Futur de Kairec

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31-05-2013 à 23:49:38
Souvent les bambins, forts de leur innocence, puissants de cette force étrange qui anime les jeunes âmes, s'enivrent de la prime nouveauté qui vient danser près d'eux ; peu importe qu'elle soit laide, banale ou éculée, à leurs yeux, elle devient la plus belle des découvertes, la magnifique et singulière merveille qui fera se délier leur langue primesautière. On les verra courir après le papillon, poursuivre le nuage dans le ciel, et chercher à prendre entre leurs doigts courts et doux, les poussières envolées du pissenlit duveteux. Ils barbouillent de boue leurs joues fraîches, rient de l'eau froide des flaques, rémanentes d'un orage qui leur aura fait peur, embrassent les limaces gluantes de leurs lèvres impudentes, et chaque instant qui suit un pas dans un lieu nouveau, sera habité de pareilles jeux candides. Ils aiment le monde pour ce qu'il est, et l'acceptent avec des franches risettes, pour un temps du moins, égrenant les questions qui planteront dans leur esprit des opinions futurs. Ils ne savent pas ce qu'était le monde avant eux, alors ils profitent de tout ce qu'il leur offre, et se jettent dans ses bras vastes avec une inconsciente hardiesse, sans peurs et se gaussant du danger. Ils ne savent que vivre, et le font mieux que leurs parents. C'est ce qui rend tous les enfants si beaux ; gamins merveilleux, à l'enfance pleine de trésors. Gosses fantastiques, qui décèlent le jeu et la beauté en chaque parcelle de ce monde cruel. Ils sont l'espoir. Ils sont l'avenir. Fiers d'une candeur majestueuse, ils avancent vers un futur qui leur jettera des pierres... Et de ces meurtrissures qu'on lui infligera, le gamin ne se remettra pas. Avec des coups, des ouragans, des incendies, des ongles acérés et des dents dénudées, le temps saura faner ses beautés et dévorer son cœur bleu des baffes qu'on lui aura soumis. Il lui fera boire les eaux empoisonnées de la déception, du doute et de la mélancolie. Il posera sur son chemin des tombes, des pièges, et saura déjouer son bonheur avec subtilité, pour que ses attaques franchissent le bel optimisme dont il sera occasionnellement paré. Et à la fin, de l'enfant, il ne restera que des fragments, des parcelles, les restes déchirés de son âme. Plus d'innocence, et pour le monde, plus de sourires. Le visage fermé plein de rides, scarifié par le couteau des années, il songera longuement, avec tristesse, aux temps plus fastes de sa jeunesse, et jamais ne retrouvera cette joie chéris. Peut-être aura t'il quelques instants heureux, mais alors ils seront dû à ceux qui l'entourent, et non plus à ce que le monde lui présentera. Car ce monde sera devenu pour lui une prison, un dédale, un lieu hostile dont il ne vaudra plus voir les couleurs ternies. Car ce monde aura à ses yeux une teinte dégoûtante et horrible, et que jamais plus il ne pourra lui trouver de beautés simples, quand bien même on viendrait les poser sous son nez. Seul comptera son entourage, vite raréfié. La solitude viendra finalement courber son dos plus encore que le train de plomb des ans. Il se morfondra dans le vide de son existence, le crâne comme un gouffre, le regard lointain, et soudain souffrira de son instinct de survie ; il maudira ce cerveau reptilien qui lui ordonne de vivre encore, le plus longtemps possible, de faire tourner les moteurs jusqu'à l'explosion, d'aspirer seconde après seconde des goulées d'air dont il ne voudra plus. Abandonné, surgis d'un autre temps, il attendra avec une plate résolution, un fatalisme amère, que jaillisse un jour au détour d'une minute la faux salvatrice de la mort. Il s'y abandonnera avec soulagement, heureux qu'on ait décidé de l'arracher à sa vie, terrible prison d’indifférence, d'ennuis et de mélancolie.
Et l'enfant, oublié, expirera dans l'ombre de l'adulte en les tréfonds lequel il s'était caché tout ce temps.
Mais certains enfants ne grandissent jamais. Certains enfants persistent, plus qu'en tant présences éthérées qui s'effacent ou se diluent dans le silence, plus qu'en tant que spectres ; ils sont là, éclats de lumière qui flamboient et jamais ne s'éteignent. Ces enfants-là ont le dessus sur le temps, et c'est dans l'ombre qu'ils projettent depuis leur lumière éclatante que se recroqueville la créature, le monstre de nostalgie pitoyable ; c'est dans leur ombre à eux que s'épanouit l'adulte attardé, spoilé par le gamin éternel, se creusant de nouveau le visage à renfort de fossettes radieuses.
Dans l'ombre des gens comme Björn. Björn qui rompt l'équilibre, inverse les rôles. En lui, l'enfant a gagné. Et sa victoire est incontestable : il a fait de ce géant son empire sublime. Inexorable, il s'épanouit, merveilleuse anomalie ; merveille émerveillée, quand retentissent des exclamations qui l'arrachent à sa candeur fixe ; il se détourne de l'ombre qui l'a percuté, et soudain, bascule dans une histoire.
Comme dans une vieille légende, il est là, les pieds ancrés dans l'herbe, des branches feuillues s'agitant chaleureusement au-dessus de sa tête, des odeurs plein le nez et un lac scintillant face aux yeux. Il est là, immense et contenté par le bonheur simple de se trouver dans un bel endroit, et à quelques mètres, une légende lui coupe le souffle. Une légende vivante.
C'est un homme comme il n'en existe plus. Il est d'albâtre pur. Sa peau luit ainsi que du mercure, mais sa blancheur est marmoréenne ; ses yeux sont des étoiles en fusion qui bouillonnent comme le cœur des astres, et en regardant bien, on pourrait y voir tourner des galaxies se tenant par les branches, dans une farandole endiablée. Dans ce brasier d'explosions argentés, ses pupilles semblent palpiter comme des trous noirs. Deux orbes d’obsidienne, implacables. Des mèches éclatantes dansent devant ces cœurs sombres, éblouissantes ; ce ne sont que de minces filets d'un flot de lumière, une fontaine lunaire qui jaillit du crâne de l'être sublime. Il est le calice de toute les lumières de l'univers. L'espace a versé son océan tout entier sur lui. Des étoiles ont fondus sur son corps.
Face à lui, un Dieu. Peu importe lequel. C'est un Dieu. Un être de magie pur, un être surgit d'un autre temps... Une créature des bois anciens, ceux qui se déployaient titanesques, autour de ce vestige où il s'est endormi au soir, bercé par un chant doux. Un gardien de Kairec. Jaillit d'un autre âge. Renée à la face d'un monde gris, magnifique et grandiose. Maître de tout un monde, une éternité plus tôt ; pendant des éons, il aura régné sur une humanité ingrate. Un Dieu.
Il parle et sa voix est comme le roulement de la foudre sur la langue grise des nuages. Björn reste tendu face à lui, vibrant d'une force qui s'éveille au son de ce bruit titanesque que sont les paroles du Dieu. Il se sent engourdis, comme une poupée bourrée de coton. Quelque chose tremble en lui. Il est entré en résonance avec... Avec une présence. Une entité.
Elle hurle sous ses pieds, gémit dans les rues. Il la sent, impuissante, roulant contre le goudron et le fer, ruant furieusement, il la sent glisser comme un rasoir impalpable sous la surface, plus forte à certains endroits, presque absente en d'autres. Relié à elle, il bouillonne dans des artères coupées, et s'assèche doucement, remuant désespérément pour s'arracher à sa gangue. Et brusquement, en revenant à lui, il prend conscience, en saisissant au vol une pensée fugace, qu'une chose gigantesque vient de s'éveiller sous leurs pieds, et que le monde est son corps même.
La voix du Dieu, ou sa présence, ont sorti de leur torpeur une force titanesque qui dormait depuis longtemps. Elle attendait un signe, un appel implicite. Prisonnière, elle pulse sous la terre. Et lui, peut la sentir. Lui, peut la voir. Presque la toucher, tant il lui semblerait simple de tirer hors du sol une parcelle de cette force. Il pourrait la saisir, la prendre entre ses paumes.
Elle est là. Elle chante et sa voix lui demande de céder. De se défaire de sa propre prison. Il ne sait pas de ce dont elle parle. Il ne sait pas, quelques secondes, puis il comprend : son corps. Son corps est une prison dont il peut s'affranchir. Il n'est qu'un bourgeon, alors qu'il pourrait être fleur ; il doit éclore, se déployer. Il doit fleurir et ainsi s'accomplir. La voix le supplie.
Il ne voit pas la femme qui approche du Dieu, il ne voit pas la descendante qui vibre elle aussi face à l'être sublime.
Il se gonfle d'un souffle, les yeux écarquillés, et quand la terre tremble de la croissance subite d'un géant de bois, il ne la sent pas, car lui-même est plein d'une secousse unique qui le dilate amplement. Sa poitrine n'a jamais été aussi large. Il est offert au ciel, alors que ses pieds sont fermement plantés dans la terre herbue. A ces même pieds, où elle explose soudain dans une gerbe de fleurs nouvelles ; une richesse perdue rejaillit autour de lui. Une onde parcourt le sous-sol, remonte à la surface. Elle apporte avec elle les souvenirs d'une flore oubliée. Le parc terne devient un somptueux jardin. L'herbe semble éclater de tous côtés ; en un instant, des fleurs sauvages sourdent d'une pelouse aussi haute que la chevelure d'une femme, et elle ondule entre les mains passionnées du vent. Le parc semble se cambrer.
Il se cambre. Il gonfle. La terre vient d'exploser.
Björn lève les bras vers le ciel, exhalant un souffle ardent. L'air en est déformé. Tant de chaleur se dégage de son corps que la flore entière en frémit, comme prise d'une soudaine pâmoison. Un souffle ample rabat l'herbe contre le sol moelleux. Des nuages de poussières rôdent autour des arbres, la route qui menait à ce coin de végétation insipide a disparu. Et alors, tous comprennent dans le parc : une colline vient de se soulever au milieu de la ville, en ce lieu même. Une petite montagne. Et à son sommet, cette verdure sauvage, ce souffle de vie primitif.
La forêt vient de renaître... Ou plutôt ce qui en était important. Son cœur. L'ancienne clairière. Splendeur renouvelée, fièrement dressée parmi les immeubles, les défiant de sa propre tour, toute en roche et en terre. Mirifique gloire des temps anciens, exhibée dans la grisaille d'une cité. Battement vert du cœur du monde. Pulsion sauvage.
Björn explose comme la terre qui s'est dilatée pour s'habiller de fleurs. Il se déploie. Ses muscles se tendent et enflent, sa peau vibre quand jaillit de ses tréfonds une fourrure drue. Il grandit encore, se distant, et sa masse toute entière s'accroît. Largeur, hauteur... Transfigurées d'un souffle. Trois mètres cinquante de puissance brute sont levées vers le ciel.
Brune, rousse, noire. Sa fourrure est sublime, et sur ses muscles lourds et souples, elle roule comme l'habit seyant d'un souverain des vieilles épopées. La lumière l'éclabousse de reflets fluides qui la font paraître une étoffe de moire. Quand il retombe sur ses pattes antérieures, l'ours dévoile deux yeux qui scintillent comme les étoiles dans le ciel. Son regard est un brasier argenté.
Son regard est celui d'un Dieu.
Björn, descendant de Kairec ; Björn, enfant de la magie, fils d'un monde qui veut se révolter.
Le premier d'une nouvelle génération divine.
Le panthéon va renaître... Et en voici l'aîné.
02-06-2013 à 15:44:58
<< Mais qu'est-ce que je fais là ? >>
Il était tombé contre un arbre, vibrant de tout son corps. Tremblant de fièvre déjà avant les événements, il se sentait désormais anesthésié tant le polichinelle branlant qui lui servait d'enveloppe matérielle était chaud et bourdonnant. Il pouvait à peine tenir debout dix minutes auparavant ; il n'arrivait même plus à s'imaginer campé sur ses jambes désormais. Ses os avaient fondus. Sa peau était en coton. On l'avait empaillé. Il était incapable de tout mouvement... Et le monde autour de lui, ce chaos dans lequel on ne pouvait mettre d'ordre, s'entêtait à rester flou derrière le voile de larmes brûlantes qui couvrait ses yeux. Il n'en pouvait distinguer que des vagues couleurs et des formes incertaines. Tout se mélangeait, comme dans une peinture abstraite. Comme si le monde était devenu une grande aquarelle ; son regard diluait tout jusqu'à transformer les gens en tâches.
Sylvestre les voyait courir et se bousculer. Ils semblaient danser. Ils avaient l'air d'organiser une fête sauvage sur une musique violente, tous ces gens paniqués. Ils se prenaient par les bras, les épaules, se jetaient les uns contre les autres, fuyaient en tous sens comme des oiseaux effrayés par un enfant audacieux. Mais qui était l'enfant qui jouait à sauter vers eux ?
Ils devaient sûrement hurler, mais ses oreilles bourdonnaient, aussi tous les bruits s'étaient-ils éteins pour lui. Plus aucune musique ne pouvait lui murmurer ses notes. C'en était presque triste. Angoissant surtout ; mais au moins cette soudaine surdité lui épargnait-elle la stridence inharmonieuse des cris. Le virtuose n'aurait pas apprécié cette chanson de terreur. La peur n'était pas agréable à entendre. Elle arrachait des bruits inouïs et terriblement incommodants à ceux qui tremblaient sous son empire. Très peu pour lui, donc, ces sons dénués de finesse. Il préférait ceux des violons. Les violons savaient pleurer eux, ils savaient crier. Ils avaient des voix qui méritaient d'être entendues, un véritable timbre, et non pas quelque bruit âpre, pour communiquer. Ils délivraient la beauté, quand les Hommes s'égosillaient vertement sans pensée aucune pour ceux qu'ils contraignaient à endurer leurs vocalises immondes. Vraiment, comment l'Art pouvait-il naître de créatures si malhabiles ? Parfois, Sylvestre avait l'impression d'appartenir à une autre espèce. Il ne comprenait pas ses semblables. Comment pouvait-on vive sans passion artistique, et où était le bon-sens qui aurait dû caractériser le maillon final de la chaîne alimentaire ? Ils auraient dû être tous aussi intelligents que le laissait supposer leur domination absolue. Au lieu de quoi la plupart des gens étaient insensibles, incomplets et stupides.
Ils n'avaient aucun regard pour l'Art. Ne le comprenaient pas. Ils ne s'y intéressaient guère, à vrai dire... Et en cela, ils ne méritaient pas d'être humains, d'appartenir à l'espèce dominante de cette planète quasi-morte. Sylvestre se prenait souvent à tous les mépriser. Depuis quelques temps. Seulement depuis quelques temps.
Avant, il n'accordait que peu d'importance à ce que les gens pouvaient être ou faire. Il considérait que chacun était en droit de mener son existence comme il l'entendait. Mais avec la fièvre, étaient venues des pensées nouvelles... Il s'était alors pris à mépriser l'humanité, à l'observer avec dépit et amertume. Il n'avait pas compris. Il ne comprenait toujours pas. Mais quelle importance ? Il ne pouvait pas lutter contre les pensées qui lui venaient. Et si elles étaient dues à la fièvre, elles finiraient par disparaître...
Il s'était décidé, ce matin, à sortir de chez lui nonobstant la braise douloureuse qui pulsait sous son front. Les bruits de la ville l'avaient agacés, comme escompté, et il avait eu l'impression, en marchant à travers les rues, d'errer dans un rêve. Un monde onirique incertain où tout pouvait se défaire en un seul instant. Mais après un certain moment à souffrir, il avait finis par ne plus rien entendre. Soudain, le monde était devenu silencieux. Il flottait loin de son corps, relié à lui par un mince fil de feu qui menait droit à son crâne incendié. C'était ce qui restait de lui. Une flamme, quelque part derrière ses yeux. Il n'était rien de plus que cela. Alors, tel un feu-follet, il vaguait dans ce marécage gris où s'entassaient les humains, indifférent à leur existence précipitée. Il flottait parmi eux, ses fils cachés sous une chair moite ; il était un croisillon lointain qui faisait branler une carcasse devenu marionnette. Son corps continuait d'avancer, sourd aux sensations qui auraient dû l’assaillir.
Au départ, il avait pensé que quitter la maison ne pouvait lui faire que du bien, mais il s'était trompé. Rien n'allait plus, il avait l'impression d'être perdu dans sa propre existence, et de ne plus pouvoir penser. Chaque prémisse d'idée qui passait dans son esprit filait avant qu'il n'ait pu la saisir. Elles tourbillonnaient comme des feuilles dans une bourrasque, passant au-dessus de lui alors même qu'il s'esbignait à les emprisonner. Il était impuissant à faire quelque chose de sa propre vie. Il subissait des actes influencés par une logique qu'il ne comprenait pas.
Il n'avait repris conscience de ses pensées qu'une fois dans le parc. Sans pouvoir vraiment déterminer quand il avait exactement regagné son corps -pour peu qu'il l'ait quitté un seul instant- Sylvestre s'était soudain retrouvé adossé contre un arbre, face à un lac. Il connaissait bien l'endroit. Il était souvent venu ici avec ses amis pour profiter du soleil, et quand il était jeune, les sorties scolaires passaient toutes par le parc, car des musées l'entouraient. Ils pique-niquaient donc généralement au milieu de la verdure, sous le regard séculaire des arbres qui avaient survécu à l'étreinte de la ville. C'était le plus grand espace vert de la Kairec-City, quoiqu'il soit à peine plus grand qu'un stade olympique. Les autres ne lui arrivaient pas à la cheville, et se recroquevillaient tristement à l'ombre des buildings. Et puis, ce parc-là était le seul à posséder un lac, même si l'on ne pouvait s'y baigner. Cela lui donnait un certain charme que ne possédaient pas les autres. Une aura. Sans le bruit des voitures, les chemins tracés, les bancs, poubelles et robots de maintenances qui s'y trouvaient, on aurait pu s'imaginer faire une excursion hors de la ville... Si seulement il y avait eu des forêts se prêtant à pareille activité, hors de celle-ci.
Au long de leur parcours scolaire, l'Histoire qui leur était apprise les informait que l'humanité avait cessée de chercher des solutions contre la déforestation quand les scientifiques avaient découvert un autre moyen de gérer l'atmosphère et de produire en continu de l'oxygène. Ce problème résolu, on s'était désintéressé de la protection de l'environnement. Les écologistes n'avaient pas pu lutter, et à mesure que la nature disparaissait, ils avaient de toute manière disparu eux aussi, comme les forêts. L'opinion publique n'y voyait aucun mal : après tout, si l'on pouvait vivre sans arbres, pourquoi s'en embarrasser ? Aucune manifestation de grande ampleur n'avait été organisée. En cent ans, on avait vu disparaître presque toutes les forêts de Natoul, le continent le plus industrialisé entre tous, puis les autres avaient suivis. Bientôt, il n'y avait plus eu de sylve ; ce n'était alors que les prémices d'une plus vaste destruction, car le reste de la faune et de la flore n'avaient pas tardé à suivre, qu'elles soient terrestres ou pas. Tout le monde s'en portait très bien.
Sylvestre n'avait jamais compris le désintérêt total des gens pour la nature. Peur être parce-qu’ il n'y avait jamais eu accès, il était fasciné par elle. Les plantes lui semblaient une véritable merveille, il ne se lassait pas d'observer celles qui avaient perduré, et les photographies sans âge de paysages naturels lui serraient le cœur. Il aurait aimé connaître tout cela seul, directement. Pouvoir entrer en contact avec cette faune et cette flore que ses ancêtres avaient massacrés... Il regrettait amèrement d'avoir perdu ces merveilles. Il se sentait vide en y pensant, attardé, inachevé. Il avait l'impression lugubre qu'on lui avait volé quelque chose, et savoir qu'il ne le retrouverait jamais lui était douloureux. Qu'avaient donc pu ressentir ses aïeux en se privant de la nature ? Du soulagement ? S'étaient-ils donc sentis soulagés de pouvoir outrepasser les règles universelles, de pouvoir maintenir un semblant d'équilibre sans changer leurs habitudes ? Avaient-ils été fiers de vaincre la domination de la nature, de contourner ses édits ancestraux ? S'étaient-ils sentit libérés de quelque joug injuste ? Sylvestre tentait de trouver des réponses, mais il n'arrivait pas à cerner les motivations de l'humanité, à ce tournant décisif de son Histoire. Elles lui échappaient totalement. Elle aurait dû savoir qu'elle priverait odieusement sa descendance d'une beauté qui ne pouvait être restaurée, d'une oeuvre d'art sans nul autre pareil. C'était une décision trop lourde pour être prise par qui que ce soit. Elle avait fait une erreur, et personne ne pourrait la réparer désormais. C'était injuste.
Ce parc, à ses yeux, était aussi un lien tenu avec le passé. A travers lui, il se sentait touché par une chose qui aurait dû être morte... Il avait l'illusion que tout n'était pas perdu, que la nature patientait, endormis, et qu'elle pourrait revenir si on la sollicitait de la bonne manière. Comme si tout n'avait pas été détruit à jamais, mais seulement balayé, et qu'ainsi que la poussière en suspension dans l'air, un jour, cela finirait par retomber. Il en était ému. Peu importait que ce soit vrai ou pas ; avoir la sensation que les choses pourraient changer et redevenir belles lui faisait de bien. Parfois, il venait seul pour profiter de ce sentiment de renouveau qui l'assaillait ici. Il avait l'impression qu'en s'endormant en ce vestige d'un naguère plus exaltant, il ferait des rêves merveilleux... Un jour, s'était-il juré, il passerait une nuit dans ce parc survivant. Ce serait une sorte de retour aux sources, un pas en arrière vers des origines qu'on distinguait à peine. Pas grand-chose somme toute... Mais c'était ce qu'il en restait, et on ne pouvait pas lui offrir mieux.
Peut-être était-ce cette pensée qui l'avait poussé à quitter la maison si tôt, alors que Billie dormait encore, et à errer longuement dans les rues. Voilà pourquoi ses pas l'avaient mené ici. Une pensée qu'il n'avait pas saisi, simplement...
<< Mais qu'est-ce que je fais là ? >>
Il se le répétait pourtant, affalé contre un arbre, écroulé par terre, pantelant. Il n'aurait pas dû venir. Pas aujourd'hui. C'était un mauvais jour. Il se passait... Des choses étranges. Incompréhensibles. Et lui en était le spectateur indifférent. Tout le monde courrait, et lui restait assis sur ses fesses, observant la scène déformée par ses larmes, sans réagir. En se demandant simplement pourquoi diable il avait fallu qu'il vienne justement quand le destin du monde subissait un nouveau virage, comme dans ses cours d'Histoire. Il aurait simplement voulu ne jamais être témoin de ce genre de tournant historique. Il n'était pas en état. Il voulait juste être au calme, et au frais. Juste se sentir mieux.
Mais il était trop tard désormais.
Sans qu'il ne comprenne pourquoi, un homme était apparu soudainement. Il n'avait pas réagis, songeant vaguement que la fièvre le faisait délirer. Quand l'homme en question avait d'un geste fait disparaître crasse et blessures de son corps, il n'avait pas été plus réactif. Il le fixait alors simplement, quelque peu mal-à-l'aise. Voilà qui était fichtrement singulier. Il pressentait des événements inqualifiables.
Puis il avait fait plus que pressentir quand l'homme s'était mis à parler. Un instant, Sylvestre avait entendu le grondement de sa voix... Puis ses oreilles s'étaient mises à bourdonner follement. Il avait plissé les yeux tandis que sa migraine bondissait dans un déchirement brûlant. Le monde était devenu flou derrière les larmes qui sourdaient en réaction à cette douleur subite. Alors la terre s'était mise à trembler, et il était tombé sur les fesses. Hébété, il n'avait pas compris... A ce moment-là, les gens s'étaient mis à courir.
Et ils avaient trébuchés. Une deuxième secousse. La terre tremblait plus fort, une chose titanesque remontait de profondeurs. Il pouvait la sentir. Elle tournait sous le parc, elle s'étendait sous leurs pieds comme l'ombre d'une baleine passant en dessous d'un bateau de pêche. La houle qu'elle provoquait à la surface était responsable de cette panique. Quelque chose était en train de changer. Radicalement.
Il vivait cet événement-là, lui, tout engourdis et incapable de le comprendre. Il vivait un fait historique. Autour de lui, le monde changeait, et il ne faisait rien. Quelqu'un d'exceptionnel aurait dû se trouver là. Il n'arrivait pas à saisir pourquoi il fallait que ce soit lui qui subisse ce changement. Il n'était qu'une loque fiévreuse ; il faisait un bien mauvais témoin...
<< Mais qu'est-ce que je fais là ? >>
... Et une très bonne victime. Une vague de chaleur balaya le parc. En temps normal, il l'aurait sûrement trouvé agréable, salutaire. Elle aurait pu être opportune, câline, légère... Mais la fièvre était toujours là. Ce souffle chaud le fit suffoquer. Il tomba sur lui comme une nuée ardente. Une décharge électrique le parcourut ; il se redressa brusquement avec l'impression d'être un claquement de fouet, et d'osciller au bord de l'existence. Après cette action, il cesserait d'être et se dissoudrait.
Au lieu de quoi tous ses os craquèrent brièvement. Puis il se mit en marche, incapable de savoir où il dirigeait ; il avait l'impression de se parcheminer, de tomber en lambeaux à chaque pas. Ce n'était pas douloureux, mais désagréable, bizarre. Chaque pan de son corps s'écroulait pour délivrer une chose qui dormait, des murs éthérés tombaient les uns après les autres. Sa seule sensation véritable lui était inconnue. Un point de son être qu'il ne connaissait pas vibrait, ardent. Il était le foyer de tout le reste. C'était là que Sylvestre commençait, en ce point exact dont il venait de prendre conscience.
Il pouvait le toucher. C'était au fond de lui, mais il pouvait le toucher. Pas y porter la main, et le tâter de ses doigts, mais... Entrer en contact d'une autre façon, le palper d'une manière tout à fait unique. C'était un septième sens, qui loin de lui offrir une perception supplémentaire du monde, le faisait plonger plus profondément en lui. L'incitait à se perdre en ses propres méandres. Cependant, il n'arrivait pas à l'atteindre. La fièvre l'en empêchait. Elle le retenait.
Il fallait la faire disparaître une bonne fois pour toute.
Il continua de lutter contre la chaleur, contre un souffle ardent, contre la noirceur que lui imposait le plissement de ses yeux, contre le bourdonnement de plus en plus puissant de ses oreilles, contre l'engourdissement de son corps, contre...
Soudain, un de ses pieds rencontra le vide. Il n'y avait plus de terre là où il avançait. Sylvestre tomba dans l'eau. Bascula à l'intérieur du lac.
Et alors, la fièvre s'envola subitement. Et en lui, le point cessa de vibrer.
Car il était devenu le point lui-même, tout entier. Le point l'avait happé. Il n'était plus que ce point.
Il était différent. Il était complet.
Nature retrouvée.


