Andore - Prologue

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08-12-2011 à 22:40:09
Inspiration, expiration.
Léger souffle qui s’échappe, frémissement d’un torse et vie qui s’engouffre. Brasier étincelant, vie qui illumine. Et toujours ce souffle, ce léger filet d’air, ce minuscule mouvement désespéré pour se raccrocher à la vie. Mort qui menace, aux aguets et prête à frapper. Mais une mère peut-elle seulement menacer son enfant ? Cette mort qui est à l’affut, est-ce pour protéger ? Des questions, des questions et encore des questions, toujours des questions. La vie n’est en elle-même qu’une immense question, un "pourquoi" sans réponse. La vie, attrayante et perfide, tentatrice et vicieuse, une cruelle amie, tantôt amante tantôt ennemie. La vie à laquelle on s’accroche pourtant, chose la plus sacrée en ce monde corrompu et vil. Histoire dantesque de la vie, fabuleuse aventure avec toujours la même finalité
La mort.
Mort aux charmes de succubes, aux caresses prometteuses d’une délivrance à la torture perpétuelle de la vie. Mort dont personne n’est jamais revenue, même si cela n’était plus vrai à présent. Lifaen était mort puis il avait ressuscité, juste comme ça, tel un gisant qu’on aurait découvert simplement endormit. Il savait que certaines religions que les stupides Hommes chérissaient se basaient sur des hypothèses et des contes de résurrection et d’intervention divine. Devait-on pour autant vouer un culte à Lifaen ? Idée ridicule, extravagante de stupidité. Lifaen était ombre, panthère, prédateur nocturne. Et il tenait à le rester. La seule idée qu’on puisse l’élever pour diriger des personnes lui donnait la nausée, il se sentait maladif de toute cette stupidité humaine.
Les dieux ne sont que les amis imaginaires de plusieurs milliers de personnes, un délire commun à la foule. Mais, la foule a toujours raison, non ? Logique implacable que celle du monde. Les gens sont des moutons, ils avancent tous dans le même sens, sans aucun individualisme et courage de se détacher. Alors forcément, lorsqu’un chien se détache du troupeau il se place à sa tête. Qui était le chien du monde actuel ? L’empereur, bien évidemment. Un chien certes galeux mais bougrement efficace pour mener à la baguette les moutons. Et lui qui était-il ? Une réponse s’imposait naturellement, il était le loup. Quoique… Non, il n’était pas le loup, cet honneur revenait à Flinn. Qui de mieux que lui pour incarner le loup ? Lui, il était panthère, encore et toujours. Panthère qui rime avec solitaire.
Panthère qui rime avec désespère.
Solitude cruelle que celle de Lifaen, morsure brûlante et poison insidieux. Solitude qui est pourtant quotidienne, comme une vieille cicatrice à laquelle on ne fait plus attention jusqu’à ce qu’elle se rouvre. Solitude détestée, haïe et pourtant indissociable. Être spectateur chaque jour de cette union entre les membres de l’Ordre sans jamais pouvoir faire autre chose que de jalouser. Torture sublime infligée par cette pernicieuse vie.
La vie est un combat, mais doit-il nécessairement être seul ? Lifaen pouvait affirmer que non, il ne comprenait que trop bien ce à quoi il ne pouvait accéder.
La vie est aussi une épreuve à endurer à plusieurs. L’Ordre est un beau reflet de cela, tous si soudés face à un même ennemi… Mais d’ailleurs, ne se trompent-il pas d’adversaire ? Là n’est pas la question. La vie est un combat, et les apprentis Chevalier du Feu lui faisaient face ensemble. Lifaen ne pouvait que les observer avec envie, lui, la panthère parmi les lions. L’Ordre était une famille, une puissante entité capable de faire face à chacune des embûches parsemant sa route.
L’Ordre était uni.
L’Ordre était fort.
Troisième inspiration. Lifaen vit.
Il se bat.
Et l’Odre, c’est aussi autre chose.
Ils sont…

L’espoir.

11-12-2011 à 22:40:59
hrp - pardon, je vous aime, je n'aurai pas dû écrire ça ce soir, pas avec la migraine, mais. C'est fait. même pas relu, même pas fameux, même pas structuré, même pas balèze. (bonjour moi je régresse) ;;

Ses propres mots résonnaient à l'infini dans son esprit : tu dois juste ne pas mourir ; personne ne doit crever cette nuit, jamais, personne ; il faut qu'on arrive tous entiers ; écoute-moi, toi, là, allongé, par terre, regarde-moi, dis-moi que tu vas t'opposer à ça, hurle-moi que non, c'est la fin ; ça ne peut pas, je ne veux pas, on ne peut pas, ce ne sera pas la fin, ni ce soir, ni jamais. La question restait : y croyait-elle encore, à ces fariboles dont elle semblait se remplir l'esprit ; aurait-elle encore l'audace de dire que ce n'en était pas, que c'était juste l'énorme vérité ? Il faudrait bien que oui, que rien ne s'en aille dans les flammes : pas une conviction ne devait quitter son esprit, alors, elle s'accrochait à n'importe quoi, une bribe de mélodie, un rêve, tout, sauf … ça.
Sauf la mort, qui puait, agglutinée sur son corps, sauf l'agonie, que sa main sur l'épaule du jeune homme avait faussement chassée une toute petite, beaucoup, beaucoup trop infime fraction de seconde. Elle ignora la douleur qui montait placide de sa jambe, le sang poisseux qui se collait au tissu plaqué contre ses bras, et l'odeur de brûlé suffocante qui lui filait un peu trop fort au nez. Il n'y eut plus qu'un regard émeraude planté dans le sien, que des mots dissimulés dont elle ne voulait pas, pas maintenant alors que même lui n'y croyait plus, que de l'espoir essoufflé, que sa main qui lâchait mal gré l'épaule du mourant, que du sang qui se répandait sur le sol.

Et la caresse plus ardente encore, que la morsure d'une nature en flammes, sa main qui glissait le long de sa joue.

Des mots, qui le tuaient, dont il persistait pourtant à se parer.
Un jour, elle lui dirait de se taire. Un jour ; machinalement, l'espoir revenait à l'assaut, toujours plus fier, toujours moins approprié ; au moins, il était là, lui, il n'était pas en train de se laisser mourir sous les yeux de quelqu'un qui n'avait rien demandé, sauf le contraire.
Il restait les mots, ah, et lesquels donc.

— S’il. S’il te plaît. Ne. Ne me mets pas. près. D’un feu ou d'une flamme. Jamais. Et. Aussi. Mes. Mes armes. Ne les laisse. Pas. Là. S’il. S’il te plaît… Promets-le-moi.

Bien sûr, tout ce que tu voudras, pensa-t-elle en premier ; pas même, n'importe quoi, qu'est-ce que tu racontes, tu délires, c'est cela, pas non plus pourquoi, pourquoi je ferais ça. Non. Elle acquiesça, lentement, tâchant d'y mettre le soupçon de conviction qui lui restait encore – il fallait dire ce qu'il en était, la jeune femme était choquée ; certes, elle en perdait de sa flamboyance, pour le moment, mais sur l'instant … ils mourraient ; tout le monde partait. Le temps qu'elle se repeigne un faible sourire, le corps du jeune homme s'était abattu sur le sol, sans bruit, et le mourant se laissa glisser …

… Non. Non, non, non, non, non, non. Non. Non ? …

Elle hurla. Le reste de ses forces y passa, sur ses cordes vocales, imprimant le pli douloureux sur ses tympans encore vrombissants du fracas de la bataille et de la torpeur du sang qui s'écoule. Il faudrait qu'on lui dise, qu'on lui explique, pourquoi son cœur s'affolait tellement, puis se calmait tant, pourquoi ses lèvres avaient le goût de la nausée, pourquoi un hoquet remonta de ses entrailles, pourquoi elle ne put empêcher les larmes, une fois encore, de s'arracher à ses yeux irrités, et pourquoi plus elle criait, plus elle avait envie de hurler.

Et elle était loin. Loin des doutes, des remords, des douleurs, des tristesses encore, des mauvais rêves, des flammes qui mangent, dévorent, très loin des souvenirs d'enfance douloureuse, des espoirs, des guérisons, des bonnes volontés, loin des nouveaux amis, et du deuil oppressant. Ni champ de bataille ni compagnons d'armes à l'agonie près d'elle. Elle hurla encore un peu plus fort.
Elle était loin, juste là, à l'endroit où la mort venait de lui enlever ce qu'elle n'aurait jamais imaginé perdre.

Machinalement, elle s'était levée, fantomatique, et s'était baissée pour ramasser les armes. Les derniers mots du- derniers ? Hors de question. Quelqu'un allait arriver. Il le fallait. S'il vous plaît …
Douloureux dans sa bouche sèche, un cri tenta à nouveau de passer ses lèvres ; elle le retint : l'espoir ne meurt jamais, répétèrent les voix de ses amis, dans le néant de ses pensées, souvenirs confus de ce début de soirée où le monde n'avait pas encore si mal tourné. L'espoir ne meurt jamais … Si l'on y croit.
Et la foi lui revint, tout d'un coup, portée dans une respiration affolée, dans le bruissement d'une course, dans une main, aussi, qui se voulait peut-être rassurante, posée sur son épaule, dans une voix enfin.

— Eileen, est-ce que ça va ? Tu n'es pas blessée ? Que s'est-il passé ? Vous étiez ensemble ?

Il s'était tout simplement passé que l'horreur était venue écraser son espérance comme la forêt se réduisait en cendres, et l'horreur, il ne fallait pas croire, elle se devinait aussi sur le visage de la jeune brune, dans l'inquiétude dans ses yeux, et dans l'odeur âcre d'agonie que transpirait son corps entier. La rouquine eût une pensée brève pour tous ces gens qu'elle avait vus se perdre dans les ombres … Mourir … Physiquement, elle allait bien. Autrement, c'était un peu moins le cas.
— Je vais bien, mais Lifaen … Il m'a dit de prendre ses dagues … Je viens juste de le trouver … Zejaléa …

Entre temps, sur ses joues, les larmes s'étaient taries, pourtant au bord de ses yeux, elles s'agglutinaient, menaçant à tout instant de rouler à nouveau le long de ses joues mutilées. Son regard suppliait à sa place. Sauve-le, sauve-le, sauve-le, s'il te plaît. La jeune femme gardait espoir, en son amie et uniquement en elle. Elle s'écarta, lentement, tâchant de ne pas gêner la jeune apprentie dans son funeste travail.
Sans s'en rendre compte, elle serra un peu plus fort les dagues du garçon dans ses doigts fins ; pour l'instant, c'était tout ce qu'il lui restait de lui … hors son corps inanimé, plaqué contre la terre dure. Au fond d'elle, il restait cette idée qu'elle ne l'avait toujours pas perdu, qu'il reviendrait. Elle s'accrochait à cette idée, à cette trace de ses doigts encore brûlante sur sa joue, à ce dernier regard, et, de ce fait, gardait un peu de sa beauté joyeuse.
Juste un soupçon. Pour lui, et pour Zéjaléa, penchée sur son corps.

Ses yeux saisirent brièvement les contours connus d'une de ces pierres héritées de leurs maîtres, qui, à l'heure qu'il est, devaient tous être morts sous les débris de la citadelle écroulée. Ce ne fut qu'une pensée de plus à ajouter à la tristesse qui lui meurtrissait le crâne ; au lieu de cela, elle s'en servit pour rebondir. Pour empêcher la guérisseuse d'utiliser le meilleur moyen pour ramener l'assassin à la vie.
Il ne voulait pas.

— Non ! Pas le Feu … S'il te plaît …

Perdue dans son tourbillon d'émotions, elle ne s'était pas demandé pourquoi. Peut-être … Le grand chevalier aurait-il peur des flammes ? C'était donc pour cela qu'il s'éloignait, ne daignant pas rester avec eux dans la moiteur tiède de la franche camaraderie. Cette demi-confirmation rassura quelque chose au fond d'elle, ce quelque chose qui embrasait son cœur à la rencontre vivace des prunelles émeraudes du jeune homme. Eileen avait toujours aimé ses yeux.
Elle voulait les voir à nouveau s'ouvrir.

… Ils s'ouvriraient – l'espoir ne meurt jamais ; il pouvait toujours naître, ceci étant. Alors, ils s'ouvriraient, et elle y mettrait de l'espérance.

Cela ne suffisait en vérité guère qu'à faire tenir une espèce de sourire absent sur son visage en chantier, vague instinct de survie. Alors, le corps tendu, la voix tremblante, plus pâle encore que la Lune, qui couvait, pérenne, le massacre, elle voulut aider. Aider la pauvre jeune femme sur laquelle, semblait-il, tant de vies reposaient.

— Zejaléa, laisse-moi t'aider de n'importe quelle façon … Et dis-moi … Sèmil, je l'ai vu tomber, s'il te plaît, dis-moi qu'il n'est pas mort, réponds-moi …

Et son cœur priait, dis-moi, qu'ils ne sont pas tous morts, dis-moi que je pourrai encore voir Sèmil rêver, s'efforcer de tous nous sortir de nos gueules d'enterrement, dis-moi qu'Ezraël n'est pas mort dans ses flammes, dis-moi que je verrai encore Arl regarder s'envoler son geai bleu, dis-moi qu'ils sont là, tous, dis-moi que ces inconnus ne sont pas morts pour nous.

Personne ne devait perdre personne.
Ils devaient vivre.

— Sèmil est en sécurité dans la grotte, je l'ai soigné de mon mieux, mais il est très faible … S'il passe la nuit il est sauvé. S'il passe la nuit. Pour le moment, tu ne peux pas m'aider, mais promis, je te demanderais de l'aide dès que je le pourrais, je te le promets.

Il faudrait vraiment qu'elle songe à remercier la jeune femme pour tout ce qu'elle faisait pour elle, pour lui, pour tout ce qu'elle avait dû réaliser cette nuit pour s'occuper d'eux tous. De peur de la déranger, elle mit cette idée de côté et se promit d'y penser plus tard, quand une accalmie aurait eu pitié d'eux.
Elle croyait encore.

C'était là le plus beau cadeau qu'elle puisse faire à quiconque. Des cendres, doucement mais sûrement, naissait à nouveau son optimisme, sans se presser pour ne pas la brusquer, elle, déjà choquée, avec tout ce mal qu'elle aurait à remettre de l'ordre dans son cœur.

Elle regarda sa sœur d'armes faire de son mieux, sans comprendre ni savoir, tressaillit lorsqu'elle la vit vaciller, perdre contenance.
Elle devait vivre, elle aussi. Pas pour les sauver, non. Parce qu'elle était une personne admirable. Vivre.
Eileen … Si tu veux m'aider, aider Lifaen, fais ce que j'ai fait … Donne-lui ton sang. Je ferai en sorte qu'il l'avale … Si tu veux … Le sauver …

La question ne se posait même pas : elle voulait. Elle hocha la tête, et s'avança, précautionneuse, vers le corps étendu. Luisante dans la lueur argentée, la lame fine glissa sur son poignet, lui extirpant une grimace. Et le sang se mit à couler.

Le souffle reprit.
… Enfin ! Oui. Du souffle. De l'air dans ses poumons. De la vie dans son corps.
Son sourire se fit un peu plus brillant.

— Je n'en peux plus Eileen, je vais veiller Lifaen, aurais-tu la force d'aller chercher les autres ? Si tu pars vers la grotte, tu les trouveras vite, demande de l'aide pour transporter Lifaen à ceux qui sont le mieux en point. Et merci … S'il doit la vie à quelqu'un, c'est certainement à toi. D'ailleurs … Évite de parler de la façon précise dont nous l'avons sauvé aux autres … C'était un secret, mais j'ai suffisamment confiance en toi. Merci pour ton aide si précieuse Eileen, et merci d'être ce que tu es …

La lumière se fit sur son visage, comme dans son cœur, et sur les événements qui venaient de se dérouler.
La flamboyante rouquine, sourire aux lèvres, plus vrai, plus ardent, comme simple réponse, hocha la tête à nouveau. Elle se promit de rétorquer plus tard, que non, c'était à elle qu'il fallait dire merci. Elle n'avait que plus de respect pour Zéjaléa.

Elle partit.
La première personne qu'elle croisa fut Eldän, qui avait l'air préservé – elle savait cependant, qu'il faudrait peut-être creuser un peu plus pour deviner les véritables séquelles qu'avait laissées le massacre sur le garçon. Peut-être – sûrement - lui aussi avait-il quelque chose sur le cœur.

Elle lui sourit. Peut-être un peu durement, mais … elle n'avait pas le temps.

Brève tirade.

— J'ai besoin d'aide pour transporter Lifaen. Tu es en bon état, tu peux m'aider. Avant que tu poses la question, non, il n'est pas mort mais gravement blessé et Zéjaléa la soigner et veille sur lui, il n'est pas encore sauvé. Il faut le ramener à la grotte et vite !

Réagissant au quart de tour, l'adolescent la suivit sur le chemin pour trouver leurs deux compagnons d'armes. Il avait ce mérite que de ne pas poser de question.
Ils s'arrêtèrent une seconde avant de grimper. Elle devina une question silencieuse, et s'empressa d'y répondre.

Étonnement, cette fois-ci prononcé.

— Il l'a fait, en tout cas, et la seule chose qu'on peut faire pour l'instant pour le remercier, c'est de le sauver.

Elle oublia par la suite, un court moment qui ne fut que marche vers la grotte au foyer éteint.

Et, là-bas, elle retrouva son espoir. Véritablement.
Qui prit un coup en redécouvrant que Genghis était mort.

Elle s'était assise près du corps de l'assassin encore endormi. Elle entendit cependant Sèmil faire de son mieux pour rassurer Ezraël, qui partit ensuite veiller l'entrée de leur petit abri. Vaguement, elle perçut également une inconnue qui se présentait. Elle irait lui souhaiter la bienvenue plus tard.
Plus tard …

Ils étaient tous formidables.

Un cri. Elle se retourna, une seconde : cauchemar, heureusement, fini.

Il ne lui semblait pas qu'il n'y ait plus d'un deuil à supporter pour les compagnons. Elle se promit qu'ensemble, ils porteraient fièrement la mémoire du défunt. Ils mèneraient à bien leur mission.
C'était sûr.
Ils réussiraient.
… Et.
Est-ce qu'elle avait rêvé ?

