murmure quand l’arc-en-ciel s’étend dans le cosmos gouttelettes de pluie, mort de tout et pourtant de rien. Alors les voitures perdent leurs portes, les lanternes s’éteignent, souffle de vent porteur d’ailleurs. Ils se fanent, chrysalides éclatées sur la voie ferrée. Bus de monde, baiser fraîcheur citron. Carriole bariolée, rire de clown. Départ vers d’autres astres, adieux mouchoirs blancs. Pleurs joyeux sur des paupières fermées main. Naissance nouvelle, retourne poussière. Ils lâchent. Roses éclatées, pétales gris. Mourir. Saveur chocolat mentholée, crève. Ton décès sera un poème surréaliste. Ecrit au pinceau, encre framboise. Vitalité boit au goulot, vide la bouteille, fin de tout. Le manège s’arrête, cabaret, rouille. Larmes, chuchotis. Achèvement, temps qui passe.

23-05-2013 à 06:42:39
Jeté désabusé — 11/07/2011

Lèvres closes, yeux écarquillés, il sourit. Il écrase son nez contre la vitre, retient son souffle pour empêcher la buée de consteller le petit hublot. Il remue sur son siège, maintenu par la ceinture écrasante. A côté son père lui tapote l’épaule, comme pour dire ne fais pas de bêtise, mon fils, ce n’est pas le moment. Son regard plonge, loin en bas. Longue étendue blanche, il s’y perd jusqu’à l’horizon flottant sous la température. Et son regard caressant se perd sur le désert gelé. Il gambade là, sur les plaines vides de monde, il court, sautille. Un vol plané et il s’écrase, embrasse le sol, reste les lèvres collées contre. Insouciant enfant ; un peu plus tard il se redresse, s’accroupit. Il tourne sur ses pieds, devine à l’infini la trace de ses pas. Sourire ; gamin qui dessine de ses doigts gantés un soleil dans la neige. Elle fond, la neige, le soleil est juste un peu trop chaud. La glace, elle retourne eau, elle va même remplir les océans, il a dit le monsieur, même qu’il y aura des terres inondées. On devrait pleurer peut-être, pleurer le monde sorbet saveur de vie qui s’éteint. Il ne pleure pas, lui, le bambin, il dessine dans les flocons des gens qui s’aiment. Il écrit des arbres, jusqu’à ce que les gens s’y perdent, trace toutes ces choses qu’il entend sur des lèvres inconnues. Robinet fermé, lumière éteinte. Dessus fait planer l’effluve du compost. Joli tableau, oeuvre de maître. Alors, le gentil marmot peuple encore la poudre blanche de gros ours avec des sourires, entre les arbres une belle foulée de petites et grosses bêtes, et partout ci et ça dont tout le monde rêve. Il est heureux comme ça, avec tous ces dessins de monde plus beau autour de lui, l’enfant, il se demande pourquoi sa Terre à lui n’est pas comme ça. Il se lève, il piétine les hiéroglyphes d’un espoir jeune, les larmes congelées au coin des yeux. Pour la peine, il les aide, les tire, les pousse sur le sol, elles se fondent glace, dans les empreintes de ses pas. Il remonte, de nouveau dans le siège de l’avion, se tortille, soupire. Embryon de rêve, là où il devrait être. Moche, c’est laid, il aurait voulu un univers et un vrai, pas celui-là de pacotille qui s’effrite sur sa paume. C’était comme son premier saut en parachute, dans une mer hostile, dont il ne remontera jamais.