De la berge, on peut le voir. Un jeune garçon, roux, flottant à la surface du lac. L'eau est devenue aussi limpide que du verre à son contact. Elle ressemble à de l'air. On peut dénombrer les moindres détails de la cuve ; jusqu'à cette faille tout au fond, presque comblée par la boue, mince ligne noire donnant sur quelque espace sous-terrain.
Mais qui ferait attention à cela ?, alors même que le jeune garçon, soudain, sans sommation, se dissout dans l'eau claire comme un morceau de sucre...
08-06-2013 à 16:10:17
(J'ai volontairement décidé de ne pas dire les noms ='D J'avais envie d'essayer ^^ Plus tard, je posterai sa petite présentation! :) )
Musique d'ambiance qui je trouve colle plutôt bien avec mon texte :) http://www.youtube.com/v/24Lm4ue3Fbc


Elle se sentait traître. Essuyer une balle, deux balles puis chuter, au bout de la troisième. Traître... La quatrième lui avait fait perdre connaissance. Heureusement, Ils étaient là. Un homme se pencha pour vérifier son pouls, qui était inexistant. Morte ? Non, protégée. Son sang ne coulait plus, mais la douleur persistait. Elle était à deux doigts de hurler, mais Ils lui murmuraient de se taire. Et elle obéit. Les yeux clos, elle écoutait les cris et les supplices de tous les habitants de la forêt, et les avait pour la plupart reconnu. Mais elle ne bougea pas . Elle se sentait traître, là, à terre, immobile, ne luttant plus pour protéger les siens ! Pour protéger les siens... L'image de son cher et tendre s'écroulant s'imposa à son esprit, mais elle fit abstraction. Elle voulait le rejoindre, car elle savait qu'il était mort, mais elle sentait au fond de son cœur qu'elle devait rester en vie.

Enfin, après des jours de survie grâce à Eux, elle ouvrit les yeux. Tout n'était que destruction et mort, mais il n'y avait plus d'humains, plus d'armes à feu. Ils étaient parti. Y avait-il des survivants ? Elle en doutait. Avec dégoût, elle enjamba les corps de quelques personnes présentes, non sans avoir boité suite à ses meurtrissures. Grâce à Eux, les deux balles qui auraient dû traverser son cœur avaient été arrêtées, et rejetées par la suite. Elle avait eu de la chance, mais elle le regrettait presque, car elle était désormais seule.

_C'est fini... souffla t-elle.

Elle leva les yeux vers ce ciel presque noir, et commença à pleurer. Ses larmes se teintèrent de rouge, car son visage était couvert de son propre sang. Mais elle n'en avait pas versé assez. Elle aurait dû se battre, pas se terrer comme une lâche, faisant la morte. Elle saisit ses cheveux avec force et les tira, ne cessant pas de pleurer. Elle aurait voulu crier, mais elle ne devait pas signaler sa présence. A quoi bon mourir maintenant ? Elle aurait dû mourir durant la bataille. Pourquoi les avait-elle écouté ? Ils auraient pu continuer de la protéger, et elle aurait pu lutter des jours encore ! Non, Ils lui murmurèrent que non. Leurs pouvoirs avaient des limites, Ils ne pouvaient pas l'aider à se battre en lui fournissant leur force et la protéger en même temps. Il avait fallu choisir. Et Ils avaient choisi de la protéger.

Avec lenteur, et plaquant sa main sur sa bouche, elle avança jusqu'au corps sans vie de son âme sœur. Elle tomba à genoux à ses côtés puis lui caressa la joue, se mordant la lèvre pour essayer de ralentir son flot de larmes, mais n'y parvint pas. Elle effleura avec dégoût les blessures mortelles causées par les balles, situées pour la plupart sur sa poitrine, et ses pleurs redoublèrent. Elle tira le cadavre de l'amour de sa vie contre elle, prenant sa tête entre ses mains. Elle posa ses lèvres sur celles glacées de son compagnon et le serra un peu plus fort. Bouche contre bouche, elle espérait en vain le voir revenir à la vie pour répondre à son baiser. Elle aspirait lui insuffler la vie qu'il avait perdu par ce geste tendre. Elle voulait réentendre sa voix, sa voix si belle qui lui murmurerait des paroles apaisantes et les trois mots qu'elle préférait : Je t'aime. Jamais plus elle ne sentirait ses caresses, ses mains tièdes posées sur son corps. Jamais plus elle ne goûterait à la douceur d'un baiser partagé. Jamais plus... Elle posa son front sur celui de son amour et poussa un long soupir. Ses larmes roulèrent jusqu'à mouiller le visage du jeune homme, créant d'étranges sillons sur sa peau poussiéreuse. Elle souffla elle même les mots qu'elle aimait tant, pour lui comme pour elle. Cela ne suffisait malheureusement pas. Ses doigts se crispèrent sur la chemise de son âme sœur et elle rejeta sa tête en arrière, la bouche entrouverte en un cri muet. Elle hoqueta, s'allongeant avec délicatesse aux côtés du jeune homme. Il était froid, mais peu importait. Elle imaginait qu'elle pouvait encore se délecter de la chaleur de son corps contre le sien, et se rapprocha un peu plus. Elle passa ses doigts sous la chemise de sa moitié et arracha un grand morceau d'étoffe, lui en laissant juste assez pour lui couvrir le haut de la poitrine. Le tissus était ensanglanté et tâché de terre, mais elle le noua tout de même autour de son cou. Ayant fini son « œuvre », elle ferma les yeux et passa ses bras autour du cou du jeune homme.


_Que vais-je faire ? gémit-elle pitoyablement.

Soudain, une douce chaleur l'avait enveloppée, et en quelques secondes seulement, elle oublia la raison de ses pleurs. Elle n'avait plus l'impression d'être à Kairec, mais dans un autre endroit, paisible et calme. Ce ne fut qu'après coup qu'elle s'aperçut qu'Ils agissaient et qu'elle perdait le contrôle de son propre corps. Elle essaya péniblement de se raccrocher au souvenir de ses proches, de Kairec tout entier, mais Ils étaient bien trop fort. « Nous te protégeons ! » rugirent-Ils de concert. Puis elle se tordit de douleur, convulsant. Ses muscles se rétractèrent, ses os s'étrécirent, son cœur battait bien plus fort encore, menaçant presque de rompre. Un râle jaillit d'entre ses lèvres, alors que des plumes noirâtres jaillissaient des pores de son visage et en quelques minutes, elle se métamorphosa en un jeune corbeau. Elle se dressa, étendit ses ailes noires et s'envola, loin du carnage, loin du massacre de sa famille qu'elle avait oublié. En vol, de ses yeux maintenant bleus clair, elle fixait la lune. Son instinct se modifia, jusqu'à devenir celui d'un animal. Désormais, seule la survie compterait.

*

Perché sur la branche d'un chêne plein de vigueur et de magie, un corbeau croassa, ses yeux bleus perçants fixés sur le jeune homme roux flottant à la surface du lac. Il battit des ailes, paniqué, lorsqu'il disparut, et croassa de nouveau. Passant d'une patte à l'autre, il passa son bec sur l'étoffe autour de son cou, la lissant soigneusement. Il fit de même avec quelques unes de ses plumes.

~Beware~

Côté sucré et kawaii de Tristana : http://www.youtube.com/v/6md5RSnVUuo
Magie de Tristana : http://www.youtube.com/v/UQkxNbgohPg

Léo, tout simplement : http://www.youtube.com/v/tQyEUhedqDY (Juste parce que cette musique est trop démente)

Za, simply Za : http://www.youtube.com/v/24Lm4ue3Fbc
08-06-2013 à 18:41:55
-Quinze mille ans plus tôt...

<< Alors c'est tout. C'est comme ça qui finissent les choses ? >>
Il leur faisait face, crispé sur son épée. Il n'avait pas peur. Ses sentiments allaient au-delà de la peur. Il se sentait fiévreux, plein de flammes. Une détermination dénuée d'affect l'emplissait. Il ne connaissait plus ses émotions. Sa vie, ce qu'il avait été, ce qu'il comptait devenir... Cela n'avait plus aucune importance. Il allait mourir. Il allait mourir, et le monde continuerait de tourner sans lui ; si Kairec finissait de brûler, alors personne ne se souviendrait de son nom. Si les Gardiens réussissaient à vaincre, alors il entrerait dans la légende... Il deviendrait un de ces héros décédés pour la forêt. Il deviendrait un nom associé à quelque geste noble.
C'était tout ce qu'il pouvait espérer désormais. Le futur était mort en même temps que la magie dans sa poitrine. Il n'existait plus en tant qu'être à la seconde même où la force avait quitté son sang... Sans elle, il n'était qu’un homme comme les autres. Un piètre épéiste engagé dans un combat mortel contre des hommes armés de fusils. Il n'avait aucune chance. Que pouvait-il faire désormais ? Fuir, comme cet adolescent couard qu'il avait été, tenter de sauver sa vie ? Il pouvait regagner sa patrie. Il pouvait rejoindre ce pays qu'il avait sauvé quelques années plus tôt, dans l'ombre d'un trône ; ce pays qui aujourd'hui envoyait sur sa propre demeure une armée... Quelle ironie.
Mais à quoi bon fuir ? Il n'en pouvait plus de la fuite. Il avait trop souffert d'elle, pour trop peu au final. Elle ne lui apporterait rien. Jamais plus il ne pourrait regarder l'humanité en face sans avoir envie de vomir. Jamais il ne pourrait se résoudre à pardonner. Ce qu'elle faisait ici... Ce qu'elle faisait à tous ces gens qui habitaient Kairec, et qui les avait sauvés de Night et de tant d'autres auparavant... En ce jour mourraient des légendes. En ce jour mourraient les gardiens du monde. L'humanité assassinait ses héros. Qu'à cela ne tienne ; elle s'en repentirait. Un jour, elle prendrait la mesure de son erreur.
Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, le sang de la terre allait couler. Aujourd’hui tombaient les arbres et les cœurs braves, aujourd’hui s'éteignaient l'espoir et la Magie. Tous ceux qui lui étaient chers allaient mourir ; il ne pourrait pas vivre en laissant leur cadavre derrière lui. Il préférait les rejoindre.
Il se redressa, réveillant toutes les douleurs de son corps. S'il survivait aux balles, ses blessures l'achèveraient. Il était épuisé. Il se mit en position, résolu.
Mais à cet instant, il ressentit le besoin impérieux de se retourner. Il y avait bien quelqu'un qu'il craignait de perdre... Une personne à laquelle il aurait aimé jeter un ultime regard. Mais pourquoi leur imposer cela à tout deux ? Ils allaient mourir ensemble, ici même, dans cette parcelle de forêt dévastée. Au moins se battraient-ils jusque bout. C'était la seule chose qui importait désormais ; la douleur, les doutes... Rien ne pesait plus dans la balance. Rien n'avait d'importance. La guerre était terminée, au moins pour eux. C'en était fini de la douleur et du sang. Finis aussi leur bonheur tout frai, et tous ces projets bercés au creux de leurs sourires. L'avenir était une route noire jonchée de ruines. Leur joie future avait été avortée. Il ne leur restait plus que cette dernière bravade, cette ultime résistance. Après quoi, ils iraient s'enlacer dans les ténèbres de la mort.
<< Non. Rien n'est fini. Tant que je suis vivant, chaque seconde est une éternité. Il me reste mille ans à vivre entre cet instant et le prochain ; pas pour moi, ni pour la forêt. Mille ans pour nous deux. Et peu importe que la mort soit toute proche. Nous allons vivre mille ans. Nous allons connaître l'éternité... Et tant pis si l'on n'en revient pas. >>
Il aurait voulu sourire de cette résolution. Mais il ne réussit pas. Sa gorge se serra. Puis ses mains firent de même sur le manche de l'épée. Il n'avait plus le temps maintenant. C'était mourir au combat ou se laisser abattre.
Il se jeta sur les six soldats qui lui faisaient face. Deux reculèrent, terrifiés. Ils ne savaient pas que la magie l'avait abandonné ; pour eux, il restait ce démon qui avait décimé plus de cinquante hommes sous leurs yeux en l'espace de cinq minutes, entouré de flammes furieuses et d'éclairs impitoyables. Ils ne se souvenaient que de ses ravages dans leurs rangs, de la férocité de son regard quand la terre se gondolait autour de lui. A leurs yeux, il n'était peut-être même plus humain. Tout juste une créature dégénérée et démente. Ils n'auraient pour lui aucune compassion, comme cela aurait pu être le cas dans une autre guerre ; il n'était pas un jeune enfant démunis, ou une femme implorant la vie sauve, ni même un soldat combattant pour son pays. Non. Lui représentait un cauchemar devenu réalité, une monstruosité. On cracherait sur son cadavre.
A cette pensée, ses lèvres tiquèrent. Il eut un sourire pour eux six, qui le fuyaient. De quoi avait-il l'air, cheveux au vent, échevelé, ensanglanté et défiguré d'un rictus morbide ? Alors même qu'il n'était qu'un homme seul face à six soldats lourdement armés, un pauvre homme affublé d'une épée dont il savait à peine se servir ! Et dire que cette scène était ridicule... Alors même qu'eux six devaient croire leur dernière heure arrivée. S'ils avaient su...
Il s'abattit sur eux tout bourdonnant de souffrance. Il prit conscience après coup des balles qui lui avaient traversé l'épaule. Et puis quoi ? Son corps mort n'en serait que plus disgracieux. Bagatelle. Il hurla pourtant ; de souffrance, de rage, de défis. Son épée creva une gorge. C'était grisant.
Grisant. Si doux. Il tomba face contre terre. Son corps eut quelques convulsions. Son épée resta plantée dans la gorge palpitante de l'homme qui avait eu le malheur d'être sa dernière victime.
Voilà. C'était fait. Il aurait tué encore un homme avant cette ultime rafale. C'était pitoyable. Un homme. Voilà qui ne changeait rien au cours de cette bataille ! Quelle action dérisoire. Quel vain sacrifice.
Il tourna la tête sur le côté, sans réfléchir. Ses yeux se posèrent sur sa bien-aimée. Elle combattait comme une lionne. Cette rage lui avait fait peur dans sa jeunesse... Mais il était fier désormais. Fière d'avoir été aimée par cette furie.
Qu'il aurait aimé lui sourire une dernière fois ! Lui faire entendre son rire ! Ils seraient partis tous les deux, sur cette dernière folie... Tous les deux en brocardant la mort et le monde qui courrait vers sa perte.
Il tenta de sourire. Il ne réussit pas. Ses lèvres tressautèrent, et il ferma les yeux. Il ne sentit pas les dernières balles qu'on lui tira dans le dos.
En songeant à la femme qu'il laissa derrière lui, il ne se fit que la prière d'une victoire pour Kairec...
<< Jamais ne meurt Kairec. Jamais ne meurt la Magie. Bergeau, Akemi, Dorian... A votre avenir. Vous ne pouvez pas tomber. Jamais ne se meurt la forêt. Jamais ne se meurt Kairec. Jamais ne se meurt la magie ; et l'amour lui, ne s'éteint qu'en mon corps... >>
Il mourut d’hémorragie plus que d'autre chose. Aucune balle n'avait atteint son cœur.
<< Jolie symbolique. >>
Et ce fut tout.