La vie. La vie lui revenait. Son sourire se fit immense.
Son cœur réagit plus vite que tout le reste, se mit à battre la chamade. Elle glissa un doigt le long de la joue de son revenant.

Doux murmure.

— Lifaen ?

15-12-2011 à 21:13:42
Papillonnements d'une conscience confuse. La chose est là, belle, présente. Ô combien exotique et ô combien étrange. Les senteurs se mêlent, s'écartent pour mieux se retrouver ; c'est un tourbillon sans fin d'émotions qui s'étiolent pourtant, une gigue dansée par un esprit farceur. La chaleur l'enveloppe, le dorlote, l'étouffe presque dans une suave caresse. Il fait bon. Il est bien.
Retour à la réalité.
Douche froide dans un désert aride.

Frimain se réveille, et avec lui tout ses souvenirs. Des flashs de sensations. Violents. Qui font mal. Créés par une conscience qui les a voulus ainsi. Pourquoi s'être réveillé ? Pourquoi ? Le monde des rêves ne lui suffit-il pas ? Pourquoi ? Il s'interroge au plus profond de son être, il tente d'étouffer se désir insidieux de replonger, replonger dans un paradis utopique.

- Frimain.
C'est un appel vers la réalité, une corde à laquelle il aimerait s'accrocher. Mais il ne peut pas. Il ne peut pas... Frimain ? C'est un nom ça ? Et l'homme ? Il ressasse à toutes vitesse les derniers instants de son existence ; quelque chose s'agite dans son esprit.
-On va retrouver les autres ou quoi ?
Les autres... Qui sont les autres ? Sèmil ? Ezraël ? Genghis ? Genghis ? Ezraël ? C'est un défilement sans fin de senteurs qui le frappe, ouvre en lui une brèche profonde. Ezraël ?
Il faut il y aller. Poursuivre son chemin. Ne pas baisser les bras. Ne pas sombrer. Faire face au désespoir. Inévitablement.

-Oui.
C'est un petit oui. Un mot. Bien moins assuré qu'il ne l'aurait souhaité ; pourtant, la conviction est là. Cela ne pourrait-il pas suffire ? Une conviction sans borne. Le jeune adulte se lève, fait face à cette homme. Ce jeune homme plutôt, bien qu'il soit un poil plus grand que notre aveugle.
- Un gamin. Seize ? Dix-sept ? C'est trop tôt... Il faut profiter de la vie avant qu'il ne soit trop tard, ajoute t-il avant de frapper dans ses mains, prenant note de la carrure de son adversaire dans le même temps. Et bien nourri avec ça.
Sa mine se fait triste, mais son sourire reste, empreint d'une rage mêlée d'impuissance.
- Mais bon. Il en est ainsi non ? Tu survivras. Tu en reviendras grandi. Car comme on le dit si bien : l'espoir ne meurt jamais. Et merci en fait ; tu as du en sauver quelques-uns durant la... bataille.
Surpris de sa soudaine véhémence, qui ne lui est pas coutumière, il semble s'excuser, dans d'un pied sur l'autre dans ses habits sales, couverts de sang et d'autres choses non-identifiables. De sang... Et il parle de cela avec une telle indifférence. Le sang... Le liquide vital indispensable à tout être vivant.. étalé là, si proche. Est-ce normal ?
Il maugrée dans une barbe inexistante, prend conscience de la douleur qui lui dévore le pied, toujours aussi omniprésente, bien que légèrement atténuée. Sans jeter un coup d'oeil significatif vers le dénommé Velk, chose que les voyants apprécient énormément, il se traîne, pas après pas vers ce qui lui semble être la bonne direction. L'homme et son chien restent immobiles ; et il faut alors un geste de Frimain pour que ces derniers l'accompagnent. Proches, très proches. Et cette proximité se fait plus grande encore à mesure que la grotte se profile.
Velk a peur. Velk craint les autres. Il ne le montre pas, mais cela se ressent, se glisse au plus profond de Frimain : ce dernier le sent ; il en est sûr. La grotte alors se révèle à eux.

Ils sont tous là, ou presque ; leurs visages est fermés, leurs paupières lourdes. Aucun ne parle, aucun ne rit, tous se taisent après la chose, après l'évènement. Après la bataille. Lifaen est allongé au sol, pour peu que puisse en juger Frimain. Au-dessus de lui se tient une personne... Une femme il lui semble ; ses sens sont brouillés, atténués ; et il s'en fiche un peu. Beaucoup.

- Il s'appelle Velk.

For Vita, For the Freedom : http://www.youtube.com/v/dZLcBLmph3Q
21-12-2011 à 01:31:45
Sèmil fixa la jeune fille, emporté par la beauté singulière de ses pupilles dorés.
Une fois de plus, il détailla son visage, et son cœur se serra. Il n'était pas émacié, mais ses os fins ressortaient à travers sa peau sombre. Elle devait être aussi affamée qu'épuisée... Et pourtant, ses yeux chatoyaient, flammes rondes et immobiles dans l'obscurité de la caverne. Ils allumaient ses joues, ses lèvres, sa chevelure argenté... Animaient cette petite chose charbonneuse à l'air fragile et à l'expression troublante, dont Sèmil n'arrivait pas à déterminer si c'était de la peur ou de la tristesse.
Cela le troublait. Il décelait une force étrange et endormie dans ces yeux, comme une braise qui attendait d'être attisée, éteinte au milieu de ce brasier doré ; une flamme qui semblait trop timide pour s'élever au milieu des autres. Elle se terrait donc entre eux, minuscule, imperceptible... Étoile qui avait glissée du ciel jusque dans cette fournaise.
Il s'arracha à cette songerie malvenue, craignant trop de se laisser aller et de retomber dans le sommeil- et ce n'était de toute manière pas le moment de rêvasser. Il avait trop à faire avant de pouvoir se reposer, trop de choses à dire et d'amis à attendre, trop de soutient à apporter et trop, beaucoup trop d'horreurs à effacer de leur mémoire à tous. Bien sûr, cela ne se ferait pas en une nuit, mais mieux valait tenter dés maintenant de réinstauré un climat de sécurité dans le groupe. Après ces heures sombres, plus aucun d'entre eux n'aurait confiance en l'avenir ; ils voyageraient dans la crainte et le doute, poursuivis par l'écho funèbre de ce départ sanglant, hantés par des images de mort et de douleur. Or, ils ne pouvaient espérer la moindre chance de victoire si de pareils sentiments devenaient leur lot quotidien... Il fallait éviter à tout prix que leur ardeur ne s'éteigne. Le groupe ne s'en remettrait pas. Andore ne s'en remettrait pas.
Sèmil fut gagné un instant par le découragement. Son sourire se ternit, et ses yeux se firent vagues. En fixant Regan, il voyait plus qu'une jeune fille désormais. Il voyait toutes les autres victimes de l'Empereur, ces vies faibles qui pâlissaient chaque jour un peu plus alors que les cieux restaient désespérément noirs, les écrasant de leur poids. Devant lui, s'était le visage de cent, non, de mille ; de centaines de milliards de personnes qui se levait pour l'observer, attendant qu'ils réussissent cette quête dont tous savaient qu'elle était vouée à l'échec. Et pourtant, il restait de l'espoir. Dans les yeux dorés d'une jeune fille, et peut être, tout au fond de son propre cœur, caché sous toute cette cendre qui était née de sa tristesse et de sa colère. Il avait consumé beaucoup d'énergie, pour ne finalement en arriver qu'ici, à se perdre dans le regard d'une étrangère à la peau d'ébène, ruminant des pensées trop sombres pour l'aider en quoi que ce soit. C'était ridicule. Il aurait dût faire preuve d'un peu de courage, plutôt que de retourner sans cesse au point de départ, à ce morfondre sans avancer... Il y'avait tant à faire... Encore tant...
Il détailla une fois de plus le visage trop maigre de la jeune fille.
C'était pour ça qu'il devait redresser le dos et carrer les épaules. C'était pour ça qu'il devait laisser toute cette douleur derrière lui. C'était pour elle, dont le corps frêle parlait pour tout les autres... C'était pour ça qu'il devait se battre. Pour eux tous.
Sèmil plongea plus profondément ses yeux dans ceux de Regan. Il pouvait déjà commencer par la réconforter elle. Il verrait ensuite pour le reste, une fois que ce serait fait. C'était un bon début, non ? D'abord protéger les plus faibles, puis relever les forts ensuite. Il n'allait abandonner personne ; pas même une inconnue. Il était à son service autant qu'à celui de tous les autres Andoriens. Il était chevalier, et pour cela, ses états d'âmes passaient après la sécurité et le bien être des autres. C'était son devoir. Et au fond... Il préférait cela. Dans cette conviction là, il pouvait trouver le force de se redresser tout de suite, maintenant qu'on avait besoin de lui, sans attendre de se remettre de la perte de Genghis. Il n'avait pas le choix.
De plus, une fois un nom mis sur ce triste visage, il saurait détendre la jeune fille.
Mais avant qu'elle ait pu répondre, un bruit de botte résonna dans la caverne silencieuse, où ne s'était plus fait entendre que le crépitement des flammes. Sèmil se retourna, et il découvrit Flinn accroupis près du feu. Il rendait hommage à Genghis. Le doyen se crut sur le point de craquer, de s'effondrer par terre et d'éclater en sanglot, de se vider enfin de ses larmes et de son sang sur le sol pour ne plus se relever. S'était trop. Il ne pouvait pas supporter cette vision là. Il ne pouvait supporter la vue de ce corps froid et pâle au dessus duquel un compagnon marmonnait. Comment aurait-il pu en être autrement ? Accepter la mort de cet ami, l'honorer alors qu'il n'entendrait pas ces paroles répétées tant de fois par d'autres personnes, pour d'autres cadavres, en d'autres lieux... Il refusait de faire cela si tôt, de précipiter les choses. Ce n'était pas le moment, ce n'était pas possible, ce n'était... Que du bon sens. Sèmil jeta un regard douloureux au corps de Genghis. Quand il releva les yeux vers Flinn, qui s'approchait de lui, deux puits de souffrance avaient happés ses prunelles.
Mais il n'y avait pas que des ténèbres en Andore... Quelques lumières subsistaient encore, perdues et disparates, espoirs que la nuit éternelle gardait prisonniers de son obscure emprise. Flinn, aujourd'hui, était l'émissaire d'une de ces lueurs égarées qui n'étaient que trop rares. Il délivra son message, et celui-ci changea tout ; c'était une bonne nouvelle. Non. C'était... Bien plus. Le rugissement du vent sur les steppes, le grondement de l'orage qui déchirait le ciel... Les bourrasques prédatrices qui chassaient dans les montagnes et l'illumination ultime, magnifique, grandiose, de la foudre qui éclatait sur la terre dans une explosion de lumière blanche. C'était tout ce qui écartait le doute, balayait les nuages et repoussait les ombres.
Des paroles qui pansaient ses plaies, submergeaient la douleur sous la joie grisante et soudaine de la jouissance d'une attente qui trouvait enfin son terme.


<< - J'ai trouvé Zejalèa et Frimain étendus dans une petite clairière, au milieu de ce qu'il reste de la forêt. Il y avait aussi un grand inconnu aux poings énormes, qui nous a soutenu pendant la bataille, ainsi que son chien. Ils sont tous vivants, mais certains auront besoin d'aide pour marcher. >>

Il se redressa avec élan, et fixa Flinn d'un regard si emplit de soulagement, si plein d'espoir, et soudain tellement ardent, brûlant au point qu'il aurait fait fondre la nuit même, que le jeune homme en parut choqué. Il s'apprêta à le remercier pour avoir transmis ce message d'espoir ; il était prêt à le rejoindre et à défier le tiraillement de ses muscles pour lui offrir une accolade chaleureuse ; il se serait jeter dans ses bras pour lui exprimer sa gratitude ; il aurait été jusqu'à l'embrasser pour ces simples mots. Mais il n'en fit rien. Il se contenta de l'observer d'un air grave, sans sourire, sans laisser exploser sa joie. Il hocha seulement la tête, sans lâcher son regard. Il disait tout, Il se passait de mots. Ce regard-ci valait toutes les paroles du monde. Il était aussi intense qu'inflexible. C'était un remerciement silencieux, le soupir soulagé qu'aurait pu laisser échapper ses lèvres, l’affaissement apaisé que ses épaules auraient esquissées ; il était à la fois fraternel, amical et protecteur. Il demandait à Flinn de se poser, de le laisser faire maintenant, car cette nouvelle qu'il avait apporté changeait la donne, et le garderait debout jusqu'au prochain de couché soleil si il le fallait. Il supporterait une aube et un crépuscule de plus pour eux. Eux qui étaient en vie... Zejaléa, la douce, la triste, dont les connaissances avaient sauvées au moins sa vie cette nuit, et Frimain, discret, sympathique, déterminé et patient. Puis encore un inconnu, un autre égaré nocturne qui viendrait se réchauffer près de leur feu. C'était une situation étrange. Peu de voyageurs passaient habituellement en cette vallée... Ors, en cette soirée tragique, deux croisaient le chemin de leur groupe en fuite. Étais-ce un signe ? Un bon augure ? C'était deux vies de plus qui venaient peser sur ses épaules. Mais d'un autre côté, rien ne lui disait que ces deux anonymes crachés par les ombres voudraient les suivre. De plus, était-il bien sage d'accepter de voyager avec des étrangers ? Cette mission qu'on leur avait confiée n'était connue que d'eux seuls, et l'Ordre avait fait perdurer le secret de sa résistance depuis plusieurs millénaires. Si par une confiance mal accordée, il mettait en danger l'avenir d'Andore... Non. Il ne pouvait pas décider de tout cela maintenant. Une seule chose comptait : Zejaléa et Frimain vivaient. Ils n'étaient pas morts, et Flinn allait pouvoir lui indiquer le chemin pour qu'il les ramène dans la grotte, chaude et sûre.
Ou pas. Le jeune homme fila dehors avec la célérité d'une brise, près s'élancer dans la nuit... Avant que le doyen ait pu esquisser le moindre geste, il était dehors, presque une ombre face aux ténèbres du sous-bois, devant lui. Quelques larges foulées, et il aurait disparu... Encore une, puis deux, et... Il s'arrêta brusquement, le visage levé vers le ciel où brillaient des étoiles froides, dont l'éclat métallique teintait le monde de fer et d'argent. Il se dressait face aux ombres, droit, glacial. C'était un pilier... Son soutient, sa béquille. Sèmil resta coi, gagné par un engourdissement étrange, soudain lucide.
Depuis qu'il s'était éveillé, il avait cru devoir faire tout seul. Il s'était dit que s'était son rôle, qu'il devait relever chaque ami tombé et rassurer tout les apprentis, que cette tâche ne revenait à personne d'autre. N'était-il pas le doyen du groupe ? N'était-il pas le fils d'un maître ? N'était-il pas l'aîné, et le meilleur bretteur de l'Ordre ? Pour tout cela, il n'avait pas le choix ; il devait être fort et les guider. Car s'était son devoir... Et car il leur devait à tous une éternelle reconnaissance, pour avoir repoussé les ténèbres du silence. C'était son remerciement, son sacrifice pour eux tous.
Mais il s'était trompé. Il n'avait pas à surmonter sa douleur seul, et à mener le groupe sans soutient. Il avait le droit de s'appuyer sur l'épaule de quelqu'un d'autre, de ne pas avancer seul en tête, et d'accepter l'aide qu'on lui proposait quand il serait trop éreinté pour continuer à mener la marche en solitaire. Et Flinn pouvait ; voulait être cette aide. En ce cas, Sèmil ne pouvait pas refuser. Pas maintenant, alors qu'il en avait tellement besoin.
Il marcha jusque dans le dos du jeune homme, et il s'arrêta près de lui, sans le regarder en face. L'ombre d'un sourire jouait sur ses lèvres. Il fixa un instant les cieux sombres et froids, illuminés seulement de quelques intrépides lueurs. La nuit était trop calme, sans brise, sans bruissement... Après le fracas de la bataille, le monde semblait être devenu une vaste tombe. Silencieux, glacial, il se découpait en reliefs nets et coupants partout autour d'eux. Tout était trop droit, trop clair, malgré l'obscurité d'Andore... Et trop vide.
Pour combler ce gouffre, Sèmil parla.


-Merci Flinn. Si tu n'avais pas compris, là, tout de suite, j'aurais continué à vouloir mener le groupe seul. Je crois que... J'ai besoin d'aide. Et je ne peux pas avancer éternellement sans cette aide, comme je le voudrais. En tout cas, pas cette nuit, pas maintenant. Je sais que tu peux et que tu veux m'apporter ton soutient, et je suis bien obligé de l'accepter, en ce moment ! Peut être un peu à contrecœur, mais avec gratitude.
Il s'apprêtait à partir, à filer comme il le faisait si toujours. Sèmil eut un geste pour le retenir ; mais il laissa retomber son bras, et recula vers la grotte. Flinn n'était pas de ceux qui avaient des entraves. On ne pouvait lui imposer aucune prison, pas même la cellule d'un instant qu'aurait été une main sur son bras. Même cela, c'était trop.
N'oublie pas Flinn, je te l'ai déjà dis : toi non plus tu n'es pas seul. Tu as aussi le droit à une aide. Je serais prêt à te rendre la pareille cette fois là ; pas par devoir, mais parce-que tu n'es pas qu'un soutient. Tu es aussi un compagnon, un ami... Et un frère. A toi de voir si tu m'acceptes comme tel ; frère de cœur, frère d'âme... Et frère de meute.
Il retourna près du feu, sans regarder en arrière si Flinn était partit. Il n'en avait besoin ; il le savait.
Le doyen s'accroupit de nouveau près de la jeune fille, dont les yeux dorés semblaient ne pas l'avoir quitté. Leahna, près d’elle, essuyait quelques larmes, plus égarée et effrayée encore que l'étrangère debout près d'elle. Ses yeux rougis étaient humides, et ses mains serrées l'une dans l'autre contre sa poitrine. Elle levait vers lui un regard implorant, perdue, encore un peu tremblante. Sèmil perdit son air grave.
Il s'attendrit, et lui sourit doucement, tentant d'apaiser son inquiétude. La jeune femme resta atterrée, lui demandant dans un couinement à peine audible ce qu'ils devraient faire désormais.
A cette question là, il pouvait répondre sans problème. Depuis son réveil, il ruminait ses agissements prochains, et la situation lui apparaissait maintenant claire.

