Souffrance.
- Tu sais petit, la vie est dure. Elle ne te fera pas de cadeau car elle est perfide, vicieuse et maligne. La vie te fera souffrir mon bonhomme, elle te fera pleurer, elle te plongera dans le désespoir le plus profond et le plus intense. Et pourtant, tu vas l’aimer. Ah ça oui que tu vas l’aimer ! Car elle est belle la vie, mais piquante. Comme une rose, en fait. Oui, c’est une bonne comparaison ça ! La vie est une rose !
Un éclat de rire, rayon de lumière dans un monde de ténèbres. Des notes qui croulent, qui s’envolent dans un parfait ensemble mélodieux. Un fragment de cristal perdu au milieu d’un océan d’encre opaque. Et puis, le rayon de bonne humeur, une douce fragrance citronnée qui emplie l’air et le cristal qui brille. C’est un éclat intense. Fantabuleusement irréel. C’est l’océan lui-même qui se transforme en un lac d’argent liquide, de lumière intense.
Le monde se résume en un éclat pur et magnifique.
Le monde est un vaste rire.
- Et le pire dans tout ça, mon garçon, c’est que cette rose tu essayeras de l’attraper. Oh que oui tu vas essayer ! Crois ma parole de vieux briscard, tu auras beau t’entailler tes jolies mains et pleurer toutes les larmes de ton pauvre petit corps, tu vas t’avancer encore et encore pour tenter de l’attraper, de la cajoler, de toucher son cœur.
L’éclat qui se ternit. Le marteau de la réalité tombe durement et dans son sillage on peut apercevoir les dernières trainées de rêves absolus. L’éclat qui se brise, le rire qui se meurt. Et le monde avec lui. Tout qui se termine brusquement. La fin des temps qui survient en un souffle, la dure réalité qui brise une fois de plus les rêves d’un enfant. Quelques phrases qui brisent la magie crée par d’autres, des mots qui s’annulent entre eux. Et le monde qui se meurt, qui fane en un instant qui se transforme en un amère souvenir. Le fantôme d’un éclat lumineux qui flotte encore, et le monde noir. Oppressant, sombre.
Puis les larmes, d’amers sillons qui creusent des trainés de feu. Le sanglot qui secoue un monde perdu, une joie éphémère mais enivrante. Les larmes, ce stupide liquide lacrymal ! Et pourtant, ça fait du bien. Ce sont les sentiments qui s’écoulent. Et, s’ils n’éclairent pas cet univers de ténèbres, ils réchauffent au moins le corps glacé de son unique habitant.
Le monde n’est plus que pleurs.
- Mais… Oh petit ! Ne pleure pas ! Non, ne pleure pas ! Tu sais, la vie elle est comme ça, il faut l’accepter. Ne pleure pas, tu auras besoin de ces larmes plus tard. Tu sais la vie, elle est comme une vielle catin. Des jeune hommes avec la bouche en cœur et pleins d’espoirs, elle en a vu des tonnes alors elle ne réagit plus tellement. Mais elle est toujours là, à notre écoute. Alors petit, tout ce que tu peux faire face à ses coups, c’est de te relever et de marcher.
Se relever et marcher ? Facile à dire. Pourtant, le monde n’est plus aussi noir. Il y a. Une petite flamme.
Se relever et marcher ?
Survivre ?
Alors être fort, c’est ça ?
Rester à terre ce. Non. Ce n’est pas une solution. Alors. Il faut… Se lever ? Tout simplement se lever ? Ce monde noir… ce ne serait que la terre sur le visage du terrassé ?
La flamme grandit. Elle devient brasier puis incendie, elle pénètre au plus profond de l’univers. Le sang qui s’enflamme, le cœur qui bât, la respiration sifflante…
Vivre, ce n’est pas survivre.
Alors, la Vérité, c’est ça ? Tout ne tient qu’à une pensée ?
Son monde, il doit le construire lui-même.