-Quinze mille plus tard. Quinze mille ans plus tard, Kairec est morte. La magie est morte. Les gardiens sont morts. Quinze mille ans plus tard, son nom a sombré dans l'oubli.
A toi l'éternité, anonyme ; dort dans les bras du néant, car ce monde ne vaut plus que tu t'y laisse bercé.
11-06-2013 à 20:15:06
Dans les bras spectraux de sa forêt chéris, la gamine rêvait d'un autre temps.
Sur ses joues, l'air froid avait posé deux disques rouges. Enveloppée dans un pull en laine synthétique bleu, un gros bonnet en diapason sur le crâne, elle marchait dans le dédale de la ville. Des gens l'entouraient, une véritable foule ; personne ne la remarquait. Et elle ne remarquait personne. Elle n'avait pas de regard à consacrer à ce monde gris qui l'entourait : peint au-dessus de son image, celle d'un autre lieu, dans un autre temps. Là où s'élevaient les immeubles, des arbres. En lieu et place de la marée humaine, des buissons et des troncs. Chargés de baies sauvages, et touffus comme aucun ne l'était plus en ce monde, ils déployaient leur verdure émaillée avec indolence. Luxuriante, la forêt s'étendait en farandole immobile autour d'elle, gigantesque et puissante. Mais oubliée. Mais spectrale. Sylve fantomatique.
Sebastienne avait choisis de vivre dans le passé longtemps déjà auparavant. Elle avait fait son choix, et ne le regrettait pas. Après tout, n'étais-ce pas une chance ?, avoir accès à ce monde oublié, mort, qu'on ne connaissait plus depuis quinze mille ans... Elle était la seule à en être capable. La seule qui soit en contact direct avec ce passé renié. Chaque journée de sa vie, depuis maintes années, étaient dédiés à la vieille forêt, la sylve détruite qui à ses yeux seuls s'élevait encore.
Jeune, elle avait été effrayée par ces arbres gigantesques qui dévoraient le monde ; le vrai monde croyait-elle, cette croûte grise et noire qu'on lui faisait nommer une ville. Elle pensait alors vivre dans une réalité immuable, et que peut-être cette sylve n'était qu'une illusion... Elle était convaincue, par ses parents aussi, que tout n'était qu'un rêve, un délire, et que peut être alors elle ne savait pas différencier l'univers onirique de celui de l'éveil. Mais elle s'était trompée. Un de ces mondes qu'elle voyait était bien une illusion, mais sûrement pas celui où s'exaltait la nature. Non. Ce monde-là était vrai, ce monde-là était le seul qui soit véritable. C'était celui des Hommes, avec ses tours de verre et d'acier, son goudron noirâtre et ses lumières trompeuses, c'était la fourmilière glacée où s'épuisaient une humanité dénaturée, cette poche rugueuse et creuse, cette gangue mortifère à toute vie qui déversait des eaux inhabitées et s'entourait d'air artificiel ; c'était cette cité, et toutes les autres, l'unique illusion. Ce monde-là, édifié par les Hommes, était faux, codifié, absurde et vain. Il n'avait rien de concret. Ce n'était qu'une invention de plus de cette espèce dégoûtante qui avait tué sa propre mère. Et contrairement à ce que tous avaient cru, c'était elle, la fillette, qui vivait dans la réalité.
Son monde était fait de grands arbres, de verdure éclatante et d'ondées fraîches. Il était habité par des bêtes sauvages et des hommes sereins qui vivaient avec le soleil. On y trouvait des fleurs par milliers qui explosaient en bouquets sur l'herbe, et une lumière dorée dans un ciel d'un bleu dur, où roulaient des nuages immaculés. Nulles fumées, nulles voitures, dans ce monde où régnait la nature. C'était un univers sensuel d'opulentes beautés et d'abondances surprenantes. Il recelait des secrets innombrables, des merveilles cachées qui s'épanouissaient dans le temps, puis mourraient finalement, pour ne renaître que plus tard. Tout était lié, tout se touchait, s'emmêlait dans une danse folle de temps, de saisons, où se tenaient par la main les vies unies en une même rosace. Les cercles de toutes ces existences qui se déployaient les unes à côté des autres s'entrecroisaient, magnifique écheveau, géométrie démente et grandiose, et chacun de ces cercles se faisait le rouage d'une unique machine, actionnée par le souffle, et des êtres et du vent, par la pluie et les vagues, par le feu des volcans et la neige mourante des montagnes ; une énergie invisible courrait entre les choses, et les reliait entre elles, animait les corps, s'enroulait dans les plantes, endormie même en la roche, et ce n'était que l'unique pulsation d'un seul cœur gigantesque tout brûlant de vie. Palpitations répétées sans fin, nature et magie s'exaltaient en toutes choses, sublimes. Sebastienne vivait dans ce monde-là, patchwork de souvenirs qui l'entouraient depuis toujours.
Elle avait grandis dans cette forêt fantôme plus qu'en la ville. Son enfance s'était déroulée entre les arbres spectraux qui surgissaient du goudron, sous les branches assoupies qui attendaient une brise morte depuis longtemps. Elle avait connu cet univers depuis toujours, l'affectionnait plus que celui qui s’ouvrait à ses sens. Si le passé ne lui offrait que des visions, elle le préférait à ce présent désastreux. Mieux valait une vie dans cette illusion sans odeurs ni touché, que son existence morne en cette ville grise. Elle préférait à sa cité, la forêt décédée dont les réminiscences l'emportaient dans leur ronde mélancolique. Elle en ressortait toujours pleine de nostalgie, titubante presque, enivrée par ce monde perdu, les joues rouges et un peu fiévreuse. Le passé, c'était sa drogue à elle, sa bouteille de vin, son opium, et elle était dépendante Sebastienne, elle était accroc. De ce monde, elle ne pouvait plus se passer, il a planté en elle ses graines, et dans son cœur subsiste une parcelle de Kairec, fraîche et nouvelle, tout juste née. Alors elle buvait au goulot, elle se gonflait de souvenirs qui ne lui appartenaient pas, jamais rassasiée. Tant de choses s'étaient donc passés avant qu'elle ne naisse, et donc aucun livre d'Histoire ne parlait ? Parfois, elle ressentait une impression d'immense gâchis. D'autre fois, elle devenait l'oiseau en partance vers de nouveaux horizons ; tant pis pour les livres, elle avait des yeux pour voir, et la mémoire du monde était généreuse. Chaque jour une merveille. A chaque rue ses personnages. Une famille d'elfes ici, dansant autour d'un arbre, et là le ruisseau auquel s'abreuvaient des cerfs... Toujours, derrière la ville, cette forêt qui palpitait doucement, oasis de calme relatif en lieu et place de cette ville en hypertension. Il n'y avait rien à comprendre si ce n'était que Kairec avait été plus belle et plus paisible que ne le serait jamais cette ville écœurante. Là où autrefois paissaient des nuages, roulaient maintenant de lourdes nuées blêmes d'une fumée mortifère. Le ciel ressemblait parfois au couvercle d'une boîte bon marché dans lequel une vieille dame aurait rangée ses dés à coudre... Ce que se trouvait dessous était aussi laid et assommant que le contenu de pareille boîte.
Car de ce monde insipide, on n’attendait plus rien. La vie était devenue une vaste blague, une longue, très longue, et très mauvaise blagues. On vivait plus longtemps, mais pour travailler plus ; on avait moins d'espace, moins d'argent, mais plus de babioles inutiles et autres gadgets. La culture était tombée en désuétude. Réussir en ayant le mérite d'un intellect développé n'intéressait plus personne. On pouvait devenir riche et profiter de sa vie en faisant des choses absurdes, et en crachant sur sa dignité, ce qui ne dérangeait pas grand monde ; s'exhiber dans des programmes de télés-réalités affligeants, poster sur l'Internet de vidéos sans intérêts, chanter une copie d'un ancien succès... Avec tant de moyens d'accéder à leurs rêves médiocres, pourquoi les gens se seraient-ils donné la peine de réfléchir vraiment ? Les plus malins étaient généralement avides, et se disputaient les hauts-postes comme des vautours un cadavre. Ainsi la masse indifférente, grognant parfois son mécontentement pour la forme, subissait-elle la volonté d'une minorité certes dotée d'une intelligence certaine, mais complètement désintéressée par son sort et celui du monde, car au fond ils étaient pour la plupart aussi vénaux et matérialistes que cette foule docile qu'ils méprisaient du haut de leurs bureaux. Quand on y réfléchissait un peu, ils ne valaient guère mieux. Eux aussi étaient prisonniers de cette société, de ce carcan gris dans lequel on les avait enveloppés à leur naissance. Sourds, aveugles, ils cédaient à leurs pulsions de consommation sans plus réfléchir.
Ils étaient si dénués d'intérêt, à s'échiner ainsi pour des futilités... Alors que là, dans le sol, dormait un autre monde, tellement plus beau ! La terre avait une mémoire, et elle n'oubliait jamais ; seule moyen de se consoler de cette époque laide à en vomir ? Se gorger des souvenirs qu'elle avait bercés en son sein. Sebastienne ne se sentait pas simplement privilégiée d'y avoir un accès exclusif : elle avait l'impression que par là même on lui avait confié une tâche à accomplir. Elle était investie d'une mission... Une mission secrète, mystérieuse, et l'agent qui lui donnait ses ordres était un prophète mort.
Elle le cherchait, aujourd'hui encore, le cœur battant à l'idée de le trouver au coin d'une rue. Où pouvait-il être, cet émissaire aux yeux gorgés d'espoir ? Où était son expression confiance, la courbe sensuelle de ses lèvres souriantes ? Où l'explosion magnifique de sa chevelure rousse ? Elle avait soif de lui. Soif de ses mots, de son image... Soif de sa présence éthérée. Ce n'était qu'un fantôme, pourtant, mais... Il n'était pas comme tous les autres. Il lui parlait. Il s'adressait directement à elle, semblait la voir et suivre ses mouvements. Il répondait à ses questions, riait dans des éclats de dents blanches, tendait vers elle une main spectrale. Plus que toute autre vision, il semblait vivant.
Elle savait que ce n'était pas le cas. Il le lui avait dit, longtemps auparavant : leurs conversations étaient comptées. Un jour, il ne serait plus là, car à l'avènement de son époque grise, il n'avait pas survécu. Il était mort, naguère, dans cette forêt séculaire, et seuls ses talents de prophète permettaient ces entrevues. Mais le jour viendrait, où en son propre temps, il ferait face à la guerre, et alors il le savait, la mort l'emporterait... Il le lui rappelait souvent, avec dans le regard cette lueur triste, mais sa voix était pleine d'espoir et jamais il ne semblait perdre la foi. Il croyait en l'avenir. Il croyait en elle, en tout ce qu'il lui confiait ; elle était la dépositaire de l'Histoire du monde, et lui son vieux professeur. Pourtant, parfois leurs relations étaient plus intimes. Car il n'avait pas vu en elle qu'un livre humain où déposer son savoir : plus qu'un guide, il était son soutien. Il avait été là quand elle doutait de sa santé mentale, il avait été là quand on se moquait d'elle, il avait été là... Pour tout. A chaque épreuve, il lui apparaissait, ce bijou perdu, ce trésor éparpillé. Contre son cœur blessé, il posait les sourires de ses lèvres, et c'était son seul soin, l'unique remède à sa peine. Nul ne pouvait la réparer quand elle était brisée. Lui seul en était capable.
Quand elle pensait au jeune prophète, souvent Sebastienne se prenait à serrer dans son poing la breloque d'acier. Elle était toujours glacée dans sa main. Rien ne pouvait la réchauffer, ni l'été, ni les flammes. La mort de son forgeron l'avait pour jamais laissé froide ; singulier, quand on savait que du sang bouillant avait été versé sur elle au moment de sa création. Omatao lui avait raconté, un jour l'histoire du pendentif. Il l'avait fait lui-même, guidé par la main d'un esprit enfermé dans une épée. Une partie de cette lame enchantée avait été fondu pour donner naissance à l'arbre scintillant ; et alors même que l'acier était encore liquide, le jeune Onrdien avait au-dessus de lui entaillé sa paume de bronze, mêlant à la flaque argenté son sang chaud. Ainsi seraient-ils liés pour toujours, et son présent traverserait les âges, sans que ne vienne le ternir la moindre trace de rouille. Alors même que quinze mille années étaient passées, le pendentif avait son lustre du premier jour, la même brillance. Omatao, fier de son labeur, le lui avait montré, opposant le reflet spectral de son œuvre à celui bien physique que tenait Sebastienne. Il souriait alors, orgueilleux, et un instant il avait semblé plus vivant que jamais... Mais dans la tournure de cette phrase, il y avait "jamais", et la jeune fille savait qu'il était entre tous le mot le plus crucial. On ne reverrait pas sourire le prophète plein d'espoir. En son temps, il s'était éteint, amenant avec lui un peu de la lumière du monde. Qu'elle puisse en percevoir l'éclat ternis au travers des souvenirs de la terre était déjà une chance. Elle ne l'oubliait pas. C'était mieux que rien, c'était l'absolue de toute sa vie, c'était le meilleur de son existence. Sous son regard éteint depuis longtemps, elle se déployait, jolie fleur, et repoussait de son visage joufflu les longes cheveux blonds qui le masquaient aux yeux du monde ; elle lui offrait le sourire de sa face lunaire, radieuse, épanouie, tâchée de son et les yeux brillants. Sous son regard, elle ne se sentait plus laide. Elle avait l'impression que cela n'avait plus d'importance. Elle ne représentait pas un corps pour lui, elle n'était qu'esprit pur. Aussi éthérée qu'il l'était à ses yeux. Elle était un fantôme en son époque aussi, et seuls comptaient ses paroles. Il ne lui demandait pas d'être belle, ni même gracieuse. Il l'appréciait pour la beauté de son âme, pour son intelligence, sans jamais porter sur son corps ingrat un regard dégoûté. Parfois, il semblait même ému par quelque chose, comme si en se dévoilant, elle lui faisait un cadeau. Alors la gamine complexée rougissait, et ses joues gonflées s'étendaient doucement, car elle se sentait belle, vivante. Qu'importait qu'il fut mort, ce jeune rouquin à la barbe naissante ? Tous les deux, ils se redonnaient vie, mutuellement, se tendaient des bougies pour rallumer leurs cœurs. Nonobstant les millénaires, la magie agonisante les liait ensemble, et n'étais-ce que pour cela, Sebastienne se sentait le devoir de la secourir. Grâce à cette force étrange qu'on avait bafouée, niée, elle avait trouvé un soutient, une raison de vivre. Dans sa vie, la magie avait fait entré le bonheur.
Jusqu'à sa mort, elle se souviendrait de ce jour où tout avait basculé. Gosse ballottée de psychiatres en psychiatres, entourée d'aînés qui ne la comprenaient pas, elle menaçait d'imploser, de se faner définitivement... Quand tout à coup, un jour, il était apparu. Il lui avait souri, doucement, et mimant de lui prendre la main, s'était approché de son oreille, auréolé de la lumière d'un doux après-midi. Elle était enfermée dans sa chambre, et lui avait grimpé à un arbre pour atteindre ce qui serait plus tard le deuxième étage de la maison de son élue. Alors, perché sur une branche évanescente qui semblait toute en verre, en tailleur sur un bras de son géant de bois, le prophète avait murmuré ses premiers mots à son égard. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle le voyait ; il était là, parfois, dans ses rêves, mais entouré de silence, simple présence rassurante et veillant tendrement. Mais ce jour-là, c'était hors du sommeil qu'il était venu, et lui avait parlé, du ton bas des conspirateurs, un sourire espiègle sur ses lèvres de bronze. Elle se souvenait de ses indications précises, de sa confiance sereine. Il ne doutait pas d'elle : la blondine trouverait son beau parc, et de ses petites mains, creuserait la terre molle d'une berge. Alors, là, dans la boue, elle tâterait de ses doigts roses un petit arbre en fer, et l'eau claire du lac tout proche laverait les traces de terre. Il scintillerait dans sa main. Elle le cacherait dans sa poche, et au travers du tissu, sentirait sa fraîcheur... Ce serait un jour de classe, pleins d'enfants surveillés par des parents d'élèves ; ils ne seraient là que l'espace d'un quart d'heure, pour manger des sandwichs, en route vers un musé. Elle sortirait du parc, le poing serré sur son trésor secret, sa preuve de raison.
Tout c'était passé ainsi qu'il l'avait dit. Le pendentif, ce jour-là, glacé et luisant d'un éclat argenté, était bien enfouis dans la boue opulente d'une berge. C'était un arbre, un arbre étrange comme il n'en existait plus... Elle lui avait demandé son nom, quand il était revenu.
Couchée dans ses draps, Sebastienne avait attendu, certaine que quelque chose se passerait. C'était bien le cas. Peu après que la lumière se soit éteinte dans sa chambre, les arbres avaient surgis du parquet, pleins de feuilles et lumineux comme toujours. Perché sur une branche, le jeune homme attendait. Il souriait de toutes ses dents, explosion de boucles rousses, éclat de bronze bouillant et d'yeux crépusculaires. Il avait posé un regard brillant sur le pendentif qu'elle tenait à bout de bras. Heureuse, elle lui avait rendu son sourie, baignée de la clarté de sa forêt spectrale. Là, au milieu des branches déployées, entourée des feuilles de jades qui bruissaient dans un brise retombée depuis longtemps, elle avait écouté ses paroles rassurantes, et alors elle en avait certaine : elle n'était pas folle. Elle était bénie. Un don lui avait échu, une magie secrète, et de ce cadeau, elle profitait au détriment des autres qui ne savaient, qui ne voyaient pas. Elle avait un septième sens, qui portait jusque loin dans le passé. Elle avait... L'ancien monde. Elle avait son univers, cette forêt assassinée, ce cœur verdoyant qu'on avait brûlé.
Et plus que tout, elle avait son prophète. Omatao. Omatao de l'Onrd antique. Omatao, l'élu de l'épée de justice. Omatao, l'enfant qui avait grandis trop vite ; Omatao, l'optimisme fait chair, qui brûlait de créer un monde plus beau, porté par ses idéaux, incandescent et magnifique, quand il parlait sans jamais douter de cet avenir meilleur qu'il espérait pour tous. Elle l'avait lui. C'était déjà plus que n'en auraient beaucoup d'autres. A lui seul, il valait la forêt, il valait le passé. Qu'il eut été là, en ce présent grisâtre, et elle aurait laissé à la terre ses souvenirs ignorés ; il lui aurait suffi, en cette ville mortifère...
Mais ce n'était pas le cas. Il habitait la mémoire du monde, et ne pouvait en sortir. Pour le toucher, elle n'avait que ce pendentif qu'elle serrait dans sa paume, en cet instant même. N'était-ce pas dément ? Cent-cinquante générations d'humains étaient passées près de cette relique, toute proche, enterrée dans la vase, et c'était dans sa main qu'elle était désormais. Sebastienne se sentait grisée en y pensant, privilégiée, exceptionnelle.
Portée par les ailes du passé, elle avançait dans la rue, à la recherche de son prophète. Où pouvait-il être ? En quel lieu, en quel instant ? Elle brûlait de le voir à nouveau. Peut-être cette fois-là serait-elle la dernière... Peut-être pas. Elle se retenait d'y penser, paniquée à l'idée d'un jour devoir vivre en sachant que plus jamais, Omatao ne s'adresserait à elle. Une vie sans lui... C'était inconcevable. Alors la jeune fille rejetait cette crainte. Le jour viendrait, et elle n'y pouvait rien. Angoisser de ce terme gâterait les moments comptés qu'elle pouvait encore passés avec lui. C'était hors de question. Ils lui étaient trop précieux.
Il faisait froid aujourd'hui. Cependant, elle n'hésitait pas à braver cette journée d'hiver. L'idée de trouver le jeune homme la réchauffait. Et si ce n'était pas le cas, alors elle profiterait des souvenirs d'une ruelle, en regardant respirer la vieille forêt. Cette marche n'était pas une heure perdue. Quelle qu'en soit l'issue, elle y trouverait son bonheur.
Toute gorgée d'optimisme, souriant derrière son écharpe grise, elle marchait au milieu des passants, insignifiante. On ne la remarquait pas, dans cette foule ondulante. Elle n'était rien, minuscule. Ses pas la portaient vers un ailleurs qui à la vue, ne semblait pas différent de celui des autres.
Ce samedi-là, tout avait l'air tracé, banale et heureux. Puis, soudain, la réalité éclata.
Le passé vint exploser à la figure de la jeune fille. Elle marchait dans la rue, puis l'instant d'après, une sylve l'entourait. Elle s'immobilisa brusquement, dans la lumière d'un tronc fantomatique. Le monde se teinta d'un vert dilué. Choquée, elle chercha des yeux son prophète de bronze. Il était là, au loin. Ses lèvres souriaient, et il pointait du doigt... Quelque chose. Une colonne irisée qui s'élevait dans les airs. En l'apercevant, Sebatienne prit son cœur à rater un battement.
On la poussa dans la rue, et elle tituba quelques secondes, à la recherche d'un endroit calme. Omatao l'observait, loin, sur le visage une expression de joie intense. Elle le rejoignit, alors qu'il attendait patiemment.
Quand elle vint à lui, il était radieux. Doucement, sans parler, il l'entraîna quelque part, plus proche de cet arc-en-ciel qui montait vers le ciel. Elle se laissa guider. Marchant à travers la forêt, elle parvint, en son temps, dans une petite ruelle. Alors le jeune homme lui prit les mains. Elle pouvait presque sentir son contact, et elle les leva en même temps qu'il mimait le mouvement.


-Sebastienne. Cette lumière n'est pas de mon époque. J'ai vu... Un bouleversement. Je ne comprends pas ce qu'il est. Mais aujourd'hui, quelque chose a changé. Ce quelque chose est en rapport avec la magie.
Il lui souriait, comme si cette nouvelle ne pouvait qu'être bonne. Comme toujours, elle sentit sa joie déteindre sur elle. Oui. C'était une bonne nouvelle. Elle lui tendit un sourire intrigué.
Je ne sais pas ce qu'il va se passer désormais, et surtout, je sais que la guerre approche. Ne sois pas triste Sebastienne, mais mes jours sont comptés : il ne nous reste plus beaucoup de moments à passer ensemble. Je ne sais pas si j'aurais le temps de résoudre ce mystère.
Il avança sa main, et la posa sur sa joue. Les larmes de la jeune fille coulèrent au travers de ses doigts spectraux.


-Je suis désolée. Je-je savais que ça viendrait m-mais...
Elle renifla, tentant de ravaler ses larmes. Un vide s'était ouvert dans sa poitrine.
Omatao, je ne sais pas comment je vais faire sss-sans toi. Tu s-sais, je je... Je hais ce monde. J'ai besoin de toi.

-Non Sebastienne, non... Ne t’inquiète pas. Tu ne seras pas seule. Il y en a d'autres comme toi, je te l'ai déjà dit, hein ? Je sais que c'est difficile, et je ne te dirai pas de ne pas pleurer. Au contraire, pleure. C'est naturel, tu sais ? Mais ne perd pas l'espoir, car jamais il ne meurt ; il ne s'éteindra pas avec moi. Tu vas trouver d'autres gens, tu verras, tu trouveras des personnes qui te comprennent. Et elles seront là, en chair et en os.
Il lui sourit tendrement, et ébouriffa le vide de ses cheveux avec un regard chaleureux. Comme pouvait-il être aussi merveilleux ? Il ne l'avait jamais vu. Pour lui, elle n'existait que depuis deux ou trois mois tout au plus. Et pourtant... Il avait pour elle autant d'amour qu'en aurait eu un frère pour sa sœur.
Je vais tirer ma révérence, et de nouveaux acteurs prendront ma place. Ce n'est pas si triste au fond, non ?
Il lui parlait doucement.
C'est naturel, cela aussi, comme les larmes. Et puis je suis encore là. Il me reste au moins une semaine, d'accord ? Je vais la passer avec toi. Je serais là jusqu'au bout. Et quand ce sera fini, nous n'aurons pas de regrets. Car nous n'avons tous les deux riens perdus à parler ensemble ; ce n'a été qu'un apport, un plaisir. Toujours. Nous avons gagnés, simplement gagnés. Tout ce temps que nous avons passés ensemble... Il n'a pas été perdu, il n'a pas été triste. C'est l'important. Je suis heureux d'avoir pu t'aider à te construire, de t'avoir sourire. C'est ce qui compte pour moi. Je n'ai pas de regrets.


-Moi aussi Omatao. Je n'aurai jamais de regrets. Je. Je t'aime, tu sais ?

-Moi aussi je t'aime... Petite sœur.
Ses yeux brillaient comme des étoiles. Lui aussi allait pleurer. Et pourtant, il souriait encore.
La forêt disparut, en même temps que son image. Sebastienne eut le temps de voir une larme rouler sur sa joue, avant qu'il ne retourne lui aussi à la mémoire du monde.


-Je t'aime Omatao.... Mon amour. Mon amour.

Elle lâcha au vide son doux murmure, le cœur serré.
En essuyant ses larmes, elle sortit de la ruelle, et regarda le ciel. La colonne de lumière était toujours là ; sûrement invisible à tout autre yeux que les siens. La jeune fille, vaillante dans sa peine, fit coulisser ses yeux pers sur la foule. Personne ne levait la tête. Elle était bien la seule pour qui ces couleurs existaient.
Elle reprit sa marche. Peut-être Omatao n'aurait-il pas le temps d'élucider ce mystère ; mais elle l'avait. Elle trouverait des réponses pour lui.
La jeune fille retourna à la foule, de nouveau invisible... Mais s'arrêta, une fois de plus. Et cette fois-ci, ce n'était pas le passé qui la stoppait.
Non. C'était une vision du présent, une vision qui chamboulait son monde.
Un gamin perdu, les yeux au ciel, regardait la colonne qui s'élevait, un mot sur les lèvres. Comme dans un rêve, elle approcha de lui, et se posta à ses côtés, en le dévisageant, les joues rougies par le froid.
Deux syllabes soufflées s'envolèrent jusqu'à elle.


-Mama...
12-06-2013 à 11:30:33
Éclat d'obscurité argenté. Ombre fluide qui s'approprie le monde ; majesté funambule et légère, à la course sereine.