Sèche moi ces larmes, sourie. Tu ne devrais pas t'en inquiéter, non ? Nous allons attendre encore un peu le retour des autres. Comme Zejaléa et Frimain, ils sont quelques part, et ils attendent, ou se réunissent. Nous allons réchauffer cette jeune fille, là, encore plus égarée que n'importe lequel de nos frères et sœurs, et après, si ils ne sont pas revenus, nous les chercherons.
Il parlait d'une voix douce, et sa main serrait maintenant la paume satinée de Leahna. Elle n'avait pas à s'inquiéter de la marche à suivre ; il était là pour ça, pour les guider à travers l'ombre. Elle pouvait marcher dans ses pas sans crainte, le questionner, et au même titre que tous, en égale, le conseiller. Elle pouvait avoir confiance en lui. Mais maintenant, alors que la bataille avait affaiblie son corps et son âme, Leahna avait le droit de s'abriter derrière lui. Il était assez large pour la cacher, assez fort pour résister aux assauts de l'existence- ou en tout cas, il pourrait l'être pour elle, comme pour eux tous. C'était la seule chose qui l'empêchait de s'effondrer : la perspective de les revoir en vie. Quand les apprentis seraient de nouveau réuni, il ne se laisserait plus jamais affaiblir par qui ou quoi que ce soit. Il ne faillirait plus... Mille citadelles pourraient s'effondrer ; il resterait droit face au destin. Il n'était plus question de courber l'échine. C'était sa toute nouvelle résolution. Chaude comme du pain sortit du four, doré et gonflé, à peine venu au monde dans un âtre des cuisines de l'Ordre... Il puisait de la force là aussi, dans ces souvenirs heureux qui habitaient encore son passé. Il y'en avait bien quelques-uns, des fragments d'existence qui réchauffait son cœur. Un vagabondage parmi les fourneaux, environné de sempiternels fumets, un baiser donné au claire de la lune, dans une chambre ouatée à l'atmosphère saturée d'amour, la compagnie de ses frères et sœurs, durant une étude fastidieuse entre les rayonnages de la bibliothèque de l'Ordre, la douceur d'une peau désirée sous sa main fébrile, la sensation de ces caresses qu'on lui rendait... Madeleine.
C'était la plus importante de ses motivations, la force secrète qui le poussait en avant. Elle était tout ce dont il avait besoin pour rester debout. Il lui suffisait de penser à ses lèvres, à ses yeux... A son odeur. Celle d'une fleur, sûrement, ou peut être même l'exhalaison perdue du printemps, cette saison dont on connaissait plus que le nom. Madeleine devait en être l'incarnation, épanouie et voluptueuse, douce et fragile, envoutante et radieuse. Si Sèmil n'avait jamais touché le pollen de son cœur, il avait vu bien mieux dans ses yeux corpusculaires : l'amour. L'amour dans ton son corps, partout sur sa peau, dans ses gestes, ses paroles, dans sa manière de respirer ou de le regarder ; elle dégageait ce nouveau parfum chaque fois qu'ils se retrouvaient. C'était leur alchimie mystérieuse, la réaction chimique impossible et magnifique qu'engendrait leur amour. En fermant les yeux, il pouvait encore en humer le singulier parfum, et ses sens s'éveillaient de nouveau, libérés de leur torpeur.
Alors, il pouvait rêver, comme quand Madeleine attendait dans ses bras, réclamant sa chaleur et partageant la sienne, indissociable partie de lui pendant quelques heures volées. Il s'évadait de nouveau vers ce monde étrange que décrivaient les mythes et les poètes, dans lequel le ciel n'était pas toujours noir et où les saisons étaient libres de se succéder sans l'aide d'une magie inique. L'Empereur n'y avait plus sa place ; il était mort. Ce monde là ne le tolérait pas, c'était un univers sans ombres perpétuelles, ce monde là avait un soleil et son ciel était bleu, ce monde là était vert car l'herbe couvrait de nouveau la Terre frileuse. Enfin, leur mère retrouvait son pelage d'antan, le duvet des prairies et le poil dru des forêts ; enfin, sa splendeur et sa dignité en refaisaient la déesse des temps anciens ; enfin, les enfants pouvaient courir sous des cieux lavés par la lumière, leur peau dorée et non pâle, leurs lèvres rouges et non grises. Et parmi eux, ces innombrables bambins qui héritaient de ce monde purifié, il y'en avaient certaines dont les visages évoquaient des fantômes du passé. N'étais-ce pas les prunelles argenté d'un certain chevalier ? Un spectre parmi tant d'autre, vague image d'un lion au milieu d'autres ombres légendaires aux griffes de panthères et aux regards de loups, tout juste le reflet de quelque chose d’effacé, caché par une flamme qui dansait et un éclat azuré, fondu dans ce groupe qui avançait loin du regard d'un tyran désormais abattu... Si ? C'était bien cela. L'enfant d'un guerrier et d'une couturière aux mains légères. Il avait des frères et des sœurs, autant de cœur que d'esprit. Un petit louveteau, une jeune panthère, une étincelle sautillante, un ange souriant... Autant de souvenirs qui s'incarnaient dans de nouveaux petits êtres, qui découvraient une Terre verte où il faisait bon vivre.
C'était leur rêve à deux, le futur qu'ils construiraient en puisant de la force dans l'amour. Il bourgeonnait à peine, mais chaque pas en avant permettait à cette faible pousse de planter plus profondément ses racines dans la réalité. Alors, un jour...
Sèmil sourit à Leahna.
Tant que je suis debout, tu peux t'appuyer sur moi, d'accord ? J'ai un rêve à protéger. Je ne peux pas tomber, je n'ai pas le droit ; c'est ce qui fait ma force. Je resterais debout parce-que c'est plus qu'un devoir, plus qu'une nécessité... C'est une évidence : il y'a trop de vies en jeux pour que je puisse faillir. Alors n'hésite pas ! Je suis assez fort pour te porter, si il le faut.
Et il le pensait. Il savait que c'était vrai. Quand on avait partagé tant d'amour avec quelqu'un, on ne pouvait pas rester faible longtemps, même si une partie de cœur s'en allait, arrachée par la mort. Même si Genghis était allongé près du feu et qu'il ne respirait plus, à jamais silencieux maintenant que plus rien ne pulsait dans sa poitrine. Il allait continuer à le pleurer, et cela toute sa vie, tout le reste de son existence, même une fois que le soleil serait revenu illuminé les cieux. Mais cela ne l'empêcherait plus d'avancer. Il pouvait pleurer tout en continuant de marcher, sans abandonner ceux qui vivaient encore... Dont Leahna faisait partie.
Mais pas seulement. Il y'avait aussi d'autres personnes à travers Andore qui attendaient une aide. Toute ne la méritait pas, beaucoup se terraient, couards, et d'autres jouaient le jeu de l'Empereur en écrasant les faibles. On parlait à demi-mots des trafiques d'enfants, de la vente de femmes, les gens préféraient taire les disparitions de certaines villages isolés, et les rumeurs inquiétantes de bêtes maléfiques qui rôdaient dans les montagnes étaient tuent. Mais on ne pouvait cacher le retour de l'esclavage, autorisé par l'Empereur, ni la dégradation de la Terre, les sècheresses, les famines, et en dernier lieu, bien que personne n'en parle jamais, on ne pouvait pas nier les pouvoirs occultes de l'Empereur. Il en faisait étalage six fois par an : quatre afin de faire passer des simulacres de saisons, une pour célébrer son règne durant une semaine de débauche, et la dernière pour raviver la crainte de la population, en envoyant ses soldats d'élites à travers tout le continent. Il n'y avait pas d'explications officielles, et personne ne cherchait à poser de question, mais il était évident que les soldats en question n'étaient pas humains, et que leurs arrivées autant que leurs départs restaient surnaturelles. Si une femme accouchait le jour où ils passaient dans sa cité, celle-ci perdait son enfant et se vidait de son sang... Mais même lui finissait par disparaître.
Des tragédies semblables avaient pour cadre Andore tout entier, et chaque décennie, la population était plus pauvre, moins nombreuse. Les écarts de richesses se creusaient, et toutes les révoltes étaient vite matées. Ceux qui s'opposaient à l'Empereur étaient alors emprisonnés, conduit à son palais... Et gardés dans les cachots jusqu'à la fête annuelle qui marquait le règne du tyran. En cette occasion, ils étaient exécutés, selon les rumeurs, dans la salle du trône, aux pieds même de celui contre lequel ils s’étaient révoltés. Après quoi l'Empereur remplissait une baignoire de leur sang, et se prélassait à l'intérieur. N'étais-ce que de sordides élucubrations ? Ou alors des rumeurs du fait de l'Empereur lui même, afin de terroriser la population ? Peut être. Mais personne ne pouvait en être certain.
Néanmoins, quoi qu'il en fut, c'était une raison de plus de mette fin au règne du tyran : la peur et les ténèbres n'avaient que trop durées. Il était temps de restituer sa paix à Andore, plus encore que son soleil. Une organisation saine devait être mise en place.
Les apprentis allaient avoir du travail, même une fois l'astre mythique retrouvé.
Sèmil se releva doucement, sans lâcher la main de Leahna. Il l'entraîna dans sa remontée sans la brusquer, et la remit sur pied avec délicatesse. Il lui fit un dernier sourire avant de se retourner.
La jeune fille le fixait sans la voir véritablement, son regard braqué sur lui mais l'air lointain. Seule la danse des flammes animait son visage d'ombres mouvementée. De nouveau, le silence s'imposait, présence dérangeante, oppressante, qui s'acharnait à se dresser entre eux tous comme un mur. Ou alors, peut être la jeune fille était-elle simplement muette... Ce n'aurait pas été un cas à part. Depuis quelques années, le nombre d'enfants qui naissaient aphones, sourds ou aveugles augmentait sans cesse. Les orphelinats s'agrandissaient en conséquence, beaucoup de parents préférant abandonner ces pauvres âmes plutôt que des les prendre en charge. Les temps étaient durs pour tout le monde...
Néanmoins, qu'aurait fait une jeune fille muette, seule dans la nuit, en ces lieux froids et déserts ? Les routes n'étaient pas sûres, et les vallées centrales d'Andore aussi vides que la mue d'un serpent. Seules quelques caravanes marchandes audacieuses les traversaient encore, mais sûrement pas une personne à pied ; surtout seule et démunie, sans armes. On ne pouvait compter que sur la chasse pour se nourrir, en cette région aride. Et ce n'était pas avec ses seules mains qu'on pouvait tuer du gibier : la faune sauvage était plus coriace qu'auparavant, son instinct de survie affuté par la rudesse de l'existence. Il fallait redoubler de talent de et persévérance pour attraper quelque chose. Un chasseur contemporain en valait bien trois anciens...
Alors que pouvait-elle bien faire ici ?


-Comment t'appelles-tu ? Tu vas bien ? Insista-t-il. Ce silence devait être brisé. Il fallait bien que quelqu'un fasse le premier pas, alors... De toute manière, elle n'avait toujours pas répondue. Il fallait la sortir de sa léthargie.
Mais elle se contenta de le fixer, encore une fois. Sèmil sentit le découragement le gagner. Ne parlerait-elle donc jamais ?
Il l'observa avec lassitude, et croisa ses yeux dorés. Ils n'étaient plus voilés.


-Je m'appelle Regan.
Son nom. Première réponse à sa première question. Il sentit son cœur battre plus fort, sans pouvoir en déterminer la cause véritable. Une impression étrange l'emplit à la place de la surprise qu'il aurait dût ressentir ; un malaise profond. Sèmil avait un mauvais pressentiment. Ses sens étaient en alerte, exacerbés. Il se sentait pris au piège sans sans savoir pourquoi.
Tu fais partie de l'Ordre, hein. Écoute...
Elle savait. Voilà ce qui le dérangeait tant : cette demande dans ses yeux. Elle n'avait pas besoin de confirmation, mais... Son regard disait bien que cela ne lui suffisait pas. Elle allait poser une question, une vraie, douloureuse, cruelle ; Sèmil le pressentait. Ce ne serait pas une interrogation anodine, comme il y'en avait tant dans une vie. C'était du sel sur une plaie qui suintait encore. Elle n'avait pas encore ouvert la bouche, mais Sèmil avait une longueur d'avance. Son cœur était déjà au bord du gouffre, en état d'alerte.
Raconte-moi. Que s'est-il passé pour vous tous quand la Citadelle a été détruite ?
Il fut tenté de ne pas répondre. Il aurait put lui répliquer sèchement que ça ne la regardait en rien, ou se débarrasser de cette question trop douloureuse en l'éludant simplement. Il aurait put détourner les yeux et lui murmurer que s'était encore trop dur d'en parler.
Mais il ne pouvait pas faire ça. Plus maintenant... Ni jamais. Pas quand c'était elle qui lui demandait cela.
Elle méritait de savoir. Il y'avait de la souffrance et de la peur sur son visage, et beaucoup de larmes avaient dût traverser ses joues noires. C'était une jeune fille courageuse. Mais aussi...Il lui devait cette réponse, pour un raison qu'il ne comprenait pas. Ce n'était pas seulement parce-qu'elle avait souffert ; non, ils souffraient tous. Tout le monde souffrait en Andore.
C'était autre chose. Une nouvelle intuition, un autre sentiment profond pareil au malaise et à la crainte qu'il avait ressentit avant qu'elle ne lui demande quoi que ce soit. Pour le moment, il ne savait pas pourquoi, mais comme pour cet autre pressentiment qui avait remué au fond de lui, la réponse finirait pas venir. Il suffisait d'être patient...
Sèmil fixa un instant la jeune fille avec une tristesse nouvelle. Il alla s'assoir près du feu, sur une des pierres plates qui entourait l'âtre. Syrian reposait près de lui, agité dans son sommeil, ruisselant de sueur. Il était probablement tourmenté par de mauvais rêves. Son visage crispé trahissait une grande tension. Le doyen fronça les sourcils sans dire un mot, mais il posa une main sur le front du jeune homme. Il était bouillant. Inquiet, il releva la tête et croisa le regard de Leahna. Quand il ouvrit la bouche pour parler, elle était déjà au chevet de leur frère, et le veillait, lui aussi, bienveillante, angélique. Son regard ne le quitta plus. Elle attendait son réveil.
Il se tourna vers Regan, et la trouva figée sur place, toujours debout, mal à l'aise. Elle avait dût sentir sa réticence. Il lui enjoignit de s'assoir d'un signe de tête, et elle se posa devant lui, de l'autre côté du feu. Il baissait, et ses flammes décadentes disparaissaient dans l'air dans un mouvement d'agonie. C'était un cadre parfait pour ce qui allait suivre. Funèbre et graduellement sombre. Il appuya ses avants bras sur ses jambes, le dos courbés. Ses yeux métalliques étaient fixés sur Regan.


-Après la chute de la citadelle ? Et bien, Regan, cela parait évident. Après la mort de nos maîtres, nous sommes venus nous réfugier ici pour y passer une ou plusieurs nuits, le temps que les troupes de l'Empereur quittent la vallée. Mais la vie en Andore réserve toujours des surprises, n'est-ce pas ? Après, après, après... Après, nous sommes allés secourir l'un des nôtres, poursuivit par un détachement de soldats impérial. Il se nomme Arl, et il accompagné d'un geai bleu. Un très bel oiseau, vif d'esprit et lumineux. La perle de la faune de cette vallée... Tu le rencontreras bientôt.
Il sourit, mais ses lèvres n’esquissèrent qu'une courbe fatiguée. Il s'en aperçut lui même, dans sa chair, et laissa retomber son sourire au fond de son visage, loin. Il le repêcherait peut être plus tard, quand il n'aurait plus aussi mal.
Je crois que tu peux t'en rendre compte. Ce n'est pas tout. Nous sommes chevaliers, nous sommes les apprentis de l'Ordre, et l'on nous a entraînés à nous battre. C'est ce que nous avons fait. Nous nous sommes... Battus. Je suppose que c'est cela. Une bataille après. "Après". Après la chute de la citadelle, les pierres qui ont enterrées nos maîtres comme une avalanche de tombes, il y'a eut du sang, encore. L'un de nous est mort... Son nom à lui, à quoi bon le savoir ? Tu ne t'en serviras pas. Genghis est mort désormais. Ils l'ont tué. je regrette tant que... C'était un ami. Il t'aurait raconté bien des choses. Tu aurais appris beaucoup sur les récits d'Andore, mille légendes et autant de contes... C'était un véritable livre sur patte. Je regrette que...
Pourquoi disait-il cela ? C'était tellement stupide ! Il s'était promis de lui répondre ! Il ne devait pas épancher sa peine. Simplement lui donner ce qu'elle voulait ; la vérité. Pas la sienne, mais une vérité générale. Ce n'était pas le moment de flancher. Il s'était promis de ne plus tomber, jamais. Alors maintenant que Leahna veillait Syrian, juste à côté de lui, il devait rester fort.
Il redressa le dos.