« Allez, lève-toi ! »
Froid.
Il faisait froid. Incroyablement froid. Le corps de… Mais, comment s’appelait-il déjà ? Il ne savait plus. Mais. Peut importe. Son corps était gelé. La glace s’enracinait au plus profond de son être, plantant ses insidieuses griffes dans l’âme-même du jeune homme. La seule chose dont il avait conscience, c’était de ces griffures, de sa peau lacérée par d’invisibles instruments de torture. Et par ces plaies ne s’écoulait pas son sang, mais son âme. Son anima suintait de tous les pores de sa peau, cherchant à s’évader de cette prison de chaire et d’os. Sa Vie lui échappait, ses souvenirs, ses sentiments, son caractères… Tous ce qui le définissait s’enfuyait par ses innombrables blessures. Et tout autour, le monde n’était qu’une gangue de glace.
Qui était-il ? Où était-il ? Comment en était-il arrivé là ?
Ces questions l’oppressaient, elle lui vrillait le crâne, défonçant les dernières portes qui le séparait de la folie.
La folie. Encore une notion subjective. Car, tous les hommes ne sont-ils pas fous ? La Raison n’est-elle pas inventée ? Le monde lui-même n’est-il pas qu’un jeune enfant fou ?
Et si.
La Folie était la clé de tout ?
Et si c’était à eux de la créer ?
Et si s’abandonner à soi-même était la solution ?
Mais, y a-t-il seulement une solution ?
Le problème existe-il ?
Le Folie. La Vérité.
Le monde est Fou. Voila la Vérité.
Alors soudain, il a conscience. La Vérité, c’est celle de la Folie.
Et la Folie est subjective.
Donc, la Vérité est subjective. Elle est celle que l’on crée soi-même. Alors, tout lui apparait. Soudain, chaque chose s’illumine, le jeune homme peut distinguer le tout du rien. Mais, le rien est tout. Bien que le tout ne soit pas rien. Le monde lui apparait, cet enchevêtrement de fils minces et flamboyants, la vie des êtres vivants. Il voit les destins qui s’entrecroisent, se lient et se délient, dessinant des motifs d’une complexité insondable. Il voit deux jeunes femmes affairées autour d’un corps anonyme, certainement le sien. Et cela ne lui fait rien. Il a tout perdu de ses souvenirs. Il ne sait plus rien. Il n’est plus que le Tout, l’araignée de cette toile brûlante. Il perçoit absolument chaque chose. Il est omniscient et omnipotent. A cet instant précis, il est Dieu.
Mais, qui est-il ?
« Eh, tu crois que le soleil, c’était le papa des nuages et que quand il pleut, c’est les nuages qui pleurent ? »
Dieu. Il est Dieu. Le tout-puissant. Pourtant, il ne ressent rien, ses sentiments sont partis en même temps que ses souvenirs. Il ne reste que des bribes, des phrases isolées, des prénoms.
Qui est-il ?
Il est à la limite de deux mondes, l’un vers lequel part son âme, l’autre depuis lequel elle vient. Dieu voit, Dieu sait. Un monde pour les morts, un monde pour les vivants. Et entre les deux, une frontière, celle sur laquelle il se tient. Il est Dieu. Il peut tout faire.
Qui est-il ?
Dieu. Dieu. Il est Dieu. Il est le Créateur. Le Salvateur. Le Destructeur. Pourtant, il voit ses souvenirs s’envoler et il se sent attiré, comme un papillon par une flamme. Un dernier vestige de sentiment remonte, un mince effluve de curiosité.
Qui est-il ?
Dieu. Dieu. Le Puissant. Celui-Qui-Sait-Tout.
Qui est-il vraiment ?
Dieu ! Il est DIEU.
Non. Qui ?
DIEU
MAIS QUI EST-IL ?
DIEU. IL EST DIEU LE DÉMENT. DIEU LE PERDU.
QUI EST-IL VRAIMENT ?