Le chat, dans les rues, furetait.
Ce jour-là s'était seul, loin de son humaine. Il l'avait laissé à ses niaiseries amoureuses le soir d'avant, agacé qu'elle puisse folâtrer quand, de toute évidence, le destin du monde prenait un nouveau tournant. Quelle inconscience de se consacrer à quelque frivolité quand l'équilibre menaçait de basculer à nouveau ! Impossible de mettre du plomb dans le crâne de cette gamine écervelée. Elle était encore bien trop candide pour son âge, de toute manière. Irrécupérable. Il allait une fois de plus devoir protéger hardiment la descendance du vieux mage sans que celle-ci n'y mette du sien. Depuis des lustres qu'il veillait, ce n'était pas si dramatique... Mais il se sentait las, parfois, de cette tâche ingrate.
Quand la famille survivante de Dorian avait commencé à croître, s'étoffant au fil des générations de nouvelles branches toutes fraîches, il avait choisis de suivre la lignée féminine sans s'embarrasser des autres. Il était de toute manière impossible de surveiller une tripoté de cousins et autres membres éloignés de la famille ; se concentrer sur une seule partie de la lignée était le meilleur choix. Aussi, depuis des siècles et des siècles, n'avait-il veillé que sur des femmes. Elles avaient eu toutes les passions possibles, une ribambelle de vies différentes et des caractères bien évidemment très changeants les uns des autres... Mais il y avait une constante : la malchance de ses protégées. Ou plutôt leur faculté à s'attirer moult ennuis quoi qu'il fasse pour les en préserver. Elles avaient dans le sang quelque chose de bouillonnant et de dangereux, qui n'était pas sans rappeler leur vieil ancêtre antédiluvien. C'était toujours ainsi. A un moment ou à un autre, elles se mettaient en danger. L'esprit nomade leur cœur les poussait à subir une crise soudaine, à un âge variable, qui leur donnait l'envie de voyager, de tout jeter dans le vent, et de suivre une autre voie. Ou alors elles cherchaient des réponses à des questions qui n'auraient pas dû en nécessiter. Ou bien elles s'engageaient politiquement, que ce soit dans un parti ou en tant qu'artiste... Et quoi qu'il en soit, c'était chaque fois un drame. Pandémon ne comptait plus le nombre de fois où il avait failli échoué à préserver ces femmes. Elles étaient absolument intenables quand elles s'y mettaient, pleine de fougue ; que la magie se soit éveillée ou pas dans leur sang, on pouvait compter sur leur entière inconscience pour les mettre en situation périlleuse. C'était à lui de redresser le tout quand cela arrivait. Souvent, leurs agissements en étaient responsables, mais cette fois... C'était l'inaction qui devenait dangereuse.
Quand Bergeau était venu prévenir Tristana de sa parenté avec un Gardien de Kairec, le chat noir avait d'abord été convaincu que c'était là une pure idiote. Qu'avait-il à lui faire savoir ce genre de choses ? Ce ne pouvaient qu'être mauvais pour elle, s'il lui venait l'envie de se lancer tête baissée dans une quête absurde pour remonter le fil de ses origines, ou si elle se mettait soudain à poser des questions sur la magie. Ou même si elle se fascinait tout à coup pour un certain personnage de légende. Était-ce si difficile à envisager ? Parfois, il valait mieux maintenir les gens dans l'ignorance pour les protéger d'eux-mêmes, de leurs pulsions, de leurs instincts. Les informer... Ce n'était que leur meilleur moyen de leur insuffler de dangereuses espérances. Pandémon s'en était bien gardé. Il avait même été favorable à l'idylle probablement inane de la jeune fille, songeant qu'elle lui occuperait l'esprit et la garderait bien sage aux côtés de son amour du moment. Qu'elle profite donc, au moins ainsi ne faisait-elle rien d'inconsidéré.
Puis, il avait réfléchis au-delà de sa désapprobation première, pour finalement en arriver à la conclusion qu'il s'était fourvoyé. Non, Tristana ne devait pas poursuivre son existence futile de jeune fille un peu nigaude. Elle allait devoir participer au combat qui s'annonçait, car Dorian ne manquerait pas de le faire. Il remarquerait forcément lui aussi les changements qui s'annonçaient, et il réagirait. S'il se relevait pour prendre les armes, alors se serait le bon moment, l'unique moment même, pour tenter quelque chose. Le vieux mage avait beau être un abruti d'une rare impulsivité, Pandémon lui accordait une intuition certaine. Il savait quand sortir de l'inactivité. Naguère, son imprudence avait au moins eu le mérite de sauver des vies et de retarder les échéances en faveur de Kairec, quoique ce fût au détriment de sa propre intégrité. Le connaissant aussi intimement que lui-même, Pandémon ne doutait pas un instant de ses actions prochaines.
Depuis quelques temps déjà, il lorgnait d'un œil soupçonneux les attentats perpétrés plus ou moins régulièrement dans des quartiers d'affaires. Son intuition lui disait que le vieux mage n'y était pas pour étranger. Ses activités étaient discutables, mais il agissait. C'était très sûrement lui qui se cachait derrière "l'ombre poseuse de bombe". Sa petite vendetta ébranlait joliment la société, pour ce que Pandémon en savait. En ce temps où les pays tendaient à se réunir pour tendre à une organisation planétaire nouvelle, un terroriste ne manquait pas de faire frissonner jusqu'aux hautes sphères, surtout quand on ne connaissait rien ni de lui ni de ses motivations. Sans élément pour comprendre les raisons de ces attentats, la ville s'était mise à trembler. Les humains se raccrochaient parfois désespérément à la raison, et ne pas entrevoir de logique dans ces catastrophes les perturbaient fortement. Pandémon riait sous cape ; personne n'en serait venu à douter qu'un vieux barbon millénaire exerçait sur eux une vengeance vieille de quinze mille ans. Ils n'étaient pas près de trouver la réponse qu'ils espéraient tant.
Pour pallier à ce manque d'informations, quelques politiques plus hardis que les autres avaient supputés qu'on cherchait à saper leur économie. Mais alors pourquoi ne s'attaquer qu'à cette ville, pourquoi laisser tant de temps entre chaque action, pourquoi cette fameuse ombre semblait-elle agir seule ? Autant de questions auxquelles on ne pouvait pas répondre, ou alors mal. Personne ne se serait risqué à accuser un autre pays de fomenter quelque action pour dominer un autre, sous peine de provoquer un incident diplomatique, mais la suspicion était bien présente.
Dorian n'avait probablement pas idée de la portée de sa vengeance, de son efficacité. Ou alors il était devenu plus calculateur avec le temps... Mais Pandémon en doutait. Plus acrimonieux, aucun doute, mais on ne changeait pas une tête brûlée comme lui. Il se laissait trop porté par ses sentiments, il n'y avait rien à espérer de quelqu'un d'aussi sensible. Il ne voulait pas le reconnaître, mais ses émotions le guidaient plus que sa raison. C'était tout. Panémon le déplorait, mais il ne pouvait rien y faire.
Il avait déjà tenté par le passé de corriger ce tort, de même qu'avec ses tumultueuses descendantes, mais c'était là peine perdu.
Quoi qu'il en soit, il se trouvait maintenant que sous la lumière de ces éléments, son avis s'était renouvelé sur la question de la participation active de Tristane aux troubles prochains. Bien que Bergeau ait été bel et bien stupide de lui dévoiler des choses sans réfléchir, Pandémon avait finis par conclure qu'il pouvait en tirer un avantage pour pousser Tristana à agir, ce qu'elle ne devrait pas manquer de faire. C'était peut-être là leur seule chance de bouleverser le monde assez fortement pour renverser la situation une seconde fois. Il n'espérait pas le retour de Kairec -la forêt était définitivement morte- mais la force qui l'avait animée était, elle, encore présente, et s'agitait plus fortement qu'à l’accoutumé depuis l'éveil de Bergeau. Avec sa conscience retrouvée, il avait apporté quelque chose d'autre. La Magie réagissait à sa présence. Il venait de sonner le glas de la société, ou tout du moins de sa paix relative. Une nouvelle guerre allait s'engager, Pandémon en était certain.
Et il n'escomptait pas que Tristana en soit la spectatrice passive. Il y aurait des dommages collatéraux ; elle n'en ferait pas partie. Et dans une guerre, il fallait choisir son camp. Celui de la jeune fille était déjà trouvé, sa nature même ne lui en laissait pas le choix. Elle allait combattre aux côtés de son ancêtre, et de tous les autres descendants de l'antique forêt.
Et peut-être remporteraient-ils la victoire. Ou peut-être pas. Quelle importance ? C'était une chance qu'il leur fallait saisir, simplement.
De plus, si Tristana venait à mourir, elle avait encore de la famille ; il serait toujours temps d'en protéger une nouvelle branche...


Ombre coulante et lustrée, le chat complote en se glissant sur les toits. Conspirateur des ténèbres, il manigance, sans pensées pour son cœur qui se serre. Avec une froide logique, il envisage le monde qui se profile...
Et tente de déterminer si sa protégée y aura elle aussi sa place.
23-06-2013 à 21:05:14
Bergeau grimaça légèrement, même si il avait réussit à agiter la magie il demeurait très difficile d'y faire appelle. Se soigner et soigner cette arbre avait suffit à le faire vaciller, c'était impressionnant. Le prince des dieux était tout de même confiant, la magie allait revenir de plus en plus forte, ce n'était maintenant plus qu'une questions de temps. Il faudrait sans doute plusieurs jours, plusieurs mois et peut-être même plusieurs années mais qu'importait ? Le temps ce n'était pas ce qui lui manquait ! Quinze milles années s'étaient écoulées depuis la dernière bataille de Kairec et la magie avait résisté, et les êtres magiques avaient résisté et désormais ça ne pouvait aller qu'en s'améliorant. L'être magique observa la mère et sa fille s'éloigner avec un sourire en coin, la violence n'était peut être pas la meilleurs des solutions comme on le lui avait signalé des milliers d'années avant. Cette fillette qui s'éloignait, nul doute que elle, elle croirait aux légendes, aux mythes qui parlaient de magie, de dieux, de dragons et de démons. La génération précédente était peut-être pourrie mais rien n'était irréparable et il était convaincu qu'avec le temps ils parviendrait à changer les habitudes. Bizarrement le dieu était souriant, presque riant, l'avenir lui avait parut si sombre quelques minutes plus tôt, évidemment il avait perdu un être chère mais il ne pouvait pas se permettre de répandre la mort simplement parce que Eileen l'avait régné même si cette simple évocation laissait un trou béant dans son cœur. Non, ce n'est sûrement pas ce qu'aurait voulu Thymo, si il avait été là il lui aurait clairement dit de maîtriser ses émotions et de ne pas foncer tête baissée et évidemment une fois de plus il aurait eu raison. Alors pour commencer il allait simplement s'occuper de sa forêt, restaurer le coeur de la magie lui semblait à l'heure actuelle la meilleurs chose à faire, après cela la magie reviendrait bien plus forte et enfin il pourrait se venger, éliminer les dirigeants de ce monde, informer la population, détruire la technologie ! Dit comme ça on pouvait trouver ça un peu utopique mais n'était il pas le prince des dieux ? Si quelqu'un dans ce monde avait le pouvoir de faire ça c'était bien lui, il était le seul capable de restaurer son monde, capable de détruire leur monde et capable de restaurer la paix. Le dieu était bien curieux de savoir ce qu'allait faire les dirigeants de ce monde pour tenter de le stopper, ils pouvaient toujours essayer ces idiots ! Lorsqu'il était décider à faire quelque chose rien ne pouvait l'arrêter, en quinze milles ans il était sans doute la pire tête de mule à avoir vu le jour et surtout le pire des idiots. Pour commencer ils allaient sans doute envoyer des personnes en direction du parc car nul doute que la rumeur allait se répandre comme une traînée de poudre, il n'allait pas rester ici c'était bien trop dangereux et de toute façon il n'arriverait pas à achever Kairec. Désormais ce parc était comme une mauvaise herbe au milieu de leurs immenses habitations, ils pourraient toujours tenter de l'arracher, d'en venir à bout, ils n'y parviendraient pas.
Le dieu des dieux se laissa tomber contre l'arbre qu'il venait de soigner, son visage était éclairé par un petit sourire supérieur, il était bien décidé à s'accorder une paire de secondes avant de fuir de ce parc. Bien sûr ces idiots allaient réussir à rentrer dans le parc mais cela ferait bien longtemps qu'il ne s'y trouverait plus ! Il allait les faire courir, il allait les épuiser, si un être dans la création était capable de se rendre invisible et insaisissable c'était bien les dieux. Et dommage pour eux parce que même après quinze milles années le prince des dieux était resté très joueurs. Les plus téméraires des badauds eux avaient devancé les forces armées et pointaient l'homme nu du doigt avec de grands signes. Ils pouvaient toujours le montrer du doigt, pour lui ils étaient tous insignifiants... Les sens magiques du dieu lui indiquait qu'aucune personne de ce parc n'avait de potentiel, zéro magie, rien ! Alors quelle ne fut pas la surprise du dieu lorsque ses sens magiques explosèrent à l'unisson, personne ne venait de rentrer dans le parc mais une magie venait d'apparaître, une magie ancienne, une magie qu'il croyait perdue. Cette magie elle est si forte, si importante pour lui que ses sens sont sur le point d'exploser, en quelques secondes le dieu des dieux est debout sur le qui vive et avant même qu'il puisse esquisser le moindre mouvement, elle est là devant lui. Et sa simple présence, son simple visage même dépourvu de sourire, rempli le dieu d'espoir et de joie. Cette étoile qui quelques heures auparavant lui à arracher son coeur parvient à l'embraser en une fraction de seconde.


— Je t'aime.

Ô non il ne s'attendait pas à ça ! Bien sûr il nourrissait des espoirs, comment diable aurait-il pu en être autrement ? Elle était la seul femme pour qui il avait été épris d'amour en des dizaines milliers d'années. Et là ? Elle revenait à lui après l'avoir rejeter un jour plus tôt ! Il aurait pu être en colère, si il avait été quelqu'un d'autre il l'aurait repoussé, mais pas lui, pas elle... Il ne pouvait pas la repousser car il avait besoin d'elle et à cet instant plus qu'à n'importe quel autre. D'ailleurs elle semblait aussi avoir besoin de lui, elle semblait si fragile, c'était comme si une simple bourrasque pouvait lui arracher son étoile. La seule chose dont il a envie à cet instant c'est de la serrer dans ses bras et de l'emmener loin, loin de ce monde pourri, loin de ces gens insipides, elle méritait bien plus que ce monde. Bergeau souffla fort, une fois de plus la colère était sur le point de s’emparer de son coeur, de supplanter la joie, de noircir ses idées. Il ne devait pas la laisser faire, il devait simplement profiter du moment présent avec Eileen... Qui vacillait, elle ne semblait vraiment pas dans son état normal, même si la magie émanait d'elle, elle semblait fatiguée malade... Elle semblait si faible qu'une sonnette d'alarme s'était allumée dans la tête du dieu, il devait à tout prix s'occuper d'elle.

— Emmène-moi.
Un ordre ? Une supplication ? Peu importait après tout car désormais la seul chose qu'il avait en tête c'était lui obéir et s'occuper d'elle car elle venait de tomber dans ces bras, elle semblait si faible, elle semblait si vulnérable. Le prince des dieux était si inquiet qu'il la serrait de toutes ses forces contre sa poitrine, la magie, la lumière pulsait doucement hors de son corps enveloppant son étoile, la réchauffant, la soignant. L'être magique n'avait plus conscience du monde qui l'entourait, il ne songeait même plus à sa vengeance, il ne songeait qu'à lui et à Eileen, il ne songeait qu'à Eileen. Les sirènes s'élevaient au loin et il n'en avait même pas conscience, il aurait voulu que cet instant dure une éternité qu'il ne finisse jamais.

-Moi aussi... Moi aussi je t'aime. Mon étoile.

Bergeau n'eut pas le temps d'en dire plus, une fois de plus ses sens étaient en émois, une magie incroyable s'était levée dans le parc. Cette magie semble émaner d'un géant qui se trouve non loin des deux êtres magiques, une magie colossale à l'image de son propriétaire, si colossale que le prince des dieux hésita un moment à se téléporter plus pour protéger Eileen. C'était une sensation assez incroyable, la magie ne se dégageait pas uniquement du colosse mais du parc dans sa totalité ! L'atmosphère lui même s'était réchauffé. Et le géant, le géant grandissait, il se faisait colline , puis montagne, il tutoyait les yeux et se couvrait d'une épaisse fourrure tandis que la magie en elle même augmentait en même temps. Pour Bergeau ça ne faisait pas vraiment de doute cet homme n'était pas un mortel, une énergie si colossale n'avait rien de normale. Non, il semblait même avoir plus de magie brute que lui ! Sa magie était sauvage, indomptable ! Cet homme ne pouvait être qu'un dieu... Peut-être aurait-il du prendre des précautions mais Bergeau n'avait pas le temps pour ça, désormais il avait repris conscience de ce qui l'entourait et il était bien conscient des sirènes. Le prince des dieux se téléporta lui et Eileen sur le dos de l'ours divin et fit apparaître son épée dans sa main droite.

-On file d'ici, on a pas intérêt à traîner faut que je soigne Eileen. Je sais pas où me téléporter dans cette ville, si t'es un dieu tu peux te téléporter, si tu sais pas le faire tant pis mais on doit partir d'ici le plus vite possible.

25-06-2013 à 02:10:48
Tempête sauvage.
Il n'avait jamais connu de tempête. La ville n'en subissait pas ; la ville se préservait de tout élan destructeur de la nature revancharde. La ville se cachait ses propres multitudes grises, se protégeait en formant des rangs serrés d'immeubles et à l'aide sa technologie chérie, son terrible rejeton. L'enfant adoré de l'humanité servait bien ses parents, repoussant toutes les échéances, remède à tous les maux ou presque. On aimait le glorifier, gentil marmot plein d'attentions, qui les avait portés dans sa gigantesque paume métallique jusqu'aux étoiles dont on ne supportait alors plus la dédaigneuse distance. Briller si haut, si loin ? Quel mépris affiché pour eux tous, qui vivaient ici-bas ! A coup sûr, il fallait mater ces astres insolents en allant leur rendre une visite.
Impérieuse, l'humanité s'était imposée à ces étoiles qui l'avaient nargué. Ce n'était qu'un début pour le moment, un rien. Le système solaire, et une autre colonie qui s'installait au loin, sur une lune stérile rabougris... Mais une satisfaction jubilatoire s'emparait de la foule à l'idée de poser pied sur d'autres planètes.
Après tout, il n'y avait aucune raison de préférer cette terre agonisante à une autre d'accueil. Poussière contre poussière. Roche contre roche. On ne perdait rien en quittant ce monde rongé par des cités tortueuses. Alors on payait cher pour en décoller, s'arracher à ses cendres, et trouver une nouvelle terre d'exil quelque part, au loin de ce cadavre exsangue qui les avait vu naître. Peut-être les plus empressés sentaient-ils poindre parfois quelque culpabilité, à la pensée qu'ils avaient tués leur mère ancestrale, l'avaient rouée de coups, brûlée, écartelée et rampaient désormais sur son corps tuméfié, insectes pitoyables, immonde engeance nécrophage.
Lui n'avait jamais connu ce sentiment. Il s'était toujours sentit détaché de la réalité, du monde tel qu'il était désormais. Il venait d'un autre temps, d'une époque plus faste où les prodiges étaient choses courantes. Où la magie chantait, où les forêts étaient vénérées... Une époque lointaine, étrange peut-être, aux yeux de la plupart, mais qui lui était pourtant plus familière que la ville grise. Il avait grandis dans cet autre univers auquel il se sentait une véritable appartenance, au contraire de cette réalité oppressante, et avait toujours considéré ce refus d'ouvrir les yeux comme un hommage au monde qu'il révérait par l'écris. Entrer dans la peau d'une vieille légende, créer un personnage- c'était là son existence, quelques années plus tôt. Vivre à travers des lignes, ne surtout pas regarder autour de soi, et voir le monde imbuvable, voir les ombres, la fumée, le bitume. Fuir du regard toutes ces choses grises et lourdes, râpeuses, qui l'entouraient ; toutes ces lames d'acier qui transperçaient le vide, crevaient les nuages malades, déchiraient le ciel ; cette hydre gigantesque qu'était la ville, avec ses milliers de rues, déployées en tous sens, tortueuses, innombrables, qui s'écrasaient les unes contre les autres en jonctions violentes, en culs de sacs, en chemins multipliés vers d'autres cités lourdes et profondes. Non. Il ne voulait pas voir ça. C'était un aspect trop terrible du monde, qu'il lui fallait voiler ; peu importait que ce fut en s'immergeant dans des récits fantaisistes qui faisaient appel à des dieux, des elfes et autres créatures fantastiques stéréotypées par pléthore de productions cinématographiques... Peu importait les rappels à l'ordre de la réalité jalouse, peu importait... Tout. Tout. Peu importait l'univers entier pourvu qu'il puisse échapper à sa vie.
Et il avait finis par réussir. Il s'était débarrassé de la réalité, l'avait jeté au bas d'une fosse et recouverte de rêves. Elle était morte étouffé. Ils avaient divorcés, et il s'était sentit libre une fois défait des chaines de cette union forcée. Léger, fou, et libre. Libre.
Depuis quelques années, il en oubliait même son véritable passé ; ou l'observait d'un œil froid, le romançant à sa guise pour se détacher de toutes ses horreurs. Il s'était perdu, et retrouvé ; puis recréer. Agénor, puis Björn. Les deux à la fois. Quelle importance ? Il était heureux ainsi. Vadrouillant dans la rue, vivant en compagnie de roublards profiteurs, de criminels en fuite et de pauvres gens désœuvrés- entourés des déchets humains de la société, faisant des ruelles sans nom son royaume.
Il avait cru s'être enfin accomplis, avoir trouvé sa voie. Son chemin du bonheur. Son idylle. Mais non : il s'était trompé. Tout ce temps, il était encore en route vers la véritable destination... Vers le véritable accomplissement.
En route vers la tempête.
Il n'avait cheminé tout ce temps que pour la trouver. Cette envolée des sens, cette jubilation sauvage- monde arraché qui tournoyait follement, et pourtant, jamais il n'avait été plus net. Douloureuse vision épandue, dégouliné sur chaque précision infime. Comment ne pas voir tous ces détails, comment ne pas s'enivrer de toutes ces odeurs ? Les couleurs pulsaient, la lumière chantait. Le monde entier jouait l'orphéon, et son corps suivait la cadence, son corps battait en rythme, dans un délicieux frémissement de fourrure. Il pouvait voir au loin la grisaille monotone des immeubles, dans les fenêtres desquelles étaient emprisonnés des lumières ondoyantes. Il pouvait voir à l'intérieur même de ces immeubles ; ces gens minuscules qui n'avaient pas tournés la tête, n'avaient rien sentit, rien vu, ni entendu. Écouteurs aux oreilles dans leurs bureaux exsangues, les yeux explosés et rougies, balafrés de cernes immondes qu'on cachait avec des crèmes dégueulasses. Ils avaient sûrement sentit, dans leurs entrailles, le frémissement délicieux du changement, et pourtant, aucun n'avait tourné la tête. Ils travaillaient. Ils restaient sourds. Aveugles. Quand lui s'était exalté, avait découvert la puissance sensuelle du monde, eux s'étaient retranchés dans leur propre malheur, fixés sur des écrans qui brûlaient la rétine, ruinaient le cerveau, dévoraient leurs pensées dans une démente débauche d'attention vainement portée sur un boulot misérablement abrutissant. Ils étaient comme moribonds, et leur sort n'avait rien à envier à celui qu'ils avaient infligé au monde. En le tuant lui, ils s'étaient tués eux. Ils étaient morts. Cadavres sur un cadavre.
Il fallait faire preuve d'humour noir pour rire de cette blague qu'était devenue l'existence.
En coulissant, son regard embrassait la vision délicieuse de cette verdure rejaillit. Elle vibrait, lumineuse, étrangement gigantesque. Les yeux posés sur cette brillance végétale, explosion humide et verte au sein du nid gris des Hommes. Il pouvait se croire retourné en son foyer de mots rêvés- forêt de textes échangés, réelle en la seule lecture. Mais ici, elle s'était extirpée des lignes serrées sur l'écran lumineux ; extirpée des feuilles fraîchement imprimées qui sentaient encore l'encre, chaudes au touché, lisses sous le doigt porté qui glissait en caresse sur les mots noirs. Les arbres richement parés de leurs atours bruissants étaient à portée de ses pattes. Sous ses yeux, l'écorce et les branches abondamment chargées. Dans ses narines, les effluves piquantes de la terre humide, des fleurs écloses, du musc de la peur... La peur ?
Autour de lui, on hurlait. Il se posa un instant la question du pourquoi, reniflant profondément pour s'imprégner de la terreur des petits humains. Puis il comprit. A la pensée même qu'il qualifiait les gens qui l'entouraient avec tant d'indifférent mépris empreint de tendresse. Il comprit.
Il venait de changer. Tout comme le monde. Il avait laissé une vie derrière lui, tout un cheminement ; pour cette destination finale, il avait cédé une existence entière. Et son corps. En cédant à l'appel de cette voix qui courrait sous la terre, l'homme s'est laissé happer, transfiguré ; et le voilà autre chose. Un être nouveau. Ou... Le papillon issu de la chenille. Tout ce temps, il n'avait donc été qu'une larve ? Et voilà qu'on lui donnait des ailes.
Exaltation. Rugissement de triomphe.