... Que tu sois arrivée maintenant. Pardonne-moi. Je devrais faire plus attention ; tu veux savoir ce qui s'est passé pour nous tous, pas les assauts que mon cœur a subit. Je suis désolé Regan.
<< Après l'effondrement de la citadelle, nous avons dût combattre afin de sauver l'un des nôtres. Mais durant cet affrontement, un apprenti a perdu la vie, il s’appelait Genghis. J'ai été blessé par un soldat, et notre guérisseuse m'a ramenée ici. Maintenant, nous attendons que nos frères et sœurs nous rejoignent. Nous ne pouvons pas quitter la grotte, alors que deux des nôtres s'y trouvent encore. Celui que tu vois couché là se nomme Syrian, et la charmante jeune femme qui le veille, Leahna. Quant au jeune homme étendu près du toi, il n'est pas mort, mais simplement exténué. Son nom est Ezraël. Il a donné plus que nous trois réunis pendant cette bataille.
Cette fois-ci, il sourit vraiment. Au fond, parler lui avait fait du bien. Peut être en était-il de même pour tout ? Il accepterait mieux tout ces évènements si quelqu'un osait les dépeindre à voix haute. Ce quelqu'un pouvait être aussi bien un autre que... Lui même.
Et maintenant, je crois que c'est à moi d'être éclaircie. Qui es-tu ? Que fais-tu seule dans cette vallée ? C'est une région dangereuse où la vie est difficile. Il ne s'y trouve qu'un village, et à plusieurs jours de marches ; si nous n'avions pas été là, tu serais perdue au milieu de la nature à l'heure qu'il est, et les bêtes sauvages ne rechignent pas à dévorer une proie inconsciente. On ne peut pas les en blâmer. La vie est dure pour tout le monde, et la faune a plus souffert que nous.
<< Personne ne l'ignore... Alors pourquoi t'être aventurée ici ? Il aurait put t'arriver malheur, jeune fille.
Il n'était pas intrigué qu'en apparence ; sa question aussi était véritable. Sèmil n'arrivait pas à imaginer ce qui avait put pousser Regan à s'aventurer dans la vallée où s'était caché l'Ordre. C'était un comportement si incohérent, si étrange... Il s'inquiétait pour elle aussi. De biens terribles évènements l'avaient sûrement envoyée jusqu'à eux, et le long silence qui avait précédé sa question démontrait qu'elle ne les avait en rien oubliés. La tristesse et la douleur ne s'étaient pas effacées pour elle non plus. Elles devaient être récentes.
Il voulait en savoir plus.
Mais il n'en eut pas l'occasion. Un hurlement résonna dans la grotte, tonitruant, frappant comme la foudre. Il s'engouffra dans ses tympans et il sembla à Sèmil qu'il en arrachait la chair. Pendant un instant, le doyen crût être de retour sur le champ de bataille, entouré de cadavres, de sang et de la fumée d'un feu devant lequel dansait trois ombres... Puis il se retrouva sur ses pied, ayant bondit sans même s'en être aperçut, parcourant la grotte d'un regard affolé. Il n'y avait que des ombres au delà de l'entrée, et le dessin vague d'une frange de forêt. Il se retourna, les oreilles encore bourdonnantes de ce cri infernal, tout droit jaillit d'un cauchemar. Ses yeux se posèrent sur Leahna. Elle ne semblait pas surprise, et calmement, comme si aucun hurlement n'avait fracassé l'attente d'une réponse, épongeait le front de Syrian avec un morceau de cape déchiré. Elle n'avait pas d'eau fraiche à porté de main, mais au moins la sueur ne coulerait elle pas dans ses yeux... Qui étaient ouverts.
Le jeune homme s'était redressé, et son souffle haletant résonnait étrangement dans cet autre silence. Il tremblait légèrement, mais plus de froid que de douleur. Sèmil avisa le garrot de fortune qui enserrerait sa cuisse. Syrian était fort, et il savait comment survivre ; c'était un Kahalan. Il avait pansé sa blessure seul.
Sèmil se détendit, et il eut l'impression qu'on lui retirait un poids des épaules. Il se sentait peut être un tout petit plus léger... Plus serein. Rassuré, en partit. En remerciant silencieusement le zèle de Leahna, qui souriait à leur frère en inspectant sa jambe -comment arrivait-elle à faire les deux en même temps ? C'était un ange, une bénédiction- , il s'accroupit près de Syrian et sentit un irrépressible sourire fleurir sur ses lèvres, comme le bourgeon tendre d'un nouveau printemps.

Syrian ! Tu m'as fait une peur bleue ! Je suis content de te voir... Non, je suis... Il n'y a pas de mot. Je suis heureux que tu sois réveillé. Remet toi de ce cauchemars qui t'as tourmenté ; quel qu'il soit, il est terminé. Nous allons te remettre sur pied, ne t'inquiète pas. En attendant Zejaléa, nous pouvons au moins te soulager de ta fièvre. J'ai toujours quelques herbes avec moi, glanée dans la forêt.
Le doyen se débarrassa d'une de ses bottes, et la retourna. Un petit sachet de papier tomba sur le sol, hermétiquement fermé. Il l'avait mis ici afin de ne jamais le perdre ; c'était Zejaléa elle même qui lui avait conseillée de faire attention à ces herbes. Ils avaient cueillit ensemble lors d'une sortie en forêt, la jeune femme ayant été envoyé par leurs maîtres afin de chasser. C'était également un des apprentissages qu'on leur prodiguait.
Mais étant donné que celle-ci rechignait à tuer, Sèmil avait décidé de l’accompagner pour lui éviter cette besogne. Ils n'avaient pas beaucoup parlé, sa sœur étant sombre à l'idée de ce qui devrait être fait, mais elle avait tout de même consentit à lui apprendre quelques choses. Ainsi, avait il put lui même se constituer des petites réserves d'herbes, que lui avait désigné Zejaléa.
L'une d'elle, la Sinuante, guérissait la fièvre et calmait les douleurs crâniennes. Elle tirait son nom de ses ramifications reptiliennes, qui s'étendaient parfois sur plusieurs mètres. C'était une plante rare, apparue après le règne de l'Empereur. Il n'y en avait qu'à l'ombre des troncs abattus. Au départ grise, en un unique filament pareil à du métal, elle poussait ensuite horizontalement, et au fil de de sa croissance, devenait aussi argenté que la lune. Elle ne formait pas de pelouse, étant donné que ses entrelacs ne s'élevaient jamais au dessus du sol ; c'était une plante unique, pareille à la chevelure d'un ange étalée sur le sol. Les guérisseurs n’utilisaient jamais une Sinuante dans sa totalité, celle-ci étant trop rare pour être gaspillée. Ils en prélevaient une partie, se contentant généralement de couper une seule ramification, puis laissaient à la plante la possibilité de repousser. Dans les petits villages, un guérisseur ne transmettait la localisation de sa Sinuante qu'à son apprenti. Car elle avait une vertu autrement plus recherchée que celle de faire disparaitre la fièvre : gardée dans un mélange d'eau et de sève durant un an, si la quantité d'herbes hachées était suffisante, alors la Sinuante devenait un remède contre la folie. Et celle-ci ne sévissait que trop en Andore...
Sèmil avait donc gardé précieusement les herbes qu'il avait cueillit en compagnie de Zejaléa. Désormais, elles allaient pouvoir servir... Il déchira le petit sachet au dessus de sa paume, laissant tomber quelques brins argentés qui captèrent la lumière du feu. Il y'en avait peu, et pourtant, cela suffirait amplement. Il remit sa botte et retourna près de Syrian.

Tient. Dit-il en lui tendant sa paume ouverte. Ce sont des brins de Sinuante. Ils soulageront ta fièvre ; tu n'as qu'à les placer sur ta langue, et attendre qu'ils pétillent. Quand ils deviendront trop piquants, avale les ! Et ne t'inquiète surtout pas si ton estomac se remplit de feus sautillantes, c'est parfaitement normal !
Il sourit. Le jeune homme se sentirait bien mieux après, même si le pendant risquait d'être très perturbant ; pas désagréable, mais la sensation qu'il éprouverait serait des plus étranges. Sèmil avait déjà eu à faire à la Sinuante, et il ne se rappelait que trop bien des réactions singulières de son corps. Syrian découvrirait par exemple que son estomac était capable de faire des bonds sans pour autant se vider de son contenu, et qu'il y'avait quelque part entre ses oreilles, un morceau de glace brulant qui s'apprêtait à fondre. Il pourrait presque sentir l'eau s'échapper de son nez, de ses tympans, de sa bouche... Et pourtant, il n'y aurait rien.
La Sinuante était une plante psychotique. Les hallucinations sensorielles qu'elle déclenchait ne duraient qu'une vingtaine de minutes tout au plus, mais personne n'avait généralement envie de tenter de nouveau l'expérience d'en utiliser : c'était pareille à la visite d'esprits perturbés. Sentir des doigts spectraux qui vous caressaient avec tendresse, la poigne hostile d'un fantôme sur un poignet... Rien de tout cela n'était vrai, mais pour autant, on ne pouvait s'empêcher d'éprouver une angoisse viscérale pendant que la Sinuante agissait sur votre esprit.

Surtout, ménage-toi maintenant. Tu peux te reposer- te reposer vraiment, sans crainte. Ezraël dort déjà. Vous rentrez tous exténués... Moi, j'ai déjà pris du temps pour dormir tout à l'heure. C'est à mon tour de veiller désormais.
Il tourna la tête vers Leahna, et l'ombre d'un sourire flotta sur ses lèvres.
Mais pas seul.
Il se retourna, et observa de nouveau Regan. Elle dévisageait le Kahalan de ses grands yeux dorés, une expression indéchiffrable sur le visage. Elle ne lui avait pas encore répondu. Un soupir souleva sa poitrine, mais il le retint, et décida de laisser la jeune fille tranquille pour le moment. Elle se sentait peut être mieux, seule avec ses pensées.
Il retourna dehors. Loin du feu, il sentait de nouveau comme l'air était froid. Mais c'était agréable. Ses poumons le brûlaient moins, chaque goulée de ce vide glacial était une baume qui se répandait dans son corps. Il lui semblait que cela faisait des jours entiers qu'il n'avait pu respirer ainsi... C'était étrange et délectable à la fois. Même si la douleur persistait, il pouvait en faire abstraction.
De plus, la froidure ambiante le maintiendrait éveillé.
Il marcha jusqu'à la lisière du bois qui avait pâtit de l'incendie, et s'agenouilla près de l'étalon qu'il avait attaché à un tronc. Il ne paraissait pas gêné par l'atmosphère froide, et son corps était encore chaud. Il avait fermé les yeux et dormait, ses pattes repliées contre lui, la tête sur le sol. Sèmil le laissa en paix, retournant vers la grotte. Il s'adossa au roc, près de l'entrée, enfin serein, débarrassé de toute ces préoccupations qui n'avaient cessées de l'assaillir depuis son réveil. Cela reviendrait bien vite, il n'en doutait pas, mais pour le moment, il se sentait bien. Calme, léger. Cela aussi n'était pas arrivé depuis trop longtemps, lui semblait-il...
Il eut quelques minutes d'accalmie, pas grand chose somme toute, mais cela lui suffit. Il y puisa assez de force pour faire face à un autre assaut mené contre son cœur. C'était juste ce qui lui fallait avant l'arrivée de Lifaen.
A proprement parlé, ce n'était pas son arrivée à lui. Il était porté par Eileen et Eldän, tout les deux aussi silencieux et sombres que si le jeune homme était mort. Coup de butoir porté à son cœur. Un pas. Deuxième coup. Il en vacillerait presque. Il les rejoignit, chaque pas ponctué d'un nouveau choc dans sa poitrine. Pas la pulsation de la vie, mais le battement sourd d'une douleur, celles qui se réveillaient après un coup trop fort. Son regard eétait sûrement implorant, car Eileen lui fit un petit sourire, une moue de consolation, et ses yeux s’allumèrent d'une vague lueur.


<<- Il se repose, juste. Simplement.>>
Il essaya de lui répondre, mais les mots restaient bloqués dans gorge. De soulagement, ou d'angoisse ? Il n'arrivait pas à lui dire quoi que ce soit, ni même à déterminer quels sentiments l'empêchaient d'articuler. Il se sentit stupide, subitement. Mais toujours rien.
Il hocha la tête, et les aida à porter Lifaen jusqu'à la grotte. Elle était plongée dans une quasi-obscurité. Les flammes s'étaient éteintes, l'énergie qui les animait finalement consumée. Il n'en restait pas même des braises, car ce feu là avait été allumé sans bois. Au fond de l'âtre, il n'y avait que des pierres chaudes qui finiraient par refroidir, une fois que l'air du dehors aurait chassé ce qui restait de chaleur de la grotte. Au final, elle se fondrait dans le paysage ; sombre et froide, éclairée de la seule lumière argenté qui s'échappait de la Lune. Cet astre lointain, pourtant si proche en comparaison des autres, qui avait pris la relève du soleil, qui devenait l’œil d'un dragon dans d'anciens mythes, qui était tour à tour amical et tendre, puis acéré et distant... Elle ponctuait la vie en Andore, définissait le rythme des journées. Quand elle brillait dans le ciel, on parlait de soirée. Quand elle disparaissait, c'était le jour qui arrivait. Heureusement, les étoiles ne se défilaient, nuit et jour, peut importait, elles, ne cessaient jamais d'illuminer les cieux noirs. Elles seraient bientôt les seules à animer les ténèbres célestes, et alors, la soirée s'achèverait. Il serait l'heure de se laisser aller au sommeil. Pour tout les Andoriens, le déclin de la Lune était synonyme de repos, quand enfin la nuit cédait place à une journée...
Pour tous, sauf pour eux. Ils allaient devoir rester debout encore longtemps.
Sèmil posa Lifaen près de l'âtre éteint, observant son visage livide, décoloré. Il respirait, oui. Mais si peu... Le délai entre chaque frémissement de sa peau trop blanche était une torture. Eileen se laissa tomber près de lui, comme un ange qui aurait chuté du plafond. Avec grâce. Elle se pencha au dessus de la panthère, de l'ami des ombres, et attendit. C'était une sorte de ferveur envers la vie, l'audace d'une jeune femme qui ne croyait pas en la mort éclair qui descendait du ciel, comme ça, et emportait quelqu'un dans son royaume d'orage et de feu sans rien demander à personne, ni son avis, ni ce qu'elle ressentait après que cette lance de foudre avait fait éclater sa vie en un millier de petits éclats qui se dispersaient partout. Après, on ne pouvait que rejoindre tout ces fragments disparates et se coucher parmi eux, attendant d’éclater comme le reste, statue de verre fragile étendue sur le sol…Non. Eileen était une flamme, une flamme douce qui ne brulait pas ; c'était la seule flamme dont Lifaen n'aurait jamais peur. La seule qu'il accepterait de toucher, de caresser, de... La seule qu'il voudrait aimer. Cette flamme là, elle brulait dans son cœur. Il n'avait pas à la fuir. Au contraire, elle le fascinait, l'attirait comme un papillon de nuit. Un papillon dont l'ombre était aussi noire que le pelage d'une panthère, une ombre qui s'étirait à l'approche de cette flamme souriante -elle transfigurait la nature du feu, elle pouvait le rendre lumineux comme une expression, et pas comme une lumière-, comme cherchant à s'enfuir, pour retourner se terrer quelque part dans les ténèbres.
Pouvait-on vivre sans son ombre ? Lifaen aurait tenté l'exploit pour elle. Sèmil le savait, tout comme Lifaen savait pour Madeleine. Ils ne l'avaient jamais dis clairement, mais ils se connaissaient. Ils avaient tout deux des secrets qu'ils s'échangeaient d'un regard, d'une parole, d'un murmure ou d’une œillade discrète. C'était un lien étrange qui les unissait, une amitié silencieuse et distante, une fraternité au compte goutte... Rien de très clair, mais c'était présent.
Sèmil s'assit lui aussi près de la Panthère. Ce félin là ne ronronnait jamais, mais ça ne voulait pas dire qu'il n'aimait personne... Il allait le veiller avec Eileen. A côté d'eux, Leahna rassurait Syrian, qui découvrait les perturbations que provoquait la Sinuante sur l'esprit. De l'autre côté du foyer vide, la jeune fille -Regan- observait Eldän dans le plus grand silence. Ses yeux dorés paraissaient vouloir aspirer le monde entier. C'était à la fois fascinant et... Effrayant. Elle ne quittait pas l'apprenti du regard.
Ce dernier ne s'était pas assis, et il était encore debout, à fixer l'entrée de la grotte comme si il attendait quelque chose. Son visage était impassible, mais Sèmil savait qu'il devrait discuter avec lui. Eldän était pessimiste en temps normal, mais après cette bataille, ce devait être encore pire... Il ne pouvait pas le laisser seul. Le jeune homme était sûrement très perturbé- d'autant que son regard semblait hanté. Et ce n'était pas ce genre de hantises cauchemardesques qui survenaient suite à de sombres évènements. C'était plus... Sentimentale. Plus personnel. Quoi que ce fût, un souvenir désagréable troublait Eldän. Un fantôme du passé, une fois de plus... Cette soirée était destiné à les plonger tous dans les méandres du temps. Ils en sortiraient avec un regard changé, sur le monde et sur eux même. En bien, ou en pis ? Il ne pouvait le savoir pour le moment, mais priait pour que cette bataille et la perte de Genghis aient renforcé leurs cœurs, plutôt de les avoir affaiblit. Il ne le savait pas même pour lui, mais le temps leur dirait quelles seraient les conséquences de cette nuit sanglante.
Sèmil les observa tous à tour de rôle, et déplora le silence qui s'était installé une fois de plus. A nouveau cette barrière... Il fixa son regard sur l'entrée, tout comme Eldän. C'était de là que venait la lumière maintenant, et de là aussi qu'arriverait le futur. Ils n'avaient plus qu'à attendre qu'il surgisse enfin, pour les arracher aux sables mouvants du passé...
Cela ne dura pas si longtemps. La Lune n'avait pas encore disparue du ciel, quand Frimain arriva. Il n’était d’ailleurs pas seul : une montagne le suivait.
Ses muscles saillants accrochèrent la lumière sélène. Des reflets argentés s’agrippaient à ses bras, ses épaules, son cou… Mais son visage restait caché par les ombres. Il n’était qu’une masse ténébreuse aux reliefs esquissés par la lueur de la lune. Une créature tout aussi imposante le suivait, un chien qui tenait plus du loup que de l’animal apprivoisée.
Et pourtant, comme si il n’y avait rien de plus normal que d’être accompagné de deux colosses sortit de nulle part, Frimain alla s’assoir sur une des pierres qui entourait l’âtre froid. Il ne voyait rien, mais sentait intuitivement les choses ; il se dirigeait sans problème et semblait presque pouvoir déterminer le physique de son interlocuteur au son de sa voix, à sa manière de parler et de se déplacer.
Alors pourquoi cet air détaché ? Il paraissait à la fois las, fatigué et désorienté. Ses yeux aveugles étaient posés sur ses pieds. Hésitant à entrer, la montagne restait en retrait, à demi éclairée seulement. Sèmil s’avança, le cerveau en ébullition. Il ne mit qu’un instant pour se souvenir que Flinn lui avait parlé d’un inconnu de grande taille accompagné d’un chien. Cet homme les avait aidés. Et il correspondait bien à la sommaire description que lui en avait faite Flinn… Un inconnu aux poings énormes. Voilà qui le qualifiait parfaitement.
Le doyen s’arrêta face à lui, et il eut l’impression de se retrouver devant son père. Il était aussi grand que lui, quoique plus large ; mais pendant une seconde terrifiante, ce fut comme si son spectre avait surgit de la nuit. Sèmil dût lever la tête pour apercevoir son visage. Et il ne put s’empêcher de hausser les sourcils.
Sa peau était pâle et douce comme celle d’une femme, masque de porcelaine posée au dessus de son cou de taureau. C’était une combinaison des plus étranges : un visage d’une grande finesse, d’une beauté fragile, accordé à un corps de titan. Sèmil en resta sans voix. Il croisa les yeux jaunes ternes de l’inconnu. Et il y lut de la colère.
Il se serait frappé la tête contre la roche. Quelle idée de le dévisager, alors qu’ils se rencontraient pour la première fois ! Alors même que ce géant les avait soutenu durant la bataille… Pour rattraper son impair, il eut un sourire d’excuse.


