hrp - pardon j'ai encore fait un pavé pour ne rien dire en fait.
La jeune femme ne récolta pas plus de réponses du blond que de Shay ; pourtant, cela n'affecta en rien la trempe de sa bonne humeur. Cela n'avait à vrai dire que peu d'importance, c'était des mots dits, auxquels ils pourraient se raccorcher, et puis elle avait tenté. Elle continuait d'espérer répandre la joie entre tous ses camarades, pour la plupart maussade, perchés à des hauteurs inhumaines, figés derrière une figure inexpressive. Simplement, elle comprenait qu'on n'y soit pas forcément réceptifs. Elle ne leur en voulait pas. Ça s'apprenait. Et puis, probablement que le jour où ils auraient enfin menée leur quête à bien, elle pourrait récolter quelques sourires de leur part.
Un jour, ils seraient des héros.
Ce jour là, ils seraient tous heureux.
Dans sa tête, c'était aussi simple que cela.
Et il ne lui était jamais arrivé d'en douter.
Le forgeron, au contraire, parut heureux de son initiative, et daigna apporter sa pierre à la conversation. Elle n'en était que plus convaincue qu'il serait un apprenti fabuleux.
« Ouais, c'est Kire, mon cadet de deux ans. »
Kire. Brièvement, elle songea que ça lui seyait à merveille. Et puis, elle se pencha, abandonnant l'espace d'un instant l'observation du jeune maître pour caresser la truffe du chien du bout des doigts. C'était un grand chien, sûrement impressionnant en combat, cependant, tout ce qu'Eileen trouva à dire, en lui caressant un peu le dessus de la tête, se casait en quelques phrases.
.
« Bonjour, Kire, je m'appelle Eileen. Bienvenue dans notre petite troupe ! Je suis sûre que toi aussi, tu feras une excellente recrue ! »
Et elle le pensait.
Elle se releva, et se remit à observer Velk. Comme tous les autres membres de l'ordre, et puis aussi comme tous les gens avides de liberté en général, il état plutôt beau, avec ses cheveux noirs noués en queue de cheval, et ses yeux en amande. Elle constata, pour la première fois, qu'il avait les traits très fins. Amusée, elle songea que quelques personnes parfois, particulièrement mal embouchées peut-être, avaient déjà dû le prendre pour une fille. Elle pouffa légèrement, égayée par cette remarque mentale. Cela ne devait pas trop lui plaire, soit-dit en passant. Mais bon, les gens, tout de suite après, devaient forcément remarquer sa carrure de forgeron, alors c'était vite réglé.
« Dis, Eileen. Tu … tu penses vraiment ce que tu as dit tout à l'heure ? »
Elle pencha la tête sur le côté, un peu intriguée. Il avait l'air un peu embarassé. Elle se contenta d'avoir un sourire brillant de malice, et hocha affirmativement la tête.
« Bien sûr que oui ! »
Bien sûr que oui. Elle pensait toujours ce qu'elle disait. Et disait toujours ce qu'elle pensait.
Un petit moment encore, ils discutèrent de choses et d'autres. C'était un jeune homme agréable, avec un avis respectable. Eileen l'admirait, entre autres, pour avoir eu la force de vouloir les rejoindre, et pour cette drôle de relation fusionnelle qu'il semblait entretenir avec son chien. Aussi apprécia-t-elle la discussion. C'était plutôt rafraichissant, différent des moments où ni l'un ni l'autre des apprentis ne pipaient mot, ruminant tous autant leurs idées noires.
Vint le moment où Velk déclara qu'il devait aller se présenter aux autres compagnons. Elle hocha la tête ; c'était juste, et une excellente initiative. Elle lui souhaita bonne chance avec un sourire rayonnant, heureuse de la discussion. Il lui tourna d'abord le dos, puis fit volte face ?
« Tu as un très joli prénom, tu sais. »
Elle rougit, légèrement, rose entre ses tâches de rousseur. C'était adorable. Et c'était d'ailleurs, avec son nom, et sûrement ses cheveux flamboyants, qu'elle ait hérité de ses parents. Heureuse, elle le remercia. Les compliments étaient toujours agréables, que ce soit ceux venant de Sèmil, ou ceux qui paraissaient cachés dans l'ironie de Lifaen, ou ceux encore dans le sourire de Shay. Shay, du même âge qu'elle, d'un merveilleux optimiste à toute épreuve – sauf peut-être à celle de quitter leur foyer à tous ; arrivé en même temps qu'elle. C'était un peu comme son frère.