Une onde de chaleur accompagne le son, claque estivale au milieu de l'hiver. De nouvelles gerbes sourdent de la terre, les branches frissonnent et s'enroulent en de fraîches spirales foliacées. L'air est plein d'une langueur puissante, qui supplie les corps de céder à une flânerie sur l'herbe. Avec la chaleur, se transporte un sentiment de satisfaction, de contentement ; étrange empathie dévoyée qui virevolte dans le vide, et saisit au cœur quand passe le souffle d'allégresse. Dans un mouvement multiplié, les humains paniqués s'effondrent. Doucement, contre l'herbe grasse et tiède qui amortit leur chute. Ils se laissent tomber, et cessent de penser. Le soleil tombe sur eux, un vent mutin glisse contre leur dos et leur crâne. Massés par les éléments, submergés par la beauté simple du monde, ils ne peuvent plus crier, ni marcher. Gorgés de nature, ils subissent une pâmoison fatale, et s'égarent dans leurs propres sens.
Bonheur. Éclat stellaire qui se fiche dans leur cœur, les prend au coin de lèvres, bousille leurs yeux d'une lumière révélatrice. Ils sont heureux. Ils sont sereins.


Lui aussi l'était. Il retomba sur ses pattes, sans bruit, sans même soulever une infime poussière. Ivre de joie, rendu saoul par son propre pouvoir, il se laissait griser par l'opulence de son propre pouvoir, pantelant, grande créature, dans cet îlot de calme qu'était devenu le parc. Il était plein d'une douce chaleur, bourdonnant de joie inexpliquée.
Il se sentait aussi bien que devait l'être le soleil dans ses couvertures bleues. Peut-être même aussi immense, aussi important. Obscurément vaste, pour ajouter à son état une antithèse floue. Ténébreusement incommensurable dans son bonheur abrutissant. Il savait qu'il n'était plus le même, du moins physiquement, mais cela n'avait pas d'importance. Ce n'était pas désagréable, au contraire. Tout était absolument délicieux. Il aurait voulu ne jamais changer cet instant, et le vivre pour toujours ; le revire même, et continuer de savourer la chaleur estivale, la brise câline, les liens tenus tissés avec tous ces gens qui partageaient soudain son bonheur simple. Ressentir à nouveau le rugissement né dans sa large gorge, et sentir à nouveau le pouvoir qui déferlait dans l'air, consumant la panique, flamboyant ; revoir les vagues irisés qui étaient apparues dans l'air tout à coup, en même temps que glissait le bruit porteur d'une magie chaleureuse.
Mais, on brisa l'instant. Butoir argenté sur le cristal de son bonheur ; prisme volé en éclats.
Il ne comprit pas, et n'en eut pas besoin : soudain un Dieu sur son épaule, et son besoin pressant. Il sentait l'émotion qui irradiait de l'être ancien. Puissante empathie ; paroles inutiles. Il savait. Les sentiments parlaient mieux que les mots, et s'échappaient du corps tout entier, de l'entièreté de cette vieille puissance divine. Chaque pore de sa peau suait la supplication.
Il n'entendit pas, et n'en eut pas besoin. Une seconde après qu'on ait investi son dos, Björn se plongea dans la chanson qui continuait de rouler sous contre le palais de la terre, profonde et jubilatoire. Il se fit la portée de ces notes exaltées, et imprima en son esprit le chant sauvage.
Partir, loin. En sécurité quelque part.
Éclat de lumière- flash. Explosion de la voix, pensées qui se pâment à l'écoute du jaillissement cristallin. Beauté violente. Magnifique brutalité salvatrice. Ils quittaient le parc.
Ils quittaient le monde.
Puis y revenaient. Retrouvaient son étreinte sensuelle, résolument matérielle.
Ils étaient... Au milieu de la lumière. Une lumière qui ondoyait, bleutée et blanche tout à la fois. Aveuglante. Qui glissait, coulait, remontait des profondeurs, faisait des jeux sur les vagues. Encre immaculé sur du papier gondolé. Autour d'eux, la mer. Gifle saline. Des doigts d'iode et de fraîcheur qui agrippaient les narines, fouillaient le crâne ; une main de l'océan qui leur passait dessus et s'insinuait en eux. Délicieuse brûlure des sinus. Et des relents... D'abandon.
Cimes grises au-dessus d'eux, comme de coutume. A leurs pieds, goudron éclaté, bitume noir éventré. Les immeubles s'élevaient, brillant d'une lumière froidement argenté. La Lune les glaçait, posait son givre cristallin sur le monde alentour. Il étincelait, enrobé des voiles éthérés de la dame sélène.
Cité abandonnée, en bord de mer. Nuit soudaine. L'air était frai, mais l'on s'entait l'été qui avait engloutit cette partie du monde... Frisson à cette pensée : ils avaient quitté Kairec-City. Les voici autre part, sur un autre continent, à mille lieues du parc, et de tout ce qu'ils avaient connu.
Région inconnue. Où les avait-il transportés ? Où la voix les avait-elle donc guidés ?
L'ours était éreinté tout à coup. Vidé de ses forces, qu'il n'avait pas appris à gérer. Abondantes, mais il était généreux, expansif ; et le voici qui subissait le contrecoup de ce rugissement triomphal porteur d'une allégresse virale. Il perdait sa fourrure, et sa taille. Ses muscles fondaient. Et ses yeux, soudain, s'éteignaient vaguement. Astres morts.
L'homme, gigantesque, semblait une vulgaire poupée à la lumière de son équivalent ursidé. Et quoique bien fournis, il avait même l'air glabre ; sa barbe erratique aux frisures sauvages peinait à soutenir la comparaison avec la fourrure faciale qui avait recouvert son faciès oblongue. Ses cheveux mis-longs n'étaient rien également. Ni ses lourds sourcils arqués.
Quant au reste... Il n'était que trop visible. Avec le retour à son humanité physique, il avait retrouvé sa prime vêture ; celle, inexistante, de la nudité. Et quoique plutôt agréable à regarder, il n'aurait pas dû en être ainsi. Pas du tout.
Nu sur une route qui plongeait dans la mer, dans une cité fantôme nimbée froidement par la Lune ; Björn. Et deux légendes, toute proche, dont ses sens exacerbés pouvaient encore entendre batte le pouls.
Monde ressuscité en deux cœurs qui battaient encore, après quinze mille années d’oppressante grisaille.
Rien n'allait. Il était nu, en un lieu inconnu à mille lieues de sa ville natale, désorienté, et en compagnie d'un duo d'êtres plus anciens que le nom même de sa famille. Que faire ? Björn ne pouvait réagir que d'une seule manière face à une situation si étrange.
Il éclata de rire.
31-07-2013 à 18:01:08
L'enfant vivait, c'était la seule certitude qu'elle avait. Elle existait.
Étrangement, le sort avait voulu que ce soit dans une sorte du bulle, un monde parallèle proche de celui des humains. Elle pouvait les voir, parfois, à travers la fine barrière translucide qui la séparait d'eux.
Elle ne bougeait pas, ne ressentait rien. Sa mémoire, vaporeuse, laissait filer le temps sans qu'elle s'en aperçoive. Bien tranquille, loin de l'irrémédiable bêtise des hommes, elle passait ses journées à les observer, fascinée.
Elle se sentait comme eux et se demandait parfois pourquoi elle n'était pas de leur monde, mais ses interrogations finissaient toujours par s'égarer dans la labyrinthe douteux de ses souvenirs. Ça la frustrait.
L'enfant ne pleurait pas. Jamais. Elle aurait voulu rire, mais cela lui semblait au-dessus de ses forces. Elle se disait parfois que le sang qui coulait dans ses veines allait bleuir, puis se figer, sans un bruit, et qu'elle mourrait, comme ça, sans un bruit. Elle avait peur, en réalité, de la vie pâle et transparente qu'elle menait, comme si elle allait disparaitre d'un instant à l'autre. Voilà pourquoi elle enviait tant les hommes, dans ce ballet ininterrompu et étourdissant qu'est vie. On pouvait presque voir le sang écarlate, ce palpitant fluide vital, couler dans leurs veines en transparence sur leur peau. La sueur s'écoulant sur leur visage rougi par l'effort après le jogging du matin dans la cité polluée de Kairec. Eux grandissait, devaient adultes, mûrissaient, mouraient... Elle non.
Quand elle se demandait pourquoi elle, et seulement elle n'y avait pas le droit, ça la mettait dans une colère folle et c'était bien la seule fois qu'elle en ressentait.
Alors... une étincelle venait papillonner sous ses paupières, scintiller ses yeux. Comme enveloppée d'une enveloppe de coton, elle se relâchait. La rage s'évanouissait, s'écoulant de ses oreilles, sa bouche, son nez, lui semblait-il, sous forme d'une brume étrange, rougeâtre et sucrée.
Elle ne le comprit que beaucoup plus tard, les petits elfes ailés, qui posaient leurs mains microscopiques sur sa joue, dégageant une lumière translucide et pure, étaient des élémentaux. Ils étaient là comme ils l'avaient toujours été, depuis le premier âge de la forêt de Kairec. A l'essence même de la magie, ils avaient tout simplement... disparus, lorsque la technologie avait gagné la bataille. D'aucuns les auraient prétendus agonisants, puis morts, privés de leur seule source d'énergie, leur Mère, la magie. Plus énigmatiques, d'autres racontaient qu'ils étaient tout simplement... passés. Préférant une autre dimension à ce monde mourant. Ne voyant plus qu'une fin irrémédiable dans celle-ci.


Poussière d'étoiles.
L'enfant est la magie, les Vifs lui sont rattachés. A la vie... à la mort ? Dernier rempart contre Eux.

Ils étaient là. Ils faisaient partie d'elle, garantissant l'entier de son âme. Ni bonne, ni mauvaise, entière et pleine.

Ça faisait très longtemps, maintenant, qu'il n'y avait plus de forêt. Des cadavres sous la terre, des morts amères depuis deux millénaires disparus. Oubliés.
Récemment, tout avait changé, à Kairec. De drôles de gens étaient apparus dans la ville, des explosions abîmaient les luxueux et nouveaux buildings, sans que personne, ou presque, ne s'en aperçoive. C'était... le quotidien ? Les gens ordinaires s'en foutaient, les gens ordinaires n'en avaient rien à faire. Les gens ne rêvaient plus, ne pensaient plus. L'âme existait-elle encore seulement ? Métro, boulot, dodo. Sans rêves, sans émotion. Calme plat, degré zéro.
A part pour ces personnages étranges, hors du temps.

Qui sont-ils, dis, tu le sais ? Non. Tu n'as pas de mémoire. Tu ne sais pas qui ils sont, tu ne le sais plus.
La culture, chez elle, était un domaine inné. L'observation était sa passion, elle connaissait chaque petit recoin caché de la ville de Kairec, les grands buildings et les petites et vieille maisons, les dernières, le lierre rampant sur leurs façades vieillies. Un peu désuètes, dans ce paysage urbain. Parfois, on y accrochait un avis de démolition au profit d'un grand complexe composé de bureaux, pour une célèbre société immobilière. C'était l'une d'entre elle qui attisait sa curiosité, ces derniers temps. Une bâtisse ancienne, qui, de loin, disparaissait sous une épaisse végétation. Elle était abandonnée, ou presque ; on pouvait parfois voir une dame âgée et toute ridée, ramassée sur elle-même, sortir par la porte de derrière à petit pas pour se rendre à la supérette du coin (et non pas à l'un des hypermarchés pullulant dans toute la ville), puis rentrer chez elle chargée comme une mule. Elle y restait pendant toute la semaine avant de ressortir, comme à regrets, poussée par ses besoins naturels.
Elle aimait bien cette vieille-là, et connaissait toutes ses petites manies, comme par exemple qu'elle repoussait tout ce qui provenait de la civilisation, à part un petit détail, un seul : ses petits paquets de bonbons à la menthe qu'elle achetait une fois par mois, et qu'elle cherchait à planquer sous son manteau, toute honteuse. Elle refusait le progrès, c'était une des personnes « spéciales ».
Mais ce n'était rien à côté de tous ces gens qui réapparaissaient, comme sortis d'un long sommeil, depuis quelques mois. Eux étaient encore plus à part, ils étaient comme étrangers à cette civilisation. Trop décalés, rejetés, à moins que ce ne soient eux qui rejetaient ce monde, tout simplement.
Ils étaient entiers, bon et mauvais en même temps, vivant chaque instant avec éclat. Et petit à petit, s'en qu'elle s'en aperçoive, l'enfant se réveillait.
Leur relief, dans ce monde plat, soulignait maints détails de la seule relique encrée à sa mémoire défaillante. C'était, en quelque sorte, sa bouée de sauvetage.
Le souvenir commençait par une mélodie légère et joyeuse. Une ondulation. Elle pleurait, à ce moment-là, détruite, elle savait avoir été emprisonnée contre son gré dans cette brèche hors du temps.
Douce, la musique était venue effleurer ses oreilles, et elle avait eu l'impression qu'un ange venait lui caresser la joue. C'était une femme. Elle lui prenait la main et souriait, la couvrant de son doux regard ambre. Elle lui parlait, mais ses paroles s'envolaient, portés par une brise légère, presque musicale, avant d'atteindre les oreilles de la fillette. La femme était restée un moment, puis, doucement, avait retiré sa main et s'en était allée. Elle avait soudain eu froid, très froid, et comprenant qu'elle l'abandonnait, s'était mise à hurler. Au loin, de longs cheveux blonds et fins virevoltaient, scintillants, et un visage baigné de larmes s'était retournée une dernière fois.
Le silence. Un filament argenté s'échappait d'elle, ses souvenirs. Elle les lui avait pris.
Ce n'était pas grand-chose, mais la fillette était persuadée qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Elle s'accrochait désespérément à cette conviction, et elle en était sûre, un jour, la femme aux yeux si doux reviendrait.

Peu de temps après, une simple pensée passa dans sa tête, comme un léger souffle de vent.
Le déclenchement de tout fut si rapide et simple, comme une évidence.
Elle posa délicatement sa main contre la bulle, paroi de sa prison. Tout lui paraissait parfaitement logique, elle s'exécutait sans penser, comme si son corps ne lui appartenait plus.

Le monde explosa.


Loin dans le ciel, d'une voute jamais effleuré par les doigts de l'homme, un ange tombe de parmi les étoiles...

Un court instant -bref comme un éclair- tous les souvenirs de chaque être vivant ayant vécu et étant mort dans et pour la forêt de Kairec lui revinrent. La morsure fut brève mais elle eut l'impression que son cœur avait éclaté, percé de mille aiguilles mortelles.
Elle tomba. Son cœur ralentit au point de s'arrêter un instant, puis repartit à un rythme fou. Elle chutait dans les ténèbres, qui ne semblaient pourtant pas vouloir la retenir.
Un bref instant ; un million de souvenirs différents, heureux et durs, désespoir et parfois, bonheur, vinrent éclater dans son cœur et sa tête. Chaque être vivant et ayant vécu, mort, pour et dans la forêt de Kairec, explosèrent littéralement. Une douleur abominable compressa chaque cellule de son corps, emplit chaque pensée dans son esprit, meurtrissante. Un flash. Tout disparut aussi vite, la laissant vide, essorée, comme morte de l'intérieur.
Au bout de quelques instants d'une chute qui lui parut une éternité, elle heurta violemment une surface dure. Sonnée, tout l'air s'échappa de ses poumons d'un coup et elle perdit conscience.

- Mademoiselle ? ... Mademoiselle ? Vous allez bien ?
Un jeune homme aux lunettes rondes était penché au-dessus d'elle.
- ...
- Vous pouvez parler ? Vous êtes blessée ?
Tiens. Parler. Cela paraissait si facile que...
- Non. Je ne crois pas.
Parler. Elle venait de parler pour la première fois, comme un jeune enfant qui apprenait.
Elle s'assit et regarda autours d'elle. C'était un petit parc, bordé d'un étang. Au centre se trouvait un grand chêne, défiant le temps de ses branches noueuses. Des gratte-ciels immenses et menaçants, issus de la cité de la technologie, entourait de ses longs bras protecteurs ce dernier recoin de verdure. Kairec. La jeune fille baissa immédiatement les yeux, étourdie par le bruit ambiant et mal à l'aise. L'étudiant sourit, rassuré, et s'éloigna. Elle le suivit des yeux un moment puis, avisant l'étang, rampa dans sa direction dans l'herbe fraîche qui avait bercé son sommeil. L'aube pointait le bout de son nez. Le parc était pour l'instant désert, le portail déjà ouvert. Elle se pencha au-dessus de l'eau et vit une jeune fille aux longs cheveux noirs l'observer, déconcertée. Elle avait de jolis yeux gris intrigués, tachetés de bleus, était vêtue d'un t-shirt blanc et d'un jeans noir. On aurait pu lui donner treize, quatorze ou dix-sept ans, tant son visage, bien qu'enfantin, portait les traits graves, bien que curieux, d'un adulte. Elle semblait étrangement plus âgée qu'avant, plus adolescente qu'enfant.
Alors qu'elle passait sa main dans l'eau, troublant son reflet, elle sentit soudain une infinie fatigue couler en elle. Pouvait-elle rêver, enfin ?
La jeune fille se traina avec peine sous l'arbre millénaire et plongea dans un profond sommeil, couverte par son ombre bienveillante.

Elle se réveilla pour la deuxième fois en fin d'après-midi. S'étirant longuement, elle se releva sous les regards étonnés de deux jeunes enfants. Elle les toisa en souriant et ils s'enfuirent en pouffant. Le soleil chauffait la terre sèche à blanc, et ne montrait encore aucun signe de fatigue. Tout était tranquille, dans le parc, elle n'avait pas envie de bouger, mais un sentiment inconnu lui tordit les boyaux. La faim.
La jeune fille venait juste de décider de se lever et de se dégourdir un peu les jambes quand une forte détonation, toutefois lointaine, retentit dans son dos.
« Explosion », se dit-elle instinctivement. Les quelques personnes profitant du calme du parc tournèrent vaguement la tête. Seule une vieille femme se mit à hululer désespérément, sanglotant, et courut en direction du bâtiment soufflé. Deux femmes, ses filles, peut-être, la rattrapèrent, essayant en vain de la calmer. Était-ce l'un de ses enfants, qui venait de sauter, au loin ? Le calme retomba.
Ce fut tout.
Le soleil déclina, lentement, et elle se retrouva à nouveau seule, fixant les premières étoiles, adossée à l'arbre.
Les premières lucioles émergeaient des buissons où elles avaient dormi la plupart du jour. Elle tendit la main, tandis qu'un sentiment troublant lui venait. Comme si...
Dans ce monde nouveau, une présence antique. Familière. Elle sursauta. Les lucioles. Les larmes se mirent à jaillir sans qu'elle s'en aperçoive. L'adolescente tendit une main tremblant vers l'une d'entre elle et baissa la tête, respectueuse. La nuée se regroupa autours d'elle, voletant. S'agissait-il vraiment...

Tout fout le camp. Ils sont sur les dents, les Chasseurs d’Êtres Magiques, à cause de l'agitation de ces temps, sur les dents. Toi, t'es le gros morceau. Tu le caches pas, tu sais pas comment le cacher, mais le fait est que t’exsude la magie par tous les pores de ta peau. Elle jaillit comme un torrent, puissante et implacable. Pure. Le torrent originel.
S'ils pointaient un de leurs scanners sur toi, ça l'exploserait. Surcharge..
Parce que le fait est qu'elle est jeune et forte, immensément forte, ta magie que tu ne maitrises pas. C'est pas possible, pourtant. Tout ça s'est terminé au moment où, il y a deux mille ans, la technologie atteignit le cœur de Kairec. Il n'en reste aujourd'hui que de faibles ersatz, perdus et endormis, chez les descendants des rares survivants. Vieille et inoffensive. La magie ne fait plus partie de ce monde-là. T'es étrange, tu le sais ? Repérable à des kilomètres, et va savoir pourquoi, ni les Chasseurs, ni ces personnes étranges, ne t'ont captée pour l'instant.
Dis, ce sont les élémentaux qui te cachent à leurs yeux ?

Soulagée, elle retrouvait comme une partie de son âme avec ceux qui avaient été son unique compagnie pendant... pendant combien de temps, au fait ? Les élémentaux l'avaient suivie jusqu'ici, pour y mourir. Sans le savoir, ne pouvant plus tirer leur substance de la forêt de Kairec, leurs corps allaient s'épuiser, puis... La jeune fille aux longs cheveux noirs n'en savait rien. Elle était juste heureuse, car eux faisaient partie d'elle comme le contraire.
Alors que la nuit était tombée depuis un moment, un petit garçon aux cheveux blancs poussa de ses petites mains le portail du parc en vint se hisser sur le banc. Il ouvrit un livre énorme sur ses genoux. Intriguée, l'adolescente se pencha au dessus de lui et déchiffra le titre :

« Contes de l'Ancienne Kairec ».
Le petit garçon, apparemment intensément concentré sur sa lecture, balançait ses jambes dans le vide, de ce mouvement si caractéristique qu'ont les jeunes enfants.
- Dis, c'est qui, eux ? lança-t-il brusquement.
Eux ? Il n'y avait personne dans la rue, à part elle. Il n'avait même pas jeté un regard au-dessus de son livre.
- Tu les vois? S'étonna-t-elle, comprenant de qui il voulait parler.
Le petit garçon fronça les sourcils d'un air comique.
- Pourquoi je ne les verrai pas ?
Il appuya son affirmation en pointant du doigt l'un des petits elfes qui se posa sur son épaule, amical.
- Tu... tu es la Fée de Kairec ? avança-t-il prudemment.
- Pa... Pardon?
- Ces... élémentaux. Je les ai vus dans mon livre. (Il lui tendit un gros volume épais, apparemment très ancien). Ils sont issus de la magie. De quand Kairec était une grande forêt, je veux dire.
- Quand Kairec..., répéta-t-elle, fascinée, passant sa main contre la couverture. Elle représentait deux lutin riant, cachés derrière un gros rocher, et un homme immense, l'air fâché, massue à la main. Le titre annonçait : « Contes de l'Ancienne Kairec ». C'était un recueil d'histoires pour enfants, très ancien, et il émanait de lui quelque chose qu'elle ne parvenait pas à comprendre. Une sorte... d'énergie, de vérité. Les élémentaux se regroupaient autour, pressant leurs petites mains graciles dessus. De leur doigt blancs s'échappait quelques grains de lumière.
- Alors ?
Elle sursauta. Le petit garçon concentrait à présent toute son attention sur elle.
- Tu es la Fée de Kairec, pas vrai? Moi c'est Raven, sourit le petit garçon, enthousiaste. Tu me montreras la vraie Kairec ? enchaina-t-il.
- Tu sais... commença-t-elle, marquant un temps de pause, cherchant dans sa mémoire un peu floue. Je crois que je l'ai perdue, moi aussi. En fait.
- Ho... On cherchera ensemble, alors ! s'enthousiasma-t-il, sautillant.
... Retrouver ce monde qui était mort il y a longtemps. La jeune femme ressentit une vive douleur au front. Elle ferma les yeux, les fronça. Elle se souvenait de gens et d'endroits. C'était ici, et en même temps, ailleurs, et c'était... magique. Et puis, vint le temps de la désolation. Était-elle vraiment de la trempe d'une sauveuse de monde ? Une fée ? Raven la prit par la main et la tira en direction du portail. Lui, en tout cas, ne semblait affecté d'aucun doute.
Fée de Kairec.
Elle sourit.