-Il s’appelle Velk. Intervint Frimain d’une voix atone. Juste au bon moment.

-Et bien, Velk, on m’a parlé de toi… Tu t’es battu à nos côtés durant cette bataille. Merci.
Il lui tendit la main, d’un geste spontané. Cela lui sembla de suite ridicule. Tendre une main qui avait serrée la poignée d’une épée, quelques heures auparavant seulement, afin de souhaiter la bienvenu à un parfait inconnu… C’était risible.
Pourtant, à sa grande surprise, le géant la serra. Et parla.

Tu te souviens de ce noir profond dans lequel dansaient des formes incertaines puis de cette lumière un peu brûlante ? Et bien, là, c'est la même chose, mais sans la lumière...
21-12-2011 à 16:40:24
Brûlante caresse, flamme ardente de vie et de douceur, promesse de lendemain merveilleux. Milles mots qui glissent comme ça, le long de sa joue. La tendresse d’Eileen qui se déverse dans cette caresse, son soulagement, et autre chose. Quoi ? Lifaen n’en était pas sûr. Mais peut importe. Elle était là, sa flamme, le soleil de son univers. Par ce petit doigts, elle lui redonnait définitivement vie, introduisait dans son monde cette petite étincelle de magie qu’elle seule possédait. Eileen qui est là pour lui, Eileen qui sera toujours là, semble promettre ce moment. Son doigt qui glisse tout doucement le long de la peau trop froide et ensanglanté de Lifaen, qui s’attarde sur ses lèvres et remonte pour suivre malicieusement la courbe de la sylve de son regard. Elle est là, penchée sur lui, ses cheveux tombant en un long rideau sur le visage de l’assassin. Moment intime, leurs deux visages étant cachés par cette cascade rayonnante de cheveux. Leurs souffles proches qui s’entremêlent pour ne jamais se démêler, comme leurs vies à cet instant d’absolue éternité. Doux murmure qui ne rompt pas la félicité du moment mais qui vient plutôt le parer de chatoyantes couleurs.
- Lifaen ?
Le cœur qui s’emballe, diffusant dans son sang des vagues d’émotions. Oui, elle est là, il est là aussi. Ils sont vivants, incroyablement vivants. Et Lifaen, fidèle à lui-même, panthère de nouveau. Panthère qui serait pourtant prête à ronronner de plaisir juste pour les beaux yeux de ce brasero de vie qui se tient au dessus de lui. Panthère légèrement moqueuse dont les yeux démentent l’ironie de ses paroles.
- En personne.
Tentative de sourire, qui se mue en rictus de douleur. Tout son corps n’est qu’une plaie ouverte, saillante. Pourtant, tout cela est effacé pour la chaleur de son petit soleil, juste au dessus. La main d’Eileen qui se fait tout de suite plus inquiète, qui caresse doucement les lèvres de la panthère, comme pour effacer cette marque de douleur. Souffrance qui fond face aux ardents rayons de son bonheur, juste là, il est bien. Il en ronronnerait presque, sur l’instant plus un gros chat qu’un prédateur. S’il ne peut rien dire avec son corps, alors ses yeux s’en chargeront, sylve brillante et profonde. La rouquine effarante et d’une ardeur débordante, véritable flamme de joie et d’inquiétude. Le soulagement qui se lit dans ses yeux est sans borne, mais il y autre chose, de beaucoup plus tendre. Les yeux de Lifaen qui sont toujours deux puits ouverts, une invitation à entrer dans leur sylve majestueuse. Elle s’avance encore un peu, presque hésitante. Sa voix qui s’élève de nouveau, toujours aussi douce.
- Alors. Comment va mon revenant ?
Son revenant ? Cocasserie tendre, douceur sur un plateau. A croquer. Lifaen toujours panthère, à jamais prédateur qui s’attendrit, qui n’est plus qu’un chaton. De toute façon, il n’a plus vraiment de quoi jouer le fier, là. Tous ses nerfs sont entrain de mener une révolution, ils prennent un malin plaisir à lui envoyer des vagues de douleur. Mais panthère toujours moqueur, joueuse au possible.
- Oh, parfaitement bien, je pense qu’on peut sans difficulté aller voir l’empereur, il se rendra tellement je dois être effrayant.
Petite plaisanterie habituelle, la panthère qui essaye de sauver ridiculement les apparences, bien que ses yeux clament tout autre chose. Et la main d’Eileen toujours présente qui caresse machinalement le visage tuméfié de l’assassin, comme si ce geste lui était déjà devenu habituel. Et la panthère qui se laisse faire, trop heureux pour se soustraire à ces tendresses comme il s’est soustrait à la mort. La rouquine pas effarouchée pour un sous, qui commencer à gronder son ainé comme un petit garçon.
- Franchement Lifaen, t’es pas bien ou quoi ? Mais pourquoi tu as fait ça ? Tu voulais mourir ou quoi ? Et qu’est ce qu’il se serait passé si Zej’ n’était pas arrivée ? Si tu étais mort ? Comment on aurait fait, nous ? On est un groupe, tu…
Elle se tut subitement, la main de l’assassin scellant doucement ses lèvres. Il se veut sans appel, mais son bras tremble sous l’effort, il est toujours dans une agonie précaire. Il peut à peine parler, son regard est là pour le reste. Un groupe ? Lui il en ferait partie ? Quelle blague… Les regrets ont beau submerger le jeune homme, il ne peut nier l’évidence… La jeune apprentie qui redevient subitement inquiète, peut-être par peur d’avoir commis une bourde ou consciente de l’effort de Lifaen. Sa main plus pressante encore, comme pour apaiser sa panthère. Elle redevient un ardent astre de bonheur, certainement consciente que c’est ce qui aide le plus son ainé.
Eileen, cette flamme qui attire tant Lifaen, qui l’emplit d’un sentiment étrange qui semble être le même que celui de Sémil avec Madeleine. Etrange sensation que celle-là, inconnue de Lifaen. Alors, il a un peu peur, car c’est normal d’avoir peur de l’inconnu. Mais pourtant, il est fidèle à lui-même, il surpasse ça, il essaye de comprendre. Il regarde Eileen, ce mystère qu’il voudrait explorer, auquel il voudrait s’abandonner. La rouquine est une flamme, exception pour confirmer la règle, elle ne fait qu’attirer le jeune homme, exerçant sur lui un troublant magnétisme. Elle le fascine, elle pourrait librement disposer de lui, si elle le voulait. Et Lifaen avait toujours essayé de dissimuler cela, surtout en public. Mais il savait que son armure s’était déjà fêlée, mais quelles conclusions en avait-elle tiré ? Peut importait à ce moment, seul le bonheur de cette troublante proximité était important. Elle s’approche toujours un peu, hésitante et fragile. Malgré la main de Lifaen, elle parle encore, d’une voix fêlée.

- Comment on... Comment j’aurai fait si tu étais mort ?
Lifaen esquisse une réponse, d’une implacable vérité.
- Je ne suis pas mort, Eileen. Je suis
Il n’a pas le temps de terminer sa phrase, la flamboyante rouquine le serre dans ses bras tremblants. Le jeune assassin sent son visage s’empourprer violemment, mais il ne réagit pas. Tout son corps a beau protester, il ne se dégage pas, savourant délicieusement la chaleur de la vie de la jeune femme. Il a l’impression d’être isolé dans une bulle, les battements de leurs cœurs qui s’unissent dans une absolue harmonie. Vies qui s’entremêlent, peut-être à un point insoupçonné. La poitrine de la rouquine qui s’abaisse et s’élève rapidement, elle est troublée, elle respire vite. Lifaen peut le sentir dans les pulsions de son cœur, la légère crispation de ses doigts dans son dos, comme si elle voulait ne plus le laisser partir de son étreinte. Mais ils n’ont pas le choix, la panthère aurait bien passé l’éternité comme ça, juste à écouter les battements de cœur de sa douce, mais son corps était sur le point de se rompre. Eileen sembla le comprendre instinctivement, elle reposa doucement le corps du jeune homme sur le sol.
Et maintenant, que devait-il faire ? Il allait suivre les conseils de la Faucheuse. Se relever. Se battre.

D’un regard, il adressa milles tendresses à la rouquine, puis il prit la parole, défiant ses lèvres craquelées.

- Recule.
Il était de nouveau panthère, insaisissable prédateur aux crocs acérés. La jeune femme le comprit et, presque à regret, elle recula légèrement. Lifaen détailla légèrement les alentours. Il manquait quelques apprentis et deux nouveaux arrivants se trouvaient là, ses yeux troublés n’en voyaient pas plus.
- -Et bien, Velk, on m’a parlé de toi… Tu t’es battu à nos côtés durant cette bataille. Merci.
Dit la voix de Sémil. Le jeune homme n’arrivait pas à en distinguer plus, mais cela n’avait que peu d’importance à ce moment. Il devait se battre.
Inspirant profondément, il se redressa en position assise, luttant contre la douleur, contre ses os qui craquaient et ses plaies qui suintaient. Eileen avança tout de suite vers lui, mais il lui fit signe de reculer d’un grognement. Panthère. Se battre, vivre. Se relever. Par une habile contorsion, il se retrouva à genoux, haletant, crachant sa vie dans son souffle. Ses plaies saignaient de nouveau, tout son corps hurlait de douleur.
Lui à genoux ? Ridicule, impensable fantaisie. Ne serait-ce que par fierté, il devait se relever. L’assassin poussa un nouveau grognement qui résonna dans toute la grotte, il défia du regard quiconque oserait s’avancer pour l’aider. Il éructa un juron de colère, luttant contre son propre corps qui essayait de le mettre au tapis. Il commença à se relever, ahanant, crachant du sang, grognant. Ses plaies souffraient le martyr, elles hurlaient à la face du monde leur douleur. Pourtant, Lifaen continua, sans faiblir.
Se battre.
Se relever.
Encore et toujours.
Se battre.
Enfin, il se retrouva debout. Ruisselant de sang, agonisant. Mais debout.
D’un regard, il défia le monde.

21-12-2011 à 17:46:08
Eldän posa doucement, ainsi qu'Eileen, le corps inerte de Lifaen, vivant pourtant, comme l'attestait le faible - très faible - souffle qui s'échappait de ses lèvres. Peut-être s'en sortirait-il, peut-être pas. Sans doute pas. Il parcourut d'un regard la grotte sombre - on avait éteint le feu -. Presques tout les apprentis se trouvaient là. Presque. Il en manquait encore. Frimain et Zéjaléa. Et Arl aussi, peut-être, celui pour lequel ils s'étaient battus. Eldän, après avoir survolé la grotte, s'attarda sur quelques détails qui l'avaient interpellés. Cette fille, d'abord. La peau brune et les yeux dorés, jeune et petite. Sa présence ici, incongrue, l'intrigua d'abord puis s'évanouit dans son esprit, tel un fantôme gracile, quand son oeil accrocha la deuxième chose qui l'avait étonné. Genghis. Etendu. A même le sol. Les yeux fermés, la peau blanche, immobile.

Mort.


Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort. Mort, bordel, mort, mort MORT!
Il était mort. A peine leur périple et leur quête insensée entamée, un des leur déjà, était tombé sous les coups impitoyables de l'Empereur. Mort. Mort.
Eldän se le répéta, encore et encore, jusqu'a ce que ce mot perde son sens, jusqu'a ce que sa sonorité qui résonnait dans sa tête soit inconnue, jusqu'a ce que... jusqu'a ce qu'il craque. Mais il ne craquera pas. Jamais. Jamais.
D'autres avaient encore de l'espoir. Ce serait futile et cruel de leur montrer à tous l'impossibilité de leur quête. Leur prouver que un par un, ils mourront, peut-être loin du but, peut-être tout prêt. Leur démontrer que jamais ils n'y arriveraient. Que jamais, le Soleil brillera en Andore. Que jamais la bonté réapparaitra dans le coeur de l'Homme. Que jamais ils ne vaincraient l'Empereur. Jamais.
Ce jamais, pour certains peut-être il n'existait pas. Mais pour lui. Oui, lui, Eldän Alruin, il existait. Il représentait les barrières de son esprit, les limites de son corps... ce jamais représentait sa vie, et sa mort. Il lui permettait de tenir mais le menaçai en même temps de le faire tomber.

Eldän revint à la réalité et se mit face à l'entrée de la grotte. Si il s'asseyait, il s'endormait. Et il ne pouvait pas faire ça. Il ne pouvait pas car il devait savoir. Savoir si Lifaen allait s'en sortir. Savoir si Frimain et Zéjaléa reviendrait. Frimain et Zéjaléa devait revenir. Alors il resta là, à regarder la lune au dehors, et l'aube, qui se levait lentement. Très lentement.
Il sentit confusément des regards le transpercer. Il écarta un bref instznt le regard de l'extérieur et vit Sémil. Sémil, le grand chef. Sémil qui voulait tout protéger, tout commander, tout controler. Et il s'en donnait les moyens. Cette nuit, son armure sans faille l'avait quitté. Il avait faillit perdre la vie, faillit pleurer aussi, sans doute. Avait perdu le controle. Avait perdu la vie d'un ami. Mais il ne faisait aucun doute que demain, il remettrait son armure, reprendrait son armure de chef et reconduirait leur petit groupe fragile vers la Mort. Un mot qui avait encore son sens.
L'autre regard était celui de la jeune fille à la peau brune et aux cheveux argentés. Il haussa des épaules imaginaires. Et alors ? Qu'est ce que cela importait ? Rien. Juste, rien.
Sauf le regard d'une petite fille, il y a 15 ans, qui le fixait avec ses grands yeux verts. Il racontait une histoire. Quelle histoire déjà ? Ah. Oui.

La voix claironnante et orgueilleuse d'un petit garçon blond aux yeux blancs comme neige résonna dans la petite maison.
-Et mon père, il m'a raconté qu'un jour, et bah, il a affronté CENT méchants en même temps. Et tu sais quoi ? Et bah il les a tous battus.
En réponse, la voix moqueuse de la petite fille, brune aux yeux verts pommes dit:
-Ça se peut pas, ça! Je suis sur que tu mens.
-Non, c'est pas vrai, je ment pas! répond le garçon, vexé.
-Si!
-Non!
-Si!
Le garçon s'énerve et claque sa main sur la joue de la petite fille.
Elle pleure et le regarde. Avec ce fabuleux regard vert, qui lui transperça le coeur.

Eldän se passa la main dans les cheveux. C'était fini tout ça, s'était le passé. Ne comptait maintenant que cette ouverture dans la roche et les bruits de pas qui s'approchaient. Des pas ?
Frimain entra dans la grotte. Le garçon aux yeux blancs, semblable aux siens mais, eux, aveugle. Derrière lui, ue gigantesque ombre. Un homme -une femme ?- au poing énorme. Celui a qui il a tiré une flèche par erreur dans la folie de la bataille. Enfin. Il allait pouvoir s'excuser.

-Il s'appelle Velk.

-Et bien, Velk, on m’a parlé de toi… Tu t’es battu à nos côtés durant cette bataille. Merci.

Sémil, premier à parler bien sur. Premier à prendre les devants. Apparemment il a déjà réparé et réendossé son armure de chef.
Il lui tend la main.
Eldän retint un sourire ironique. Ce n'était pas une attitude de chef, ça. Lui montrer sa sympathie. Sémil lui même en parut surpris, mais se reprit très vite.
Le colosse lui serra la main à son tour. Et parla. Enfin, commença à parler plutôt. Eldän lui coupa rapidement la parole et fit, le sourire aux lèvres:
-Désolé de t'avoir tiré une flèche tout à l'heure. Bon, tu l'as à peine senti apparemment mais tu as eu de la chance que pour la première fois de ma vie je rate ma cible. Sinon c'était la tête que le trait atteignait. Et là tu l'aurais senti. Mais bref. Excuse moi.
Et voilà, c'était fait. Tirade ironique et sans aucune défaillance de voix. Il n'avait découragé personne. Il n'avait pas craqué.


Dans sa tête, encore, résonnait ces deux mots: Mort. Et jamais.

MUSIQUE DE COMBAT: http://www.youtube.com/watch?v=BHRyMcH6WMM
21-12-2011 à 19:32:57
Plongé dans une profonde léthargie, Arl restait totalement immobile. Il ne sembla s'éveiller qu'au son des les trilles de Moon, qui s'était approché de lui et volait avec légèreté entre les branches. Il ouvrit lentement les yeux comme revenant d'un rêve, descendit souplement de l'arbre et l'observa. Zejaléa le regarda lever la tête vers elle et attendit qu'il s'exprime. Sa réaction fut pour le moins inattendue et prit Zejaléa de court.

"- Bonjour, peut-être. commença-t-il d'un ton léger, presque enjoué.
- Euh...Bonjour...Arl...Genghis...est mort."