23-05-2013 à 06:43:00
Limonade aérienne — 12/07/2011

Le soleil pleut ses rayons chatoyants sur la scène, et se reflète dans les yeux des deux bambins qui se tiennent côte à côte. Leur menton constellé de taches rouges, doucereux extrait de framboises bien mûres, cueillies à point dans la rosée du matin qui les a vu naître, les deux enfants se regardent. Le petit bien honnêtement, avec son t-shirt trop grand un peu rongé aux manches pour faire comme papa, qui cache à moitié un short acheté quelque part par maman, a l’air un crétin. Ses yeux s’agrandissent comme des soucoupes et les pupilles dedans se font robinets qui laissent s’échapper un regard dévorant pour la fillette. Elle est toute fraîche, comme ça, flottant dans sa robe à fleurs, comme elle en voit plantées dans le jardin de mamie. Elle a les joues bien rondes, bien roses et un sourire bercé de soleil qui finit par les illuminer tous les deux d’un bon gros fou rire. Bien ancrés dans le sol avec la chaleur du bitume qui s’en fiche des barrières de leurs semelles, et qui mord les orteils et encore s’insinue en vagues sur la plante de leurs pieds, ils se sourient. Ils sont fondus de beaux clichés d’amour et de bonheur, les gosses ; ils ne s’en rendent pas comptent. Oh, douce joie de l’enfance. Ils rêvent encore inconscients qu’un jour viendra où ils ne pourront plus. Ils courent, comme ça, au milieu de la fine route de campagne ; petit village pittoresque où ils se construisent sans s’en apercevoir. Confusément l’un des deux propose un nouveau jeu alors qu’ils abandonnent deux ou trois camarades, rencontrés sur le chemin, qui s’enfuient manger leur goûter. L’idée plaît aux deux compères ; alors, ils rentrent chez eux. Brève razzia au sous-sol où ils savent rangées leurs babioles d’été en attendant la chaude saison ; passage de même rapide dans la cuisine où ils s’aspergent eux-mêmes de liquide vaisselle presque autant que les précieux tubes à remplir ; de nouveau ils sont dehors, véritables petites tornades. Alors la jeune enfant a l’honneur de commencer. Et elle souffle, une petite bulle s’envole. Libre, elle plane dans l’air, s’écrase finalement sur le petit muret des voisins. C’est un peu comme le signal de départ, un drapeau carrelé qui s’agite et prêt feu go partez. Ils tournent sur eux-mêmes, notes aiguës dans la symphonie grave des bulles qui font leur ballet sucré dans l’air. Parfois, l’une d’elles, laissée pour compte s’envole faire un furtif bonjour aux nuages ; les autres éclatent au bout des doigts des deux amis, dont les paumes se couvrent un peu de savon. Ils n’en peuvent plus de rire, les bambins, des étoiles fichées dans les yeux. Alors, ils se marrent tous deux, rire muet transporté dans les yeux, éclatant sur les tympans. Et le soleil berce cette douce folie.

23-05-2013 à 06:43:23
Paille — 13/07/2011

« Hé bien, faut croire que c’est enfin terminé ! »

La voix rauque s’éteignit aussi vite qu’elle était née, fusant dans l’air. Il n’y avait là qu’un seul homme. De loin, à un voyageur qui aurait parcouru le sentier serpentant sur la colline, il aurait semblé bien grand, et bien fier, debout dans la lumière rosée du crépuscule. Il ne l’était à vrai dire pas. Son dos était voûté, plié par le poids d’une cinquantaine d’années de dure labeur, passées à suer sang et eau. Il n’était pas resplendissant dans ses haillons rapiécés çà et là, qui enveloppaient un corps rachitique, avec un ventre tout de même un peu bombé par la mauvaise bière dans laquelle il se noyait le soir venu. D’un point de vue extérieur, on pouvait même dire qu’il était laid. Dans ses rides coulait une transpiration acide, baignée de terre, et sa bouche se déformait sur une drôle de moue geignarde. La vie l’avait fait naître ainsi ; une entité divine qui devait, si elle existait, avoir quelque chose contre lui, l’avait affublé de ce triste sort. Il en était plutôt fier pourtant, cette nuit-là, quand il jeta un coup d’oeil circulaire aux alentours. Son champ, dont la taille se réduisait au fil des années, rongé par des dettes accumulées et asséché par le climat terrible qui semblait prendre malin plaisir à faire souffrir ses hommes, était tout retourné. A la main, seul, il lui avait fallu toute cette journée depuis qu’il s’était levé, avec l’aube, tiré d’une nuit agitée de cauchemars où se mêlaient souvenirs et sombres fantasmes par le coq, seul restant d’une basse-cour qu’il avait dû posséder autrefois. La bestiole se faisait vieille, et elle perdait ses plumes en se remuant le soleil venu, apparemment investi de la mission de le faire savoir à tous les habitants du petit canton. Sa voix se taisait dans son caquet pourtant, et le vieux paysan se disait qu’il faudrait bientôt l’abattre peut-être, pour lui éviter de souffrir et faire de la pâle chair qui lui restait encore un souper pour trois jours au minimum. Bouilli avec quelques choux, il tiendrait bien six repas dessus. Le vieillard tenta de bomber le torse, appuyé sur une bêche branlante plantée dans le sol. Au lieu de cela, il ne put que démarrer une énorme quinte de toux, qui secoua sa vieille carcasse de pied en cap. Il se faisait peut-être bientôt temps pour lui de rejoindre feu son épouse six pieds sous terre. Il ne se rappelait déjà plus le visage de son dernier gamin qu’il avait envoyé en apprenti ailleurs, loin, espérant pour lui une vie un peu meilleure. La quinte de toux prenait un temps incroyable à s’éteindre dans sa gorge, mais il en finissait coutumier. Songeant que son gamin avait peut-être eu ce qu’il voulait lui donner, il eut le quart d’un sourire ; s’interrompit finalement en frémissant de partout. Son vieux clébard venait frotter ses puces contre son pantalon éraillé. Lui aussi, il se faisait un peu vieux, la gueule baveuse, les côtes saillantes.