DIEU. DIEU. DIEU. DIEU. DIEU. DIEU.
MAIS QUI EST-IL ?
TUEZ-MOIIIIIIIIIIIIIIIIIII.
QUI ?
Alors il s’élance. Il poursuit ses souvenirs. Dans un élan prodigieux il saute la frontière.
Mourir pour savoir.
« Eh, où ils vont, les gens qui meurent ? »
Lifaen atterrit violement sur le sol froid et dur. La douleur se diffuse dans chaque os de son corps, que nerfs. Cette chaleur remplace doucement les serres de glaces qui lui enserraient le cœur et achève de le réveiller totalement. Les yeux encore fermés, il se redresse, tâte le sol atour de lui et découvre avec surprise des pavés. Lentement, le jeune assassin calme les battements de son cœur, force la douleur à refluer. Il tombe dans un état second, proche d’un coma. Doucement, les souvenirs parviennent à lui. Lentement, il retrouve son intégrité, son lui profond. Il ne sait pas vraiment ce qui lui est arrivé, il se souvient juste d’une lumière, d’avoir fait parti d’un tout et puis… la chute. Alors lentement, il ouvre les yeux, car il ne pourra pas se cacher indéfiniment dans les ténèbres réconfortantes de ses paupières.
Il hoquette.
« Eh, elle est où ma maman ? »
Des rues. Des maisons. Des magasins. Une ville. Il est au beau milieu d’une ville. Pourtant, quelque chose cloche. Il n’y a personne. La rue aurait dû être bondée à cette heure, mais pas âme qui vi… Non, cette expression n’était pas adaptée. Car Lifaen ne se faisait pas d’idée, il était mort. Alors… Pas une personne en vue. Par un bruit pour troubler l’inquiétant silence. Pourtant, l’assassin se relève et un sourire confiant s’étire sur ses lèvres et met en valeur pommettes de son visage d’ange. Il est en ville.
Il est sur son terrain de jeu.
Il pleut.
Les nuages vomissent leur dégout pour ce… simulacre de monde à grands torrents. C’est une véritable tempête miniature, impressionnante et farouche. Le Zéphyr se rebelle, la pluie se met à fouetter tout ce qu’elle touche et tombe avec fracas sur les pavés. Et, au milieu des éléments, Lifaen court. Il court, impressionnante explosion de puissance et de fluidité. Il court comme un prédateur qui fonderait sur sa proie. Il est panthère. La ville est vide. Désespérément vide. Et pourtant, le jeune homme court, s’accrochant à un espoir tenu et futile. Et, alors qu’il court, ses souvenirs émergent doucement. Le passé prend le pas sur le présent.
« Eh, pourquoi j’ai pas le droit d’avoir des amis ? »
« Eh, Ellun’dril, tu penses que y a des panthères à Andore ? »
Un éclair, une bourrasque et la pluie qui martèle le sol avec fureur, voilà tout l’univers du petit garçon.
Il court, frêle silhouette contre les éléments, petite feuille prise dans la tempête. Il pleure aussi, de grosses larmes qui coulent sur son visage plein des rondeurs de la jeune enfance, des larmes qui creusent ce minois si naïf et innocent, des larmes qui le souillent à jamais.
Il court, le petit Lifaen, il fuit. Il ne veut plus, il en a marre de sa vie, marre de tuer, marre de se battre, marre de ses conditions, il a à peine six ans.
Tout ce qu’il veut, c’est le bonheur. Il voudrait être heureux comme tous les autres, comme cette jolie fille rousse qu’il a aperçue alors qu’il s’infiltrait dans un château pour en tuer un modeste serviteur.
Pourtant, tout ce qu’il a, c’est la peur. Alors il fuit, il veut partir vers des horizons lointains. Il veut entamer un grand voyage, en vie ou non.
Le vide. Le vide devant lui, le petit enfant perdu dans le noir. Il y est. C’est là qu’il pourra faire le premier pas de son nouveau voyage. Alors il s’avance. Six ans, c’est tôt pour mourir.