Elle s'interrompit à nouveau sentant une larme ruisseler sur sa joue. Pourtant elle s'était efforcée de refermer les blessures de cette nuit, et la mort de Genghis n'était plus qu'un fait incolore du passé comme celui de la Citadelle tombée. Alors pourquoi cette larme ? Pourquoi cette souffrance ? Peut-être était-ce la douleur causée par l'impuissance, son éternelle ennemie, létale dans son immobilité. Mais peu importe, d'autres vivants avaient besoin d'elle.

"Tu crois peut-être que tu es vivante ?"

Un ton sec, dur, cassant. La jeune apprentie ne comprit pas pourquoi Arl portait soudainement tellement d'agressivité dans son regard, tant que c'en était douloureux de le voir ainsi...Incrédule, elle ne parvint qu'à articuler un mot.

"P... Pardon ?"

Arl esquissa un rictus de dépit et lui répondit avec une désinvolture blessante.

"Personne ici n'est vivant. Sauf Moon, peut-être. Réfléchis-y, tu n'as devant toi que la violence. Et si par miracle tu t'en tires, tu auras le sang de dizaines d'hommes, enrôlés de force et arrachés à leur foyer, sur les mains. Tu penses pouvoir être heureuse après ça ? Nous sommes sacrifiés. Notre maîtrise du feu n'est pas un don. C'est une malédiction."

Alors la larme solitaire qui s'était arrêtée au-dessus de la pommette de Zejaléa repartit sur sa lancée, en appelant d'autres sans que la jeune fille puisse faire quoi que ce soit...La frustration mêlée à la colère montaient en elle, mais ces émotions étaient toutes deux balayées par la douleur et l'impuissance, aigües comme jamais qui susurraient leurs sortilèges maléfiques...Zejaléa ne s'intéressait pas à sa propre survie, ni à la survie des humains en général. Son idéal était de faire revivre la Terre et de préserver ses amis de la douleur, et ses larmes étaient encore ses dernières armes, dérisoires, contre l'impuissance. Mais elle ne devait pas s'abandonner à cette dernière, la jeune fille releva la tête, pour survivre et continuer à sa battre. C'était de toute façon la seule issue...
Pourtant, les larmes continuaient à s'échapper sans qu'elle puisse les arrêter, et regardant Arl au travers de ce voile brouillant sa vue, elle vit son mal-être, lui si intouchable qui s'approchait d'elle et tenter de tarir ce flot continu qui s'asséchait enfin...
Gêné, le jeune homme entouré de mystère lui dit alors une phrase étrange, inattendue...

"Zej' ? Tu as déjà volé ?"

Si elle avait volé ? Comment aurait-elle volé sans ailes ? A moins qu'il lui demande si elle avait déjà commis un larcin, mais dans ce cas, pourquoi cette question si déplacée maintenant ? La jeune apprentie n'eut que le temps de bredouiller un "Que..." d'incompréhension que Moon était déjà sur son épaule...Et elle s'envolait...

Elle était à l'orée du Ciel.
Libre, enfin libre et déliée de ces lourdes chaînes portées depuis trop longtemps, tant de douleur qui se dissipait faisant place au Vol du geai...Zejaléa sentait le vent courir dans ses rémiges alors que le vent l'emmenait du sommet jusqu'aux étoiles. Elle était Moon, une fusion étrange entre trois âmes meurtries qui aspiraient au même besoin d'envol hors de la douleur et de la peine de leurs existences médiocres...
Trois ? Arl, bien qu'absent était intrinsèquement présent dans chaque cellule composant Moon...Ce lien était d'une intensité étrange, anormale, mais il donna à Zejaléa de l'espoir. Deux êtres si différents liés d'une telle intensité, c'était tout simplement beau...Et elle volait, plus haut, avec ardeur et joie. Moon dirigeait la danse, mais il lui semblait pouvoir être totalement libre de ses mouvements. C'était l'Harmonie, pure et parfaite au sens le plus limpide. L'apprentie ne sut jamais combien de temps dura le vol, certainement une fraction d'éternité, suspendue dans le temps au travers d'un espace illimité...Elle ressentait Moon jusqu'au tréfonds de son être et alors que le sol défilait sous eux, forme bleue, indistincte, la Lumière vint. Il n'y avait jamais qu'une seule solution, il restait toujours un autre chemin à découvrir, et derrière la désolation se cachait assurément un havre. Le seul prérequis étant l'effort à faire pour y accéder...

Vite, trop vite à son goût, Moon se reposa sur son épaule et son esprit réintégra son corps d'origine, le jeune fille tituba une fraction de seconde, puis retrouva ses réflexes corporels, le souffle encore court de l'expérience qu'elle venait de vivre...Alors, elle releva la tête et sourit à Arl en caressant la tête de Moon, qui regagnait la clavicule de son ami.

"Merci...Merci à vous deux pour cette parenthèse incroyable. Je...Je me rends compte à quel point ce présent est de taille, aussi, j'en garderais toujours un souvenir précieux...Merci pour cet instant d'Harmonie."

Puis elle se tut alors que Arl lui offrit un sourire, un vrai éclairant tout son visage habituellement si taciturne. Et sur son épaule, Moon souriait aussi.
22-12-2011 à 02:38:34
Bien sûr qu'il ne s'attendait pas à un accueil mémorable, après une telle boucherie. Mais il avait espéré, au fond de lui, que les Chevaliers de l'Ordre seraient différents des autres.
Il n'osa pas entrer dans la grotte.
Il gardait la tête baissée, le visage caché derrière ses cheveux détachés et collés par du sang séché. Il vit quelques regards se poser sur lui. Un homme mûr s'approcha, et... le dévisagea. Velk ne dit rien. Il avait l'habitude, et était trop fatigué pour se rebeller. Seulement, il avait honte qu'on le fixe ainsi : Il était défiguré, à présent. La cicatrice laissant apparaître les chairs de son visage à nues, lui donnait l'impression d'être encore plus intrigant que d'habitude. Un colosse avec un visage de femme, c'était déjà peu commun, mais alors barré d'une plaie sanguinolente, c'était sûrement à jeter des regards étonnés. Il fut remercié d'une manière autoritaire, presque militaire. Le jeune forgeron n'était pas vraiment habitué à ce que l'on s'adresse à lui de la sorte.
On lui tendit la main. Bizarre. L'homme qui lui parlait semblait être mal à l'aise devant lui. Velk jeta quelques regards discrets dans la caverne. Il y avait des blessés, et deux... non ; un mort.
Il accueillit la poignée de main avec enthousiasme, mais sans décrocher le moindre sourire. Il était accepté, apparemment.
-L’Empereur mourra... dit-il de sa voix grave, juste avant d'être apostrophé par un jeune adulte, peut-être un peu plus vieux que lui.
-Désolé de t'avoir tiré une flèche tout à l'heure. Bon, tu l'as à peine senti apparemment mais tu as eu de la chance que pour la première fois de ma vie, je rate ma cible. Sinon c'était la tête que le trait atteignait. Et là tu l'aurais senti. Mais bref. Excuse moi.
Cette fois-ci, Velk rigola. Ses épaules s'agitèrent frénétiquement. L'adolescent partit en fou rire, se mettant la main sur la bouche pour ne pas faire trop de bruit. Il voulait respecter le silence funéraire qui régnait ici, mais ce rire était plus nerveux qu'autre chose. Il avait grand besoin de rire.
-T'es un rigolo, toi, dit-il en croisant le regard de l'inconnu. Ta flèche m'a transpercée le bras, gloussa-t-il. Ça fait un mal de chien, ces machins-là ! J'ai pas bougé parce que j'étais en pleine crise, mais crois-moi que si je t'avais trouvé à ce moment-là, t'aurais jamais eu l'occasion de t'excuser... conclut-il tristement.
-En pleine crise ? demanda le plus vieux, soudain inquiet.
-J'ai... un problème mental, un traumatisme assez grave, en fait...
-Comment ça ?
Velk laissa passer une bonne quinzaine de secondes, afin de trouver la manière de dire le fait correctement.
-Je deviens une machine à tuer à la vue du sang... Et Kire aussi.
Ce dernier couina tristement, aussi gêné que son frère. Ses deux interlocuteurs semblèrent comprendre qui était Kire.
-Et... tu peux te contrôler ?
-Jusqu'à un certain point, à peu près. Quelques gouttes, ça me rend colérique. Un filet, et j'ai envie de tuer. Le problème, c'est que je suis comme anesthésié. Je sens plus rien jusqu'à ce que j'ai tué tout le monde. Et après, les douleurs me prennent. C'est pour ça que je suis autant amoché, je prend de gros risques en pleine crise. Et là, je suis crevé... vous savez pas comme c'est douloureux de marcher alors qu'on s'est fait transpercer le mollet par une dague... avoua-t-il avec une grimace. Et, je sais pas si c'est normal, mais mon visage me brûle.
-Notre guérisseuse est encore dehors, elle te soignera quand elle reviendra.
-C'est... la petite brune avec de beaux saphirs à la place des yeux ? demanda-t-il timidement.
-Ouais, répondit le plus jeune avec un faux sourire complice.
-Va te reposer à l'intérieur, proposa l'autre. Mon nom est Sèmil. Je suis le doyen du groupe.

Lorsque je te serre la main, c'est une souffrance que j'appréhende. Tu ne sentiras pas le tonnerre de ma haine s'abattre sur ta nuque. Tu ne pourras que pleurer, et saigner. Saigner autant que mon dégoût le désire. Je me délecterai du spectacle macabre de tes chairs broyées sous mon poing vengeur. Personne n'est innocent.
22-12-2011 à 12:24:25
Les sens du chevalier nomade revinrent les uns après les autres d'abord l’ouïe qui lui permit de savoir qu'il n'était plus seul et que Sémil était là et ensuite la vue qui lui permit de voir que Leahna veillait sur lui penchée sur sa blessure à la jambe. Syrian tourna sa tête douloureusement afin d'observer les autres personnes présentes dans la grottes, elles étaient nombreuses mais dans son état le jeune adulte ne parvenait pas à distinguer les personnes ni à savoir si il y avait des absents, sa vision était trop trouble et son ouïe défaillant, il parvenait tout juste à comprendre ce que lui disait son meneur. Evidemment il s'était inquiété pour lui cela se voyait à son expression, aux paroles qu'il utilisait et même maintenant il continuait à s'inquiéter de la fièvre qui assaillait le nomade et il avait raison si le mal persistait alors Syrian serait incapable de suivre le groupe à travers Andore, il faudrait être fort pour traverser le continent hostile et le nomade le savait mieux que personne, un infirme ne pouvait pas survivre dans un milieux si hostile même accompagné par les plus valeureux guerriers. Apparemment Zejaléa n'était pas revenue où alors elle était morte... Pourtant il lui avait prêté le destrier de son maître pour quitter le champ de bataille mais lorsqu'il l'avait rappelé il était revenue seule, était il arrivé malheur à la guérisseuse ? Non elle savait se battre, elle devait juste être en train de s'occuper des blessés sur le champ de bataille. Le chevalier nomade serra les dents, il aurait voulu pouvoir se lever et aller aider ses compagnons à s'occuper des blessés mais c'était impossible il était cloué ici à cause de ces blessures et encore il pouvait s'estimer heureux d'être encore vivant car sa blessure aurait pu pourrir et s'infecter avec l'humidité de la nuit, le sang et la terre toute les conditions étaient réunis pour perdre sa jambe. Le chevalier masqué se redressa un peu plus afin d'observer l'état de sa jambe apparemment celle-ci avait été nettoyée mais toujours pas refermée c'était dangereux, bien plus que la fièvre mais il devrait s'en occuper plus tard car Sémil avait sorti une drôle de plante de ses bottes et il semblait décidé à ce qu'il l'ingurgite. Malgré sa vue défaillante Syrian se rendit compte que la plante que tenait son meneur était une Sinuante, la simple vue de cette plante tira une grimace de dégoût au nomade car petit il avait déjà du en ingurgité afin d'être sauvé d'une fièvre dévastatrice qui l'aurait sûrement emporté sans la plante miraculeuse... Miraculeuse certes mais désagréable et encore désagréable était un euphémisme à vrai dire Syrian se demandait si finalement il ne préférerait pas prendre le risque de subir cette horrible fièvre plutôt que d'avaler cette horreurs. Sémil avait toujours le mot pour rire... Comment aurait il pu se reposer après avoir ingurgité ça ? Trouver le repos serait impossible pendant une bonne vingtaine de minute et après jamais il ne trouverait le sommeil avec le souvenir se son mauvais rêve et des effets de la plante miracle. Le chevalier nomade observa son frère d'arme s'éloigner pour finalement sortir de la grotte, bien avant toute chose il allait devoir s'occuper de sa jambe... Heureusement il n'était pas seul Leahna était demeurée près de lui, sans elle il n'aurait rien pu faire il n'aurait même pas eut la force de défaire la ceinture autour de sa jambe. Le nomade fixa sa soeur d’arme de ses grands yeux verts émeraudes et tenta d'articulés quelques paroles d'une voix rauque déformée par la fatigue et la douleurs.

-Leahna il faut s'occuper de ma jambe au plus vite, chaque minutes passée augmente les risques d'infections et je n'ai pas envie de la perdre. Ecoute bien ce que je vais te dire car je ne penses pas pouvoir le faire une fois que j'aurais ingurgité la plante que m'a donné Sémil. Bien tu vas aller récupérer la sacoche qui est accrochée au cheval de mon maître, dedans il y a normalement un pot dans lequel il y a une crème violacée, tu vas prendre cette crème ainsi que le fil et l'aiguille qui doivent se trouver dans une poche latérale. Une fois que tu auras tout cela tu vas étaler la crève sur la blessure puis tu la refermeras avec le fil et l'aiguille. Si tu ne te sens pas capable de faire tout ça alors va chercher Sémil ou Zejaléa si elle est revenue. Lorsque tu seras revenue il est inutile d'essayer de me parler j'aurai ingurgité la plante et je risque de ne pas être en état de répondre pendant au moins vingt minutes.

Le jeune nomade luttait contre la douleurs sa blessure ouverte lui faisait horriblement mal et il devait employer toute sa volonté afin de ne pas sombrer dans l'inconscience, il n'avait déjà presque plus confiance de ce qui se passait autour de lui et rester assis plus longtemps aurait été inconscient c'est pourquoi il se rallongea tenant la Sinuante fermement dans ses mains. Peut être Leahna était elle déjà partie mais c'était difficile à dire car la fièvre altérait ses sens et son jugement. Maintenant il fallait faire preuve de courage car les prochaines minutes allaient être très longues, interminables, la Sinuante n'allait pas provoquer la douleurs mais sans doute la folie et l'opération de la jambe allait provoquer la douleurs... Au moins il ne se débattrait pas la sinuante allait le mettre dans un état second proche de l'inconscience. Aller ! Si il ne le faisait pas maintenant sa volonté s'émousserait. D'un geste dénué de force le nomade posa les brins sur sa langue non sans appréhension. En quelques minutes les brins se mirent à pétiller comme le faisait l'hydromel de l'ordre sauf que là le goût sucré était remplacé par un arrière goût amer. Syrian avala les brins de la plante médicinale même si il avait envie de les régurgiter, son corps protestait contre cette intrusion mais le jeune nomade se força à ne rien recrache. Il fallait très peu de temps avant que les premiers effets indésirables ne se fassent sentir. Comme la première fois la première chose que Syrian ressentit fut le froid il était pourtant à quelque centimètre du feu mais c'était comme si ce dernier venait d'être soufflé par une force surnaturelle et le souffle de cette force se déchaînerait maintenant sur le jeune adulte glaçant chacun de ses organes, le moindres ce ces membres de ses cheveux jusqu'à ses orteils. C'était ridicule le chevalier tremblait transit de froid alors qu'il se situait à une enjambé du feu pour un spectateur extérieur cette scène avait quelque chose de surnaturelle d'autant plus que les yeux de Syrian était exorbités comme si quelque chose essayait d'en sortir on s'attendrait presque à les voir éclater comme des coquilles d'oeufs et qu'un animal quelconque en sorte. Le pire c'était tout de même pour l'adolescent qui avait l'impression qu'une bête se tortillait dans ses pupilles si il avait pu il se serait arracher les yeux mais son corps ne répondait plus et puis il n'y avait pas que les pupilles il y avait aussi son ventre, une bête énorme sautait dans son ventre faisait des bonds de géant, il fallait qu'on la fasse sortir ! Et voilà que des bêtes sortaient de ses oreilles ! Son corps était devenu une véritable ménagerie. Dehors aussi les bêtes sauvages l'agressaient elle lui lacéraient le corps de leur griffes glaciales lui tailladant le torse mais le pire c'était sa jambe, une vive douleurs plus aiguë qu'aucune autre comme si on lui arrachait le membre. Dans son délire Syrian attrapa la main de quelqu'un était-ce Leahna ? Ou Zejaléa ? Peut être était-ce Sémil toujours est il que cette présence avec le monde extérieur le clama quelque peu, sa respiration se fit plus lente, moins rauque et moins haletante et son état commença à s’améliorer, peu à peu les bêtes prédateurs quittèrent la grotte, les bêtes sortirent de son corps et le feu se ralluma. L'éternité était passée. Les muscles de Syrian se relâchèrent, ses yeux se refermèrent, sa main lâcha prise et il sombra dans le sommeil, un sommeil réparateur sans rêve ni cauchemars.

22-12-2011 à 19:30:50
Zejaléa, encore troublée par son expérience récente de vol, tentait de mettre de l'ordre dans son esprit. Elle adressa une courte phrase à Arl et à Moon tout en tentant de mettre un peu d'ordre dans ses pensées.

"Nous devons partir rejoindre les autres. Cela fait bien deux nuits que nous sommes au même endroit, et le charnier ne va pas tarder à attirer autre chose que des charognards. Aussi, je vous propose de se mettre en route. Je vous laisse avancer à votre rythme, vous me trouverez devant en cas de besoin."