« Va donc te coucher, vieille carcasse ! »

La queue entre les jambes, la bestiole fila sous un regard que l’ancien patriarche aurait voulu dur. Il n’en avait plus la force pourtant. Il était peut-être temps pour lui aussi de rejoindre sa cabane ruinée, pour sombrer dans de vagues bribes de sommeil. Boitant d’un peu partout, l’échine courbée tremblante de rhumatismes, il clopina jusqu’à la baraque et passa par-dessus les vestiges de la porte qui s’était écroulée deux ou trois lunes auparavant. Un soupir s’échappa de ses lèvres griffonnées. Il s’ancra au lit du regard. C’était les centenaires restes d’un bois vermoulu, rembourré çi et là d’un peu de paille dont la vache décédée quelques années avant n’aurait plus jamais besoin. Il s’effondra. L’odeur des champs l’enveloppa tout de suite, effluve pittoresque de sa vie. Il se laissa couler dans les brins un peu piquants qui trouaient ses habits déjà élimés, et sombra finalement dans un repos troublé. Les étoiles le veillaient, pauvre homme. Cette nuit-là il rendit son dernier souffle, un peu fier pour une fois de sa piètre journée.

23-05-2013 à 06:43:58
Retrouvailles empotées — 14/07/2011

Je me souviens très bien des doux rires de mon enfance. De certains en particulier, qui m’ont fait comme boire une bonne limonade dans la canicule d’été, ou dévorer du chocolat devant le poêle à bois crépitant alors qu’il pleut dehors. C’était un bel après-midi d’automne ; un de ceux où on regarde de la fenêtre les feuilles tomber au sol, dans une hécatombe, doux camaïeu d’orange et on boit un chocolat chaud tout enroulé dans une couverture toute douce, qui ajoute encore à la chaleur d’un gros pull en laine. Ce dont je me souviens le mieux, je crois, c’est de ses mille sourires. Il y en avait des joyeux, des bouées, des mains tendues, des ponts, des perches, des plongeoirs, des à-demi, des tristes, des débordants d’ironie, des pleins à ras bord d’amour, des heureux, des étoilés. Je les aimais tous, comme un millier de petites amies, un millier de choses que j’aurais gardées dans mon coeur. Elle aussi, je crois que je l’aimais. C’était mon amie du moment cet après-midi là, en tout cas. Il faut dire que ça a été ma compagne de l’instant comme cela pendant une vingtaine d’années, jusqu’à ce que nos routes s’éloignent l’une de l’autre. En y repensant, j’ai été et je suis – et je serai probablement toujours – affreusement cliché. Je ne m’en porte pas plus mal au final. Je crois que ce jour-là, on s’était dit depuis une semaine qu’on allait aller dehors, parce que c’était l’anniversaire de mariage de mes parents et qu’ils devaient sortir. Alors ils m’ont posé chez elle, je leur ai fait un bisou à travers les vitres de la voiture, et puis elle m’a ouvert. Ce jour-là, elle avait un sourire nuage. Il était encore plus joli que tous les autres, je crois. Et puis ça a été ma voix le top départ de toutes nos âneries de cette journée-là, dans l’automne pluvieux, moi debout sur le tapis et elle dans l’entrebâillement de la porte. Avec du recul, on était sacrément mignons, comme on dit.