Mais, le petit Lifaen a toujours été précoce, de toute manière. Alors il court.
Un bras. Une poigne de fer qui retient son frêle corps enfantin. Le petit garçon se retourne et plante sa sylve dans le regarde d’Ellun’dril. Son maître.
Une larme coule, suivit de toute ses sœurs, et pourtant le petit bonhomme sourit.
Il est venu.
Le choc, une fois de plus. La douleur qui tire Lifaen de ses souvenirs. Il a… trébuché. Tout simplement. Comme lorsqu’il était ce petit garçon. Il est seul.
Désespérément seul.
Une première larme coule, tombe comme au ralenti, émet un doux "plic" qui résonne par-dessus le vacarme de l’averse. Une deuxième roule tout aussi timidement, osant à peine se montrer à ce monde hostile. Puis une troisième qui dévale la pente de ses joues, traçant un sillon enflammé. Enfin, une quatrième, une cinquième, une sixième, une septième, une… De plus en plus s’enhardissent, quittent la sylve du regard de Lifaen pour vivre une courte existence. Il pleure Lifaen, sans retenue maintenant. Un long sanglot le déchire en deux, en cet instant, il est redevenu un petit garçon. Sa solitude lui pèse, une fois de plus. Tout ce qu’il voudrait, ce serait d’avoir pu être un tant soi peu normal durant son enfance. Il pleure, toutes ses années perdues, cette innocence qu’il n’a jamais eue… Il pleure, Lifaen.
Et puis, tout bascule soudainement.
« Eh, tu penses que si je fais un joli dessin à une fille, elle m’embrassera ? »
Le monde se met à tournoyer, de plus en plus vite, de plus en plus follement. Les bâtiments fondent, le sol change brutalement de texture. L’assassin semble être pris dans une tempête d’une violence rare.
Arrêt sur image.
« Eh, pourquoi l’empereur il est méchant ? »
Lifaen est un dans un gigantesque champ. Le blé, d’une couleur étrangement grisâtre, s’étend à perte de vue et rien ne vient troubler cette régularité. A une exception prête. Quelques mètres devant Lifaen, un gigantesque Saule Pleureur s’élève. A son pied, une silhouette encapuchonnée, vêtue d’une longue robe noire et portant une gigantesque faux. Le jeune homme dégluti se doutant se qui il s’agit.
Avec un air faussement calme, l’assassin s’approche de la mort. Celle-ci redresse son visage et, bien qu’on ne puisse distinguer aucune partie de con corps, une fois en face d’elle, il s’immobilise, avant de se mettre soudainement à genoux. Puis, une voix d’outre-tombe s’élève, tranchant avec le silence.
- Allons allons, Lifaen mon, enfant, que fais-tu ici ?
Un choc ébranle l’assassin qui ne parvient plus à bouger. La voix s’élève de nouveau.
- Ta place n’est pas parmi nous Lifaen ! Lève-toi !
Un feu intérieur envahit Lifaen, ses sens implosent, du feu liquide se répand dans ses veines. Dans le monde des morts, un incendie de flammes écarlates vient lécher les vêtements de l’assassin, toujours prostré au sol, comme vomi par le jeune homme lui-même.
- Lève-toi ! Bat-toi !
Puis, un parfum s’impose, interrompant tout le reste.
Une odeur musquée et légèrement citronnée.
La senteur d’Eileen…
« Lève-toi ! »
Les flammes l’entourent.
« Bat-toi ! »
Elles se rapprochent, brûlent Lifaen.
« Lève-toi ! »
Il est prêt.
« Bat-toi ! »
Il le fera.
« Ellun'dril, un jour, je te surpasserai. »
« LEVE-TOI ! »
Il s’est jeté dans les flammes, il faut qu’il se lave avec.
« BAT-TOI ! »
Inspiration.
Lifaen ouvre les yeux.