L'inconnu penché sur Velk était le plus détestable de tous. Le jeune forgeron aurait aimé l'étrangler jusqu'à lui faire exploser les yeux, mais le petit avertissement qui suivait le fit se raviser.
-Ecoutes moi bien. Je vais te libérer, mais tu vas rester tranquille. Tu dois probablement nous haïr et je vois dans ton regard de la colère. Mais, que ce soit bien claire, à la moindre action contre nous je te tue sans remords. Là tout de suite, tu es ma proie, d’un mouvement je peux achever ta courte et misérable vie. Tu es à ma merci et tu le resteras durant tout le temps où je serai prêt de toi. D’un seul geste je peux te clouer au sol. Je peux t’inoculer des poisons qui te rendront fou de douleurs. Je peux te torturer jusqu’à ce que tu me livres le moindre de tes secrets. Si tu tentes une seule action contre nous, je pourrai disposer de toi comme bon il me semblera et tous les entrainements du monde ne pourront rien pour te sauver. Si tu oses ne serait-ce que toucher à un seul cheveu d’un des membres de l’Ordre tu le regretteras très amèrement. Tu n’as pas intérêt à essayer de t’enfuir, j’ai des yeux partout et je te retrouverai n’importe où, même si tu t’es caché dans le palais du Tyran. Si je dois te tuer car tu as entrepris un acte pour empêcher notre quête ou blesser un de mes camarade, je te ferai souffrir… Pendant les jours à venir, nous allons juger qui tu es et qui tu peux devenir. S’il s’avère que tu es un ami, tu verras que nous allons tous radicalement changer d’attitude et nous rirons de ce moment. Si tu es un ennemi, ta vie s’achèvera… brutalement. J’espère que c’est bien clair.
C'était on ne peut plus explicite, mais tout aussi antipathique. Rire avec un tel personnage ? Par quel moyen ? Il était aussi froid qu'un iceberg. Se relevant, il commença à partir. Velk était sur le point de lui crier de le relâcher, quand les couteaux de lancer revinrent subitement dans ses mains. Quelle humiliation ! Ce type l'avait pris par surprise ! S'il avait eu droit à un combat loyal, il aurait sûrement eu toutes ses chances. Surtout que ce type n'était pas bien costaud, même s'il avait un attirail assez impressionnant. En y réfléchissant, cet homme avait une assurance étonnante. Jamais il n'avait rencontré de type comme lui. Peut-être avait-il plus d'un tour dans son sac...
Velk commença à se relever, mais fut mis à terre par Kire qui l'innonda de coups de langue. Aussitôt pris dans le jeu, le forgeron se jeta sur lui, couvrant son ami de baisers sur les joues, le cou, roulant sur la terre déséchée avec lui. Ils ne supportaient pas d'être séparés. Ils étaient véritablement psycologiquement siamois. Ils auraient pu continuer ce petit jeu de lutte encore longtemps si la fille pâle ne se mit pas à parler. Velk s'assit tranquillement, grattouillant le ventre de Kire qui se roulait paresseusement sur le dos.
-Je serais plutôt de l'avis d'Eileen, selon moi il est bien trop jeune pour être un espion, et au vu de ce qu'il a prit, ses intentions sont louables. Il n'a pas de Pierre de Feu, mais qu'importe vu que nous ne sommes pas des as dans son maniement pour la plupart.
Une Pierre de Feu ?! Velk avait toujours rêvé d'en apprendre le maniement. Apparemment, il devrait apprendre seul, s'il parvenait à en avoir une. Et puis, qui était Eileen ? Serait-ce la rouquine ?
-Néanmoins, Lifaen a raison, continua la fille. La prudence est de mise dans les heures sombres que nous traversons et vu l'ampleur de notre tâche. C'est justement une bonne raison pour avoir un compagnon de plus s'il est sincère. Tu t'appelles Velk, c'est bien ça ? demanda-t-elle en se tournant vers lui. Au vu de ce que tu as apporté, tu as une formation de forgeron et cela ne pourrait que nous servir.
Lifaen, qui cela pouvait-il être encore ? Le jeune plaisantin, ou le sinistre personnage ? Les deux avaient le même avis, alors difficile de deviner. La fille lui adressa un sourire... bizarre. Difficile de dire s'il était forcé ou retenu, ou bien les deux. Mais le message était clair : Elle lui souhaitait la bienvenue.
Décidément, les filles étaient mille fois plus accueillantes que les hommes. Son charme naturel peut-être ? Velk retint un ricannement. Il se sentait mieux à présent.
La fille parla ensuite de la jument qui se trouvait derrière elle et ce à quoi elle pouvait servir. Mais enfin... Même si les chevaux étaient rares, tout le monde savait à quoi cela pouvait servir... Mais apparemment non. Bizarre. Elle ajouta qu'il ne servirait pas à s'amuser... Logique, mais Kaalan avait l'air d'un gamin, il faisait plus jeune que ce qu'il était. Une enfance troublée ? C'était probable, il semblait vouloir prouver sa valeur au reste du groupe.