« On sort, hein, pas vrai ? »

On est sortis, peut-être un quart d’heure plus tard. Le temps qu’on se pare comme sa mère voulait de bottes bien rouges, de grands cirés jaunes fluorescents et d’un parapluie avec des yeux de grenouille – la mode ? Peu importait. On a trouvé beaucoup de jeux ce jour-là. Un concours de celui qui mettrait le plus de limaces sur sa main sans grimacer, des sauvetages pour des escargots en perdition. Elle m’a maquillé avec de la boue, et moi je lui ai tressé des feuilles mortes dans les cheveux. On n’a pas pu s’empêcher de sauter dans les flaques, évidemment, et on est revenus trempés, le nez tout rouge et reniflant. On s’est arrêtés au milieu de la route, sur la bande blanche, juste une seconde. Et elle a soufflé qu’on se verrait ici dans trente ans. A l’époque, je venais de fêter mes dix ans, et son goûter d’anniversaire à elle était prévu dans deux semaines – on mangerait des crêpes ! J’ai eu quarante ans la semaine derrière, et même si j’ai appris entre temps qu’au milieu de la route, on pouvait se faire écraser, je suis là quand même. Et elle, elle arrive en courant, elle me saute dans les bras. Comme avant. Je recule jusqu’au trottoir, et puis je souris très fort, un sourire nuage que j’ai appris pour elle.

« … Tu as prévu des bottes ? »

23-05-2013 à 06:44:33
Baptême de mer — 15/07/2011

Le bateau tanguait. Debout bien fermement sur ses pieds, il se sentait bouger un peu, vers la gauche, la droite, d’avant en arrière, porté comme la maigre coque de bois sous laquelle roulait la houle. Une nausée lui vint brièvement aux lèvres, qu’il réprima en bombant la poitrine sous sa chemise blanche qui claquait un peu avec le vent. Un hoquet monta cependant, et il soupira profondément. A l’intérieur, il pestait de tout son coeur. Le matelot eut un demi-sourire ; déjà son dos craquait sous la pression. Il passait un peu trop d’heures allongé à même le bois du pont à dormir dans l’air trop frisquet. Il pivota sur ses pieds. Ce faisant, il faillit s’écrouler et embrasser le sol, patinant dans la flaque d’eau mousseuse laissée là par le petit mousse qui avait rempli son travail et était parti traîner ailleurs son seau et son éponge, sous les commandes du capitaine. L’aventurier, profitant de ces minutes de répit, jeta un regard droit dans le soleil, qui lui brûla les yeux. A la morsure usuelle et pourtant toujours douloureuse sur sa peau déjà hâlée et rougie, il devina qu’il devait être un peu plus ou un peu moins de midi. Au loin, il entrevoyait les coupures d’une terre verdoyante. L’homme hissé dans le nid-de-pie, affalé à la barrière, la tête dans les mains ; les bras appuyés sur ses coudes le regardait. Il lança un bonjour flottant dans l’air au jeune homme sur le pont, qui se mit brièvement au garde-à-vous pour le saluer de même. Le matelot là haut perché agita la longue vue dans les embruns lourds de sel et eut un grand sourire.