Satisfaite, elle regarda le nouvel arrivant aller se présenter à Zéjaléa, puis se détourna.
Un instant, elle observa Lifaen, qui avait marché loin du groupe.
Dès qu'elle aurait l'occasion, elle lui en toucherait un mot. Ils étaient tous frères et soeurs d'armes, et s'ils n'avaient pas beaucup communiqué entre eux pendant ce bout de chemin, le voir tout seul l'insupportait. Il aurait pu être, comme les autres, seul dans la foule, mais au moins entouré.
Une fois que le forgeron se fut présenté à tous, ils reprirent la marche. Le nouveau marchait justement devant, ce qui était une bonne initiative pour prouver sa volonté. La panthère à nouveau, isolée, Eileen choisit de marcher aux côtés de leur meneur.
Sèmil était un jeune homme agréable à vivre, et quoi qu'il arrive, elle plaçait en lui une absolue confiance, que ce soit en temps que chef, que combattant ou que bretteur. Elle riait à sa main qui passait dans ses cheveux, souriait De manière toute simple, elle les aimait tous autant qu'ils étaient, comme ça, avec leurs qualités, leurs défauts, et leur n'importe quoi.
A un moment, intriguée par le pas de Velk qui se faisait plus traînant, elle abandonna sur un sourire et une petite phrase d'excuses leur meneur, et s'avança, légère, jusqu'au jeune homme, à côté de son chien. Pour lui faire remarquer sa présence, elle posa doucement sa main sur son épaule, compatissante.
« Ça va, Velk ? » fit-elle, avec un peu d'inquiétude et beaucoup de sollicitude dans la va.
L'intéressé répondit par l'affirmative, cependant, dans l'air distrait de sa voix, il y avait autre chose. Elle ne le croyait pas. Ou alors, à moitié. Forcément, quelque chose le tracassait. Ça se voyait. Il était presque transparent, de ce côté-là. Ce qui n'était pas plus mal, entre tous ces murs qui cachaient les sentiments des apprentis.
« Tu as l'air préoccupé. » insista-t-elle, songeant à la mauvaise humeur avec laquelle l'avait accueilli les compagnons. « C'est à cause de Shay ?
- Non, c'est … autre chose. » fit-il, avec un sourire rassurant, plein de générosité.
Elle hocha la tête, heureuse au moins que ce ne soit pas ça qui le ronge. Shay, naturellement, était rayonnant d'optimisme.
« Ah bon, dans ce cas je n'insiste pas. » répondit-elle, tout de même un peu déçue.
Il y eût un lourd silence abominable entre les deux adolescents. Eileen laissa tout de même le choix de relancer ou non la conversation au jeune homme, se contentant de marcher à côté de lui, patiente. Finalement, il se décida, sur une voix hésitante. Bredouillant un peu dans sa barbe, il demanda si c'était dure de tuer quelqu'un. Elle frissonna, doucement. Drôle de question.
« Dur ? » répéta-t-elle, surprise.
« Ouais … Mentalement, je veux dire …
- Oh, heu … Je crois que oui, la première fois est un moment difficile. » marmonna-t-elle, butant sur le choix des mots. Elle n'aimait pas particulièrement y réfléchir. Tuer, c'était dur, oui. Mais parfois, il le fallait. Triste à dire, mais au fond, il faudrait bien qu'il s'y résigne, lui aussi. Elle avait encore un peu de mal parfois. Elle s'était simplement persuadée que c'était comme ça. Un obstacle, ça se franchit.
Un ennemi, ça se tue.
« Je n'imagine pas une fille comme tuer quelqu'un … Ou même se servir d'une arme. Tu es trop … précieuse pour ça. »
Charmant, il était charmant. Elle rit, amuser de la remarque, et le remerçia, appuyant sa phrase d'un hochement de tête. Forcément, elle n'était pas insensible aux numéros de charme. Et puis, autant s'en faire un ami, vu qu'il était agréable. Ils poursuivirent donc la conversation, causant de tout et de rien, lui profitant de chaque occasion pour la remercier, elle le gratifiant d'un doux sourire, et parfois d'un pouffement de rire. Oui, il était gentil.