- Gasan?
- Oui?
- Pourquoi tu es tout le temps en colère?
- ...
- Et contre qui, aussi, à la fin?
- Je sais pas. Je crois... contre tous ceux qui meurent.
- Qui meurent?
- Ouais. Qui meurent.
02-08-2013 à 18:19:27
Du béton. Encore du béton. Qu’est-ce que c’est moche. Ça me dégoûte. Toute cette pierre qui recouvre le sol, il n’y a pas le moindre brin d’herbe. Et la voix de ma Mère… Elle est si faible, elle semble si fragile. Je n’arrive pas à sentir les faibles pulsations qui viennent de la terre, j’ai l’impression que tout est mort. Ça pue la mort.
Les gens autour de moi se déplacent rapidement, pressés, stressés. Sentent-ils la mort eux aussi ? Ils se bousculent, s’oublient dans la foule, se perdent dans ce monde sans valeur. Immobile, je les observe. Je fixe ceux qui passent à côté de moi, des hommes, des femmes, des enfants. Quand je croise leurs regards, ils semblent étonnés. Une petite fille s’est même arrêté tout à l’heure, la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés. Elle était mignonne avec ses longs cheveux blonds bouclés et ses grands yeux verts. Je lui ai souris, et j’ai vu mille soleils dans ses yeux s’allumaient. Elle est partie en courant, j’ai entendu son rire flotter dans l’air un long moment.
- Excusez-moi mademoiselle, mais les prostitués ne sont pas autorisés à être sur ce trottoir.
Je me tourne surprise. C’est un vieil homme, l’air morne, les yeux noirs, le visage fermé qui me parle. Une… Prostituée ? Qu’est-ce que c’est ? « Des femmes qui vendent leur corps » me chuchote ma Mère.
- Je suis désolée monsieur, mais vous vous trompez, je ne me prostitue pas, je cherche un ami.
- Eh bien allez le chercher ailleurs ! Dans cette tenue, vous ne rencontrerez personne qui soit un « ami », me crie-t-il.
Ma tenue ? Je ne vois pas ce qu’elle a de dérangeant. Elle cache ce qu’elle doit cacher. J’avais trouvé un vieux sac en tissu, j’ai coupé une bande du côté fermé et je l’ai noué sur ma poitrine pour cacher mes seins. Le reste m’a servi de jupe, une ficelle me sert de ceinture. Je trouve le résultat convenable, il cache bien tout ce qu’il doit cacher.
Le vieux monsieur me pousse en me criant de partir. Je ne préfère ne pas m’opposer à lui, c’est un partisan de la technologie, tant que je n’ai pas retrouvée le mage Dorian et les descendants des gardiens, je dois passer inaperçue. « C’est le plus sûr ».
Je déambule dans les rues, toutes plus mortes les unes que les autres. Ma Mère parle de moins en moins, ça m’inquiète beaucoup… Je me sens seule, si seule dans ce monde de Macabées, seul le soleil rend ce triste paysage un tant soit peu supportable. Mais ce vide sous mes pieds… Cette sécheresse… Cette odeur de mort… Ces êtres qui déambulent sans âmes, se retournent sur mon passage, je n’aime pas leur regard, j’ai l’impression qu’ils sentent que je suis différente. J’ai l’impression qu’ils me rejettent. J’ai l’impression qu’ils me veulent mortes. Les regards sont de plus en plus agressifs, un homme me bouscule, me traite de salope. Les femmes me regardent, je sens la tension de la jalousie qui pèse sur moi, la tension de la frustration des hommes m’écrasent, j’avance un peu plus vite. La tension devient de plus en plus forte, je n’arrive plus à respirer, ma peau sèche réclame de l’eau, ma gorge me brûle, mes yeux me piquent, je n’arrive plus à me contrôler. Je cours, je ne vois plus, je sens des corps que je bouscule, je sens une tension énorme qui m’écrase, je sens la mort, je sens les yeux des morts qui marchent sur moi, je ne peux plus, j’étouffe !
Je tombe par terre, je sens des brins d’herbes rêches sous moi, une terre morte, assoiffée. Une douleur brutale s’empare de ma tête, je sens des milliers d’aiguilles me transpercer le corps, mes yeux semblent remplis d’acides, je brûle, un incendie me consume de l’intérieur, je brûle ! Ma Mère, je brûle ! Aides moi ! Je brûle !
Rouler en boule, je m’accroche désespérément à l’herbe. Un point d’encrage, il me faut un point d’encrage. La terre morte ne m’accorde aucun réconfort, je vais mourir, mourir comme elle, desséchée, vide. Un cri horrible sort de ma bouche. J’ai peur, ma Mère, sauve moi ! Dorian ! Descendants ! Aidez-moi ! Je sens quelque chose, un venin qui coule dans mon corps qui se réunit dans mes poings, un venin qui me prend toute entière, un venin de vie. Je lève les poings au ciel et sent cette chose qui sort de mon corps, mes yeux aveugles voient une étrange lumière blanche qui s’élève vers le ciel clair. Tout devient sombre autour de cette colonne de lumière, je sens une tension dans l’air, une tension énorme. Je vais mourir ! Je suis en train de partir, ce sont les ténèbres qui m’emportent ! Un second cri m’échappe, celui d’un animal blessé, piégé, qui sent la mort l’envahir. Mon cri se confond à un son énorme qui vient du ciel, un grondement, une énorme déchirure blanche. Et de l’eau. Je la sens qui glisse sur mon visage. De l’eau ! Je me lève d’un bond, comme si toute ma force m’était revenue, comme si toutes mes craintes s’étaient noyées. Je ne sens plus les tensions qui m’écrasaient, je ne sens que l’eau qui glisse sur ma peau, semble la lécher, l’embrasser. Je me débarrasse de ces stupides vêtements qui m’empêchent de profiter pleinement de la douceur de l’eau et de ses vertus revigorantes. Entièrement nue, je lève mes bras vers le ciel et dans un cri de joie, je vois un magnifique éclair illuminé le ciel ténébreux. De l’eau, je veux plus d’eau. L’averse s’intensifie, j’ouvre ma bouche et savoure cette eau pure. Ma peau elle aussi boit chaque goutte, je me sens revivre, toutes les cellules de mon corps profite de ce miracle. Le feu est éteint, la pluie m’a libérée. Je danse sous la pluie, je n’arrive pas à m’empêcher de rire. C’est si bon ! Mes pieds s’emmêlent, je tombe dans la boue. Ça me fait encore plus rire !
Je sens quelque chose dans la terre, ça semble vouloir sorti, ça veut profiter de la pluie. Ça vie. Je sens sa petite pulsation dans le sol, faible, mais répétitif, tenace. Je mets mes mains sur la pulsation, je sens encore le venin en moi, il se reconcentre dans mes mains. Je veux aider ce petit être. Je sens la terre bouger, comme si elle se déchirait lentement. Je retire mes mains, mais qu’est-ce que j’ai fait ? Une tige sort de terre, elle grossit, grandit jusqu’à devenir un tout petit buisson. De petites fleurs blanches s’ouvrent timidement. « Un buisson d’aubépines, symbole d’espoir ». Je caresse doucement une des fleurs. La pulsation est devenue plus forte, j’ai l’impression d’entendre la fleur. Elle me remercie, je sens les racines du buisson qui puisent dans la terre une force souterraine qui n’est jamais morte. Je sens plus que jamais ma Mère.
Je sens aussi un regard sur moi. Des yeux fixes qui ne bougent pas. On m’a observé.

Serait ce un signe de paix ou bien le V de violence?
02-08-2013 à 19:55:50
Le corbeau croassa de nouveau, et observa avec curiosité l'étrange jeune femme vêtue de drôles de vêtements fabriqués avec un sac. Ses yeux bleus clairs étincelèrent lorsqu'ils décelèrent de la magie en elle, et quatre créature de ténèbres s'éveillèrent au plus profond de son être. Raven, le plus imposant d'entre eux, prit le dessus sur sa protégée pour observer de lui-même la nymphe. Une conversation mentale s'engagea avec ses comparses.

<<Rinn, Syo, Orajan, la magie se manifeste de plus en plus...
_Et des gardiens sont dans les parages, souffla une voix suave.
_Syo a raison! confirma une seconde voix, plus affirmée et masculine. Rinn et moi l'avions senti, mais nous n'étions pas certains. Après tant de millénaires! Il y avait de quoi douter!>>

L'oiseau battit des ailes, troublé par les gouttes d'eau tombant sur ses plumes. Cependant, il ne quitta pas la jeune femme du regard.

<<Cette créature cherche Dorian. Il serait judicieux de le chercher à ses côtés, il est certainement auprès d'autres gardiens. Za ne doit pas rester seule dans son état, notre sort s'affaiblit. Si elle venait à redevenir humaine...
_Ne parle pas de malheur! aboya Orajan.
_Mais les faits sont là, se défendit calmement Syo de sa voix légèrement hautaine, le sort a bien trop duré et sa puissance diminue.>>

Orajan se renfrogna, mais se tut. Puis ais il sentit son jumeau troublé.


<<Rinn? murmura t-il.
_Je ne comprends toujours pas pourquoi c'est nous qui choisissons pour Za. Vous aviez ressenti comme moi son désespoir lorsqu'elle s'est rendue compte que nous la privions de sa mémoire... lança t-il d'une voix pleine de tristesse.
_Tu sais comme nous tous que c'est pour leur bien, à elle et à... commença Raven.
_Justement, n'as-tu pas envie de les voir s'épanouir?! s'emporta le démon blanc. N'as-tu pas envie de sentir le cœur de Za se réchauffer à nouveau?!>>

Le démon enfla, et de la fumée blanche s'échappa du volatile noir comme la nuit pendant un court instant. Celui-ci poussa un cri rauque et cilla, mais parvint à retrouver un peu d'équilibre sur sa branche. Il fixait toujours d'un œil attentif la jeune femme qui, à présent, plaquait ses mains au sol.

<<C'est une humaine, pas un corbeau! Elle ne doit pas finir ses jours sous cette forme! rugit Rinn.>>

Au moment où le buisson d'aubépine fit son apparition, la peau du corbeau commença à enfler, comme prête à exploser.


<<Arrête toi tout de suite! croassa Raven. Nous devons être tous les quatre pour maintenir le sort!
_Justement! renchérit le démon loup blanc. De ce fait, elle va reprendre son apparence normale!
_Rinn, cesse cette folie! glapit son frère.>>

L'oiseau chuta de son perchoir, le corps parcouru de spasmes. Un râle s'échappa de son bec tandis que ses ailes s'allongeaient, que son corps entier grandissait. Les plumes blanchirent, certaines tombèrent, d'autres restèrent fixées et devinrent des cheveux. Des doigts jaillirent des ailes qui étaient devenues des bras, et le bec s'était volatilisée. A présent, une jeune femme recroquevillée se tenait à la place du corbeau, une rivière de cheveux blancs recouvrant son corps tout aussi pâle.

Elle hoqueta, se dressant sur ses coudes et regardant tout autour d'elle avec des yeux emplis d'effroi. Elle se plia en deux, crispant ses doigts sur son ventre. Des larmes ruisselaient de ses yeux, coulant sur ses joues.

_Où... où suis-je? gémit-elle d'une voix rauque.

Elle passa ses doigts sur son cou, entouré d'une étoffe, couverte de terre et d'un peu de sang, qui puait. Le contacte du tissus l'apaisa, elle se sentit instantanément mieux. Elle essuya ses joues et se dressa en titubant, peu habituée à marcher. Une brume blanche l'entoura et, quelques secondes plus tard, elle était habillée d'une robe d'une couleur semblable, aussi légère qu'une brise.

<<Tout ira bien, Za... lui murmura Rinn.>>

_Za... chuchota t-elle. C'est... mon nom?

Elle leva les yeux vers la jeune fille face à elle.

~Beware~

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Léo, tout simplement : http://www.youtube.com/v/tQyEUhedqDY (Juste parce que cette musique est trop démente)

Za, simply Za : http://www.youtube.com/v/24Lm4ue3Fbc
03-08-2013 à 22:23:12
Je me retourne rapidement, sentant le regard me bruler la nuque. Le vent me caresse le visage et j’aperçois une illusion. Un fantôme. Je vois la jeune femme devant moi, si pâle, ses cheveux blonds volant devant son visage, dansant avec le vent. Ses immenses yeux bleus azurés semblent être ceux d’un enfant totalement perdu. Vêtue d’une robe à peine plus blanche que sa peau, son cou et entourée d’un horrible foulard, elle parait extrêmement fragile, comme si le moindre mouvement trop brusque pouvait la brisée en mille morceaux. « Ce n’est pas un esprit, elle est vivante ».
Une humaine ? Elle semble si différente des autres que j’ai vus, ma Mère peut-elle se tromper ? Il émane d’elle une force étrange, une aura puissante qui tranche avec son apparence si frêle. Peu importe. Si elle est vivante, elle est forcément humaine et donc une menace pour moi. Un obstacle sur mon chemin que je dois éliminer.
Je sens cette chose qui coule en moi, cette force, ce venin. Chaque goutte d’eau semble l’amplifier. L’eau, mon allié, protège moi de cette femme. Je me sens entouré d’une force qui me dépasse, bien qu’elle provienne de moi. Je dois me concentrer, faire la même chose que pour le buisson d’aubépines mais dans l’autre sens. Je ne dois pas créer, mais détruire ou du moins affaiblir. Je me lève, droite et fière face à cet être qui ne peut que me vouloir du mal. Ma Mère, aide moi. La force se concentre autour de moi, il ne me reste plus qu’à la projeter, j’ignore comment, mais je vais y arrivais. Je dois y arrivais. Après je partirais en courant, pas question que je m’éternise. Je respire un grand coup, ma gorge me brûle de nouveau, comme si elle réclamait le sang que je risque de faire couler. Je ferme les yeux. Plus rien ne peux m’arrêter.
« Stop ! Ma fille arrête ! C’est Za ! »
J’ouvre mes yeux. Quoi, ma mère la connait ? « Elle habitait Kairec, elle est une gardienne, reprends toi ! Regardes toi ! ». Moi ? Qu’est-ce que j’ai ? La jeune femme en face de moi, Za, me regarde bizarrement, sur la défensive. Je regarde mes mains. Elles sont entourées d’une lueur noire qui ne me plait pas du tout, que je n’arrive pas à contrôler. Bon sang, mais qu’est-ce que j’ai fait ?! Ça ne veut pas rentrer en moi, j’ai l’impression que ça aspire mon énergie, j’ai beau secoué les mains, ça ne veut pas partir. En regardant plus bas, je constate que c’est tout mon corps nu qui est entouré de cette chose noire. Je commence vraiment a paniqué. « Respire, concentre toi ». Je ferme les yeux et respire de grandes goulées d’air, je me concentre sur l’eau qui tombe et essaye de ramener tout cela en moi. Je sens cette chose se reconcentrer dans mon corps, petit à petit. Quand j’ouvre de nouveau mes yeux, ma peau n’est plus entourée de cette lueur noire, à mon plus grand soulagement. Tout ce qui semble brûler ma peau ne me rassure vraiment pas, moi qui adore l’eau.
Une fois que mon cœur paniqué a retrouvé un rythme convenable, je m’approche prudemment de cette femme qui est toujours un peu sur la défensive, et sincèrement je la comprends. A un mètre d’elle, je m’arrête et la fixe. Ses yeux ne me lâchent pas, et je sens tout son corps tendu, prêt pour l’attaque.
- Tu es Za ?
Ses yeux bleus azurés s’élargissent en entendant le dernier mot. Elle semble réfléchir un moment avant de répondre, comme si elle pesait le pour et le contre. Après quelque secondes d’hésitation, elle me répond positivement, l’air méfiante, et me demande qui je suis.
Qui je suis ? C’est bien la première fois qu’on me le demande… Je suis… Je ne sais pas. Elle attend un mot par lequel elle pourra m’appeler, mais je ne sais vraiment pas quoi lui répondre. Je me rappelle… De quelque chose… Une vieille histoire, je crois qu’elle date de l’époque où Kairec était une forêt… « Ma fille, connais-tu l’histoire de Lotis ?, me demande une voix de femme douce et envoûtante. C’était une naïade très belle, elle habitait un lac et se nourrissait exclusivement des lotus qui poussaient sur ce lac. Ses lotus étaient la seule chose qui l’intéressait. Un mage était tombé fou amoureux d’elle, mais, absorbée par ses lotus, elle ne le voyait même pas. Se sentant blessé, le mage explosa dans une colère noire. Il transforma la naïade en lotus pour la punir de son arrogance. Tu devrais faire attention à autre chose que tes bouquins toi aussi, sinon tu vas finir comme cette pauvre fille ! » Un éclat de rire termine ce souvenir.
Un immense sourire dévore mon visage. Même si cette voix n'est pas la sienne, il me semble l'avoir déjà entendu... Dans un très mauvais souvenir.
- Je ne sais plus qui je suis, je lui réponds tout simplement, mais je suis sûre que je te connais. Tu peux m’appeler Lotis, Zaza.
Ses yeux s’élargirent encore en entendant ce surnom qui me vient naturellement. Est-ce que cela lui rappelle quelque chose ? Je ne sais pas, mais j’ai eu l’impression de voir quelque chose passer dans son regard. Elle semble plus détendue maintenant, et moins sur la défensive. Elle me demande quand même pourquoi je ne l’ai pas attaqué. Décontractée mais méfiante. Elle ne me voit plus comme un danger, c’est déjà ça.
- Parce que ma Mère m’a dit de ne pas le faire.
Pourquoi je lui mentirais ? C’est vrai, si Elle ne m’avait rien dit, je l’aurais attaqué, du moins j’aurais essayé, je pense que je me serais blessée plus qu’elle, mais j’étais sur le point de le faire.
Elle me fixe bizarrement, comme si elle commençait sérieusement à se demander si je n’ai pas un petit problème mental… Je me sens obliger de lui expliquer.
- Oui… C’est difficile à expliquer. C’est comme si j’entendais sa voix, parfois elle me montre des images, elle sait tout ce qui me passe par la tête et est constamment avec moi…
Ses yeux semblent s’agrandir, elle me dit une phrase confuse, parlant de voix qu’elle entend elle aussi dans sa tête
A peine l’a-t-elle dit qu’elle se tait, semblant réfléchir, discuter mentalement de quelque chose qui me dépasse. Elle baisse les yeux et son visage semble se fermer. Au bout de quelques secondes de silence, je vois ses yeux glissaient sur mon corps. Elle me dit très clairement qu’il faut que je m’habille.
Mais qu’est-ce qu’ils ont ces humains avec leurs vêtements ! Je suis bien nue ! Il fait tellement chaud dans cette ville, et quand il pleut, c’est beaucoup plus pratique de se mouiller si on est nu !
- Pourquoi ? Je me trouve bien comme ça, je suis très à l’aise !
Elle me regarde fixement, et finalement elle sourit. Elle est jolie quand elle sourit, son visage semble baigner de lumière, bien que je sente qu’il y a quelque chose de casser en elle, de creux, qui l’empêche de donner un vrai sourire. Elle m’explique que les gens « normaux » ne se promènent pas nus, ni avec des haillons d’ailleurs précise-t-elle en montrant mes anciens vêtements qui traine dans la boue.
- Mais comment je fais pour avoir des vêtements ?, je lui demande en faisant la moue.
Za me regarde comme une demeurée. Je me demande bien à quoi elle pense. Elle me dit comme si c’était évident d’utiliser ma magie pour les faire apparaître.
Magie. C’est donc ainsi qu’ils appellent le venin. C’est un joli mot, magie. Et c’est peut être une bonne idée… Si j’arrive à la maîtriser, je n’ai pas envie de me retrouver comme tout à l’heure, couverte de flammes qui résiste à l’eau. Je me concentre, ferme les yeux et essaye de penser très fort à des vêtements. Qu’est-ce que je pourrais mettre ? Je pourrais essayer de faire apparaître une robe comme celle de Za. J’essaye. Je sens la magie brûlait en moi, m’entourait. Je sens une étoffe recouvrir ma peau. J’ouvre les yeux et demande : « Alors ? Ça va ? »
Je me sens vraiment très fière d’avoir réussi à faire apparaître des vêtements du premier coup… Za par contre semble moins emballé.
Je regarde ma robe. Je la trouve jolie. Pas tout à fait ce que j’avais demandé, mais jolie. C’est une robe courte asymétrique qui m’arrive aux cuisses d’un côté et aux genoux de l’autre. Le bas est recouvert de tulles multicolores de différentes longueurs. Le haut est un corset avec un ruban arc-en-ciel, le reste est recouvert d’un tissu orange avec dessiné dessus pleins de nuages faisant des grimaces. C’est étrange, mais je me rappelle de tous les mots pour décrire un vêtement… Peut-être que j’aimais bien tout ce qui touchait à ce domaine avant ?
Za me ramène de suite à l’instant présent en me faisant comprendre qu’il me faut quelque chose de beaucoup plus classique.
Je ferme les yeux et me reconcentre. Cette fois, je veux vraiment ce que j’imagine.
J’ouvre les yeux et me regarde. J’ai une longue robe bleu marine très moulante au niveau du buste et qui m’arrive aux chevilles. La matière est légère et souple, c’est comme si je n’avais rien sur la peau. C’est parfait.
Je souris à Za en observant sa drôle d’écharpe. Il en émane une odeur nauséabonde, une odeur que je connais. Celle du sang et de la terre. Je suis sûre que je la connais. Je suis sûre qu’elle aussi était là lors de la guerre. Et parmi tous les cris dont je me souviens, je me rappelle d’un, un cri d’animal mortellement blessé, un cri de détresse et de douleur. Son cri.

Serait ce un signe de paix ou bien le V de violence?
02-09-2013 à 17:55:29
Za vit la jeune femme se retourner rapidement, ayant perçu sa propre présence. Elle déplaça inconsciemment ses mains sur son ventre, sourcils froncés. Cette créature semblait prête à attaquer, et Rinn, les yeux rivés sur leur potentiel adversaire, se prépara à défendre son hôte. Il n'hésiterait pas une seconde à bondir pour déchirer en mille morceaux ce petit corps fragile, très certainement aidé de ses compagnons, bien qu'ils soient pour le moment sonnés suite à sa rébellion. La créature ferme les yeux, Rinn ne fit pas cette erreur. Il s'apprêta à jaillir de la poitrine de Za quand, pour une raison qu'il ignorait, la jeune femme cessa sa manœuvre. Son hôte pencha légèrement la tête sur le côté, étonnée mais toujours sur ses gardes. Elle voir la jeune femme face à elle se concentrer pour faire partir la noirceur l'enveloppant. Elle y parvint puis s'avança à pas légers vers elle. Za ne recula pas pour autant. Elle s'arrêta à environ un mètre.

Tu es Za ?

Comment connaissait-elle son nom ? La porteuse de démon l'ignorait.

Oui. renchérit-elle simplement. Et toi ?

Se détendant peu à peu, elle sentit la tension en elle se relâcher également.


« Serait-ce une Gardienne ? demanda Rinn à son frère.
_Je ne pense pas, ou du moins je ne la connais pas. Mais elle est magique et curieusement je devine qu'elle a un lien avec le foyer de Za ! répliqua celui-ci, recouvrant ses forces.
_Ne la sous-estimons pas pour autant, qui dit magie dit danger possible, ajouta Raven, lugubre. »

Un sourire fendit le doux visage de l'inconnue. Un nom pouvait-il rendre heureux à ce point ?

Je ne sais pas qui je suis, répondit-elle, mais je suis sûre que je te connais. Tu peux m’appeler Lotis, Zaza.

