Hélium — 19/07/2011
Souffle de vent. Le ballon nouveau-né frémit un peu. Les lèvres collées sur le plastique, les poumons gonflés, le torse bombé, le gosse recrache tout l'air qu'il peut. Et le caoutchouc rouge du ballon s'étire, prend forme. Il fait une bosse, par ci, par là, et puis son dioxyde de carbone remplit les espaces encore manquants. Il se gonfle, se gonfle, comme le gamin gonfle ses joues, toutes rougies par l'effort. Elle sourit, la nourrisse assise derrière lui ; le laisse à sa demande s'époumonner. Et finalement le ballon rouge prend une forme toute en rondeur, en circonvolutions frivoles. Alors il lâche les lèvres, pince les doigts. Malhabile, il tente un noeud ; rate le coche, un peu d'air s'échappe. Il fait la grimace. La jeune femme, conciliante, lui adresse un sourire, et lui fait signe de venir. En sautillant, il s'exécute, avec une fraîcheur soudainement retrouvée, certes pas très loin enfouie, mais tout de même. Alors de ses doigts habitués, elle noue le ballon. Entre ses petites mains, il le saisit. Son nez se retrouve collé contre la surface lisse et un peu chatouilleuse. Des étoiles au fond des yeux, il l'observe, plein de passion, tout tremblant des pieds à la tête. Elle pose une main sur son épaule, tout d'un coup, son aînée, elle pointe du doigt la table, couverte de feuilles et de feutres abandonnés là quand il a trouvé cet autre jeu. Il ne finit jamais rien, l'enfant un peu gâté, parce que ses pensées sont trop volatiles pour ça ; il n'est jamais à court de nouveaux rêves. Il hausse les épaules, en tournant la tête un peu sur le côté ; de même fait-elle, cessant d'agiter faussement son doigt dans l'air pour mimer de le gronder. Alors il s'envole, comme le ballon s'il le lâchait, il plane dans des bras gentils. Heureux. Et il se retrouve sur une chaise devant la grande table de jardin rouge, maculée d'étendues de fausse neige et pointée d'arc-en-ciel. Interrogateur, il fixe la fille.
« Fais un petit dessin et je marquerai un petit mot derrière, et puis on le collera au ballon, et on le lâchera. Ce sera comme une petite touche de bonheur dans la vie de celui qui le retrouvera. Viens, je te le tiens le temps que tu laisses place à tes idées. »
Il n'a pas le temps de poser la question qui lui monte trop lentement aux lèvres ; pas non plus le temps de protester ou d'acquiescer. Avec douceur, elle lui ôte le ballon des mains, et s'éloigne pour y accrocher une ficelle. Le petit, ses genoux appuyés sur la chaise, arrive à la hauteur de la table. Il rapatrie une feuille devant lui, rassemble quelques feutres. En jaune fluorescent, il dessine un soleil avec un sourire à en faire pâlir d'envie les étoiles du septième art ; en vert, l'herbe naît de la pointe de son feutre, un peu trop appuyée sur le papier blanc ; en rouge, il trace des fleurs énormes, qui brassent l'air jusqu'à des nuages tout en bleu. L'oeuvre finie, il écrit son nom en lettres d'imprimeries bancales, appuyant fort sur la mine du feutre orange. Tout fier, il passe quelques minutes à le contempler, et puis se décide enfin à le prendre dans ses mains. Les bras tendus pour ne pas le froisser, juste le bout des doigts pressant le papier, il rejoint en courant sa nourrice qui s'est rassise sur une chaise, patiente. Avec un sourire de la circonférence du monde, il lui colle devant les yeux, gigotant de satisfaction.
« C'est très joli. Viens, j'ai pris le feutre noir, tiens le ballon par la ficelle, je vais écrire. Tu ne sais pas lire, pas vrai ? Regarde, je marque « bonjour, je suis un petit garçon, et comme j'aime les ballons, et les beaux dessins, je voulais vous donner ceux-là. Ce serait bien si vous souriez en retour ! Gros bisous ! » ; tu trouves ça bien ? Oui ? D'accord. On va l'attacher alors ... voilà. »
Et puis finalement, il se décide enfin à le lâcher. Une larme au coin de l'oeil, un immense sourire sur les lèvres, il agite la main pour lui dire aurevoir, à ce précieux point rouge qui disparaît dans l'immensité bleue pâle du ciel d'été. Et il le salue jusqu'à ce qu'il ne le voie plus, et puis même encore un peu après. Il espère que ce sera une gentille personne qui le trouvera, et puis qui sourira, comme elle a dit, elle, qui le regarde, avec un air tout attendri par sa mignonne candeur.
Et l'histoire change de décor. A l'autre bout de la ville, elle sort sur son balcon, une tasse fumante en main, les cheveux explosés autour de sa figure aux yeux cernés, ses pieds ornés de chaussons roses avec des oreilles d'elle ne sait quel animal, sur lesquels tombe un pantalon informe. Elle met un peu de temps à remarquer la présence étrangère. Dans l'air, se mouvant dans son habituellement imbuvable paysage d'immeubles, de voitures et des passants pressés, elle avise d'abord la ficelle qui se trémousse doucement. Et puis elle aperçoit le ballon rouge coincé entre deux barreaux sinistres. Elle pose sa tasse sur le béton, abandonnant son café, et recueille l'objet tout rond, un peu dégonflé.
« Hein ? Oh, il y a un mot ! Oh, mais qu'est-ce qu'il est chou ce dessin ! »
Des étoiles dans les yeux, elle s'approche de nouveau du bord, et sourit un grand coup. Bonheur partagé.