Un type, d'à peu près son âge, se détacha à son tour de la foule, faisant voler sa cape d'un mouvement du bras.
-Attendez ! clama-t-il d'une voix forte et dure.
Il s'approcha de Velk, d'un regard méprisant. Encore un de ceux qui veulent frapper avant de savoir.
-Alors, vous aller le laisser nous accompagner comme ça ? demanda-t-il. Personnellement je suis contre. Peut-être n'a-t-il rien à voir avec l'Empire, mais je en lui fais pas confiance. Qui vous dit qu'il ne trouvera pas un moyen de tromper notre vigilance. Bien que je doute qu'il puisse t'échapper Lifaen. Cependant, il faut toujours admettre une part d'aléatoire. Et je trouve ça trop dangereux de le laisser nous accompagner.
Jusque là, tout allait bien. Le garçon s'exprimait bien et donnait son avis d'une façon que tout le monde ne serait pas capable de faire. Mais ce qu'il ajouta fit déraper ce bon départ.
-Comprenez moi, nous sommes les derniers, continua-t-il en appuyant le ton sur les deux derniers mots, espoirs d'Andore. La dernière justice qui y règne. Je sais que nous réussirons, j'en suis certain. Mais je n'accepterai la perte d'aucun d'entres vous, comme je ne laisserai personne se mettre sur notre chemin et encore moins attenter à vos vies. Et je crois fermement que vous êtes avec moi ici présent, avez tous été choisi par le destin, pour tirer ce monde des ténèbres. J'ai grandi avec la plupart d'entres vous, je vous connais sur le bout de mes doigts. C'est pourquoi je ne tolèrerai pas qu'un parfait inconnu rejoigne nos rangs. Je m'y oppose même fermement. Qui sait ce qu'il recherche ? Lui seul. Nous n'avons aucun moyen de connaître ses réelles intentions, nous ne le connaissons en rien. Quel est son passé ? Que recherche t-il ? De plus même si il n'avait réellement aucune volonté de nous vendre ou de nous trahir. Il n'a reçu aucun entrainement je ne donnerai pas une épée a un bouffon qui se laisse maîtriser par ses émotions. Et si il faudra le traîner en boulet et risquer nos vies pour lui je dis non. C'est pourquoi je m'oppose fermement à ce qu'il nous rejoigne.
Cette fois Velk bouillonnait de rage. De quel droit se permettait-il de tout gâcher ?!
-J'ai parlé avec mon coeur, libre à vous de me contredire ou pas, termina-t-il.
Personne ne répondit sur le moment. Le forgeron ne put se retenir plus longtemps.
-Et mon poing sur ta gueule, il t'inspire confiance ?! cria Velk en se relevant. Tu veux connaître mon passé ? Pose-moi n'importe quelle question, tu verra que je te répondrai sans aucune hésitation. Je ne sais peut-être pas encore manier une arme, mais je suis capable de te briser la mâchoire d'un unique coup de poing. Tu veux essayer ? Tu es peut-être un Chevalier, un héros, un bon bretteur, mais je ne te permet pas de me traîter de "bouffon" ! Comment étais-tu à ton entrée dans l'Ordre ?! Je te trouve bien prétentieux vois-tu ? Alors que ce soit bien clair : Que vous m'acceptiez ou non, je vous suivrai. Je veux voir le soleil. Soit vous m'acceptez et vous m'avez à l'oeil, soit vous me refusez et ne me voyez que pendant les batailles... Alors, tu t'opposes toujours fermement à mon intégration ? demanda finallement Velk d'un ton provocateur.
Personne ne répondit. Le garçon au regard d'acier dévisageait Velk avec insistance. Il brûlait certainement de décapiter cet inconnu qui ôsait lui tenir tête devant autant de monde. Ca se lisait sur son visage.
Le silence se faisant de plomb, le départ ne mit pas longtemps à se faire annonçer.
Velk marchait en sincro avec Kire. Ils étaient vraiment sur la même longueur d'onde. Ils étaient à l'arrière du groupe, ne voulant pas se mêler à ces sauvages, aussi héroïques soient-ils. Kaalan marchait à quelques mètres sur sa gauche, éloigné du reste du groupe. Le jeune forgeron avait de la compation pour ce jeune, mais préféra le laisser méditer. Il devait se pencher sur ses propres problèmes relationnels pour le moment, s'il voulait l'aider plus tard. Puis le blond se présenta à lui quelques minutes plus tard, lui proposant un duel amical.
-Je préfère pas, tu es blessé et je risque de te faire mal.
-Même blessé, je pourrais te plaquer au sol, rétorqua-t-il avec un sourire en coin.
Velk savait que c'était de la provocation, mais il ne pouvait pas laisser passer ça.
Avec l'énorme sac d'une vingtaine de kilos sur son dos, ça pourrait être difficile. Il donna la corde qui en fermait l'extrémité à Kire, qui se chargerait sans prioblème de le traîner.