La porteuse de démon marque un temps d'arrêt. Un surnom... Quelqu'un d'autre le lui en avait donné un un jour, elle en était persuadée. Un surnom plein d'amour qui la faisait rougir chaque fois qu'une certaine personne le prononçait. Mais qui était cette fameuse personne... ? Elle eut l'impression qu'elle allait pleurer, mais cette sensation s'estompa aussitôt.


Tu allais m'attaquer... Mais tu ne l'as pas fait, pourquoi ?

Elle avait effectivement senti une vague de rage traverser son interlocuteur, et elle avait perçut de l'énergie semblable à celle qui l'habitait. Mais ce mouvement avait été réduit à néant en une poignée de secondes.

Parce que ma mère m'a dit de ne pas le faire. C’est difficile à expliquer. C’est comme si j’entendais sa voix, parfois elle me montre des images, elle sait tout ce qui me passe par la tête et est constamment avec moi…

« L'entité de la forêt serait-elle directement en relation avec cette créature ? s'étonna Raven. Mais dans ce cas là, nous aurions à faire à...
_Une nymphe, coupa Syo. »

Za se massa les tempes.

J'entends des voix moi aussi, mais elles font partie de moi je crois.

Elle ferma les yeux, ouvrant complètement son esprit pour rentrer en contact même avec les démons tapis au fond d'elle. Ses lèvres se serrèrent sous l'effort.

« C'est.. c'est bien ça, vous faites partie de... de moi ? bafouilla t-elle.
_Oui, n'aies crainte, la rassura Rinn. »

Elle battit des paupières, le souffle court, et dévisagea cette inconnue debout face à elle, entièrement nue et vulnérable.

Tu devrais t'habiller, dans mes miettes de souvenirs, j'ai décelé que c'est important dans ce monde. Les autres ne déambulent pas non plus en haillons.

Son interlocutrice s'insurgea, protestant. Cette réaction tira un sourire à la porteuse de démons « Si ça ne tenait qu'à moi, je resterai nue également. C'est un instinct presque animal qui me le dicte... ».

Mais comment je fais pour avoir des vêtements ?

Za haussa les épaules.

« La magie, Za, souffla Raven. »

La magie, utilise la magie.

La nymphe acquiesça et ferma les yeux. Une vague d'énergie traversa son corps fin et l'enveloppa de sa chaleur spécifique. Une étoffe se forme peu à peu, mais se révèle être un affreux patchwork de tissus multicolores. Za, bien qu'elle fut privée d'instinct coquet pendant 15 000 ans, pensa tout de même que ce vêtement était horrible. Elle secoua la tête lorsque son interlocutrice lui demanda si cela convenait.

Essaye quelque chose de plus simple, de plus classique.

Elle recommença sa manœuvre, qui cette fois s'avéra concluante. Désormais, elle pouvaient toutes deux passer inaperçues parmi toutes ces personnes insensibles à la magie. La jeune porteuse de démon pivota sur elle-même, une main collée sur son front, au dessus de ses yeux, pour les protéger de la pluie. Soudain, une crampe horrible au ventre la fit se plier en deux. Elle poussa un cri étouffé en tombant à genoux.


« Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta Orajan.
_Le temps presse ! s'exclama Rinn. »

L'iris et le blanc des yeux de la jeune femme virèrent au noir. Elle rejeta sa tête en arrière, les lèvres retroussées. Elle planta son regard ténébreux dans les yeux de la nymphe.

Lotis ! s'écria une voix grave qui n'était plus celle de la jeune fille. Vous cherchez vous aussi Dorian. Par pitié, menez la jusqu'à lui, elle est en danger.

Za déglutit et cria de nouveau, se jetant à terre et roulant sur elle même.

« Za, je t'en supplie, calme toi ! la supplia Raven.
_J'ai tellement mal ! geignit-elle mentalement en réponse. Aidez-moi !
_Laissez moi faire... miaula Syo. »

La jeune femme cessa de bouger en une poignée de secondes, sa souffrance enfin atténuée. Elle remercia intérieurement cette entité féline de l'avoir soulagée. Ses yeux recouvrèrent leur apparence d'origine. Za essaya de se lever mais tituba légèrement.


Nous devons... trouver quelqu'un je crois...

~Beware~

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Léo, tout simplement : http://www.youtube.com/v/tQyEUhedqDY (Juste parce que cette musique est trop démente)

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06-09-2013 à 21:43:19
Il fixa intensément la rouquine qu'un hasard improbablement facétieux avait mis sur son chemin. Stupidement, il chercha sur ses trais le signe quelconque d'une ascendance connue ; scrutant avec avidité son visage perplexe, brûlant de lui trouver une vague ressemblance qui la désignât comme descendante d'un Gardien décédé... Et à sa plus grande surprise, contre toutes attentes pragmatiques, dans la forme de ses yeux et l'intensité de ses iris jaune, décela un rien de son amour perdu. Ces pommettes, cette démarche même, souple et féline... On ne s'était pas contenté de lui balancer une ténébreuse créature lunatique et dangereuse : la providence avait poussée le vice plus loin en lui jetant dessus -littéralement au vu de leur première altercation- une femme semblable à la seule qui l'avait touché assez profondément pour le tirer de ses errances ; à laquelle il avait sacrifié son corps, son âme, sa vie. Il avait vécu avec elle, lui avait donné des enfants. Il était resté à leurs côtés en se demandant s'il reverrait jamais les routes ; puis finissant par se dire que cela n'avait aucune importance. Il avait une famille unie désormais. Un foyer. Des amis vivaient près de lui, qu'il ne perdrait pas de sitôt, et après des millénaires de vagabondages chaotiques, d'errances acharnées et de pertes cruelles, une existence sereine et stable lui tendait ses bras chauds. Pourquoi donc refuser son éteinte ? Il s'y était complaît, peinant à se croire enfin heureux. Pas une seconde il n'avait songé qu'on pouvait lui retirer tout ce bonheur durement acquis, au prix d'abandons, de larmes, de ténèbres embrassées puis rejetées. Pourtant, on ne lui avait accordé qu'un bref instant de félicité en compagnie de ceux qui lui étaient chers ; puis sa famille s'était morcelée, éteinte, défaite. Dispersée aux quatre vents, déchirée par des mains inconnues... Détruite, balayée.
Il s'y était fait. Au cours de quinze mille année de survivance, il l'avait accepté. Akemi était morte, loin de ses bras, et leurs enfants aussi sans qu'il ait même pu les serrer une dernière fois. Réalité frappante et brutale. Morte. Disparue. Il n'avait même pas vu son corps ; mais aucun doute ne lui était permis. Elle n'était pas revenu, son énergie s'était évaporée. Il l'avait cherché un temps, nonobstant l'évidence, refusant son deuil... Mais l'avait assumé, fatalement, quand il était devenu impossible de nier la vérité. Quand l'espoir c'était mué en attente douloureuse et désespérée. Quand un siècle, puis deux étaient passés sans que le hasard ne lui témoigne la moindre pitié. Pas un signe envoyé pour assurer son âme meurtrie, pas un rescapé pour soutenir sa vaine survie en ce monde qui s'enlisait trop vite. Autour de lui, la décadence se faisait passer pour une ascension fulgurante ; on regardait vers le ciel en s'embourbant dans le marais fétide de l'ignominie humaine. On parlait d'apogée quand lui ne voyait que l'intense déclin d'une race qui oubliait ses origines, manquait à ses devoirs d'espère dominante d'une planète martyrisée, en se rengorgeant avec obscénité de sa science chérie. Autour de lui, les choses changeaient, les gens se perdaient dans leur propre existence... Et sans but, il errait. En se souvenant. En se souvenant pour eux tous d'une époque révolue qui entrait dans la légende. Son propre nom se couvrait de poussière en trouvant place dans les mythes. Il observait d'un œil éteint l'histoire déformée de Kairec, trop morne pour éprouver quelque curiosité face à cette vérité dévastée.
Il se souvenait pourtant avoir croisé Napoldé, une fois. La jeune déesse n'avait pas encaissé aussi bien que lui le génocide des Gardiens. Il l'avait cru morte, comme tant d'autres, mais la petite magicienne aux sourires ironiques s'était retiré des combats avant que la forêt ne brûle pour de bon. Elle n'avait pas supporté cette violence, cette débauche de haine ; voir Kairec tomber lui était trop cruelle. Sa fuite l'avait préservé du sort funeste connu par les autres Gardiens... Et alors, avec son ascendance divine comme dernier trésor, avait eu tout loisir de dépérir lentement au fil des siècles, en regardant flétrir sa Noirceur adorée, en voyant tous les sorts occultes volés aux pages interdites d'ouvrages occultes perdre de leur puissance, jusqu'à ne plus être que des mots murmurés, sans pouvoir. Dans ses veines même s'était taris le flot, et la Déesse avait vécu cette perte progressive comme la plus terrible des agonies.
Il l'avait trouvé peu avant qu'elle ne s'offre le luxe fatal d'une ultime action de résistance, en se suicidant dans un attentat meurtrier au milieu d'un centre-ville bondée, plongée une dernière fois dans le sein asséché de sa Magie Noire tant choyée. C'était un soir d'hiver, comme n'en connaissent que les histoires les plus sombres ; un soir dont l'atmosphère froide et la venue précoce invitaient à la naissance d'une nouvelle légende. Singulièrement, cette nuit glacée lui avait semblé sans défauts. Peut-être étais-ce dû à l'alcool dont il se réchauffait les tripes, ou au bar miteux perdu dans les entrailles de la ville qu'il s'était choisis comme pourrissoir pour quelques heures d'oublies. Quoi qu'il en fût en l'instant, il s'était sentit comme apaisé. Le regard vitreux en perdition dans le fond luisant de son verre, à ne penser qu'aux bruits qui l'entouraient doucement, plongeant son esprit dans le vide. Tout était si lent autour de lui.
Puis une claudication rageuse l'avait arraché à sa contemplation. Il s'était tourné, sans rien percevoir d'autre que le relais auditif consentit par ses oreilles, morne musique. Une vieille femme, noyée dans des frusques noires, marchait à grand bruit sous la lumière sale des néons. Son visage flétris et laiteux se perdait sous une broussaille de cheveux emmêlés. Peut-être en raison de sa face terreuse, ils semblaient bien trop sombres pour un être si pâle, chétif, et ancien. Couleur de jais et de terreau parfumé. Il l'avait observé, fasciné. Sa chevelure faisait pulser, dans le jardin préservé de sa mémoire, quelques souvenirs de racines paresseuses et de sages plantations au bord d'une clairière. Les petites mains blanche de ses enfants, enfouissant dans la terre retournée et humide glands, graines tièdes et pépins luisants... Leur émerveillement quand il demandait au sang de la terre d'affluer vers ces embryons végétaux, et que sous l'impulsion de sa volonté conjuguée au don généreux de la Magie tellurique, jaillissaient des pousses vertes aux tiges vaillantes. Leurs exclamations sonnaient encore sous son front, doux carillons. Les notes envolées et trop vite retombées de leurs rires, la beauté simple d'un sourire ou d'une mine renfrognée ; la moue grognonne d'un enfant disputé, qu'il observait avec un ravissement teinté de crainte. Ils tenaient cette expression de lui, n'est-ce pas ? Quels caractères les bambins promettaient-ils d'avoir...
Son cœur douloureusement pressé l'avait rappelé trop vite à la réalité. Les terribles bambins étaient morts depuis longtemps déjà ; et lui, seul depuis ce temps-là, avec toutes ces questions qui de sublimement futiles, s'étaient faîte douloureuses. L'alchimie vers le pire, transmutation foirée de ses sentiments. Il avait dévisagé la vieille, morose. Le paquet de chair flasque, ayant sentit son regard, s'était tourné vers lui. Ses yeux d'une blancheur aveugle lui avaient clouer le cœur. Le nez de la vieille avait frémit, ses lèvres exsangues s'étaient retroussées. Enlisée dans sa folie, elle lui avait souris ; reconnaissant, à défaut de son visage, au moins l'énergie ancienne qui bouillonnait en lui. Il put mettre un nom sur ce corps décharné avant qu'elle ne vienne à pas lents vers son tabouret bancale. Il en avait sauté, nauséeux. La gamine s'était fanée, éteinte. Elle était aussi pâle qu'un cierge, jamais enflammée hélas au cours de sa longue vie. Elle avait le visage d'une bougie triste de n'avoir pas brûlée. Et pourtant... Il avait bien connu cette femme, quand elle était encore une fleur noire aux épines acérées, jolie plante ravie de ses sombres poisons.
Napoldé. Elle s'était pressée contre lui, humant l'odeur piquante de sa magie avec ravissement. Agaçant ses narines dilatées de ce fumet puissant en pressant le bout froid de son nez contre son torse, l'enfouissant par-delà les boutons de sa chemise jusque dans les poils bouclés qui le couvraient. Elle était resté un instant tout contre lui, frémissante, se gorgeant des effluves épicées qui s'élevaient de sa peau, entêtantes au milieu de cette grisaille puante. Dans l'ancienne Kairec, il aurait fallu froncer le nez pour capter cette odeur. Mais en cet âge de fumées et de bitume, elle emplissait l'air comme un épais nuage d'un parfum enivrant. Peut-être la Déesse n'était-elle entré dans ce bar étriqué que pour y suivre ce trace... Ou alors le hasard, joueur impassible, avait tiré de sa manche une carte particulièrement ambiguë.
Dorian n'avait su que ressentir face à l'antique créature. Cette vieille femme avait eu des trais juvéniles à ses yeux, il l'avait connu fraîche et bravache, hardie comme l'épervier, aussi moqueuse qu'un corbeau. Il l'avait vu s'épanouir dans sa tenace résistance aux conventions, faire des pieds de nez aux vieillards qui la poursuivaient les bras chargés de paperasses. Elle riait à la barbe de ses conseillers, alors, et venait dans la forêt chère à son cœur chercher des aventures qui ne lui manquaient que trop. La gamine était belle en ce temps-là, toute lumineuse de Magie et de vie. Elle avait le teint des neiges éternelles et les commissures prompt à cabrioler. Ses joues rosissaient parfois, coiffées d'excitation carminée pour un temps de course à jambes jetées au loin et de sourires acides. Napoldé était alors comme une pomme bien verte, qui ne demandait qu'à éclater en bouche dans un bouquet intense de goûts déclinés en grimaces ravissantes sur les lèvres. Toue blafarde et ténébreuse qu'elle fut, la déesse n'en avait pas moins été aussi jeune et révoltée que n'importe quelle gamine un jour ou l'autre ; avec son ironie, ses sortilèges occultes et ses glissements de lèvres, elle faisait un peu du soleil de Kairec à elle toute seule.
Au souvenir de cette enfant gaie à la langue acrobate, il pouvait sourire. Mais que penser de cette vieille femme décharnée qui se pressait contre lui, avide de se noyer dans son odeur antique ? Ses mains longues et osseuses glissaient contre sa chemise, comme pour s'y accrocher, et il sentaient au travers du tissu sa gorge palpitante. Les autres clients les fixaient d'un air surpris ou hostile- il n'en avait que faire. Ils n'avaient aucune espèce d'importance, tous autant qu'ils étaient, et leurs yeux pouvaient bien s'exorbiter devant cette scène étrange : ils avaient le malheur de Napoldé à porter pour jamais. Ils n'avaient pas agit d'eux même, ces pauvres humains à l'existence si brève, qui ne durait qu'un souffle à l'aune de la sienne propre, mais le mage les tenait pour responsables des horreurs commises par leurs ancêtres. Il lui fallait des gens à mépriser, des gens à haïr... Ceux-là étaient dignes de son courroux, lie humaine alors même que le reste n'était que fange également.
Il chercha au fond de lui une force quelconque pour le faire tempêter, qui puisse porter enfin sa colère muette. Mais il ne trouva rien. Rien d'autre que le vide qui le rongeait au cœur depuis des années. Naguère il eu explosé de colère face à tant d'ignorance ; aujourd'hui, il n'était que triste et ceux. Quand Napoldé s'effondra contre lui, il la prit dans ses bras sans s'étonner qu'elle pesa si peu. Et sous des regards lourds, sortit sans payer, ce que personne ne sembla remarquer tant voir une vieille femme s'évanouir sur un anonyme était diablement plus intéressant.
A l'air libre, il ne trouva... Aucune liberté. Ni d'air à vrai dire. L'humidité le gifla, chaude et pesante. Les fumées de la ville serpentaient dans le ciel, occultant les étoiles, qui, de toute manière, ne pouvaient faire concurrence aux lumières bourdonnantes des rues et des appartements. Il fallait payer désormais pour voir au-delà des ténèbres ; le ciel n'appartenait plus à n'importe qui au travers le monde. Ils avaient volé même les astres... Il en avait ris avec amertume au départ. Désormais, il en serrait rageusement les dents.
Sans se préoccuper d'être vu, il s'était téléporté dans sa grotte sous-marine, repaire paradoxalement plus agréable qu'une cité en plein essor où l'on trouvait de tout pour être heureux sur le plan matériel. Elle était vide, humide, froide -en ce temps-là, il n'avait pas encore daigné lui donner un aspect plus convivial en l'arrangeant un peu à coups de sortilèges chauffants et autres aménagements magiques- et sombre. A son apparition, elle resta vide, humide et froide, mais au moins la lumière vint-elle nimber les lieux. Ne s'y trouvait qu'un vieux lit qui avait déjà trop vécu, ainsi que des armes négligemment tassées dans une cavité qui luisait sous un fin voile liquide, captant la clarté paresseuse et changeante de la grotte. Il posa la déesse ravagée sur les couvertures rouges qui drapaient son sommier, en regrettant de ne la trouver que maintenant. Quelle genre de femme avait-elle été dans la force de l'âge ? Avant que le vieillesse ne vienne l'étreindre, et qu'elle ne laisse agir le temps sur son corps pourtant soumis à sa volonté propre, quand cette nouvelle ère d'acier et de fumée ne faisait que débuter... Quand les civilisations qui se croyaient si anciennes n'en étaient encore qu'a balbutier en se donnant une importance qu'elles n'avaient pas.
Il avait eu la surprise de la voir sourire, un éclat espiègle dans l’œil. Sur le coup, il répondit à sa grimace amusée en comprenant qu'elle ne s'était pas vraiment évanouie ; lui qui pourtant, ne souriait jamais. Sa malice au moins, était inaltérable, et rien ni personne n'avait pu la démolir complètement pour n'en laisser que ruines durant ces millénaires.
Alors, ils avaient parlé, une soirée durant. Sans dormir, ni manger ; ils avaient bu tous les deux du café bon marché en se souriant d'un air complice au-dessus de leur tasse fumante, évoquant de vieux souvenirs qui, contrairement à ce que pensait alors Dorian, n'avaient rien perdu de leur éclat puissant. Avec Napoldé, il pouvait tâter ses plaies jamais refermées, rien ne l'empêchait plus d'en sonder la douleur fuyante. La savoir toute proche lui donnait le courage de tourner ses yeux vers cette souffrance enfouie qui suppurait encore. Il pouvait regarder en face son passé et lui dire à haute voix qu'il regrettait cette époque. Et pourtant, il était encore en vie. Il poursuivait son existence laborieuse, emmuré dans ses souvenirs, se lassant du contact des autres, peu à peu, auxquels ils survivaient inexorablement ; auxquels il finissait par tourner le dos, à force de déceptions. Et personne ne connaissait plus son véritable nom depuis bientôt quinze siècles. Il s'était appelé de trois mille syllabes qui ne se ressemblaient guère, aussi prompt à changer de matricule que le vent à se faire nommer dans les pays où il poussait la pluie. Il n'était pas loin de quinze mile années d'errance. Dans quelques décennies, il entamerait un nouveau siècle de vains voyages et de fuites camouflées. En lui racontant les siennes propres, faîte de récits partagés, de transmissions studieuses et de terreurs subites, à voir sa Magie se tarir et la Terre toujours morte, Napoldé lui avait donné un bizarre sentiment de vacuité totale. La déesse semblait en sursit, elle parlait comme une femme sur le point de flancher, un titan qui s'apprêtait à lâcher le poids du ciel- quelqu'un qui se savait sur le point de mourir. Parfois, dans le trémolo de sa voix et les trémulations bohémiennes de ses mains, il entrevoyait l'usure de sa raison... Et pourtant il l'enviait.
Napoldé avait un but, une justification pour continuer à vivre. Lui non. Pourquoi ne se tuait-il pas, au fond ? Qu'avait donc à lui offrir cette existence qu'il était le premier à déclarer amère et insipide ? Quelle obscure motivation le gardait vivant depuis tout ce temps ? Il n'avait su répondre à ce soir là, ni d'autres encore avant longtemps. Il pensait parfois trouver quelque chose, puis... Ses raisons lui semblaient ridicules, absurdes. Il s'était laissé hanter une quarantaine d'années, sans vraiment y prêter d'attention malgré son choc initial, songeant qu'il était le Gardien de ce qu'il restait des peuples Magiques endormis dans les galeries de son repaire sous-marin ; sans vraiment y croire pourtant, car il ne protégeait ici rien de moins que son morale déglingué par la ville. Et sûrement pas ces corps assoupis gelés par la Magie, qui attendaient l'éternité durant une renaissance des plus incertaines. Ce que la Terre avait choyé et peaufiné doucement naguère, des milliers d'années durant, l'Homme l'avait détruit en moins de quinze mille ans. Quel espoir pour un monde pareil ? Il n'était que le soldat fantoche d'une cause déjà perdue depuis longtemps. Sa résistance était risible et absurde ; vieux revanchard fulminant seul dans son coin, il offrait un bien piètre spectacle. Voilà donc un héros légendaire, le fameux mage de mille épopées ? Ridicule. Qu'on laisse rire les corneilles sur les tombes de ses amis assassinés... Ou du moins, les quelques corneilles qui vadrouillaient encore, étouffées par les fumées et chassées des lieux trop fréquentées. Les humains, charognards ultimes, n'appréciaient pas qu'on fréquente de trop près le grand cadavre qu'ils s'étaient appropriés.
Cette nuit d'hiver propice à la noirceur avait été heureuse pour eux deux. Ils avaient ris, s'étaient serrés comme de petites bêtes tremblotantes quêtant un peu de chaleur. Peut-être même avaient-ils dormis ensemble, blottis l'un contre l'autre dans le silence et les ténèbres de la grotte. Ou alors Napoldé n'avait-elle fait que l'écouter sombrer, un petit sourire aux lèvres, horrifiée et heureuse d'avoir exposer la faiblesse de son cœur ? Quand il y repensait, il la voyait se lever, alors que lui dormait. Il la voyait poser un regard nostalgique sur son visage renfrogné, assombris par le sommeil. Il la voyait coulisser pour embrasser de ses yeux pâles les ombres de la grotte ; puis, dans un même mouvement, lisser les robes noires qu'il lui avait offerte, pour dégager son corps maigre des frusques qu'elle portait. Alors, elle avançait vers le table, en effleurant le vieux bois avec nostalgie ; se demandant, quel arbre avait donc été taillé pour donner naissance à ce meuble massif. La déesse touchait, observait, nattait ses cheveux noires. Et soudain, elle semblait plus jeune, comme préservée. Avec un sourire caustique, elle touchait son visage ridé.
Sous sa paume, les creux, les lignes au tracé ferme et les tâches brunâtres s'effaçaient d'un seul geste. Elle tendait au plafond suintant d'humidité un minois lisse et frais, enveloppé de cheveux noirs au lustre riche. Une fleur de lys au milieu des cendres.
C'est cachée dans ce corps d'enfant terrible et moqueur, tout au fond des pétales de sa robe d'un deuil jamais achevé, qu'elle quittait la grotte sans lui dire au-revoir. Et à lui de se réveiller en constatant son absence, incertain de ne l'avoir pas rêvé. Mais de ne pas la chercher pourtant, convaincu, sourire en coin, qu'ils se retrouveraient bien un jour ; puis une semaine égrenée dans le sablier du temps, d'entendre retentir au loin, l'explosion d'une bombe. De dix bombes. Ou douze. Peu importe. D'entendre résonner un écho de Kairec, galopant dans les airs pour un dernier rebond. De sentir l'amertume d'une sombre magie passer en souffle libérateur sur son corps penché. De déceler dans ce bruit lointain, le dernier soupir du passé et des espoirs futurs. Napoldé, déchiquetée par ses bombes et sa Magie chérie, abandonnant à ses bons soins toutes les journées prochaines.. A quel cadeau empoisonné avait-il don droit !
Il était seul pour de bon désormais. A jamais. Il avait pleuré, comme cela lui était rarement arrivé, versé toutes les larmes qu'il aurait déjà dû laisser couler au fil des ans. Il s'était cloîtré dans sa grotte, fiévreux, et n'en était pas sortit pendant un mois. Comme une morceau de carne se mettant à pourrir, il avait sentit une chaleur sourde l'emplir ; avec une joie creuse, il s'était emparé de la colère qui renaissait en lui. Il s'en était gorgé jusqu'à en être ivre.
Mais il n'avait rien fait. Et pendant de longues années, s'était complaît dans sa vie morne, routinière, jusqu'à s'abrutir totalement de mutisme, de vide et de silence. Qu'avait-il donc fallu pou l'en sortir ? Le vieux mage peinait à s'en souvenir, fatigué du passé. Peu importait l'impulsion, elle l'avait fait sortir de ses ténèbres d'oublie... Et depuis, la ville tremblait de l'ombre qu'il y portait. Il tenait sa vengeance ; lui ne se contenterait pas d'un unique attentat. Non. Il en ferait des centaines, pour Napoldé, pour Kairec. Pour lui. Bien sûr, il ne posait pas de bombes dans des lieux bondés, mais Dorian savait choisir ses cibles avec soin. Il n'arrivait pas à vouloir la mot de tous ces humains immondes ; alors il ferait flancher leur société, détruirait leur système. Saperait l'économie, tracasserait le gouvernement... Et s'amuserait de voir l'ordre établi vaciller.
Il tenait sa vengeance désormais. Elle n'était pas sanglante comme il l'avait voulu longtemps auparavant, sous le coup de le rage ; mais elle lui suffisait, le libérait de la colère accumulée et des larmes contenues.
Puis, Amélia était arrivé. Amélia, tombée du ciel, qui l'avait foudroyé comme un éclair de feu. Poignardé, malmené dans sa propre demeure- certes, sa grotte, mais elle tenait son rôle de logis d'une manière tout à fait satisfaisante- et forcé de supporter la compagnie désagréable de la jeune femme. Il aurait dû en être irrité, chercher à se débarrasser de cet élément singulier et sulfureux ajouté à sa vie... Au lieu de quoi il en était à la comparer à sa femme disparue. Au lieu quoi il lui souriait, le regard brillant, en scrutant son visage avec le cœur battant d'un jouvenceau né de la dernière pluie. Au lieu de quoi, il était heureux.
De ne plus être seul. D'avoir été contraint d'accepter sa présence. Cela paraissait impensable, et pourtant... Pourtant...
Pourtant.