Puis elle partit sans se retourner. Elle aurait aimé leur dire plus, beaucoup plus, leur crier sa gratitude et son espoir dont ils avaient aidé à la résurrection. Mais elle avait senti...Quelque chose. Comme de l'émotion ou de l'incertitude. Arl et Moon avaient sûrement besoin d'être seuls également, elle le savait d'une façon inexplicable après avoir été si proche d'eux un court instant. Arl semblait même troublé, pourquoi donc ? Peut-être était-ce le fait de laisser sa place à quelqu'un d'autre...Ce qui voudrait dire qu'il ne l'avait jamais fait auparavant ? Zejaléa eut un hoquet de stupeur. Elle pensait qu'elle avait saisi l'importance du présent, c'est il valait infiniment plus ! Ils lui avaient ouvert leur âme et la laissant accéder au cœur de leur relation. La jeune fille en rougit presque de gêne. C'était tellement généreux de la part du jeune homme mystérieux...

Perdue dans ses pensées, elle marcha d'un pas vif et silencieux sans rencontrer âme qui vive jusqu'à apercevoir le flanc montagneux abritant la grotte. La jeune fille poursuivit son ascension jusqu'au refuge de ses frères et arriva jusqu'à la hauteur de ceux qui étaient le plus à l'extérieur, dont Flinn qui semblait en profonde méditation. Il leva la tête et lui adressa un léger signe ponctué d'un sourire machinal pour lui souhaiter la bienvenue, puis le jeune homme se remit dans sa position initiale. Zejaléa ne chercha pas à en savoir plus. Flinn était depuis toujours quelqu'un de distant.

Alors qu'elle s'approchait encore, son cœur battait de plus en plus fort tandis qu'un collier lui enserrait la gorge. Et si Eileen et Lifaen n'étaient pas rentrés ? S'il était mort ? Et Sèmil, avait-il été emporté par la Nuit, froide et impitoyable ? De nouveaux cadavres auraient-ils fleuri dans leurs rangs durant sa courte absence ? Elle pressa le pas jusqu'à entendre des voix connues provenant de l'entrée béante...Sèmil était debout, il semblait aller bien, bref, il vivait !! Une vague de soulagement déferla alors dans la conscience de l'apprentie, car si Sémil tombait, ils étaient tous perdus...Leur jeune meneur était d'ailleurs aux côtés de Eldän, qui semblait assez peu éprouvé par la bataille en comparaison à Sèmil qui était encore légèrement titubant. Sans hésiter une seule seconde, Zejaléa s'approcha de lui furtivement et ne put s'empêcher de s'exclamer d'une voix joyeuse :

"Sèmil ! J'avais si peur que la nuit ait eu raison de toi...Heureusement tu es encore des nôtres. Pense tout de même à te reposer, ta blessure n'est pas une simple entaille, et se faire transpercer de part en part est toujours une expérience très affaiblissante en plus d'être pénible, si tu vois de quoi je parle" lança-t-elle avec un sourire complice et une aisance rare pour elle. Mais l'apprentie était tellement heureuse de le revoir en forme qu'elle aurait même pu lui sauter au cou. Enfin, elle adressa à Eldän un signe de tête amical, et s'enfonça dans la grotte...

La première chose qu'elle vit fut une, non deux, masses énormes réfugiées côte à côte. L'homme au chien était donc définitivement leur allié. Embrassant l'espace du regard, elle aperçut du coin de l'oeil Eileen, qui semblait exténuée, presque dans un demi-sommeil tant les derniers jours avaient été ardus pour elle. Pourtant, son optimisme flamboyait toujours et même dans cette état, la jeune femme resplendissait. Zejaléa sentait sa respiration se calmer au fur et à mesure qu'elle voyait des silhouettes connues se découper dans la pénombre, même si certaines lui semblaient étrangères, mais qu'importe. Tout son univers qu'elle avait imaginé disloqué se reconstruisait lentement en elle au rythme des battements calmes et réguliers de son cœur. Jusqu'au moment où elle aperçut Lifaen. Debout, et sanguinolent, il avait manifestement fait un effort intense pour se redresser. Alors quelque chose en elle se consuma, et elle perdit son sang-froid attirant même le regard des plus proches...

"Lifaen ! Tu es inconscient d'être debout ! Tu aurais pu me dire que tu tenais tant à mourir, je me serais épargné la peine de te soigner !" attaqua-t-elle d'une voix vibrante de rage alors qu'elle s'approchait à grandes enjambées du tueur qui la regardait avec un air de défi.
Zejaléa était tout simplement hors d'elle, et alors que Lifaen s'apprêtait à répliquer, elle fit quelque chose qu'en temps normal elle n'aurait jamais fait : Elle balaya les jambes de l'assassin le faisant retomber au sol, lui plaqua la main sur le torse, et s'approchant de son oreille, lui murmura avec une colère mal contenue tout ce qu'elle avait à lui dire.

"Abruti ! Les blessures ne se soignent que si on les laisse en paix ! A malmener ton corps, tu risques d'avoir des séquelles toute ta vie ! Je vais te dire pourquoi tu dois rester en vie. Pas parce que tu pourrais être la Terre, mais parce que tu n'as pas la moindre idée de ce que tu représentes pour certains d'entre nous. Tu es la Force, tu es l'Ombre, et te voir à terre nous donne à tous l'envie de te retrouver en pleine forme, on veut quelqu'un qui nous fait croire que tout est possible, pas un semblant de soldat qui pour protéger son honneur crache du sang offert. Oui, car ce sang qui te maintient en vie ne provient pas de toi, mais de moi...mais aussi d'Eileen ! Lorsque j'ai voulu te cautériser au feu, elle m'en a empêché et je lui ai obéi, mais à ton avis, pourquoi a-t-elle le même bandage que moi autour du bras ? Parce que je lui ai demandé de fournir de ce liquide rouge dont nous avons tous besoin pour vivre. Et toi tu gaspilles allègrement son présent ! Mais te rends-tu compte qu'elle pourrait mourir pour toi ? Si tu ne tiens pas à la vie, c'est ton problème, mais ne lui enlève pas l'espoir, car tu es SON espoir, et l'Espoir ne meurt jamais..."

Elle se releva vivement, furieuse devant un Lifaen abasourdi et tourna les talons pour lui laisser le temps de réfléchir à ses paroles. Elle avait dû être confuse, mais peu importe, c'était dit. Elle espérait qu'il serait capable d'absorber les informations les plus importantes de son message.

S'avançant au fond de la grotte, elle se réfugia dans un coin obscur, se roulant en boule et en attendant d'être utile aux autres, elle ferma les yeux et son esprit s'envola.
22-12-2011 à 20:57:27
- Merci Flinn. Si tu n'avais pas compris, là, tout de suite, j'aurais continué à vouloir mener le groupe seul. Je crois que... J'ai besoin d'aide. Et je ne peux pas avancer éternellement sans cette aide, comme je le voudrais. En tout cas, pas cette nuit, pas maintenant. Je sais que tu peux et que tu veux m'apporter ton soutient, et je suis bien obligé de l'accepter, en ce moment ! Peut être un peu à contrecœur, mais avec gratitude.

Flinn faillit sursauter. Perdu dans ses pensées, il ne s'était pas aperçu que Sèmil l'avait suivi dehors. Il ne l'avait pas vu, pas entendu, pas senti. Peut-être lui aussi avait-il été perturbé par cette nuit, finalement... Bref, Sèmil était là, il avait compris que Flinn proposait son aide, et le remerciait. Trop gêné pour répondre quoi que ce soit dans cette situation inhabituelle et qui ne lui ressemblait pas; le jeune chasseur décida de s'éloigner de quelques mètres, sans se retourner, signifiant seulement son amitié au doyen du groupe par une main tendue vers le ciel. Sèmil ne tenta pas de le retenir, ce qui le soulagea.

Il avait besoin de vider sa tête, de reposer son esprit. Flinn s'assit sur un rocher près de l'entrée de la grotte. Il ferma les yeux. Il ouvrit son âme.

Alors il ne faisait plus qu'un avec la nature, il écoutait le vent, dansait avec le vent, était le vent. Il pouvait sentir respirer chaque être vivant, chaque animal ou plante, chaque pierre autour de lui. Sauf dans la grotte, car il avait volontairement écarté cette zone de sa concentration, ne tenant pas à baigner dans une atmosphère de deuil, de souffrance, de tourments. De fatigue. Pourquoi étaient-ils tous si exténués ? Cette question disparut avant même sa formation dans l'esprit du guerrier : sa méditation servait à cela. Faire le vide. Impossible pour lui de dire depuis combien de temps il méditait quand il les senti arriver : Frimain, de son pas léger mais moins assuré que le moyenne, et l'inconnu qui l'accompagnait, de son pas plus lourd encore que sa respiration. Il ouvrit un œil et put constater qu'il ne s'était pas trompé. Le grand chien du géant était là aussi. Comprenant qu'adresser un sourire d'accueil à un aveugle n'aurait aucun intérêt, le Loup replongea, rejoignit le Vent dans sa valse indifférente, mais belle, esprit même de la Liberté, qui soufflait son requiem sur le monde figé. Un peu plus tard, ce fut Zejalèa. Enfin, elle était revenue. Elle, il pouvait l'accueillir.

"Un sourire vaut mieux que mille discours. Un sourire peut donner la force."

Peut-être allait-il devoir s'y mettre, au sourire... Il n'en avait pas l'habitude, mais cette chose simple avait un réel pouvoir. Zej' lui rendit son sourire.

Tout le monde était réuni à présent, non ? Flinn sortit complètement de sa méditation. Réintégra son corps, cette prison de l'âme qui en était aussi l'arme. Cette représentation qui, une fois inerte, faisait couler les larmes. Cette chair qui laissait passer l'amitié. Un corps... Cela représentait si peu, en en même temps tellement de choses. Il entendit Zej' sermonner Lifaen avec virulence. Visiblement, il s'était relevé, et elle n'avait pas du tout apprécié cette façon irresponsable de se mettre en danger... Fidèle à eux-mêmes, ces deux-là. Une esquisse de sourire apparu sur le visage du jeune chasseur, qui se leva prestement. Mais cette ombre disparut aussitôt. Dans la grotte, tous ces compagnons étaient blessés ou exténués, ils avaient tous subis de graves dommages physiques et psychologiques. Le goût du fer se mêlait au goût du sang dans leur bouche comme dans leur cœur. Ils avaient tous besoin de repos. Flinn s'avança vers Sèmil.

- Reposez-vous tous. Nous aurons besoin de tout le monde à l'avenir, dans le meilleur état possible, surtout toi, alors repose-toi. Et veille à ce que tout le monde en face autant. Je vais monter la garde. Repose ton corps et ton âme sans crainte. Compte sur moi, repose-toi.

Sans attendre que son aîné ne proteste, Flinn tourna les talons et se plaça près de l'entrée de la cavité rocheuse.

"- Crois-tu en le Destin, Néo ?
- Non. Je ne supporte pas l'idée que quelqu'un dirige ma vie à ma place.
- Précisément. Et je suis fait... pour te comprendre.
" - Matrix.
22-12-2011 à 23:27:06
Ça faisait mal.
Un mal de chien, même. Il était là, allongé sur ce putain de sol froid et tout son putain de corps lui faisait un putain de mal de chien. Et tout esprit souffrait avec lui, de honte mais aussi et surtout de colère. Une colère dévorante, ire ardente. Une colère presque malsaine, une fureur dévastatrice. Il était de ces personnes dont la pire colère était froide, d’une morsure glaciale. Et de la colère, ça il en irradiait. Il était effrayant, funestement furieux. Il avait beau être allongé par terre, couvert de sang et incapable de bouger, il en aurait fait se faire dessus par le premier garde de l’empereur passant par là. Il rayonnait d’une rage mortelle. N’importe qui en aurait été apeuré, n’importe qui aurait eu un mouvement de recul, si ce n’est de fuite. Pourtant il était juste allongé là, sans capable de ne rien faire, pourtant plus dangereux que jamais. Mais qu’est ce qu’il pouvait faire, là sur le sol dur et froid ? Rien.
A part réfléchir.
Alors, il réfléchit.
Tout d’abord à ce qui venait de se passer. Lorsque Zejaléa s’était approché, il avait tout de suite su ce qu’elle allait faire. Pour la simple et bonne raison que le temps s’était ralenti. "L’avant bataille" qu’il était capable de percevoir… Il aurait pu réagir, il savait qu’Eileen avait suivi ses instructions et conservée ses dagues, en un mouvement des doigts, il aurait pu ligoter la jeune apprentie. Néanmoins, durant cet instant, il avait aussi pu voir les yeux de la timide jeune femme. Et c’était cela qui l’avait dissuadé de faire quoi que ce soit. Certes, les yeux de la guérisseuse brillaient de colère, mais aussi… D’inquiétude. Une inquiétude tenace, franche, féroce. Une inquiétude sincère et touchante, dissimulée par une coquille de colère.
D’une certaine manière, cette inquiétude l’avait sidéré. Elle se souciait de lui comme. D’un très bon ami. Et ça, cela l’avait stupéfait. Et rendu heureux, aussi. C’est vrai qu’à bien y repenser, une relation étrange s’était construite entre Zejaléa et Lifaen, principalement à cause de sa maladie dont elle était la seule à être au courant… Lifaen était étonnement heureux, de se rendre compte qu’elle le traitait en véritable ami, lui dont la solitude brûlait.
Alors, quand elle s’était approchée il n’avait pas bougé, il n’avait pas réagi lorsqu’elle lui avait fauché les jambes, certainement peu consciente qu’elle n’améliorait pas son état ainsi. Bon, c’est sûr que là, allongé sur cette saloperie de pierre, il le regrettait un peu. Elle l’avait maintenue au sol, inconsciente de la précarité de sa situation puis elle s’était penchée vers lui, comme la douce rouquine quelques instants auparavant. Certes, pas pour le même but, mais c’était ça. Sa voix, d’une fureur à peine contenue, lui chuchota :

- Abruti ! Les blessures ne se soignent que si on les laisse en paix ! A malmener ton corps, tu risques d'avoir des séquelles toute ta vie ! Je vais te dire pourquoi tu dois rester en vie. Pas parce que tu pourrais être la Terre, mais parce que tu n'as pas la moindre idée de ce que tu représentes pour certains d'entre nous. Tu es la Force, tu es l'Ombre, et te voir à terre nous donne à tous l'envie de te retrouver en pleine forme, on veut quelqu'un qui nous fait croire que tout est possible, pas un semblant de soldat qui pour protéger son honneur crache du sang offert. Oui, car ce sang qui te maintient en vie ne provient pas de toi, mais de moi...mais aussi d'Eileen ! Lorsque j'ai voulu te cautériser au feu, elle m'en a empêché et je lui ai obéi, mais à ton avis, pourquoi a-t-elle le même bandage que moi autour du bras ? Parce que je lui ai demandé de fournir de ce liquide rouge dont nous avons tous besoin pour vivre. Et toi tu gaspilles allègrement son présent ! Mais te rends-tu compte qu'elle pourrait mourir pour toi ? Si tu ne tiens pas à la vie, c'est ton problème, mais ne lui enlève pas l'espoir, car tu es SON espoir, et l'Espoir ne meurt jamais..
Sur le coup, ça l’avait juste mis en colère. Et puis, quand il y repensait là… Elle avait raison. Tristement raison. Enfin, Lifaen ne le savait pas vraiment. Il… Le "sentait". Dans la voix de la timide guérisseuse, les accents de la vérité était terriblement présents. « Pourtant, songea-t-il avec ironie, même la mort ne veut pas de moi… » Mais cela importait peu, car après tout il y avait des vivants qui voulaient bien de lui. Et puis… Représentait-il vraiment tout ça ? Si c’était le cas, il ne pouvait se laisser abattre.
Mais ce qui l’avait le plus choqué. C’était que Zejaléa avait raconté sa maladie à Eileen. Perdu dans ses pensées, il entendit Flinn au loin dire qu’il allait monter la garde.
Plus il réfléchissait et plus sa colère baissait, son aura se fit de moins en moins meurtrière, de moins en moins furieuse. Elle laissa place à… Du regret. Oui, du regret. Et toujours de la colère, mais contre lui-même. Une colère aussi dévastatrice et viscérale, pour autant que ses viscères puissent encore ressentir quoi que ce soit, dirigée contre sa seule personne. Mais pour l’instant, il n’avait pas le temps de s’attarder là-dessus, l’obscur feu qui l’animait s’éteignait.
Pourtant, il ne pouvait pas rester allongé. C’était contre sa nature-même. Et l’ordre de la Faucheuse. Et puis, il était têtu, Lifaen. Panthère qu’on ne pouvait pas détourner de sa proie. Mais il ne pouvait pas s’opposer encore à Zejaléa, pour trois bonnes raisons. D’une, elle l’avait touché. Qu’il le veuille ou non, les paroles de la jeune femme l’avaient remué. De deux, il n’était pas vraiment en état. Et de trois, il savait que la prochaine fois la jeune guérisseuse ne serait pas la seule à s’occuper de son cas. Alors, il allait aller jusqu’à la limite.
Il se mit assis. Cela le faisait souffrir, la douleur revenait à l’assaut d’une ténacité perverse. Mais il s’en fichait. Et puis. L’espoir ne meurt jamais, non ?
Et surtout.
Il n’était pas seul.
Il y eut un bruit de griffe sur la pierre, un halètement familier et puis une chaude fourrure pour soutenir le dos du jeune assassin.
Le Loup.
Une fois de plus, il était revenu vers lui, pour le soutenir. Flinn avait dû le laisser passer sans aucun problème, deux fils de la Lune ne se battraient pas entre eux. Lifaen sent la chaleur qui se déplace et, quelques instants plus tard, le Loup se retrouve à côté de son ami bipède. Le canidé s’allonge et pose affectueusement sa tête sur les jambes de Lifaen, qui combat toujours la douleur.
Il n’est pas seul.