Et oui, il ferait définitivement une excellente recrue.
Les yeux brillants, un sourire baignant ses lèvres, les longues heures de marche disparurent, anéanties par l'éclat de sa joie qui faisait la navette entre les deux jeunes hommes.
La nuit tombant, une halte fut finalement annoncée. Ils s'arrêtèrent donc tous. Forfallam, lui, avec son habituelle facilité déconcertante, alluma un grand feu, autour duquel, ils se réunirent. Seuls Shay et Lifaen gardaient un peu de distance, le premier, boudeur, et le second, toujours aussi solitaire. Elle constata également qu'Eldän et Flinn étaient un peu à l'écart, Eldän visiblement pour s'entraîner. Elle soupira, une seconde.
Eileen aurait souhaité les voir tous rassemblés.
Un jour, elle y arriverait. Elle prendrait le temps qu'il faudrait, mais elle y arriverait.
Et puis, de lui-même, Shay décida de les rejoindre. La jeune femme l'accueillit d'un énorme sourire, heureuse qu'il revienne. Il s'assit à côté d'elle, silencieux. Sans mot dire elle non plus, elle se contenta de rester là, prête à le réconforter s'il en avait besoin.
Au bout d'un moment, il se redressa, et sa voix résonna entre les jeunes chevaliers.
« Dites moi, pour vous … Quelle est la justice dans ce monde ? »
Shay et sa justice. C'était véritablement important pour lui. Et c'était une question pertinente, intéressante. En somme, une bonne question. Zéjaléa, elle aussi assise au coin du feu, s'empressa de répondre, un peu confuse, mais avec un désir certain de rassurer leur frère d'armes dans le doute.
« Pour moi, Shay, la Justice, c'est nous, c'est toi qui en y croyant la rend réelle. » conclut la jeune femme. Eileen opina. C'était intéressant.
« Moi je pense que la Justice n'existe pas. Ce n'est qu'un rêve. Beaucoup y croient, mais moi pas. Je ne crois que ce que je vois, et jusqu'à présent, je n'ai jamais vu la Justice faire une seule bonne action dans ce monde pourri. » renchérit rapidement Kaalan.
Cette fois-ci, elle haussa les épaules. Il était libre de croire ou de ne pas croire, ce qu'il voulait, après tout. C'était ça aussi, la justice. Elle se râcla la gorge, cherchant ses mots.
« … La justice, pour moi, c'est par exemple de laisser Kaalan ne pas y croire. La justice, je pense, il faut y croire pour qu'elle existe. Pour l'instant, on l'a perdue de vue, mais elle est sûrement au bout de notre quête. La justice ce serait que tout le monde puisse en profiter. Que tout le monde soit égal. La justice, c'est que les gens qui font du mal soient remis sur le droit chemin. C'est que ceux qui font du bien soient au moins heureux. … C'est complexe, comme idée. Chacun en a sa propre vue, je pense. » pensa-t-elle à haute voix, avant de reprendre. « Mais il faut bien croire en quelque chose. Sois fort de tes opinions, Shay, c'est ça qui fait que tu es toi, que tu pourras arriver à nous retrouver le soleil. Qu'on arrivera tous ensemble à le retrouver. C'est ça aussi la justice je crois. Pour l'instant, elle sommeille, mais elle nous donne quand même la force d'aller la réveiller. »
Elle s'arrêta, peu fière de cette déclaration un peu confuse, mais haussa les épaules, se disant qu'au moins, elle aurait essayé. Rapidement, elle se pencha vers Shay, et lui souffla quelques mots à l'oreille.
« Oublie pas qu'on est tous là pour toi. »
Et puis, elle se redressa, jeta un coup d'oeil à la ronde, avisant un Flinn qui s'apprêtait probablement à exiger ce fameux combat à mains nues à Velk. Elle fit quelques pas en arrière.
Une seconde, elle s'immobilisa, hésitante.
Finalement, elle s'élança, et avala en courant la distance qui séparait Lifaen du camp.
Elle s'arrêta, même pas essoufflée – il ne s'agissait là que d'une bonne centaine de mètres, pas de quoi tuer un homme – et se planta devant le jeune homme, les yeux brillants d'un mélange de détermination et de curiosité intriguée, un sourire lui barrant le visage.
« Tu devrais pas rester seul. » dit-elle seulement, de but en blanc.