Velk dégaina son cimeterre, le prenant maladroitement à deux mains. Il n'avait aucune idée de la façon de s'en servir, alors il se contenterait de frapper de toutes ses forces. Kaalan dégaina sa propre arme, et c'est alors que l'entraînement commença. Impossible de toucher ce petit asticot. Faisait-il vraiment des mouvements trop exagérés ? Il essaya de resserrer ses coups, et réussit à défaire la garde de l'adolescent. L'occasion était à prendre. Il prit son cimeterre de sa main droite, et lui décrocha un crochet du gauche contrôlé, de sorte à ne pas lui casser de dent. Kaalan perdit l'équilibre, et Velk ne put s'empêcher de lançer une réplique vantarde.
-Celui-là c'est ma grand mère qui me l'a appris, gloussa-t-il.
Puis il s'aperçut que le jeune blond n'était plus là. Ses bras furent maîtrisés sans qu'il ne s'y attende. Une dague se retrouva sous sa gorge. Décidément, il détestait vraiment cette manie que tout le monde avait de vouloir l'égorger.
-Un veritable chevalier ne se vante jamais. A cause de quelque chose qui n'était pas nécessaire, tu te retrouves dans une position précaire. Tu dois sûrement me détester à l'heure qu'il est. Mais sache que je t'humilies pour ton bien.
Kaalan se méprennait visiblement sur les sentiments de Velk. Le forgeron ne le haïssait pas, au contraire, il l'aimait bien. Et puis surtout, il apprenait. Bien sûr, il était en colère de s'être fait avoir comme un idiot, mais en colère contre lui même. Il fut libéré, ce qu'il aurait pu faire lui même en forçant un peu sur ses bras, et se remit à l'attaque. Enragé de s'être fait avoir, il donna des coups plus puissants qu'il y a un instant.
Le combat se termina sur une petite victoire de Velk. Il avait paré un des rares coups de Kaalan, avait éloigné son épée de son corps, et l'avait fait tomber d'un violent coup d'épaule. "Maintenant, on est quitte" lui avait-il dit avec un clind d'oeil complice.
Alors qu'il rejoignirent le groupe, le garçon sorti de derrière un rocher tout à l'heure, aux yeux d'un blanc impressionnant, vint à leur rencontre. Ne jetant qu'un bref regard à Velk, il dit à Kaalan :
-Kaalan. Ton erreur à été certe, importante, mais ce n'est vraiment pas une raison pour t'éloigner de nous. On est un groupe. On doit se serrer les coudes. On fait tous d'erreur et même si on sermonne le coupable ensuite, il ne faut pas prendre la mouche et s'écarter. De plus, si ce jeune homme est honnête, il fera une très bonne recrue. Ce qui, au final, pourrait nous être d'un grand service.
Ce type était plus vieux que lui. Peut-être dix neuf, vingt ans. Il s'exprimait d'une façon un peu étrange selon le forgeron. D'une manière encore inconnue pour lui.
-Velk, c'est bien ça ? demanda-t-il en se tournant vers lui.
-Oui, répondit simplement le forgeron.
-Ce que tu as derrière le dos, je me trompe où c'est de la nourriture ? Et de l'eau ? On en avait emporté avec nous mais les réserves sont épuisées.
-Oui, répéta-t-il fermement, n'ayant pas très envie de converser avec lui.
Il sembla méditer quelques secondes sur le comportement renfrogné de Velk.
-Si ta présence s'avère utile et que tu n'es pas un quelquonque voleur ou espion, tu pourras t'intégrer à notre groupe et tu verras que nous ne sommes pas si associaux. Et puis enlève cette grimace de ta bouche et montre une face enjouée. Ce n'est pas en se renfermant qu'on se fait des amis, dit-il avec une profonde sincérité.
Sincérité qui toucha le jeune forgeron. C'était le premier homme, sans compter Kaalan, qui se montrait gentil avec lui. Il n'avait pourtant pas l'air très amical tout à l'heure. Le garçon tendit sa main avec hésitation.
-Eldän, dit-il.
Et en plus, il se présentait... Peut-être Velk était-il sur la mauvaise voie. Peut-être s'était-il trompé sur le compte des Chevaliers. Et puis, quitte à entrer dans l'Ordre, autant se faire des amis. Ses premiers amis... Il serra finallement la main du dit Eldän, non mécontent de sympatiser enfin avec quelqu'un.
Eldän se retourna ensuite, donnant un bref conseil à Kaalan sur son arc, puis repartit vers le groupe.
-Il a sans doute raison, dit Velk à Kaalan. Je vais me présenter officiellement à tout le monde.
Lorsque je te serre la main, c'est une souffrance que j'appréhende. Tu ne sentiras pas le tonnerre de ma haine s'abattre sur ta nuque. Tu ne pourras que pleurer, et saigner. Saigner autant que mon dégoût le désire. Je me délecterai du spectacle macabre de tes chairs broyées sous mon poing vengeur. Personne n'est innocent.