Tu es une marée qui se pose sur mes joues, parfois elles rougissent quand ton sel vient border mes cils qui ouvrent la porte close du monde. La nuit je pense à toi quand les sourires se jettent dans mes rêves comme dans une fosse brûlante où on ferait chauffer du pain, oh je me souviens de ces immolations supérieures qui faisaient rugir les tombes et trembler la poussière ; tu es le ciel qui s'abat sur mes rêves, se relève, les entraîne avec lui dans l'infini cosmos, tu es la grande galaxie qui tournoie entre mes joues et amène mes pensées dans l'immenses carrousel bariolé des astres ; je reconnais Orion grâce à toi, il est là qui brûle. C'est sa ceinture que je vois dans mes rêves, elle brille comme une rangée de braise posée sur la langue de la nuit, elle fait du feu lointain dans les bourrelets huileux du soir qui étend sa graisse molle et parfumée, embaumée même, puis percées d'étoiles nitescentes, est-ce que les étoile sont un goût tu crois ? je veux dire, je me demande quand même si ce n'est vraiment que du gaz et tout ça, ça a l'air tellement beau et la science est grandiose, mais tout ça manque d'un truc quand même, je crois que le mensonge de mes pensées vaut peut-être mieux que le vérité qu'on m'offre, et puis est-ce que c'est si mal que ça de vouloir l'entretenir et de le distribuer aux gens qui m'entourent ? Enfin je ne sais plus, peut-être qu'au fond je mérite au moins la pendaison pour ça, mais ce n'est pas ce que me disent tes mains et puis tes lèvres aussi ah tiens et puis tes yeux pendant qu'on en est à compter les signes, alors je pense qu'on peut dire que c'est au moins aussi gris qu'un acte plus important, bon, et qu'au fond je peux continuer à vivre dans ma forêt de mots. C'est quand même sacrément plus facile de planter des phrases dans mon cerveau que de semer des graines en creusant des trous ou tout ça, là, parce-que je veux dire je n'ai qu'à agiter les doigts et bien sûr pouf ça jaillit sans crier gare comme ça, ça s'enchevêtre entre mes tempes, bordel han, c'est presque aussi tumultueux et sauvage que ma broussaille crânienne tout ça- tiens et puis les phrases ça pousse plus vite que les arbres, la preuve, on a déjà un bosquet qui se pianote ici et là, bah sous vos yeux quoi enfin il est déjà tapé mais je veux dire qu'il étend ses racines maintenant pendant que je me fais danser, alors en même temps est-ce qu'on peut dire qu'il naît aussi en vous pendant que vous lisez étant donné qu'il se développe pas seulement dans mes pensées maintenant mais aussi dans les ventres, qu'ils griffent avec ses branches l'intérieur de, vos corps également, surtout la caboche quoi, enfin l'intérieur, et donc du coup, c'est devenu autant ma forêt que la vôtre ou bien même une autre forêt issue d'une même racine primordiale et tout ça. Ce qui serait tout de même sacrément dingue vous ne pensez pas, parce-que ça voudrait dire qu'on peut planter des forêts dans la tête des gens en leur faisant lire des mots- des forêts de mots qui feraient comme des explosions de sens dans leur crâne, des explosions d'images, et si c'est une forêt bien foutu, elle les enveloppera carrément pour les entraîner dans ses profondeurs et ce qui était à l'intérieur, soudain, va tendre ses branches vers l'extérieur en faisant de l'ombre au monde pour le temps d'une lecture. Ce serait vachement fort.
Vous pensez que je peux faire ça pour vous maintenant ou un jour ? Ce serait un but super dur à atteindre quand même, et en plus je suis vide alors je ne peux pas sortir tout ça de nul part, je vais devoir quelque chose avant. Ou bien est-ce que je suis tellement plein que je ne me sens plus moi même et que tout engourdis de l'esprit, je me retrouve finalement à avoir l'impression que je suis vide cependant que je n'ai jamais été aussi fantastiquement remplis de toute mon existence ? Est-ce que je ne peux sortir tout ça que par petites fuites ou est-ce que je peux le vomir carrément sur vos tronches et vous noyer les yeux ? Genre avec des mots et pas autre chose quand même, faut pas déconner, je vais pas vous faire avaler ma bille par les yeux ce serait carrément immonde et tout.
En tout ça mes yeux à moi ils sont bordés, ils avalent des mots aussi, vous voyez, mais ils sont sélectifs et seuls les mots de certains personnes vont fondre sur ma pupille, dégouliner le long de mon nerf optique et faire le trajet jusqu'à un point précis de mon cerveau qui stocke les choses importantes, qui ne le sont d'ailleurs que de manière tout à fait arbitraire comme elles pourraient vous le dire si elles n'étaient pas seulement des choses liées entre elles et tout ça mais bref. Je peux vous dire que c'est sacrément important pour moi d'avoir des étoiles ou des vents ou je ne sais trop quelles obscures créatures pleine de phrases en fouillis qui me jettent des graines de mots à la figure. Parce-que comme ça, j'ai un peu l'impression de devenir Kairec moi aussi, j'ai un peu l'impression d'être leur forêt à eux. La forêt de leurs espoirs, de leurs rêves, de leurs craintes. Et tout ça, tout ça là.
Ils me bordent les yeux et s'accrochent à mes cils et s'accrochent à mon coeur ; moi je prend, je prend tout, et je deviens l'écume de leurs songes qui renaissent à l'aube d'un sourire, d'une petite joie tranquille. L'arbre auquel on accroche des guirlandes et des mots dans le tronc duquel on grave des trucs absurdes qui retiennent un moment d'existence, ça pourrait bien être moi un jour, peut-être.
Oh. Je veux être un arbre. Un arbre où ils accrocheraient une énorme balançoire, et je les laisserai jouer et sourire, être heureux à mon ombre, simplement là immobile et sans geste, les protégeant des pluies et ne courbant pas en révérence lunaire quand viennent les tempêtes et les cauchemars du jour. Un havre de toujours pour tous les rêves qu'ils ne veulent pas jeter mais qu'ils ne peuvent pas garder, le terrier des rêves qu'on laisse, la maison des songes abandonnés, l'orphelinat des espoirs qui se perdent, s'écorchent et tambourinent à la porte, font trembler la porte, font tomber la porte, brûlent la porte et dansent autour de ses débris. Un repaire d'enfants sauvages et de rêves indomptés, la forêt des trésors qu'on ne devrait pas céder.