« On est bientôt arrivés, compagnon ! »

Deux autres mariniers entonnaient une drôle de chanson, le sang un peu trop imbibé d’alcool. Entre ses lèvres, il la fredonna aussi, par habitude. Grand sourire. Naissance sur ses lèvres d’une tranquille joie. Il allait revoir tout ce qu’il avait laissé derrière lui, et cette brusque idée, de brise dans sa tête, se fit tempête qui balaya son coeur comme un ballot de paille. Il se courba d’un coup en deux, et vomit la maigre pitance qui reposait dans son estomac. Clopinant, il s’approcha du bastingage, roulant sur les vagues. Un grand soupir coula sur ses lèvres aigres et érodées par l’eau salée. Une larme coula de ses yeux, alla se perdre dans l’océan. Ainsi firent aussi une deuxième, puis une troisième. Peut-être un autre millier. Des bribes lui remontaient d’un peu partout. Des sourires, des pleurs, des cris de terreur, des jeux, de tout. Tout. Majeur il avait décidé qu’il était temps d’arrêter et dix ans plus tard, il finissait par en pleurer. Au fond c’était un peu ça sa triste vie hoquetante comme lui. Le capitaine beugla quelques ordres, sorti de sa cabine, un peu plus loin, et tout s’agita. Il se rempluma, aussi fier qu’un coq ; à vrai dire beaucoup trop pour leur montrer à tous ses larmes. Soupir, et il était reparti, mort à l’intérieur le temps de mettre pied à terre. Rêve perdu dans l’orage.

23-05-2013 à 06:45:01
Tragi-comique — 16/07/2011

« Regarde, comme ça j’ai l’air d’un chinois ! »

Les doigts appuyés au coin de ses paupières, peau tirée vers l’extérieur, il plisse les sourcils. Un rire lui monte au bord des lèvres, il le retient pourtant, pauvre crétin désoeuvré qu’il se trouve être. Il pivote sur ses pieds, décoche un de ses sourires l’air vainqueur à son désespéré spectateur. Petit frère à garder, qui se retrouve ainsi commentateur des nombreuses bêtises de son aîné. Il fait la moue, le gosse. Peut-être qu’il essaie de se rappeler s’il connaît un vrai chinois pour comparer ou peut-être bien – hypothèse légèrement plus probable - qu’il tente de se rappeler le numéro de l’asile le plus proche. Légèrement déçu, le plus vieux fait la grimace, et puis relâche ses pauvres yeux. Lentement, il lève le bras, en vue de se frapper le front du plat de la main. Ce petit est décidément bien difficile à amuser ! Ah, les jeunes de nos jours, comme dit si bien leur grand-mère chevrotante. Un sourire naît finalement sur le visage du cadet, éclair fugitif de rire dans ses yeux. Et la drôle de grimace s’agrandit. Alors l’assistante d’éducation improvisée explose d’un grand rire, se tord presque en deux. Le jeune pour une fois suit son modèle, et ils se retrouvent tous les deux à se bidonner. C’est un peu un quotidien, pour eux. Le grand frère exécute à la suite, prestidigitateur génial, tout un tas d’âneries qui lui viennent naturellement, et le petit, perplexe d’abord, finit par se marrer devant les soupirs de désespoir de l’autre. Ils devraient être habitués, pourtant c’est à chaque fois le même cirque, un peu comme une mécanique bien huilée. Au moins ils en sortent tout heureux, les deux enfants, et puis leur mère est contente le soir quand elle rentre et les trouve avec des sourires béats qui leur barrent le visage, comme un trait de marqueur rouge.

« Ça, c’était drôle ! »

Il articule, le petit, entre deux hoquets de rire, quelque chose qui sonne un peu comme des félicitations, un vague compliment suivi d’une nouvelle explosion. La mécanique de la folie est un rituel tout comme les autres, qui est bien planifié sur une feuille blanche. Au bout de cinq minutes ils s’éteignent tous les deux, avec un sourire un peu plus grand que la crise précédente pourtant. Et le vieux pour le moment tape dans ses mains, les enfonce sur ses hanches, fait mine de se fâcher, sourcils froncés et bouche plissée avec des petites rides creusées imaginaires sur toute la figure.

« Voyons, cher enfant, il faut que tu apprennes qu’un aîné se frappant le front – ultime souffrance physique ! - de désespoir n’a rien d’hilarant. Pour cela, tu seras sévèrement châtié ! »

Et pour poursuivre le spectacle gigantesque de leur vie, le petit recule un peu, se courbe en arrière, mimant l’appréhension face à ce qui va arriver. Et de nouveau ils riront bientôt. Les dramaturges sont les premiers à profiter du comique de leur belle oeuvre.

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