-Vous... Bordel vous êtes en état d'arrestation. Non. Vous êtes... bordel, colombe de meeerde !
On interrompit le fil de ses pensées. Il mit une seconde à comprendre ce qui se passait, tournant vers l'inconnu un visage impassible. Étrangement, il ne paniqua pas en voyant l'arme qu'on pointait sur lui, même sans saisir de quoi il en retournait directement. Non. Il fixa les doigts qui pressaient la détente, essayant stupidement de déterminer s'ils risquaient de se mettre en action, sans pourtant s'inquiéter plus que cela qu'on leur tire dessus. A coup sûr, si on les avait voulu morts, ils l'auraient d'ors et déjà été. A les prendre par surprise d'une manière pareille, l'homme aurait pu tout aussi bien les tuer sans s'exclamer d'une voix haletante qu'il comptait leur passer les fers. Un faible alors ? Sûrement pas. Son regard acéré, aussi froid et incisif qu'une aiguille, n'était pas celui d'un honnête et innocent citoyen déterminé à faire régner la loi ; pour peu que pareil citoyen existe vraiment.
Non. Ils n'avaient pas affaire à l'inconscient lambda. C'était un initié de la violence. Peut-être un soldat en civil, un policier sur les dents ou quelque autre représentant de l'ordre... Bergeau avait dû mettre un sacré boxon en ville avec son apparition surprise suivi d'une attaque magique d'envergure qui n'était pas des plus discrète. Et voilà que c'était à eux de récolter les pots-cassés ! Quel ennui... Dorian toucha le cœur alanguis de sa magie, prêt à en finir aussi vite que possible.

En tant que Chasseur d'Êtres Magiques je vous ordonne de ne plus bouger.
Mais ce cœur retint ses battements. Il tenta de le percevoir, sans rien trouver. Des échos. Dans une caverne. Noire. Profonde. Lointaine. Infinies ténèbres.
Il resta hébété, un instant, bouche-bée. Sa magie était morte. Elle avait disparue. Et l'arme était toujours pointée sur lui.
La tête lui tourna, et le mage eut la nausée. Jamais il n'avait pensé que cela lui arriverait. Pas à lui. Bien sûr, d'autres avaient été victime d'une tarissement progressif, mais... Non. Comme n'importe que être faillible et égocentrique, il s'était simplement dis "oui aux autres, moi, jamais". Perdre sa magie ? Allons ! Quelle idée saugrenue ! Il baignait dedans depuis l'enfance, s'était éveillé à son contact, l'avait eu pour seule nourrice sous les trais d'un Golem, et en parlant à ses sens, elle les avait changé. Ce don inné à l'utiliser de quelque manière que ce fut avait été son unique talent pendant longtemps ; son premier atout, puis sa plus grande fierté par la suite. Il avait travaillé dur pour la comprendre, la théoriser, la maîtriser et même l'enseigner. Il n'avait jamais été élève, mais était devenu professeur ; glanant des connaissances ça et là, utilisant son expérience indéniable comme base d'une pensée empirique pour découvrir la Magie sous un nouveau jour, et la définir par ses propres mots. Et il avait réussi ! Il était devenu une autorité en la matière, véritable mine d'or de renseignements sur le sujet. Une bibliothèque vivante, un véritable musée sur pattes. L'oeuvre doucement construite de toute une vie.
Et pourtant, cela n'avait pas suffit. Elle était partit. L'avait quitté. En une seconde, elle s'était volatilisée... Son essence même.
Il avait toujours cru que si sa Magie l'abandonnait un jour, il en mourrait sur le coup. Son corps et son esprit étaient si intimement liés à l'énergie qui l'irriguait à la manière d'un deuxième sang, qu'il n'avait jamais pu s'en séparer, même en voulant s'en débarrasser de lui même. Lui seul, par-delà les mondes, l'Entité créatrice et peu loquace qui avait fait surgir du néant et son monde et sa propre existence, avait pu à ce jour le priver de magie. Et encore à ce moment là était-il décédé, errant dans les méandres indéfinies d'un monde fantasmé dans lequel s'enfermait son créateur ; à son contact, tout était possible. Pour peu qu'il s'en donne la peine, il aurait même pu lui donner une puissance absolue comme le rabaisser au niveau du plus piètre des sorciers. Mais seul, il n'avait jamais réussis à se défaire de la magie. A la faire taire, à l'expulser. Il était la magie autant qu'un esprit et un corps. C'était une composante de sa nature même.
On ne pouvait pas l'en priver. C'était impossible. Pas ici, pas maintenant, pas sans raison ; pas, pas... Du tout. Jamais.


-BORDEL !
Un coup d'épaule ; un coup de feu. Un coup tout court, amortis sur le sol par une moitié de corps qui vibra de l'impact. L'homme jura, et leva son arme vers le ciel ; jugeant probablement que le mage hébété, tombé par terre et visiblement en état de choc, ne représentait aucun danger. La rouquine qui l'avait poussé -les sauvant peut-être tous les deux par son initiative- s'était élevée d'un bond agile dans l'air. Il regarda, éberlué, Amélia qui gravissait comme une araignée le mur aux appuis pourtant chiches. Des balles sifflèrent tout prêt d'elle, mais la jeune femme était une véritable acrobate. Souple et légère, elle ondula contre le mur, se risqua en des sauts scabreux qui ne la menèrent que plus haut ; et ses muscles dansaient de l'effort, mais elle était aussi rapide qu'une feuille emportée par le vent.
Pourtant, Dorian comprit vite qu'elle n'y survivrait pas. Car l'homme n'était pas un simple soldat, ou membre sans importance d'un commissariat quelconque : ils avaient affaire à un CEM. Des traqueurs, des tueurs. Qui excellaient à remplir leurs fonctions. Celui-là avait été surpris en constatant que la plus grosse cible magique ne représentait pas le véritable danger, mais il allait vite cerner assez bien la situation pour toucher Amélia.
Et elle l'avait sauvé. Elle avait réagis alors qu'il restait stupidement hébété. Alors l'effet du choc s'estompa, et il oublia sa magie disparue, son existence démolie par une absence de trop. Blessé dans son orgueil, il sauta sur l'occasion pour enrager. En une seconde, il se reprit comme en plusieurs heures ; sa quasi-démence l'aida à laisser le reste de côté, et il se releva en beuglant de colère, soudain brûlant d'une rage aveugle. Le CEM eut le temps de tourner son regard glaciale vers lui, et de sourire avec provocation en sortant une autre arme de nul part. S'il avait été en état de comprendre autre chose que sa hargne, Dorian aurait remarqué la colombe qui tournait follement autour de l'homme. Il aurait vu l'éclat qui pulsait dans les yeux du Chasseur, ce fragment de lumière qui le marquait pour jamais comme descendant de la Forêt.
Mais en l'occurrence, il ne vit qu'une chair haïe qu'il lui fallait brûler. Et aussi vite qu'elle avait disparu, la magie revint pulser brusquement dans ses veines. En la sentant de nouveau tempêter dans ses veines, il grimaça un sourire sauvage. Il était ivre de cette puissance, et il lui semblait que sa courte mort n'en avait que ravivée la flamme plutôt que de la souffler ; jamais depuis la chute de Kairec, il ne s'était sentit si habité de magie. Alors il conjura le Feu, tout le feu qui dormait en lui.
Et soudain, la ruelle explosa.
La pierre et l'acier volèrent en tous sens, le bitume se décomposa comme une chair noire, gravier par gravier. Une pulsation venu des tréfonds de la terre agita la rue au-delà, coupant l'allée dans une raie de lumière. Des gens s'effondrèrent sur la route et les trottoirs, tandis que quelques autres se mirent à scintiller et s'élevèrent soudain dans l'air, comme transportés par un vent cosmique. Des étoiles au milieu de la foule. Elles ne crièrent même pas, transcendées soudain, leur héritage flamboyant au travers de la peau et des os. En dessous d'eux, un abîme s'ouvrit ; y tombèrent ceux qui n'avaient rien demandés, ceux qui n'étaient que des Hommes. Les ignorants, innocents et stupides, furent avalés par un gouffre qui s'élargit le long de toute une allée. Deux centaines de personnes disparurent à l'intérieur, alors qu'une petite quinzaine flottait, regroupée en nuée au-dessus de la noirceur. Parmi eux, le Chasseur. Une colombe aveuglante, silhouette de mercure bouillonnant, tournait autour de lui comme un signal lumineux.
Un instant, tout fut beau et silencieux, alors même que la mort s'était abattu sur la ville et qu'une allée entière venait de disparaître. Puis, privées de leurs fondations, les immeubles les plus proches du gouffre se mirent à vaciller. Ils hurlèrent, grincèrent, se gondolèrent en chantant un requiem terrible. Et la funeste pâmoison advint.
Ils tombèrent. Se brisèrent, les uns contre les autres. Le groupe d'étoiles s'éleva, fusa, et disparut en loin... Loin, vers une forêt resurgit au milieu de la ville, qui s'élevait entre les buildings, coiffant une colline si haute qu'elle s'en faisait montagne. Derrière elles, des tours entières plongèrent vers l'abîme en s'éclatant les unes aux autres.
Dans la ruelle, Dorian eut juste le temps de s'exorbiter ; car il n'avait rien fait. Il n'avait pas eu le temps d'user de sa magie. Tout juste de l'appeler, d'invoquer l'incendie couché dans ses entrailles. Tout juste de vouloir agir, avant qu'on ne lui ravisse l'occasion.
La Magie était remontée. La force ancienne s'était relevée toute seule, avait rejaillit des abysses. Ce n'était pas l'énergie foudroyante de son sang qui avait répondu à l'appel... Mais l'âme même de la Terre, la puissance titanesque de l'entité Magique toute entière. La bête qu'on croyait assoupis.
Elle s'était belle et bien éveillée. Elle était venu chercher les Descendants de ses Gardiens.
Dorian ne put pas en sourire. Pour la deuxième fois en ce jour, il resta sous le choc.
Puis disparu soudainement, happé par l'abîme.
13-09-2013 à 21:37:42
Chute.
Dans le noir.

Il connaissait la sensation, la perte de contrôle et les membres soulevés. Du bout des lèvres, puis à franche bouchées, il avait déjà goûté aux ténèbres glaciales. La saveur lui en était si familière qu'il aurait pu la reproduire en été, avec un peu de neige éternelle, un fragment d’iceberg et des pétales d'asphodèles. C'est qu'il ne tombait pas pour la première fois, qu'il avait déjà connu la chute. Glisser une fois de plus entre ses longs bras froids, ne lui donnait que l'impression de retrouver l'étreinte d'une vieille amie. Un peu hommasse, brutale, griffonnée de cheveux noirs et d'haleines lourdes qui tourbillonnaient comme les brumes au-dessus de la tourbe visqueuse... Mais la brune lui était intime, souriante. Elle l'accueillait à bras ouverts, avec un bonheur franc, l'invitant de bon cœur à se noyer dans sa noirceur étirée à l'infini.
A l'infini. Ah oui, rien que ça hein ? Dorian soupira ; étrange sensation quand on tombait, car l'air s'engouffra dans sa gorge et le fit hoqueter de manière ridicule. Mais plus encore, étrange réaction : soupirer alors que l'on dévalait la pente soyeuse du vide sans pouvoir en saisir la moindre dureté dévoué aux mains errantes. Absurde. Et pourtant... Un air blasé sur son visage habillé de peau lissée par le vent, drôle vêture pâle qui se déformait sous les doigts du bohème amouraché de grands ciels et de nuages. Il lui fouillait les cheveux en riant comme d'autres hurlaient. Sale voix que la sienne, plus encore au sein turbulent d'un creux de ténèbres.
Les chevaux du néant galopaient sur sa trace, les meutes atones ouvraient la voie, traçant le vide dans les sylves muettes de l'obscurité. Le chemin plongeait loin, et profond dans les brouillards de l'ombre. Ils étaient pleins d'algues épaisses qui se moquaient de sa peau en la giflant jusqu'à plus sens ; engourdis, il dégringolait de la ville jusqu'au cœur de la terre.
Il finirait par le trouver. Il lui ferait une petite salutation, un peu bougonne, marmonnée depuis sa barbe noire, le nuage d'orage scotché à son visage. Ses sourcils lourds pendraient comme deux horizons nocturnes au-dessus de ses yeux, quand il regarderait le faiseur de pouls en face d'un air inquisiteur. Et bah alors, on se réveillait maintenant ? On avait bien fait dodo, avec de jolis rêves, et on se réveillait emperlé de rosé, tout fringuant d'avoir tant sommeillé ? On faisait bouffer ses cheveux, lissait son pyjama, grimaçait dans le miroir, et puis, baste !, ce que ça pouvait être bien comme idée de reprendre son boulot et d'irriguer le monde, non ? Alors joyeusement, on envoyait à la surface une pulsation heureuse, la première depuis quinze mille longues et mornes années de silence terrestre ; pour faire les choses bien, quelques immeubles dans l'abîme- et l'abîme justement, qui déchirait la ville. Sa façon à lui de déclamer joyeusement "coucou je suis revenu, on prend le thé ensemble ?"
Et à lui de tomber. De tomber. Encore, une fois de plus, comme s'il n'avait pas déjà par trop soupé des chutes. Non, non, ce n'était jamais assez, on voulait le voir à genoux. Une putain d'entité sardonique voulait lui briser les deux jambes et lui courber la nuque. Juste comme ça, pour rire un peu. Au mieux, c'était le hasard.
Au pire, il la connaissait, la maligne petite chose. L'étoile au loin qui brillait et se moquait de ses efforts en sachant que, d'un claquement de doigt, elle pouvait tout arranger. Mais on avait des principes quand on détenait le pouvoir absolue sur la vie de quelqu'un, hein ? Ne jamais intervenir. Quitte à ce qu'il souffre, chiale, vomisse ses dépits et saigne ses sanglots, déroule ses rouleaux de plaidoiries, les jolis cendres, vernisse le sol et le monde, et les pieds des gens de sa gerbe pâle, décolorée, à base de regrets compactes, de larmes qui souillent, de souffles étranglés, d'étranglements de gorges, gorges tranchées -il ne savait pas trop-, boyaux de rêves éventrés, tripes luisantes des ventres maigres de ses bonheurs décomposés, les yeux éteints des enfants qui ne pouvaient plus sourire, les lèvres immobiles du cadavre jamais trouvé, du visage laissé vierge de baisés car. Car. Car.
A quoi pensait-il au juste ? Bon. Recentrons un peu tout cela.
Il tombait. Dans le noir. Il faisait froid, les vents hurlaient à la Lune... sans la lune... et meuglaient un peu autour de ses oreilles, dansaient inertes mais frétillants sur son visage... et donc... donc... Il tombait, bien, il tombait loin. Dans l'infini.
Et alors l'infini, c'était sacrément plus que le fond de la terre. L'infini, c'était une lubie d'Entités stellaires. Bon. Admettons alors, qu'après tout ce temps, l'une d'elle -la SIENNE, saleté chevelue- ait décidé se bouger un peu le fion, et les doigts, d'astiquer ses neurones en bronze éteint, de redonner un peu de lustre à la créature grise qu'il s'était laissé devenir, comme le pied d'un arc-en-ciel sous un vieux lampadaire, admettons que soudain, par foucade, il ait fait un peu bouger tout ce beau monde qui s'accrochait à ses paumes, se pressait sous son front et derrière ses yeux fiévreux à force de lectures- ADMETTONS. Admettons que le créateur indigne se manifeste enfin. Devait-il être heureux ? Ou pas ? Du tout. Danser la guigne avec un chapeau pointu et faire des vocalises joyeuses ? Se coller un sourire sur les joues avec des épingles, préparer un brownie pour lui souhaiter la bienvenue dans son existence FOUTREMENT MERDIQUE ET SCABREUSE QUI PRENAIT UN TOUR DÉCIDÉMENT SAOULANT ?! HEIN ? IL DEVAIT FAIRE QUOI AU JUSTE EN TOMBANT ? ATTENDRE ? ATTENDRE QUOI MÊME. C'EST PAS BEAU D'ATTENDRE. C'EST LAID L'INACTION. BORDEL. QUASIMENT QUE DE L'INERTIE PENDANT QUINZE MILLÉNAIRES.
L'univers tout entier aurait été bien inspiré d'aller se faire foutre. Qu'il aille répandre ses mains aux danses cruelles dans d'autres vies un peu moins longues, un peu moins usées, et un peu moins pourries que la sienne. Il avait payer plus que son dû. C'était finis toutes ces conneries, et ces-

Chutes.
Dans le noir.
Dans le ciel.
Dans le- paf, salut le parquet. La transition était brutale. Dans le genre joliment acide, on ne faisait pas mieux. Aucune logique, rien ; la folie douce et l'anarchie tendrement râpeuse, l'embrouillamini fluide et sucré qu'il connaissait trop bien. Tout ça, la chute, le passage violent de la noirceur à l'azur, puis dans une pièce close, les côtes sur le sol, la joue collée sur le bois poussiéreux du parquet... C'était lui tout craché, le gamin qui s'était construit de travers et par procuration.
Son géniteur spirituel. Son Frankenstein tordu, tout rapiécé du cœur, le vieux patchwork de jeunesse en cendres, d'angoisses aux griffes limées. Plein de rêves qui se brisaient dans leurs courbes emmêlées, s'étranglaient, s'étouffaient, pour mieux renaître en fleurs de feu sur le jonc séché de ceux qui pourrissaient à l'ombre, sous les sylves d'idées dont les vents amis gueulaient jour et nuit dans le berceau tricoté de boucles sèches de son crâne. Dévoré par le monde qu'il tentait éloigné avec ses catapultes à bizarreries, jetant sur la réalité ses pauvres mots, évanescents, ses pauvres gestes, maladroits ; pour mieux prendre la fuite dans le bois artificiel de son imaginaire... Sans jamais trop pourtant, s'éloigner des lisière de sa forêt secrète, par peur d'ensuite ne plus trouver le chemin vers le réel cuisant, hérissé, où résidaient ses malheurs et ses peines comme ses plus belles joies, ses étoiles, ses béquille d'arc-en-ciel et de sourires. Son créateur, cette créature étrange.
Le petit con qui n'avait jamais réussi à l'accueillir mieux que mal. L'handicapé des liens, qui scotchait son cœur aux gens pour mieux leur arracher ensuite, par peur de ne plus être libre ; leur faisant mal à tous les deux. Le salaud lui avait refilé toutes ses tares, ses tristesses, ses angoisses. Verseau le bougre ? Verse-merde, plutôt. Une calamité.
Indigne d'être son père d'au-delà des mondes.


-Bonjour Dorian.
Un sourire dans sa voix, un peu d'émotion parfumée et de tendresse moelleuse, chaude, gros sablé à la vanille tout juste sortit du four de sa bouche asséchée. Il avait tant d'amour à donner à son esprit chamanique, son protecteur, son confident, son totem, son messager, sa famille recomposée nonobstant les tombes froides. Parfois, il oubliait cette importance qu'on lui donnait malgré l'abandon, les vis-à-vis trop rares. On l'aimait tellement.
Putain d'entité. Comment lui en vouloir pour toutes ses absences ? Il était trop brisé, trop doux. Avec lui, trop ouvert, vulnérable. Il ne pouvait pas le transpercer des javelots de son amertume couvée. Alors il se releva, le vieux mage, couvert de poussière, et sur ses jambes, du haut de sa noirceur, de sa barbe, de son visage fermé, lança un regard lourd au monstre pitoyable qu'il ne pouvait haïr. Il fit de son mieux prendre un air inquisiteur, une voix grave et irrité.


-Ouais, bonjour, tout ça. Qu'est-ce que tu me veux ?

-Je veux. Je veux...
Et dans ses yeux bleus-gris, héritage suprême dont il avait échu, par volonté du môme de donner un peu de lui au voyageur des songes, Dorian vit l'égarement, les questions et les doutes.
Il ne savait pas lui-même. Il ne savait plus grand chose sûrement. Le vieux mage prit son regard perdu comme un coup à son cœur. Alors, finalement, c'était arrivé. Il avait bien finis par se perdre et sombrer.
La démence l'avait eu, l'avait pris, renvoyée par le fond de son âme- il était devenu fou, au diapason de ses plus vastes craintes...
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