- Eh, Zej’ ?
Elle relève la tête et croise son regard. Elle lui adresse un air toujours en colère, presque buté. La voix de Lifaen reprend, à peine un murmure mais résonnant si bien dans cette caverne.
- Désolé.
23-12-2011 à 00:40:22
Il revit ce visage, si fin et si expressif, illuminé de ces deux joyaux éblouissants d'une magnificence mystique. Mais elle était en colère. Elle fit preuve d'une autorité impressionnante.
Velk observa la scène en silence, caressant la fourrure de Kire tendrement. L'adolescent eut mal pour l'homme qu'elle sermonna. Le sang qui coula de ses plaies fit bouillonner le sien. Son frère respira plus fort. Lui aussi sentit son pouls s'accélérer. Son visage prit une mine apeurée, comme pris de folie. Il se mordit la main droite pour tenter de contenir sa rage. Il retrancha sa face derrière sa chevelure, pour ne pas effrayer les autres. Il sentit le goût sucré de son fluide corporel se répandre sur sa langue. Il se mordait au point d'en avoir envie de pleurer. Il attrapa Kire et le coinça entre ses bras, pour le calmer lui aussi. S'ils avaient une crise maintenant, tout était fini. Pour eux, comme pour lui. Ils en tueraient à peu près quatre, avant de succomber à leur tour... Alors qu'ils ne voulaient qu'aider...
Jamais leur mère ne leur pardonnerait.
Et jamais il ne pourrait faire la connaissance de la fille saphir.
Penser à elle le calma un peu. Kire sembla aussi affecté que lui. Velk se tourna vers elle, qui souriait au garçon qu'elle venait de frapper. Il l'appela en claquant des doigts, pour attirer son attention. Elle posa son regard sur lui, intriguée de la manière dont il se cachait derrière son animal.
-Approche-toi s'il te plaît, demanda-t-il.
Elle s'exécuta en fronçant les sourcils, se demandant sans doute pourquoi il avait l'air si mal à l'aise.
-Tu es bien guérisseuse ?
Elle lui répondit d'un hochement de tête interrogatif.
-J'ai un problème... Je suis malade. Je deviens fou à la vue du sang. Je deviens meurtrier.
Elle arrondit les yeux de stupeur et jeta un regard à l'inconnu qui gisait à terre.
-J'arrive à nous maîtriser, pour l'instant. Mais on pourra pas toujours rester aussi calmes. J'ai besoin d'un médicament.
-Lequel ?
-Il s'appelle Phalis. Le sorcier de mon village m'en préparait chaque semaine pour me préserver de mes crises de démence. J'en ai absolument besoin si je veux éviter de tuer tout le monde à la moindre blessure visible. Tu peux m'en procurer ?
Elle réfléchit quelques secondes.
-Tu connais sa composition ?
-N... non... Mais j'en ai une sacoche dans mon sac. Je l'ai perdu pendant la bataille. Il doit être au milieu des débris, dans la plaine. C'est un énorme sac en cuir d'une vingtaine de kilos. Il y a aussi des provisions pour un moment, des aiguisoirs, et beaucoup d'eau. Ce serait très pratique, si tu le retrouvais. Toi ou quelqu'un d'autre...
-D'accord, dit-elle sur le point de partir.
-Attends, implora-t-il en la retenant par le bras.
Elle l'interrogea du regard.
-Ce n'est pas le plus urgent, mais je ne pourrai pas me déplacer, ni dormir dans cet état. J'ai besoin de soins, sans quoi je serai un boulet pour vous...
-D'accord, répéta-t-elle en tentant de se lever.
-Attends, c'est quoi ton nom ?
Elle le dévisagea soudainement.
-Zéjaléa.
-Oh, c'est tellement beau. Ça te va bien, dit-il avec un sourire niais, le regard vague. Promets-moi que je pourrai encore te parler, Zéjaléa, avant de sombrer.
Le visage de la jeune femme s'empourpra. La cœur de Velk bondit plus vite.
-Je t'en fais la promesse.
-Ça me fait très plaisir. Mon nom à moi, c'est Velk. Velk Krostom, dit-il en lui lâchant le bras. Et mon frère se nomme Kire.
Elle lui adressa un sourire. Un sourire qui laissa son empreinte dans l'esprit du jeune forgeron.
Mais c'était ça, que d'être amoureux.
Elle partit vaquer à diverses occupations, sans se retourner.
Son charme avait piqué le cœur fissuré d'un adolescent abîmé...

Lorsque je te serre la main, c'est une souffrance que j'appréhende. Tu ne sentiras pas le tonnerre de ma haine s'abattre sur ta nuque. Tu ne pourras que pleurer, et saigner. Saigner autant que mon dégoût le désire. Je me délecterai du spectacle macabre de tes chairs broyées sous mon poing vengeur. Personne n'est innocent.
23-12-2011 à 15:20:09
La masse de muscle nommée Velk se mit à rire. Un rire puissant et profond.

-T'es un rigolo, toi, dit-il finalement en fixant Eldän. Ta flèche m'a transpercée le bras, gloussa-t-il. Ça fait un mal de chien, ces machins-là ! J'ai pas bougé parce que j'étais en pleine crise, mais crois-moi que si je t'avais trouvé à ce moment-là, t'aurais jamais eu l'occasion de t'excuser...

Hmm... ce Velk sous-estimait manifestement les membres de l'Ordre. Il aurait effectué ne serait-ce qu'un pas menaçant vers lui il se serait trouvé criblé de flèches sans n'avoir rien pu faire.

Sémil discuta quelque peu inquiet, de la maladie du jeune homme.

-Je deviens une machine à tuer à la vue du sang... Et Kire aussi.

Eldän esquissa un sourire. Si cet homme incorporait le groupe, la traversée de l'Empire risquait d'être encore plus mouvementée que prévue.

-Notre guérisseuse est encore dehors, elle te soignera quand elle reviendra. fit Sémil.
-C'est... la petite brune avec de beaux saphirs à la place des yeux ? demanda Velk avec un gène mal dissimulé.
Apparemment il en pinçait pour Zèjaléa. Eldän intervint en forçant son sourire:
-Ouais.
Sémil lui intima de se reposer à l'intérieur.

Eldän s'adossa à la roche. Il lança soudain à Sémil:
-Tu comptes faire quoi, demain ? Marcher ? Notre petite troupe est en piètre état, elle va souffrir. Même toi. Et...

Zéjaléa arriva sur ces entrefaîtes, le coupant dans sa tirade et s'adresse à Sémil. Puis, elle fit un signe tête à Eldän et rentra dans la grotte.

Sémil répondit alors à sa précédente question.
-Nous allons attendre les derniers retardataires, ou les chercher pour ceux qui sont en état de le faire. Cependant, comme tu l'as soulevé, nous ne pourrons pas avancer demain ; il n'est pas question de risquer la santé d'un de nos frères. Nous avons déjà un blessé grave étendu près du feu, et Syrian ne pourra pas faire un pas sans clopiner. Il faudrait le porter. Mais pour avancer à travers le terrain irrégulier, enjamber les crevasses... Ce ne serait pas possible. Nous serions trop lent, et ce serait dangereux. La marche est donc proscrite. Un, deux, voir trois jours ici me semblent un délais acceptable pour reprendre des forces. Une fois fermée, la caverne est imprenable et impossible à détecter. Je doute que nous ayons à nous cloîtrer, car les soldats survivants vont retourner au palais Impérial, mais dans un cas extrême, nous serons en sécurité pour un temps ici.
Quant à ce que nous ferons après, cela me parait évident : enterrer Genghis. Il m'avait... Demandé une faveur, avant que nous partions de la Citadelle. Si jamais il venait à mourir, il ne voulait pas être brûlé, mais mis en terre, près de son seul foyer. La tombe de nos maîtres. C'est là qu'il m'a demandé de l'enterrer. Et je compte accéder à cette demande. Avant de marcher vers l'Empereur, nous allons retourner une dernière fois à la Citadelle. Pour Genghis.

Des éclats de voix retentirent dans la grotte. Apparemment, Lifaen avait fait quelque chose menaçant sa guérison, au grand dam de la guérisseuse. Puis on entendit un choc sourd. Aussi incroyable que cela puissait paraitre, Zéjaléa avait fait chuter l'assassin.
Par curiosité, Eldän jeta un coup d'oeil à l'intérieur. La jeune fille au teint blanc avait plaqué Lifaen au sol et lui murmurait ce qui devait être des remontrances.

Eldän faillit rire. Mais il était trop sombre pour s'adonner à cette joie. Flinn arriva à son tour et s'approcha du leader de leur groupe, avant de lui déclarer:

- Reposez-vous tous. Nous aurons besoin de tout le monde à l'avenir, dans le meilleur état possible, surtout toi, alors repose-toi. Et veille à ce que tout le monde en face autant. Je vais monter la garde. Repose ton corps et ton âme sans crainte. Compte sur moi, repose-toi.

Flinn se détourna alors et alla se placer près de l'entrée, à quelques mètres. Visiblement, Sémil hésita un instant puis tout d'un coup son visage se détendit. Il dit à Flinn:
-Merci. A nouveau merci pour ton soutien.

Puis il s'engouffra à son tour dans la cavité rocheuse. Eldän émit un claquement de langue puis s'approcha de l'ombre posté devant lui. Et vint se placer à ses côtés. Flinn, en le voyant dit, lentement:
-Je croyais avoir dit qu'il valait mieux pour tout le monde d'être reposé, et que je gardais la grotte.
-Oui, c'est vrai. Mais je n'ai pas l'habitude d'éxécuter à des ordes auquels je n'ai pas envie d'obéir. Et puis, je crois que je suis celui qui a été le moins éprouvé et le moins blessé par cette bataille. Je n'ai même pas été touché, en fait.
Le Loup ne répondit pas et hocha la tête. Il sembla à Eldän qu'il comprenait, ou du moin acceptait son caractère.
L'archer aux yeux laiteux contempla les cieux et s'exclama brusquement, dans le lourd silence de la forêt:
-Les étoiles disparaissent et le gris du jour reprend sa place. Mais les étoiles sont encore belles. Magnifiques même.

MUSIQUE DE COMBAT: http://www.youtube.com/watch?v=BHRyMcH6WMM
23-12-2011 à 16:51:10
L'esprit de Zejaléa n'eut pourtant que quelques instants de répit, car elle fut bien vite appelée par un souffle à peine audible. Lifaen.

"Eh, Zej' ?"

La jeune fille le regarda froidement. Il s'était assis mais pas relevé. Le Loup qui les accompagnait à distance dans son dos le soutenait. Elle connaissait bien cet animal noble qui vagabondait autrefois auprès de la forteresse de l'Ordre, et Zejaléa le sentait alors rôder auprès d'elle certaines fois où elle recherchait des plantes.
Un respect mutuel s'était installé entre eux et l'apprentie savait qu'il avait prêté sa force à l'Ordre aux côtés de Lifaen. C'était d'ailleurs les traces ses pattes qui, avec la voix d'Eileen, l'avait guidée jusqu'au Lifaen agonisant du champ de bataille. D'une certaine manière, à lui aussi l'assassin devait la vie.
Mais pour le moment, c'était Lifaen qui lui avait parlé, et elle l'attendit.

"Désolé."

Déstabilisée par cet aveu si rare de la part de la Panthère, elle resta interdite l'espace d'une seconde. Puis Zejaléa lui sourit, et le silence disparut de leurs esprits tandis qu'un flot de paroles sans mots coulaient de leurs regards.

"Guéris-vite." murmura-t-elle simplement à celui qu'elle aurait aimé considérer comme un grand ami s'il n'était pas si distant et froid.

Puis alors qu'elle rompait le contact visuel avec lui pour replonger dans son tiède océan de merveilles enfouies en elle, un claquement de doigts l'attira subitement. Il provenait de l'inconnu massif qui, lorsqu'il s'aperçut qu'il avait son attention lui adressa la parole tout de go mais restant en retrait derrière son ami canidé, comme s'il ne voulait pas être remarqué.

"Approche-toi s'il te plaît" demanda-t-il.

Légèrement irritée d'être constamment sollicitée, elle s'approcha de son pas léger. Que cet homme lui voulait donc ? Se souvenait-il seulement d'elle ? Peu importe, elle le saurait bientôt.

"Tu es bien guérisseuse ?"

Alors peut-être qu'il se souvenait bien d'elle lorsqu'elle avait pansé ses plaies et celles de son chien, qu'il avait appelé Kire. Mais en même temps, il était tout simplement possible que l'homme l'ai déduit de la scène qu'il venait de voir entre Lifaen et elle. Elle s'assit à ses côtés, hocha la tête pour signifier à l'inconnu qu'il ne s'était pas trompé, et attendit la suite.

"J'ai un problème... Je suis malade. Je deviens fou à la vue du sang. Je deviens meurtrier."

Zejaléa sursauta presque de surprise. Quelle affection rare c'était ! La jeune fille se souvenait vaguement avoir lu quelque chose sur les "fous-du-sang" dans la bibliothèque de la citadelle qui détaillait les causes probables ainsi que la pathologie en détails. Malheureusement, elle ne se souvenait plus de grand chose, si ce n'était que les remèdes étaient tous temporaires et relativement inefficaces...Interrompant ses souvenirs lointains, l'homme reprit.

"J'arrive à nous maîtriser, pour l'instant. Mais on pourra pas toujours rester aussi calmes. J'ai besoin d'un médicament.
- Lequel ?" demanda-t-elle, avide de soigner. Pourtant, une légère interrogation restait en suspens. "On" ?

"Il s'appelle Phalis. Le sorcier de mon village m'en préparait chaque semaine pour me préserver de mes crises de démence. J'en ai absolument besoin si je veux éviter de tuer tout le monde à la moindre blessure visible. Tu peux m'en procurer ?"

Ce nom ne lui disait rien, ce n'était pas une plante ou sinon elle était très rare. Et puis elle était une simple guérisseuse, pas une déesse ! Mais elle se souvint de la générosité de l'inconnu lorsqu'elle l'avait soigné. Il avait été prêt à se sacrifier pour son chien. Un tel homme méritait son respect et elle ferait tout son possible pour l'aider.

"Tu connais sa composition ?" lui dit-elle à tout hasard. Malheureusement, sa réponse ne fut pas celle qu'elle aurait aimé entendre bien qu'il s'y attendait.

"N... non... Mais j'en ai une sacoche dans mon sac. Je l'ai perdu pendant la bataille. Il doit être au milieu des débris, dans la plaine. C'est un énorme sac en cuir d'une vingtaine de kilos. Il y a aussi des provisions pour un moment, des aiguisoirs, et beaucoup d'eau. Ce serait très pratique, si tu le retrouvais. Toi ou quelqu'un d'autre..."

"D'accord." acquiesça-t-elle en se redressant déjà rechercher ces plantes qui risquaient d'être fort intéressantes...
"Attends."
Surprise par cette sollicitation tandis que la main de l'homme la prit par le bras, elle le regarda à nouveau. Il devait avoir eu les traits fins avant que cette balafre n'apparaisse au combat.
"Ce n'est pas le plus urgent, mais je ne pourrai pas me déplacer, ni dormir dans cet état. J'ai besoin de soins, sans quoi je serai un boulet pour vous..." lança-t-il d'un ton presque suppliant.
"D'accord" répéta-t-elle tout en cherchant à extraire son bras de la pression.
"Attends, c'est quoi ton nom ?"
Elle le regarda, cette fois-ci franchement incrédule. Son nom ? Il y avait tellement plus de choses à faire...Mais bon, s'il voulait entendre quelques syllabes...
"Zejaléa."
Sa réaction la laissa abasourdie.
"Oh, c'est tellement beau. Ça te va bien. Promets-moi que je pourrai encore te parler, Zéjaléa, avant de sombrer."

Elle ponctua cette étrange phrase par une grimace de gêne, puis accéda à sa demande. Si cela pouvait lui faire plaisir...
"Je t'en fais la promesse."
"Ça me fait très plaisir. Mon nom à moi, c'est Velk. Velk Krostom. Et mon frère se nomme Kire." Dit-il en lui lâchant enfin le bras. Elle lui sourit gentiment, quoi qu'un peu gênée et se détourna de cet étrange personne qu'était Velk tandis qu'elle prenait le chemin de la sortie de la grotte.


C'était...Étrange d'avoir l'impression de faire partie du groupe. Elle avait remarqué dans dans les dernières heures, de plus en plus de monde l'appelait "Zej'" au lieu d'utiliser son nom complet. Était-ce un signe de resserrement des liens au sein du groupe ? En tout cas, elle l'espérait. Alors que l'apprentie s'approchait de la lumière pâle d'un matin sans soleil, elle vit Leahna s'approcher d'elle rapidement. En quelques secondes, la jeune fille aux cheveux roses lui expliqua la situation de Syrian et pourquoi il avait besoin d'elle. La jeune fille soupira, et fit signe à Leahna qu'elle revenait sur-le-champ.
Zejaléa sortit alors de la cavité sombre et chercha du regard quelqu'un qui pourrait accéder à sa requête. Elle vit alors Flinn et Eldän côte à côte, et se dirigea vers eux.

"J'aurais une faveur à demander à l'un de vous, peu importe lequel. Je dois aller soigner Syrian, mais Velk, l'inconnu au chien, m'a parlé d'une grosse sacoche d'une vingtaine de kilos qu'il a laissé sur le champ de bataille qui lui appartiendrait. Elle nous serait très utile car emplie de vivres. Donc si vous pouviez la trouver, ce serait vraiment bien. N'hésitez pas à vous servir de l'étalon de Syrian si vous pensez en avoir besoin, il ne lui servira pas à grand chose vu son état actuel." ajouta-t-elle le regard triste.

Puis sans leur laisser le temps de répondre, elle fila à nouveau dans leur antre et s'agenouilla à côté de Leahna et de Syrian, apparemment sous l'effet de la Sinuante. Ne perdant pas de temps, elle se mit au travail et commença à étaler du baume avant de produire une petite flamme pour stériliser l'aiguille. Zejaléa n'aimait pas la technique de recoudre une plaie, car le risque d'infection au contact d'un corps étranger était tout de même omniprésent et si les fils lâchaient, la plaie pouvait encore s'aggraver, mais elle laissait à Syrian le soin de décider de son traitement. Aussi, elle recousit patiemment les chairs, au côté de Leahna qui l'épaulait en tentant de ne pas paraître trop dégoûtée par l'aiguille qui s'enfonçait à intervalle régulier dans la chair sanguinolente de l'apprenti voilé. Sa besogne enfin terminée, elle regagna le coin sombre dans lequel elle s'est lovée auparavant et avant qu'elle ne comprenne ce qui lui arrive, la fatigue la submergea. Zejaléa se laissa emporter et ferma les yeux. Elle était si fatiguée...
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